1. Activité travaillante source de connaissance et culture rurale.

S’agissant de Célestin Freinet, on sait qu’il a vécu son enfance dans le monde rural, qui imprima durablement en lui émotions et sentiments : ‘’c’est seulement ce qui surnage ainsi de ma vie sensible que je pourrai donc noter, mais alors avec tout le luxe de détails, d’odeurs, de bruits, de gestes qui sont encore en moi comme s’ils étaient d’ hier (..). On ne me fera jamais croire que le fumier sent mauvais. Gamins, quand nous allions aider à l’épandre dans les champs, nous montions sur le chariot et, assis sur le chargement, nous croquions une pomme ou des noix, entourés de l’arôme qui montait. Pour nous, cela ajoutait une saveur particulière.’ 26 .

Et ses dispositions à observer la vie, les travaux des paysans et des artisans lui ont donné à voir et à comprendre la force de travail créatrice. Plus encore, il reconnut ce qu’il nomme les ’secrets des sages’, dont il se souvient, comme l’expression du ’bon sens.’. Ainsi, il comprit que l’activité travaillante, portée par une finalité vitale, était source d’intelligence, définie comme l’entendement des lois de la vie : ‘Les sages, ils avaient acquis quelque chose d’autrement précieux : La connaissance intuitive d’abord, raisonnée ensuite, des grandes lois de la vie (..), ils redécouvraient les raisons et les mobiles de la vie elle-même, et cela leur donnait, du coeur et du corps de l’homme, et de la nature qui l’entoure, une connaissane mystérieuse qui faisait d’eux des grands bâtisseurs et des bâtisseurs pour l’éternité.’ 27 . Car, pour Freinet, la connaissance des lois doit être induite de l’expérience personnelle ; ’sinon elles ne sont que des formules sans valeurs. 28 ’.

On comprend dès lors toute l’importance qu’accorda C. Freinet, dans sa pensée pédagogique, à l’éducation par le travail, au coeur d’activités vitales, dans l’expérimentation tatônnante, source d’une connaissance sensible et universelle. De fait, la finalité qui vectorisait sa pensée et son engagement d’éducateur était de former des hommes, dans le respect et la promotion de l’humain. Au demeurant, cette sensibilité à la valeur et à la richesse de la vie humaine fut sans doute renforcée par son expérience de la guerre, qui meurtrit son corps et le conduisit jusqu’à l’article de la mort.

En effet, il témoigne, en cette expérience extrême, d’une perception aiguisée des offrandes de la vie.

‘ ’(..) Livide et mort il y a quarante-trois jours (..) comme le brouillard, ce matin, est lumineux et clair ! (..) je me sens heureux parce que je sens un peu de vie revenir en moi (...) J’ai mangé comme mon voisin, j’ai bu le vin, j’en suis emerveillé (..) et puis un bon feu de cheminée ; du lait (..) des oeufs. Je remerciais le destin de m’avoir donné plus que je n’osais espérer (..) en même temps une immense envie de rire, d’être heureux (..) Dans le parc, il y a des violettes qui se cachent sous les feuilles des marronniers (..) Oh ! comme c’est délicieux une convalescence parmi le renouveau ! J’ai besoin de ne penser à rien qu’à mon bonheur de vivre.29’.’

Il faut ajouter, comme le souligne M. Faës, que sa blessure au poumon l’handicapait. C’est en 1920, à Bar-sur-Loup, en Provence, qu’il invente sa pédagogie, ’en partie à cause de son handicap physique qui lui interdit de trop parler et de faire le gendarme pour imposer silence à ses 35 élèves de 5 à 8 ans. 30 .

Notes
26.

Cité par M. Barre. Célestin Freinet. Un éducateur pour notre temps, p. 5.

27.

C. Freinet, L’éducation du travail, p. 37.

28.

C. Freinet, Les Dits de Mathieu, p. 158.

29.

C. Freinet, Touché, Souvenirs d’un blessé de guerre, p. 54 à 56.

30.

M. Faës, l’école en bataille, p. 249.