3. Une conception constructiviste et interactionniste du développement intellectuel chez R. Feuerstein.

S’agissant de R. Feuerstein, le développement de l’intelligence est tout d’abord relatif à un équipement de la sphère cognitive du sujet. Ainsi, l’espace mental est représenté par un éventail d’outils cognitifs dont le sujet s’enrichit. Ce sont précisément : les opérations mentales et les fonctions cognitives. En l’occurence, le PEI, de par son instrumentation, propose une éducation des opérations de pensée du stade concret au stade formel. Ainsi, on travaillera la comparaison, la sériation, la classification, et les exercices solliciteront décentration, réversibilité mentale et pensée hypothétique. Quant aux fonctions cognitives, elles sont définies par R. Feuerstein comme des opérations plus périphériques que centrales, ‘Elle reflètent des déficiences d’attitudes et de motivation, un manque d’habitude d’apprentissage et de travail, plutôt que des incapacités structurelles et élaborationnelles.47’, et il indique que ’la reversibilité de ces phénomènes a été prouvée par des recherches cliniques et expérimentales, en particulier par une évaluation dynamique (LPAD)’ 48 . Il signifie par là qu’elles sont éducables dans le cadre d’une médiation. Ainsi, l’auteur a formalisé une liste de fonctions, qu’il partage en trois catégories : Les fonctions cognitives de l’INPUT (difficultés à rassembler les données.), de l’ELABORATION (difficultés dans la manipulation des données.) de L’OUTPUT (difficultés dans la communication de la réponse).

A titre d’exemple de fonctions cognitives, le sujet peut manquer de comportement exploratoire devant l’ensemble des données d’un problème, ou encore son capital verbal ne lui permet pas de comprendre les données d’une consigne, ou bien il n’arrive pas précisément à perçcevoir quel est le problème, il ne fait pas d’hypothèse, son action n’est pas assez ordonnée et planifiée, il manque de besoin de précision, il est impulsif, il se maintient dans une communication égocentrique, son champ mental est étroit, il n’arrive pas à se décentrer.

En son inspiration, R. Feuerstein reconnaît s’être approprié le cadre scientifique Piagétien et être comptable des recherches d’ A. Rey49, notamment par rapport à la formalisation des fonctions cognitives. Il écrit : ‘’ L’enrichissement instrumental à capitalisé les informations cliniques de Piaget et nous avons mis au point beaucoup d’instruments inspirés par les travaux du professeur André Rey.’ 50 . Cependant, il émettra un point de vue critique quant à la fixité de la stadologie Piagétienne. Il énonce notamment :

‘’Educateurs et penseurs se demandaient si ces enfants, qui étaient, selon les échelles opératoires de Piaget, à l’âge de cinq ou six ans pour quinze-seize ans d’âge réel, étaient encore éducables. Répondre ’non’, était prendre une lourde responsabilité ; c’était les rejeter et ne leur donner aucune chance de se développer. Le problème était vital (..), L’approche, telle que nous l’avons dans la psychologie scientifique, d’un individu au QI très faible, avec ses echecs scolaires, ses dysfonctionnements et ses problèmes de comportement peut-elle être réduite à une entité figée, fixée par l’hérédité ? Nous avons eu maintes fois l’occasion de nous poser cette question, mais nous avons aussi constaté à quel point l’homme a besoin de se modifier.51’.’

Au demeurant, l’originalité de la théorie de l’auteur procède bien de l’idée que le champ cognitif est éducable dans le cadre d’une relation de médiation. Cette dernière est de l’ordre d’une attitude, ’d’une qualité d’interaction 52 , et d’une interposition singulière dans la situation d’apprentissage. R. Feuerstein définit ainsi douze53 points de repère qui, de son point de vue, fondent la disposition du pédagogue dès lors qu’on le qualifie de médiateur. Ainsi, il postule la modifiabilité cognitive structurale, indissociable de l’expérience d’apprentissage médiatisé. Comme nous l’avons évoqué antérieurement, l’objectif immédiat et affiché est d’équiper cognitivement le sujet, pour lui permettre de développer des capacités à s’adapter aux diverses situations déséquilibrantes. Ainsi, il écrit :

‘ ’La théorie postule que la plasticité et la flexibilité constituent une des caractéristiques, la plus importante et unique à l’humanité, rendant l’homme capable de modifier et de diversifier sa structure cognitive dans une voie radicale, laquelle affectera sa capacité d’apprendre à s’adapter aux situations les plus complexes et nouvelles.54’. ’

Fort de cet objectif mesurable, le but visé - R. Feuerstein spécifie des sous-buts55- est d’augmenter l’’auto-capacité’ de développement intrinsèque du sujet, mais ce déploiement ne saurait être indépendant de la médiation : ‘L’expérience d’apprentissage médiatisée est alors considérée comme le facteur décisif pour le développement des fonctions cognitives supérieures de l’individu et pour l’élévation de sa modifiabilité à travers l’exposition directe.’ 56 . Il affirme ainsi l’objectif du PEI et de la médiation : ‘’Le but de l’enrichissement instrumental et de la médiation est donc d’augmenter l’autoplasticité’ . 57 . Il affirme ensuite que ‘Le but principal de l’Enrichissement Instrumental et de la médiation est donc l’augmentation de la modifiabilité de l’individu’ . 58 - Autoplasticité humaine et modifiabilité humaine sont synonymes ; seulement, la modifiabilité se réfère plus particulièrement au changement cognitif (dans les structures, dans les fonctions).

Notes
47.

R. Feuerstein, Le PEI, p. 146.

48.

Ibid.,

49.

Cf notamment Rey (A.) :

Evaluation de l’éducabilité cognitive et de l’efficacité de l’acte mental, Archives de psychologie, pp. 4-5.

Etudes des insuffisances psychologiques.La systématisation des observations. p. 101 à 104.

50.

Op., cit, p. 10.

51.

R. Feuerstein, Le PEI, pp. 5 à 15.

52.

Ibid., p. 161.

53.

Liste des critères de médiation :

1. Intentionnalité et réciprocité

2. Transcendance.

3. Signification.

4. Sentiment de compétence.

5. Régulation et contrôle du comportement.

6. Comportement de coopération;

7. Individualisation et différenciation psychologique.

8. Recherche des buts,. Planification et réalisation des objectifs.

9. Comportement de ’challenge’, de défi.

10. Changement.

11. Alternative positive.

12. Appartenance à l’espèce humaine.

54.

R. Feuerstein, Y. Rand, J.E. Rynders, Don’t accept me as I am.

55.

Liste des six sous-buts:

1. Corriger les fonctions cognitives déficientes.

2. Acquérir des connaissances necessaires à la réalisation des exercices P.E.I. (concepts verbaux, opérations mentales, fonctions.)

3. Créer une motivation intrinsèque au transfert des acquis en développant des habitudes.

4. Développer l’’insight’, ’l’auto-réflexion’sur l’élément de la réussite en vue du transfert.

5. Développer une motivation intrinsèque à la tâche, en développant le plaisir de la réalisation.

6. Le changement dans l’image de soi pour devenir actif et créateur.

56.

R. Feuerstein, M.R. Jensen, L’Enrichissement Instrumental, p. 17.

57.

R. Feuerstein, Le PEI., p. 126.

58.

Ibid., p. 128.