1. Une référence à la psychologie comportementaliste chez C. Freinet.

C’est notamment dans son Essai de Psychologie Sensible que C. Freinet définit l’intelligence comme la perméabilité à l’expérience, au coeur du tatônnement expérimental introduisant au grandes lois de la vie généralisables et transférables : ‘Plus l’individu est sensible à ses expériences, plus les expériences réussies marquent dans son comportement, plus il progresse rapidement. C’est en généralisant, en classe et hors de la classe, la pratique du tatônnement expérimental, en la rendant possible et efficiente qu’on éduque en définitive l’intelligence’ . 38 . Il en vient même à définir la faculté ou la puissance intellectuelle par ‘’la rapidité et la sûreté avec laquelle l’individu profite intuitivement ou expérimentalement des leçons de ses tatônements.39’, tandis que, chez les enfants retardés, ’l’eau tombe sur le roc, il faut que l’enfant bute dix fois, cent fois, contre la même difficulté pour qu’il se rende compte de la valeur de l’obstacle.’ 40 . Mais l’intelligence, définie par la réflexion du sens de l’expérience, ne saurait être le fruit d’un raisonnement méthodique, logique, d’un étayage argumentatif. Elle est plutôt illumination et clarté : ‘’Il comprit dans un éclair la pensée profonde (...) l’idée n’est même pas venue au pédagogue qu’on pouvait ainsi résoudre des problèmes par illumination, sans détailler le processus qui mène sûrement au résultat’ . 41 . Elle est de l’ordre d’une convocation sensitive, au coeur de l’empirisme expérimental, lieu d’avènement de ’la loi qui éclaire le fait singulier, le rattache à la généralisation pour toutes les manifestations semblables de la vie. 42 .

Donc, C. Freinet se rattache à une psychologie sensible43 de l’intelligence, qui s’épanouit par l’expérience tatônnante pour le service de la vie, ‘’Le drame de vivre se joue par l’effet de la sensibilité, propriété fondamentale de la vie, mobilisée à plein dans un travail de finalité. Entre les deux, un processus universel : le tatônnement, démarche instinctive vers un accroissement de la puissance vitale : on tatônne vers un but qui sert la vie’ . 44 . Mais C. Freinet ajoute que cette intelligence du sens, qui advient par le tatônnement, est favorisée, singulièrement au coeur de la relation humaine, par la disposition vitale qu’est l’inclination à l’imitation, qui cesse dès que l’impulsion d’origine est satisfaite. C’est pourquoi l’intelligence est permise également, dans l’interaction sociale, par l’identification mimétique, qui est un puissant ressort façonnant, c’est-à-dire par ’l’empreinte’ d’un modèle qui sert la disposition vitale, les besoins dominants, le projet de sens de l’apprenant. Mais C. Freinet répète que cette imitation intelligente est sensible, sensitive ; elle n’est pas l’effet d’un raisonnement. ‘’Nous tatônnons pour trouver la porte d’entrée de la gare, et nous hésitons parfois successivement devant plusieurs portes fermées. Mais si au contraire, le flot de voyageur s’engouffre sur le quai, nous le suivons automatiquement.’ . La perméabilité à l’exemple cesse dès que s’est terminé notre propre tatônnement, dès que l’expérience, réussie d’abord, puis renouvelée, s’est fixée dans l’automatisme d’une règle de vie.

C. Freinet donnera une explication scientifique de sa psychologie sensible en se référent aux travaux de Pavlov. De son point de vue, il n’y a pas d’intelligence innée mais une intelligence qui se construit. ‘’L’intelligence se crée, s’édifie, elle n’est que l’aboutissement du Tatônnement Expérimental de la serie la plus complexe des réflexes conditionnés qui deviennent, à l’expérience et au long du temps, réflexes inconditionnés, d’une permanence et d’une sûreté inégalée’ . 45 . Mais sa théorie se situe en dehors de toute philosophie immanentiste. Il indique que ‘contrairement aux tendances habituelles qui ont contribué à accréditer les théories des psychologues et des philosophes, et les conceptions religieuses basées sur une éminente fonction de l’âme, nous n’avons découvert en l’enfant aucun processus spécial suscité par une intelligence spécifique à la nature humaine. Nous avons eu à mettre en valeur au contraire l’universalité des grandes lois de la vie, qu’elle soit végétale, animale ou humaine’ .’.

En effet, selon lui, les réactions primaires de l’homme et de l’enfant sont en tous points comparables aux réactions des animaux. L’intelligence, définie comme perméabilité à l’expérience est commune à tous les êtres vivants ; il n’y aurait, selon les espèces, qu’une différence de rythme et de degrés. Cependant, si l’homme dépasse l’animal, c’est que, selon une visée évolutionniste, il bénéficie de l’héritage marquant des lois et des règles de vie, fruits des expériences tatônnantes des générations qui l’ont précédé, dont l’instinct aspirant, le besoin de puissance et d’ascension, associé à une disposition à transmettre ont permis précisément l’empreinte.

Notes
38.

C. Freinet, Essai de psychologie sensible, p. 159.

39.

Ibid., p. 58.

40.

Ibid., p. 59.

41.

C. Freinet, Les dits de Mathieu, p. 99.

42.

E. Freinet, L’itinéraire de Célestin Freinet, p. 136.

43.

E. Freinet nous indique que, bien que n’ayant pas l’âme de disciple, Freinet se sentait proche de la pensée philosophique du matérialisme dialectique de Politzer qui défendait une psychologie matérialiste plus qu’idéaliste.

44.

C. Freinet, Essai de psychologie sensible, p. 140.

45.

Cité par E. Freinet, L’itinéraire de C. Freinet, p. 144.