1. Entretien littéral.

Enseignante en CE1-CE2

Pratique la pédagogie Freinet depuis 20 ans.

  • Est-ce que vous vous souvenez de la première fois où vous avez entendu parler de la pédagogie Freinet. Est-ce-que vous vous en rappelez?

  • Bien sûr, je m’en souviens très très bien.

  • Oui.

  • C’était il y a bientôt 20 ans. Moi je ne suis pas passée par l’Ecole Normale, et je pense que ça n’aurait pas changé grand chose de toute façon. Quand j’étais en classe je m’ennuyais, mes élèves s’ennuyaient parce que je jouais à la maîtresse. Je faisais l’école comme moi-même on me l’avait fait, comme moi-même je l’avais vécue et puis, j’imitais mes collègues aussi. Mes collègues me montraient comment il fallait faire, ouvrir un livre, écrire le nom de la leçon au tableau et puis j’orchestrais tout, et je faisais tout, et j’avais en face de moi une population d’enfants qui baillaient, qui attendaient que ça se passe. Comme ils étaient bien élevés, ils ne faisaient pas le bazar puis voilà, quoi ! Je ne voulais plus travailler, je ne voulais plus faire ce métier, ça c’est une chose !

  • Et j’ai eu la chance de rencontrer des gens du groupe Freinet par l’intermédiaire d’un inspecteur de l’Education Nationale qui lui, était assez acquis à ces démarches, qui voulait les faire connaître aux enseignants de sa circonscription.

  • C’était en quelle année ?

  • En 70. Franchement, j’ai toujours détesté ce métier. Je ne l’ai pas choisi. J’ai été obligé de travailler, et mes parents m’ont dit : ’Ecoute : signe là, tu seras instit, c’est pas plus mal qu’autre chose’. Mais moi, j’ai souffert à l’école, je déteste l’école, je déteste les enseignants, j’ai la colère tout le temps, voilà ! (Blessures dans la vie scolaire).

  • Oui,

  • Alors ça aussi, ça été un paramètre qui a fait que cette démarche m’a beaucoup séduite parce que je n’étais justement pas dans le carcan scolaire. J’étais ailleurs, dans la vie. La classe ressemble beaucoup plus à la vie qu’à l’école.

  • Donc vous ne l’avez pas choisi. Vous dites on vous a vraiment forcée à...

  • Oui. Il fallait que je travaille. Je n’avais pas la possibilité de faire autre chose. J’avais 18 ans et j’ai été instit.

  • Donc vous n’avez pas eu de formation.

  • Non. Je faisais des remplacements de gens malades. Il y avait un inspecteur qui lui, était passionné de pédagogie et surtout de pédagogie un peu innovante et différente et j’ai bien entendu ce qu’il disait. Son discours m’avait frappée. (Médiation et rencontre.)

  • Alors, est-ce que vous vous souvenez de cette rencontre avec cette personne ? Vous dites ça m’a frappée, ce discours m’a frappée. Qu’est-ce qui vous a frappée en fait ?

  • Ce qui m’a frappée, c’était déjà la bienveillance qu’il y avait de la part de cet inspecteur. (Médiation et rencontre). C’est-à-dire que c’était presque la première fois que je rencontrais, comme ça, un enseignant, ou en tout cas, un supérieur hiérarchique, parce que l’inspecteur, bon, ça c’est le supérieur hiérarchique. Il donne des notes, etc. Bienveillant, c’est-à-dire pas du tout là pour sanctionner, juger, mais au contraire, capable de proposer des choses en fonction de la façon dont vous travailliez. Il venait voir comment on travaillait, puis il disait : vous, c’est ça qu’il vous faut, parce que vous êtes comme ça. C’était quand même quelqu’un d’intelligent quoi. Et puis, il aimait bien Freinet, Decroly. Il aimait bien cette tendance de l’éducation.

  • Vous vous souvenez de ça en fait, du fait qu’il était bienveillant.

  • Oui, mais il était à l’image de ce qu’apporte cette pédagogie. Tous les gens qui sont en apprentissage, ils ne sont pas jugés, ils ne sont pas nuls. Ah, c’est nul ce travail ! Puis des fois, il y a des notes, il y a des zéros, quand il y a des classements, il y a des derniers. C’est terrible, quoi ! Et c’est vrai que si parallèlement à l’école on a une vie un peu difficile, ou si on est dans un niveau social pas très riche à la maison avec des difficultés de langage, l’école continue à vous appuyer la tête en dessous.

  • Cest après que...

  • Ah, non, tout de suite. Moi je lui ai fait confiance tout de suite. C’est-à-dire que quand il disait quelque chose, j’écoutais attentivement en disant : Cet homme, il est forcément ailleurs, il ressemble pas aux profs que j’ai eu, il est plus en écoute, il est plus dans l’analyse de ce qu’il voit et puis il est également dans ce qu’on appelle chez Freinet la pédagogie de la réussite, c’est-à-dire qu’il va chercher même dans la classe.. Moi je débutais, je faisais beaucoup d’erreurs bien sûr, il allait toujours chercher des trucs bien, allez-y ! Dans ce sens là, vous allez voir, ça va venir... C’est comme ça aussi qu’on fait avec les élèves. (Médiation et Autorité créatrice)

  • Donc au départ, vous évoquez cet aspect de confiance, de bienveillance qui vous a en fait assurée, mais sans vraiment connaître la pédagogie Freinet au départ, alors ça vous a engagé à découvrir...

  • Oui parce qu’enfin l’école m’a proposée une surprise intéressante, alors ça j’aurais jamais cru. Franchement ! Ces gens-là du groupe Freinet, qui avaient été inscrits par cet inspecteur qui leur avait demandé de venir un samedi matin, nous ont proposé trois ateliers. Je me souviens de deux surtout. Fabrication d’un limographe. Déjà, on venait pas s’asseoir et entendre trois heures de ’bla-bla’, mais on nous mettait au boulot tout de suite, et ça c’est du typique Freinet aussi. Deuxième atelier, faire quelque chose avec rien. Et il faisait des choses ! Effectivement, moi je suis allée dans l’atelier ou on fabriquait un limographe et le limographe c’était une machine très rudimentaire mais qui servait à dupliquer les textes des élèves quand on avait rien d’autre. C’est très facile à fabriquer. Moi, j’ai fabriqué un limographe en une heure, et j’ai appris bien plus que si j’avais suivi dix heures de cours à l’école normale, quoi.

  • Donc c’est aussi à partir de cette expérience que vous avez approché les techniques de l’Ecole Moderne.

  • Oui, mais je me demandais comment mettre cela en place dans la classe. Moi, j’étais encore au système traditionnel, tel que moi-même je l’avais vécu, et plutôt subi. C’est-à-dire l’emploi du temps, le ’saucissonnage’ des leçons comme ça, la discipline, les notes, bon, bref, les compositions, les contrôles, et tout ça. Et là, on parle de tout autre chose.

  • Là, je me suis dit, moi, je veux en savoir plus. Alors immédiatement, je me suis inscrite dans un stage, et j’en ai fait pendant quatre années et pendant les vacances. A chaque fois, j’améliorais les choses mais j’avais du mal à lâcher le traditionnel, parce que je ne connaissais que le traditionnel, l’autre je le connaissais mal, je ne le maîtrisais pas, alors je restais traditionnel. Mais en même temps, je changeais des tas de trucs, les tables avaient bougées. Elles n’étaient plus alignés strictement. Ils avaient le droit de parler. On avait installé le conseil. On faisait des mathématiques sur fiches. Ils pouvaient se corriger ensemble. Puis en même temps, ça coinçait, à cause de l’emploi du temps. A 9 heures, il fallait arrêter pour embrayer sur autre chose, alors qu’on était en pleine découverte de quelque chose, et puis il fallait que ça s’arrête, alors, ça coinçait ! Alors bon, j’ai continué à faire des stages et c’est très clair : je suis rentrée d’un stage que j’avais fait début septembre, avant la rentrée scolaire, je ne sais plus quelle année c’était, mais j’ai visionné vraiment la classe telle qu’elle est d’ailleurs. J’ai su que c’était clair, j’avais donc bien assimilé, j’avais bien mûri tout ça.

  • Ca a pris combien de temps en fait ?

  • Ca a pris 4 ans. Depuis la première rencontre avec ces personnes jusqu’au moment où moi-même j’ai installé des classes Freinet. Entre 72 et 76. En 76 j’ai changé de pratique.

  • Ca fait donc plus de 20 ans que vous perséverez dans la pratique de la pédagogie Freinet.

  • Ca fait 20 ans. J’ai pas fini d’apprendre et c’est ça qui est formidable aussi, rien n’est résolu, nous gardons tous le doute quand même, on a toujours quelque chose à améliorer. Moi je travaille tous les ans sur une matière, ou un thème, ou une façon aussi d’organiser la classe autrement, bon, j’ai toujours un sujet de réflexion en fait, tout le temps.

  • Quels sont les éléments clé qui vous intéressent en fait dans cette pédagogie?

  • C’est que moi, ma conviction, c’est qu’on ne peut pas rentrer dans les apprentissages si on a pas sa place à l’école. Si on n’existe pas, on ne peut pas apprendre. Et je crois que la classe Freinet, c’est une classe où tous les individus existent, pas de la même façon, mais ils existent tous. (La reconnaissance)

  • Il y a suffisamment de temps de parole. Nous avons des conseils de Coopérative. (La coopération) C’est-à-dire que toute l’organisation est discutée, remise souvent en question, améliorée, etc. Ca ne s’arrête jamais ça, mais n’empêche que ça donne des temps de parole, des moments d’écriture, on publie ce qui est écrit. (La communication)

  • Les individus existent, leur parole existe. Ils sont entendus, même celui qui n’arrive pas à lier deux mots parce qu’il est handicapé, parce qu’il vient d’un autre pays et qu’il ne sait pas écrire le français. ( Le Respect. La Reconnaissance)

  • Il est là, il peut dire qui il est, et puis il voit les autres faire et il s’investit aussi. Tout le monde vient parler, tout le monde à un moment donné, parle, dit quelque chose. Dans le cadre du conseil, on a un président, un secrétaire, on peut parler, donner son opinion, on peut porter plainte, on peut se plaindre, on peut donner des consignes, mais on peut aussi entendre des propositions et des idées. Donc ça, je crois que c’est une des premières choses. (Le Dialogue)

  • Et puis, ça c’est une des choses les plus importantes, chaque élève également dans ces classes-là a une responsabilité, donc travaille pour le groupe. C’est vrai que si un élève manque à sa responsabilité, il y a quelque chose qui va gripper dans l’organisation, donc ça aussi c’est important. ( La Responsabilité)

  • Que l’enfant existe.

  • Complètement. Quand je vois la violence qu’il y a dans les quartiers difficiles, avec les adolescents de 14, 15 ans, je ne suis pas du tout étonnée parce que je pense que la première violence, c’est l’école elle-même. C’est-à-dire que si l’école elle dit : tais-toi, tu ne sais rien, tais-toi, tu n’as pas la parole, tu dois être sage, écouter et faire ce que je te dis, voilà, et c’est là que ça commence la violence parce qu’on n’écoute jamais les gens, ils n’ont pas droit au chapitre. Les élèves n’ont pas d’instance dans lesquelles les adultes peuvent reconnaître leurs idées. Je crois qu’il faut regarder et écouter les élèves. (Le Regard, l’Ecoute) .

  • Je crois qu’il faut casser la référence à l’adulte. Changer cette relation. Etablir une relation triangulaire entre l’enfant, l’adulte et les autres. Quant il veut s’exprimer l’enfant passe par l’adulte. Dans ces classes là, tout est fait pour que la communication soit transversale, tout le temps. Si bien, qu’au bout d’un moment, le maître n’est pas totalement nécessaire et ça, c’est une grande réussite parce qu’il s’efface en quelque-sorte. Ca c’est excellent parce qu’il n’ y a pas une tutelle ou un pouvoir de la personne qui sait. Les enfants sont moins en danger. Ils savent qu’il y a d’autre moyens, ils peuvent travailler entre pairs avec les autres, là on est pas en danger. Les autres savent des choses et ils peuvent évidemment l’aider. etc.(La Reconnaissance Fraternelle). Les enfants cherchent les informations, même chez les grands. Et ça, ça donne des élèves qui progressivement acquièrent des méthodes pour entrer dans les apprentissages. C’est-à-dire qu’il n’y a pas besoin que l’enseignant dise : il fallait que tu fasses çà, que tu fasses ceci. Ils sont coincés, donc premier réflexe, le voisin : dis donc, comment tu fais ça ?, L’autre, va voir, c’est là-bas. Ca c’est très, très formateur, c’est soi-même avoir sa méthode de travail.

  • On se sent exister et au fond on se gère.

  • Oui..On est pas assujetti. Parce que l’adulte est dangereux. Dans les écoles, l’adulte est dangereux, il... comment dire... il opprime, il ne le fait pas exprès, mais il opprime. Même en pensant bien faire. Il faut toujours avoir ça en tête. Se taire, c’est la chose la plus difficile quand on est en classe. Se taire est très difficile.

  • Il faut se taire, ça implique quoi, vis à vis des élèves. Vous dites, c’est difficile. En fait pourquoi c’est difficile ?

  • Parce que je ne sais pas si c’est l’école qui rend l’adulte comme ça ou si c’est l’adulte qui... Si la fonction le rend comme ça, je ne sais pas, mais on est toujours très tenté, même moi, au bout de 20 ans, quand on entend un élève parler, on est tenté de le reprendre, on est tenté de corriger son langage, on est tenté de...(Contrition), mais, il faut se taire, et puis il y a un groupe qui est là et souvent le groupe dit des choses aussi, alors à ce moment là, il y a discussion et c’est ça qu’il faut, il faut tendre vers ça.

  • Donc par rapport à cette pédagogie....

  • Ca ne ressemble pas à l’école, çà c’est important, ça ressemble à la vie. Moi, j’ai toujours eu cette sensation de rentrer à l’école comme en prison, de ne plus sortir, il y a des clefs partout et puis les élèves ne peuvent pas circuler librement. Il y a des consignes de sécurité, etc. On devient une espèce de prisonnier d’un lieu, de règles assez strictes pour se déplacer et moi ce que j’aime dans les classes Freinet c’est tendre vers une vie de classe, c’est-à-dire quelque chose qui ressemble à la vie.

  • La porte de ma classe est toujours ouverte, on circule entre l’extérieur et l’intérieur. Il y a des gens qui passent, qui peuvent entrer, la classe est ouverte et on reçoit du courrier. On échange nos journaux, on reçoit d’autres journaux, on leur écrit. Nos correspondants nous envoient des tas de choses, on leur répond. Une vie, voilà ! On n’ est plus dans les leçons : orthographe, conjugaison, grammaire, non, on est dans une démarche de travail parce que on a des tas de projets en route. On a des engagements. Donc en gros, on travaille. Ca ressemble plus à des activités naturelles !

  • Vous avez évoqué l’écoute de l’élève, le dialogue entre les élèves et l’échange avec l’extérieure comme le sens de la vie.

  • Bien sûr, on essaie de ne pas être coupé de l’extérieur. Moi, j’insiste souvent parce que c’est incroyable comme les enfants sont dans l’irréel, c’est extraordinaire ça, quand au début d’année, il faut faire une carte d’identité pour son correspondant... les enfants veulent parler... mon père il est boulanger... ah bon c’est bien ça ! Et toi, qu’est-ce qu’il fait ton père ? Et ta mère ? Ah ils vont au travail ! Quel travail ? Au bureau. Il y a des intérêts, même du métier simplement des parents. Eh bien là, il faut aller les voir et moi j’invite les parents à venir en classe, qu’ils viennent parler de leur métier qui généralement me parlent de trucs assez sympa et du coup il y a un éveil sur ses propres parents. Finalement qu’est-ce qu’elle fait ma mère ? Elle pourrait peut-être venir à l’école aussi en parler. Et alors, maman, qu’est-ce que tu fais ? Tu ne m’as jamais raconté, etc. Donc, progressivement, ils rentrent dans une réalité.

  • Une communication....

  • Vous en avez vu. Il y en a un qui est venu vous parler.

  • Oui c’est vrai.

  • Vous n’auriez jamais vu un élève qui se serait levé, qui serait allé vers vous, vous connaissant pas en disant.... Dans ces classes là, nous on ne s’ennuie pas ! Ca c’est un élève Freinet !

  • Qu’est-ce que vous auriez à dire d’un élève Freinet ?

  • Un élève Freinet c’est un peu des individus, tout petits, comme ceux-là, qui d’abord ont une relation avec des adultes, normale, parce que dans ces classes là, il y a des visites, il y a des passages. Les adultes rentrent, sortent, sont accueillis, existent aussi, bon et les enfants les utilisent, vont vers eux. Bon, vous, vous êtes arrivée, c’est pareil, il n’y a pas eu de crainte de vous parler ou de vous dire quelque chose. Ca c’est... Dans la classe traditionnelle, les enfants ne parlent pas aux grandes personnes et quand ils en parlent, c’est pour des trucs bien précis. Pour se plaindre du copain qui leur donne un coup de poing, pour demander l’autorisation d’aller faire ’pipi’, et puis pour demander c’est à quelle page l’exercice ? C’est à peu près le genre de relation qu’on peut avoir avec cet enseignement.

  • Donc un certain rapport à l’autre; une façon de communiquer.

  • Il y a aussi la pratique de l’entraide, il y a la solidarité, on s’intéresse à l’autre, personne n’est indifférent, cela grâce aux conseils et à l’organisation coopérative. (La Reconnaissance Fraternelle.).

  • C’est un élève actif aussi. Il sait qu’il y a des moments de parole où il peut venir raconter sa vie ou apporter un coquillage, ou montrer ses nouvelles chaussures. Et ils apportent des choses, ils alimentent la vie de la classe, et c’est vrai qu’à partir de ça on a toujours des pistes de travail. Ce qui est propre à Freinet, ce que Freinet a dit. Il a dit que l’enfant était au coeur du système, que ce n’était pas l’adulte, c’était l’enfant, c’est de lui que tout va partir. (La reconnaissance)

  • Donc en fait, c’est un élève qui a un certain comportement, une certaine attitude dans cette classe et qui apprend aussi d’une certaine manière.

  • Il a une conscience de son travail.

  • Oui. Qu’est-ce que vous entendez par conscience ?

  • J’ai l’impression qu’il conscientise plus qu’un enfant passif à qui on dirait de faire les choses. Il conscientise plus le fait du travail qu’il a à faire. Déjà par la gestion de son plan de travail, il est vraiment impliqué. Il doit aider quelqu’un, et puis il a une pancarte à faire avec un autre. Il a un correspondant. Il y a les comités de lecture parce qu’on doit répondre à la classe de Claire qui nous a envoyé son journal. C’est lui qui est d’écriture ce jour là, donc il faut aller lire le journal, préparer une lettre pour leur répondre, etc...C’est-à-dire qu’il est vraiment impliqué. (Conscience d’expérience).

  • Il est impliqué.

  • Oui.

  • Et qu’est-ce que vous voulez dire en fait par il est impliqué, il a une conscience.

  • Bien sûr. Moi, je pense que ce sont des classes où les élèves sont extrêmement éveillés et matures. C’est-à-dire qu’ils grandissent vraiment. Moi je trouve qu’ils ont une maturité qui se gagne. Ca se voit entre le début du CP et la fin du CE1.

  • Egalement à travers leurs écrits, leurs textes, même les dessins. Dans ces classes on dessine beaucoup, tous les jours. Les dessins, on les met ensemble sur une planche et on les regarde. On regarde les dessins des autres. ’Tiens tu as fait ça, toi, tiens, la prochaine fois, je savais pas comment faire, je vais piquer ta technique’. Il y a des échanges à ce niveau là, on se donne des tuyaux, etc. (Communion. Partage).

  • Qu’est ce que vous entendez par maturité ? Vous en avez déjà parlé, mais si on essayait d’aller un peu plus loin. Pour quoi sont-ils mûrs finalement ?

  • C’est-à-dire que la maturité c’est l’autonomie. C’est une façon d’être de moins en moins enfantin et de moins en moins demandeur d’aide ou en tout cas d’affection peut-être pour être soi-même dans la gestion un peu plus indépendante de ce qu’on a à faire. Mais tout en restant avec les autres, c’est ça qui est formidable, et qui est très porteur. Dans le groupe, tout le monde se connaît, tout le monde sait qui est qui. Si quelqu’un a besoin d’une aide pour faire un travail, on ne va pas aller voir untel, mais plutôt unetelle parce qu’on sait qu’elle réussit mieux cela, etc. Donc, il y a déjà des choix de... On peut choisir son collaborateur. Ca aussi, c’est déjà une façon de faire des tris. Choisir son équipier pour un travail c’est important, même quand on est adulte. (La. Responsabilité et l’Autonomie).

  • Donc un élève qui a l’air à la fois indépendant et solidaire.

  • Déjà dans la gestion de sa semaine de travail il tend vers l’autonomie. Il y a des moments où il sent qu’il faut qu’il se fasse aider, c’est pas moi qui le dit. Il voit qu’il est en retard qu’il faut qu’il accélère qu’il se fasse aider. Il y en a qui sont très, très rapides, alors ceux-là ils sont dans d’autres choses. Ils font des choses qu’on a jamais le temps de faire. Ils sont dans des travaux plus difficiles ou bien ils vont aider les autres. Ceux-là, ils se mettent à la disposition pour faire avancer les choses. (Coopération - Différence)

  • Alors on a parlé de l’élève et de la conception que vous avez de l’apprentissage. On a évoqué le comportement. Si on aborde le versant du pédagogue Freinet au niveau... Il y a à la fois les choix qu’il fait de méthode...

  • De démarches.

  • Alors, est-ce qu’on pourrait reprendre cela.

  • Ce qui me vient, c’est que l’enseignant Freinet, déjà, il a fait le choix de ne pas opprimer ses élèves. Ca c’est clair. Il a décidé que ça, il ne le ferait pas. Il ne les enquiquinerait pas, parce que lui... parce que l’école, c’est vraiment ça. (Le Respect)

  • Même sans s’en rendre compte, l’enseignant, il veut être parfait, il veut que sa classe soit parfaite, alors un enseignant ’mouline’. D’abord, il parle trop, mais il ’mouline’, c’est-à-dire qu’il dit un truc dans un sens, alors la classe écoute, puis il est tellement perfectionniste, ça en frise quelque fois la névrose qu’il va recommencer dans l’autre sens, en disant on ne sait jamais, au cas où... Alors c’est là que l’heure tourne et pendant 3/4 d’heure on a mouliné une notion qu’on aurait pu aborder en 30 secondes si les gens étaient dans l’activité, à le faire ou à le vivre tout simplement.

  • Alors déjà, l’instit Freinet, il est pas là-dedans, il a conscience de ça, il a conscience que l’école peut faire beaucoup de mal. D’abord elle violente, alors ça, c’est dramatique. Elle peut mettre en échec, c’est-à-dire décourager et même salement abîmer un individu, vraiment ! Vous entendez pendant 3 - 4 ans, même plus, que vous n’êtes pas bon, nul, etc. Recoller les morceaux après, c’est difficile. L’enseignant Freinet, lui, il ne veut pas être là-dedans. (Révolte contre l’injustice)

  • Il est partout, alors il est fatigué, il en a plein les jambes. Il faut réparer l’ordinateur. Il faut re-scotcher l’affiche qui s’est cassée la figure. Il faut grimper sur l’escabeau, etc. Et puis on s’assoit à côté de l’ élève en difficulté parce que lui, il a besoin tout particulièrement à ce moment-là d’une aide personnalisée de l’enseignant. L’enseignant peut s’occuper de lui et rien que de lui. (La différenciation)

  • Alors, il n’abandonne pas non plus ses élèves. C’est pas parce qu’ il n’est pas prégnant, qu’il va devenir quelqu’un qui va abandonner sa classe, pas du tout, il a au contraire une hyper vigilance. Je crois que c’est un enseignant qui est d’abord une mémoire, qui sait qui est où, qui a fait quoi et qui a terminé, qui n’a pas terminé. C’est-à-dire qu’il est tout à fait lucide de tout ce qui se passe. Il est également partout à la fois. C’est sûr, il n’est jamais assis derrière un bureau, là. Beaucoup de travail de correction, beaucoup de travail de... Je vous dis, il en a plein les bottes. D’où le peu d’enthousiasme des collègues à devenir cet enseignant-là ! (L’implication dans l’acte. ).

  • Il n’opprime pas, il n’ abandonne pas, qu’est-ce qu’il ....?

  • Il est présent, voilà. Et sa présence, c’est une présence quand même bienveillante. Ce n’est pas dès le départ : qu’est ce qu’il va me sortir celui-là encore ? Parce qu’ on a vite fait de cataloguer les élèves malheureusement, et de leur coller des étiquettes qui leur colle à la peau pendant des années, et auxquelles ils vont forcément s’identifier. (Compassion).

  • Non, il est présent, il est là. Et puis il amène ce qui doit être servi au moment où ça doit être servi. Parce qu’il y a un moment opportun. Et puis, il aide aussi, beaucoup. Ce matin pour Sissi qui ne maîtrise pas beaucoup le français, j’ai pris un gros dictionnaire et dans la matinée je suis allée la voir et on a lu la définition du dictionnaire et j’ai tenté vraiment de lui faire comprendre ce que ça voulait dire de remuer énergiquement la pâte pour faire le gâteau.

  • Donc, il y a cette attitude.

  • Il y a une individualisation, voilà, vraiment. Je ne survole jamais, moi, par exemple comme ça, non, je suis dedans à l’intérieur et je sais qui a demandé quelque chose donc, tout à l’heure faudra pas que j’oublie d’y aller, etc.

  • Une présence attentive.

  • Voilà.

  • Et puis être à l’écoute de chaque individu.

  • Complètement. Voir beaucoup de chose, quoi.

  • Quand il y a un individu... enfin, un élève en difficulté, au niveau du type d’aide, vous dites, là vous avez parlé d’aller chercher le dictionnaire....

  • Par exemple un élève a une fiche de travail à faire. Il ne comprend pas, il n’y arrive pas, alors je le vois, déjà, mais je lui fiche la paix. Alors il se promène avec sa fiche à la main. Il est embêté. Alors, bon, il va voir untel, il lui dit tu...? ’non, regarde, je suis en train de faire ça, puis il faut que j’aille taper mon texte.’. Non, non, va demander à untel. Alors il repart avec sa fiche. Bon. Je le vois ça, sa démarche, je suis là ! Alors je dis : Mickaël, tu veux pas... S’il ne veut pas, ça veut dire qu’il a l’idée qu’il doit se débrouiller et puis s’il veut, je m’assois à côté de lui et je dis : ’Qu’est-ce qu’il y a ?’, et puis là, on commence à discuter. Alors, je le fais lire et là je deviens une maîtresse normale. Bon, tu as vu ça correspond à ce qu’on a fait ce matin. Regarde, tu as là l’exemple, tu verras, et ’hop’, là, il est rassuré, parce que souvent, c’est ça ! Et alors, il se remet au travail, mais je suis à côté.

  • Vous ne l’obligez pas à venir vous voir, vous attendez qu’il demande ? Vous lui posez la question ?

  • Oui, je le vois. Il cherche quelque chose. Il est embêté. Je lui demande : Est-ce que tu veux que je t’aide ? Il y en a qui dise non ! Je sais que ceux qui disent non, c’est ceux qui savent qu’eux, ils vont trouver de l’aide ailleurs, parce que de toute façon, dans le contrat de travail, il y a un boulot à rendre, et ça, là-dessus, je suis intraitable ! J’ai malgré tout une exigence, ils le savent, j’ai transmis ça. Alors débrouillez-vous comme vous voulez, mais à la fin, quand vous allez m’apporter votre travail, il y a quelques critères quand même qui sont exigés.

  • Alors c’est quand même l’idée de donner des repères des objectifs.

  • Alors, voilà, c’est vrai que plein de gens se disent enseignants Freinet et malheureusement se sont dilués ou dans l’abandon, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas très bien compris cette distance qu’il devait y avoir par rapport à leurs élèves, mais qui ont laissé trop faire, laissent trop faire. Ca c’est de l’abandon. Ou alors ils sont encore inquiets et ils contrôlent. Il y a aussi ça. La difficulté c’est qu’il faut justement être quelqu’un d’extrêmement discret et d’ extrêmement présent. Et que l’élève sente qu’il y a une exigence dans le travail qui est demandé. Cette exigence, elle est justifiée par nos activités Si on envoie un dessin ou une lettre aux correspondantx, on ne peut pas envoyer un torchon, un ’truc’ mal écrit qui est bourré de fautes. Eux-mêmes ne sont pas d’accord, il faut recopier au propre. Dans les classes Freinet, on ne demande pas aux élèves des trucs qui ne servent à rien. C’est logique, on est toujours dans un projet. (Le sens)

  • Toujours dans un projet ? Qu’est-ce que vous entendez par là ?

  • C’est-à-dire qu’ ils savent pourquoi on travaille, pourquoi on fait ça à l’école. J’essaie toujours de leur faire comprendre le but. (Motiver l’aspiration au sens.)

  • A partir de là comment vous situez-vous par rapport au programme ?

  • C’est amusant ça. Le programme moi je m’assois dessus. Je me suis rendue compte que le programme il est réducteur, ça veut dire que si je ne m’étais contentée que du programme, on aurait pas fait tout ce qui... d’ailleurs, ça aurait été complètement ’imbécile’ de nous censurer par rapport à un projet qu’on avait.

  • Dans cette démarche de travail où on est entraîné presque malgré soi par la vie justement de cette classe, on est entraîné, on doit écrire de plus en plus, il se passe des événements, on va partir en voyage, etc. Donc ça devient... Il y a des fois on dit pourvu qu’on maîtrise tout jusqu’au bout et on se rend compte qu’on a largement travaillé, bien au delà du programme. A chaque fois, c’est la même chose, on a fait le programme et on a été bien au delà parce que... là ils ont écrit un conte avec les stagiaires, comme ils sont habitués à écrire depuis l’année dernière tous les jours, tous les jours. Ce sont des élèves qui sont très à l’aise dans l’écrit.

  • Ils ne sont pas sanctionnés sur l’orthographe. Bien-sûr on corrige les fautes, mais s’il y a des fautes, ce n’est pas un drame, donc ils écrivent avec bonheur. Dans la situation du conte, ils sont partis dans des passés simples. Le passé simple, c’est pas du tout dans le programme du CE1, mais on en a besoin et il y a une pancarte sur le passé simple qui nous sert de référence, si on en a besoin, c’est de drôles de sonorités, parce que ça sert nos projets, donc il serait ridicule de se limiter au programme. (L’aspiration au sens et à l’intelligence.).

  • Quelle conception avez-vous de l’élève ?

  • Je le vois comme un individu en devenir. Si j’avais une classe d’élèves de 15 ans, je les verrai également comme des individus en devenir, l’école ne doit pas leur faire perdre justement cet enthousiasme. Le désir ne pas casser le désir, l’envie du travail, de l’activité, de la production, donc maintenir toujours comme ça le désir qu’il reste, ne pas l’éteindre, alors sinon c’est l’ennui, justement. Les classes où l’on s’ennuie, c’est qu’il n’y a pas de plaisir, il n’y a rien. Ca c’est pas la vie, ça ! (Motiver le désir.)

  • Vous le voyez comme quelqu’un qui a envie de ...

  • Ah, complètement, il est vivant !

  • Il est quelqu’un de vivant. Qu’est-ce que vous auriez d’autre à dire ?

  • Je voulais vous dire que généralement, les élèves sont sous-alimentés à l’école. Ils ont faim, ils sont boulimiques, mais aujourd’hui, la maîtresse elle a dit que c’est ça, on fait ça, c’est ça qu’il faut manger, on ira pas à côté, même si, ...et après ce sera ça....

  • Est-ce que vous pouvez penser à des cas d’enfants concrets qui... en donnant des exemples de ce qu’ils disent...Est-ce que vous avez à l’idée tel ou tel élève ?

  • Par exemple, il y a des enfants qui se sont exprimés en disant : ’moi ça m’a manqué le travail’. Mais c’était pas du tout ’faillot’ l’enfant qui a dit ça. Vraiment il y avait une sincérité et j’ai très bien compris ce qu’il voulait dire, c’est qu’il s’est ’enquiquiné’. Il avait pas de boulot, il avait pas de truc à faire, à avancer, un truc dans lequel il participe avec les autres, il n’avait pas un travail à faire. Tous les enfants, tous les individus, s’ils ne sont pas pervertis par un système épouvantable, sont forcément dans une démarche de travail, de découverte, d’activité. C’est le propre de l’individu vivant et sain. Parce qu’il y a ce désir de connaissance, d’aller plus loin (L’aspiration au sens et à l’intelligence). On a toujours le nez sur les cartes, les cartes du monde. C’est vrai que moi j’aime ça aussi cette curiosité, moi aussi que j’ai. Eux ils l’ont aussi.

  • Et par rapport à cette... là je reviens sur votre attitude, vous dites cette curiosité que j’ai, eux ils l’ont aussi ?

  • Oui, parce qu’on transmet des passions, oui. Mais attention avec, comment dire, ce serait peut-être aussi une certaine facette de l’enseignant Freinet. C’est-à-dire qu’on peut lancer une idée comme ça, on ne va pas l’imposer, etc. Mais quelquefois on la voit rebondir. Parce que justement on parle beaucoup avec les élèves, on se parle et on parle beaucoup. Une idée peut être saisie. L’enseignant il est là aussi pour lancer des idées, pour relancer une recherche ou une réflexion.

  • Vous dites que l’enseignant Freinet, il transmet une certaine passion. Il y a quelque chose dans l’enseignement Freinet de la motivation....

  • Moi je pense que si l’enseignant il n’y croit pas, les élèves vont avoir un doute. Si moi je dis : ’Ah la barbe !’, il faut répondre au correspondant...On leur a écrit la semaine dernière ! C’est terrible l’influence que peut avoir un enseignant, justement, c’est dangereux ! Vaut mieux être quelqu’un d’enthousiaste que quelqu’un de... triste, enfin, je ne sais pas.

  • Et vous pensez que l’apprentissage, ça passe aussi par cet enthousiasme.

  • Oui, bien sûr.

  • Vous pensez à des cas précis ? Vous voyez des élèves où cette relation a un peu... ?

  • Par exemple, hier, ils parlaient de la Nouvelle Zélande, ils étaient tous restés à leur place. Ils disaient : ’ La Nouvelle Zélande, il se passe ci, il se passe ça. Alors je dis : ’Eh bien dis donc alors !, c’est où la Nouvelle Zélande ? Ils n’avaient pas pensé à se lever et à regarder sur les cartes ! Après ça été le ’rush’. Tout le monde à pris les cartes pour voir où c’était. C’était amusant de chercher, etc. (Motiver l’aspiration, la recherche). C’est vrai que l’enseignant est là pour pousser à plus quand même, c’est à dire qu’il ne s’agit pas à l’école d’apprendre ce qu’on sait déjà, il s’agit à l’école, de s’appuyer sur ce qu’on sait pour hop, apprendre un plus, quoi ! Donc l’enseignant est là pour un peu tirer, on doit tirer quand même... Si moi, j’interviens souvent c’est pour dire eh bien, vous pouvez pas ? Ah bon, qu’est-ce qui ? Pourquoi ? Qui dit ça ? etc. (Interpellation, Questionnement). Faire avancer la connaissance, c’est sûr.

  • Vous disiez, il y a un peu de passion et en même temps vous utilisiez le mot ’croyance’, ’il y a de la croyance’, ’ils croient’, etc. Pourriez-vous préciser ?

  • J’aime pas trop le mot croyance, mais ce serait plutôt de l’enthousiasme. Quand ils font une recherche moi aussi je suis comme eux, j’ai le nez dans les bouquins. Si on a rien dans la classe, on se demande : Où est-ce qu’on va pouvoir aller chercher ? Par exemple, on va aller à la bibliothèque, parce que les bibliothécaires nous connaissent bien. On va aussi aller dans la classe d’à côté. On cherche ensemble, je suis avec eux mais ils ne sont pas infantilisés. (L’aspiration au sens et à l’intelligence.)

  • On a dévié un petit peu, parce qu’on était en train de parler de la façon dont vous vous représentez l’enfant et vous avez dit : c’est quelqu’un qui est en devenir, c’est quelqu’un qui a envie d’apprendre, qui est dans l’activité Qu’est-ce que vous auriez d’autre à dire. ?

  • Moi, je le vois comme quelqu’un qui a faim. Il a faim, donc faut lui donner à manger, voilà. Et puis, il y en a qui ont moins d’appétit, mais ceux-là, c’est parce qu’ils ont peur. Peur de manger, peur d’avoir mal au ventre, voilà. On pourrait donner une image comme ça. C’est quelqu’un qui a un potentiel énorme. Alors là, je pense que d’ailleurs, les enfants surtout à cet âge là, 6 - 7 ans, ils ont un potentiel de mémoire extraordinaire ! Qui est mal exploité ou pas suffisamment exploité à l’école. Oui, alors là, vraiment, oui, sûr, sûr, ça c’est sûr ! Ils ont une facilité. Quand on leur parle normalement comme à des adultes ils comprennent très bien ce que vous dites. Ils sont capable de s’organiser et de se repérer, comme dans la vie ! Ils savent très bien qui fait quoi, où est quoi, à quoi ça sert ça, etc. Et dans les activités, à l’intérieur quand ils travaillent ils se repèrent. Lui, il ne fait pas comme moi parce que lui, justement il a un truc à faire pour répondre à un... On est dans la vie !

  • Je vais changer un petit peu de registre. Pour comprendre cet engagement dans la pédagogie Freinet, c’est vrai que tout ce que vous avez dit spontanément, c’est plus de l’ordre de l’adhésion à un esprit, à une idée, à...

  • A un idéal aussi. Alors, j’en n’ai pas parlé parce que je ne sais pas si ça rentre dans notre interview, mais je pense qu’on ne peut pas enseigner, si on n’a pas soi-même un idéal de société, parce que quand même, les individus, qu’on a à l’école ou au collège ou même au lycée, sont de futurs adultes et quels seront-ils ? Quelle société demain, on va tous se tirer à coup de fusil dessus ou bien alors est-ce qu’on va aider les plus démunis. Alors, moi, je pense que ça commence à l’école déjà. Qui c’est l’autre, faut pas avoir peur, discussion sur le racisme, le sexisme, l’entraide, la solidarité. (La Responsabilité). C’est toujours réciproque si on a aidé quelqu’un, un jour on se fera aider, etc. Et il y a aussi ce côté, entre guillemets, parce que je n’aime pas le terme, mais leçon de vie, réflexion là-dessus. (La Conscience. La connaissance ).

  • Leçon de vie, c’est-à- dire ?

  • Je dis souvent aux élèves, on est pas obligé d’aimer tout le monde parce que c’est très manichéen l’école. C’est bien ou c’est mal ! Et le gris alors ? C’est souvent gris dans la vie ! Ni tout bien, ni tout mal. Alors, j’ai des discussions souvent, comme ça, avec eux. C’est-à-dire que j’aime bien leur faire sentir qu’ils ne sont pas coupables, même s’ils n’aiment pas leur voisin, mais par contre on n’est pas obligé d’aimer, mais on est obligé de respecter. Alors là, c’est un truc sur lequel on ne peut pas passer. Alors on discute beaucoup, on n’est plus des animaux, on est obligé effectivement d’avoir une attitude, des codes, une façon peut-être de procéder pour...vivre ensemble. La classe c’est un peu une micro société, une petite démocratie comme ça où les règles, les lois se fabriquent ensemble. (La conscience. La connaissance).

  • Le pouvoir passe de main en main puisque les conseils sont présidés par un élève qui est différent à chaque fois, donc celui qui va gouverner le conseil, va donner la parole, il va dire à celui qui parle trop : ’tais-toi, tu n’as pas le droit de parler’. Chacun s’exerce au pouvoir, exerce son autorité. Chacun apprend à vivre avec l’autre et je pense que ça c’est terriblement formateur. Il faudrait que ça ce fasse sur une scolarité entière, pas seulement sur une année. Malheureusement, c’est pas encore le cas ! Je pense qu’on aurait des adultes vraiment radicalement différents

  • Votre travail est porté par cet idéal ?

  • Ah, oui, complètement.

  • Vous dites, c’est parce que .....

  • Oui, aussi parce que, à l’école, on peut souffrir. Moi je dis que l’école assassine (Compassion). Je suis consciente qu’avec mes élèves, on est heureux en classe, on a du plaisir en classe. En classe, mais vraiment c’est... quand je disais à mes collègues, c’est le bonheur, j’exagèrais peut-être, mais on a du plaisir en classe. Moi, je suis contente de venir en classe, je sais qu’eux aussi, ils le disent, ils l’expriment, donc on est heureux d’être ensemble.

  • C’est lié...

  • C’est-à-dire, je ne vais pas leur faire de mal, au contraire. Ce qui m’intéresse, c’est de les voir ’sortir’ des choses ! Ca, c’est ma plus grande satisfaction, quand le groupe classe organise des choses sans moi. Ca arrive à chaque fois. Il y a une fille qui avait lancée l’association ’défense de la terre’. Alors, elle avait pris des articles dans le journal et le matin, il y avait le moment de parole, elle avait présenté çà aux autres : voilà, la terre est en danger, vous comprenez, la pollution, etc. Moi je propose une association, s’il y en a que ça intéresse, vous venez me voir. Alors, je les ai vu tous s’organiser, ils prenaient sur leur temps de travail des trucs en plus, parce que ça ne faisait pas partie du contrat minimum, et ils se réunissaient en association, et les premières réunions, c’était l’horreur et ils m’ont demandé où est-ce qu’on peut se réunir ? Ca ne pouvait pas se passer dans la classe ! Fallait qu’ils s’extraient pour être tranquilles. Alors bon, j’ai trouvé un coin, un endroit, alors ça, c’était un calvaire, c’était très difficile ! Ils se rendaient compte que c’était très difficile de se réunir, parler chacun leur tour, etc. On fait des conseils toutes les semaines, mais, bon, sans moi, en tout cas, c’était pas facile. (La Libre Responsabilité. La Coopération )

  • Ils ont réussi ?

  • Oui, oui, et après ils ont fait leur journal de l’association ’défense de la terre’, et après, ils m’ont demandé un endroit où ils pourraient mettre leurs affiches, leurs journaux, leurs affaires, etc.

  • C’est-à-dire qu’ils ont commencé à vivre une vie parallèle, sans moi. C’était complètement laissé à leur propre initiative et alors après, d’autres ont dit, nous aussi. Et il y a eu cette année là, trois ou quatre associations dans la classe qui avaient leurs réunions, leur propre journal, et puis le matin, ils nous racontaient régulièrement et quand le journal était prêt, ils le proposaient, ils le vendaient, enfin, et ça, c’était complètement en dehors de l’image traditionnelle, ça, je me suis dit, mine de rien, j’ai réussi quelque chose ! J’ai réussi quelque chose par l’attitude que j’ai eue. J’ai dit là, ça va, j’ai à peu près bien manoeuvré, sûrement, puisque...Si des groupes de citoyens peuvent s’organiser comme ça pour avoir après leurs propres réflexions sur le monde, le quartier, c’est pareil, et ça, il faut qu’ils sachent que ça peut exister, que ça peut se faire, parce qu’ un jour ils l’ont déjà fait à l’école.

  • En même temps, c’est un idéal d’hommes dans la vie !

  • De citoyen, sur son lieu de travail, dans son quartier.

  • Et en même temps quelqu’un qui vous.... qui était heureux. Il y a cette dimension du bonheur qui revient beaucoup dans...

  • Il est forcément heureux, puisqu’il n’est pas seul, il est dans une dynamique. Et il y a les autres, il est dans les projets et puis... il n’ est pas soumis. Il n’est pas assujetti. Il ne subit pas ce qui lui arrive. Il a une réaction. C’est ça qui le rend heureux, je crois !

  • Il ne subit pas et en même temps, il a la solidarité des autres et tout ça, c’est... contagieux ,

  • Oui, il a la solidarité des autres, parce qu’il est dans une démarche avec les autres. Imaginez que des travailleurs dans un atelier ou des gens dans un quartier, dans un immeuble...Les gens vont s’associer, ils vont décider que bon, tiens... si on mettait des machines à laver au sous-sol et à ce moment-là ont pourrait faire un truc comme ça, commun ou... voilà ! On est dans un projet, mais avec un groupe, etc. C’est bien ça, on fait des choses !

  • Et par rapport à cette dimension de l’idéal, est-ce que ça renvoie pour vous à des convictions plus politiques, des choses... ?

  • Je pense que là pour moi, d’abord enseigner, c’est politique, forcément, puisque j’ai fait un choix de démarche, donc c’est un choix politique ! Par contre, il ne s’agit pas pour moi d’être affiliée à un parti politique, non, aucun, aucun !

  • Ca ne renvoie pas à un engagement... ?

  • Pas du tout !

  • C’est plutôt une politique par rapport à la place du citoyen, de la démocratie....

  • C’est une politique de vie. Démocratie, citoyenneté. Une politique de vie, une politique en éducation, pour que l’individu soit heureux, c’est simple non ? Moi, je pense que si l’élève est heureux à l’école, il sera bien plus créatif plus tard en tant qu’adulte. Malheureusement l’école développe les inhibitions au lieu de développer la créativité. Un individu qui est créatif et qui continue à être créatif, il est forcément heureux, parce qu’il parle de lui, il s’exprime. On est bien quand on est comme ça ! Je crois pas que ce soit le fait de gagner beaucoup d’argent dans la vie qui rend forcément heureux, par contre, si on est créatif et si on a la chance de pouvoir l’être et de continuer à l’être, ça rend heureux, ça !

  • Vous dîtes le but c’est d’être heureux ?

  • Peut-être, oui, mais enfin, bon... Ce qui compte, c’est l’enfant, quoi ! Les années qui vont arriver ça va être assez ’gratiné’ quand même. Non et puis, dans cette classe-là, il y a des valeurs. Des valeurs humaines, des valeurs de relationnel. On parle beaucoup d’amitié, on parle d’amour. Il y a toujours des histoires d’amour. Bon, on parle de choses comme ça. Je parlais tout à l’heure du respect, du respect de l’autre, des droits, les droits des enfants. (Le Respect. La Reconnaissance) Les enfants ont découvert... enfin, les enfants, ils n’ont rien découvert du tout, je pense qu’ils ont été persuadés qu’ils avaient des droits, mais on ne leur en avait jamais parlé et bon... Ils ont des droits. Et même sur des détails complètement... .

  • Par exemple un enfant qui veut aller aux toilettes dans la journée. Il y a l’instit qui n’est pas contente, elle est vexée, déjà ! Il veut aller ’pisser’, il ne intéresse pas à ce que je dis. Tu iras à la ’récré’, parce que la ’récré’, c’est là où on va aux toilettes. On est réglé comme ça quand on est petit, bon.

  • Alors que bon, nous, dans nos classes, parce qu’on discute justement d’une façon de se comporter, parce qu’on discute justement sur les droits et les devoirs. Parce que si l’on a des droits, on a forcément des devoirs !

  • Bien, moi, je laisse mes élèves seuls, sans surveillance, ils savent ce que ça implique. Un enfant qui veut aller aux toilettes, il ne dit pas ’est-ce que je peux ?’. Il dit je suis là-bas pour ne pas que je le cherche, c’est tout ! Les enfants sont traités comme des grandes personnes, comme des individus normaux, pas comme des espèces d’animaux qui font complètement attention. Ah bien, non, tu feras pipi à dix heures, pas avant, etc. !

  • Moi, j’ai rencontré des enseignants qui vraiment brimaient leurs élèves, c’est-à-dire interdiction d’aller aux toilettes en dehors des récréations, c’est-à-dire qu’en fin de compte, on touche à la sexualité. Il y a un truc qui est très malsain là-dedans ! La porte est ouverte, ils sortent quand ils veulent. Tu veux boire un coup, tu bois un coup. Et jamais aucun élève n’en a profité. Ca n’intéresse pas un élève de se retrouver tout seul au lavabo ! Et il y a une parade aussi de l’enseignant, l’enseignant est persuadé que l’enfant ’se fout de sa gueule’, qu’il va l’entourlouper quelque part. Ca c’est le paramètre de départ, en général. (Confiance).

  • Derrière votre discours, il y a cette idée de la confiance ?

  • Complètement !

  • C’est peut-être moi qui...

  • Non, non, complètement, et moi, je veux que dans les classes, il y ait des coins où les élèves peuvent aller sans qu’ils soient vus. Il faut qu’il y ait des moments où ils puissent échapper aux regards. C’est très important, ça ! Ils ont des choses à vivre entre eux, que moi je n’ai rien à faire là-dedans.

  • Vous avez parlé des valeurs humaines, l’amitié, l’amour.Vous avez des exemples éventuellement qui vous viennent à l’idée de ça, de ces relations amicales ?

  • Oui, ils en parlent beaucoup ! Par exemple Yoann, il a eu la fève l’autre fois à la cantine, il a fait un mot à Iris, dans une enveloppe, en lui demandant par écrit si elle voulait bien être sa reine ? Il était pas sûr ? Ca je crois que... Est-ce que tu veux être ma reine, Iris ? Et tout ça ! Alors, Iris, elle a ouvert un peu comme ça et elle lui a dit, je vais réfléchir ! Mais c’était... bon. Alors les autres autour, ils ont commencé à rigoler et tout ça, mais bon, c’est comme toute vie normale, ça n’a rien de spécial, c’est comme chez nous. C’est comme chez les grandes personnes, je veux dire. Il n’y a pas de différences. Il n’y a qu’une différence d’expériences. ( Re-connaissance d’humanité)

  • Ca vient spontanément ?

  • Toujours, bien sûr, mais on sent les moments où il y a peut-être besoin d’une réflexion. Faudrait que je trouve un exemple précis, mais j’ai pas pris mes notes de conseil. Au cours des conseils, souvent, il y a des histoires comme ça ! Bon, en règle général, j’ai pas à m’en mêler, mais quand ça vient sur le tapis, il y a des moments où quelquefois, je me permets de lancer une idée, de relancer la réflexion.

  • Ca fait partie de la pédagogie Freinet ou est-ce que c’est vous qui ?

  • C’est de tout façon dans la pédagogie Freinet, mais à l’échelle plus large, c’est une pédagogie aussi humaniste, enfin, de l’humain. L’école alternative en Angleterre s’appelle ’Human Scale of Educations’ c’est-à-dire les étapes humaines d’éducations. C’est-à-dire que dans ces classes-là, l’humain compte sous toutes ses formes, son corps, mais aussi sa tête, et son affectif.

  • Vous avez parlé a plusieurs reprises d’humanisme. C’est lié à une philosophie. Est-ce que pour vous ça été déterminant ça, dans votre engagement ?

  • Oui, ça c’est sûr, puisque ça parlait de moi aussi ! Moi, la souffrance à l’école j’ai connu, donc, une pédagogie plus humaine, qui tient compte des gens, quels qu’ils soient, même s’ils ne sont pas aidés, même s’ils ne travaillent pas bien. Donc ça c’est sûr que ça, ça m’a beaucoup...( Blessures. vie scolaire).

  • Quand vous dites vous avez rencontré cette personne en fait qui était bienveillante, cette philosophie a été une raison importante de votre adhésion quand vous faites le point, avec le recul ?

  • Oui, moi, ce qui m’a le plus frappé au départ, quand j’ai connu ces gens là, c’était que... en fin de compte, ça ne ressemblait pas à l’école. C’était tout, sauf l’école, alors moi, ça m’allait très bien ça, parce que je déteste l’école, j’ai toujours détesté l’école, donc c’était parfait. C’était un groupe de gens qui faisaient des choses ensemble. Ca m’allait, ça. Maintenant, c’est vrai que derrière, me plaisaient bien les idées de Freinet contre la guerre, l’éducation à la paix, enfin toutes ces grandes idées philosophiques que moi j’aimais bien et en plus il arrivait à le transmettre à l’école, il en parlait avec ses élèves, donc je trouvais ça drôlement chouette. Moi jamais à l’école une instit ne m’ avait parlé de ça ! Et puis, il y avait aussi ce côté... Freinet, quand on relit sa vie etc... on voit que les élèves étaient jamais en classe. Ils étaient toujours dans le village ou chez le brocanteur du coin, ou a fabriquer un moulin sur la rivière, mais ils n’étaient jamais à l’école, donc ils étaient dans la vie, donc directement connectés sur la vie et puis de temps en temps, ils revenaient dans la classe y faire des calculs, faire le journal pour raconter ce qu’ils avaient fait et ils étaient tout le temps à étudier des choses sur le terrain. Ils faisaient quelque chose de vrai.

  • Vous dîtes c’est en lien aussi avec moi, personnellement et vous avez...

  • Oui, parce que moi, j’ai souffert à l’école, ça oui. Et puis c’est vrai que moi aussi, je suis idéaliste dans... J’aimerais que le monde des adultes soit moins... moins si terrible, enfin ! Que ce soit pas trop le pouvoir de l’argent, quand même. Qu’il y ait plus de communication entre les gens. Les gens ne se parlent pas du tout, les gens ne se connaissent pas, surtout dans les grandes villes. Moi j’habite à Paris, donc je sais de quoi je parle.

  • Quel lien faites-vous entre vous et votre engagement dans la pédagogie Freinet ?

  • Les seuls liens que j’ai faits à chaque fois que vous avez évoqué ça, c’était ma propre expérience scolaire. Qu’elle était malheureuse, et donc expérience scolaire malheureuse c’est à dire également chez moi, aussi une vraie catastrophe parce que mes parents du coup étaient catastrophés de ce que j’étais, donc ce qui se passait à l’école, ça a aussi aggravé mon cas. Non seulement j’étais déconsidérée à l’école, mais aussi, chez moi. Parce que c’est vrai que les parents, malheureusement, c’est délicat là. Mais je trouve que les parents jugent trop leurs enfants sur les résultats scolaires.

  • Oui.

  • Les parents sont mis en porte à faux et le vivent très mal, parce que ça les met eux-mêmes en échec. Ils se disent mais alors, on a pondu un gamin qui n’est pas normal là. Qu’est-ce qui se passe ? Ca devient insupportable, il ’fout rien’. Donc ça les met en défaut. Ils aiment pas, alors ça tombe sur le gamin quoi. Alors l’école, plus la famille, c’est terrible ! C’est pour ça que moi, j’ai toujours dit que l’école assassinait.

  • Quand vous repensez à cette situation d’échec scolaire, est-ce que vous revoyez comme ça, des classes, ou des situations ou des personnes qui ont eu cette attitude de dénigrement ou alors un échec avec... Vous voyez ? Est-ce que vous pourriez donner un ou deux exemples ?

  • Oui. Un prof qui vous lance votre travail en disant de toute façon, c’est nul. Qu’est-ce qui vous arrive après ça ? Vous pouvez vous-même rien dire, puisque c’est une affirmation et en plus, ça induit que vous ne pouvez pas faire mieux. Alors, bien à la fin, vous y croyez.

  • Et vous même, ça vous est arrivé de vous trouver devant...

  • Bien sûr, moi j’ai redoublé deux fois, j’ai eu une carrière scolaire catastrophique ! J’ai découvert bien plus tard que en enseignant comme ça, honnêtement, que j’aurais pu être sûrement une très bonne élève.

  • Et avec le recul que vous avez maintenant, quelles hypothèses vous faites justement par rapport à cet échec ? Pourquoi étiez-vous en échec ?

  • A la maison, il y avait une vie de famille difficile, déjà c’est sûr. Ca, j’ai pas encore pu élucider, mais je pense que j’étais l’aînée de quatre enfants, mes parents étaient vraiment très pauvres, ma mère ne travaillait pas, il y avait 4 hommes à la maison. J’étais l’aînée, mon père ne gagnait pas beaucoup d’argent, c’était difficile, il a fallu que je travaille d’ailleurs, et puis mes parents ont été eux-mêmes des enfants pas heureux. Bon, ça ce sont des histoires de famille et alors à l’école, je ne sais pas pourquoi ça n’a pas marché, mais en tout cas, ça ne s’est pas amélioré, c’est-à-dire que il n’y a jamais eu une volonté de mes parents d’aller voir pourquoi ou d’essayer de comprendre. C’est-à-dire que c’était ... la sanction.

  • Oui.

  • Je travaille pas, donc sanction. Donc plus il y avait de sanctions, moins je travaillais bien sûr.

  • Oui,

  • Il y avait une surenchère comme ça à la maison. C’était devenu épouvantable l’école. Pour moi, c’était vraiment un outil. Puis il y avait des relevés... des livrets tous les mois avec des notes et des classements, alors c’est là où je me faisais taper par mon père, etc. parce qu’il y avait des notes où j’étais mal classée par rapport aux autres. Voilà, quoi. Moi je pense que j’ai été comme beaucoup d’enfants dans les zones d’éducation prioritaires de Z, je ne sais pas quoi, dans les quartiers difficiles, tout ça, où à la maison c’est pas facile, où il y a deux pièces, il y a quatre gosses et tout ça. Voilà, moi j’étais dans une situation comme ça donc, c’est vrai que toutes les conditions ne sont pas idéales pour être réceptif à l’école déjà et puis il y a l’école, les enseignants, alors là ! (Blessures, Souffrances. Vie Familiale).

  • Le côté familial et le côté enseignant.

  • En générale ça se répond.

  • Oui.

  • Eh oui, parce que l’école par ses brimades va forcément appuyer sur ce qui est déjà brimade ou en latence. Par contre, si dans les classes comme ça, coopératives, les enfants ne sont pas catalogués, ils ont toujours une chance de s’en tirer. Il ont toujours une place, ils ont un endroit où bien c’est leur domaine à eux et justement s’ils n’ont pas de lieux où exercer leur mémoire, leur imaginaire, leur intelligence, etc. Donc il y a forcément un endroit où ils s’y retrouvent. Bon, et les familles ont peut-être pas la même vision catastrophique de leur enfant. Moi, mes parents avaient une vision catastrophique de moi. Ils avaient peur, d’ailleurs. On en fera jamais rien !... (Révolte contre l’injustice. Compassion).

  • Oui,

  • Là les enfants s’y retrouvent. Ils communiquent avec d’autres. Ils ont des correspondants. On s’intéresse à eux, ça crée des relations. (L’Ecoute. La Reconnaissance). Là, ils ont fait une fête, et ils nous ont envoyé des photos. Ils nous racontent l’origine des premiers pèlerins aux Etats-Unis. Ils nous parlent des oiseaux de Californie, tout ça on a lu, on a travaillé dessus. Ils ont un parc à côté de leur école, donc ils vont jouer après l’école. Ils nous racontent tout çà. Avec la collègue on essaie de tenir un envoi de courrier tous les quinze jours.

  • Tous les quinze jours.

  • Ah oui. C’est rapide, une lettre collective...Regardez ! Voilà les lettres comment elles sont faites. Ils nous ont écrit qu’il y avait eu un petit tremblement de terre. Effectivement, ils sont à San Francisco.

  • Et vous organisez un voyage là-bas ?

  • Oui, on essaye d’y aller.

  • Quand est-ce que vous partez ?

  • Au mois de mai, parce que là-bas, l’instit elle a réservé au Mamal Hospital qui est un hôpital très célèbre aux Etats-Unis, qui ne se trouve qu’en Californie près de San Francisco. C’est un hôpital pour mammifères marins blessés ou malades. Ce sont les phoques et les baleines, parce qu’il y en a beaucoup dans cette région du Pacifique, qui s’échouent sur la plage ou qui sont en danger, qui sont soignés dans cet hôpital. Alors elle dit faut venir le visiter avec eux. C’est pour ça qu’on a déterminé cette date-là.

  • Oui (Elle me montre d’autres productions)

  • Ca, c’était une mère qui est venue parler de son boulot...Ca c’est du travail sous microscope... Là ce sont des textes qui sont classés par thèmes. Ca parle de l’école... ça parle des copains... ça parle de la famille...ça ce sont des textes imaginaires... Il y a une gamine qui a fait une bande dessinée. Alors je peux pas le donner à quelqu’un mais je peux le photocopier.

  • C’est vrai que ça m’aurait intéressée...d’avoir des textes libres. On parle des techniques Freinet. Alors comment vous vous positionnez par rapport à ça ?

  • Alors les techniques Freinet, ce serait toutes les aides justement, tout ce qui va aider à l’organisation du travail en lui-même. Par exemple les plans de travail. Là dans ma classe, il n’y en a pas....c’est vrai que j’arrive pas à tout... J’ai fait un planning pour le journal, pour que tous les enfants soient publiés. Moi, j’ai eu l’imprimerie pendant longtemps dans ma classe.

  • Ah oui !

  • Oui, c’était formidable, ça allait sous la fenêtre, du fond de la classe presque à l’autre mur, trois cases complètes de lettres et puis quatre presses, des presses à volet, comme ça,. on appuie.

  • Vous ne l’avez plus ?

  • En conseil au début d’année, ils ont dit on ne veut plus imprimer, on préfère aller aux ordinateurs. Alors j’ai dit : ’on va la vendre et on pourra s’acheter des trucs’. On l’a vendue et l’imprimerie n’est plus dans la classe ! J’ai trouvé ça logique, on ne peut pas fonctionner comme des ancestraux, sous prétexte que c’est émouvant.

  • Au fond est-ce que c’est une adhésion totale, y compris dans les techniques ou est-ce que c’est finalement une appropriation personnelle et...

  • C’est impossible ça. Parce que déjà d’abord Freinet c’est pas un dogme, c’est pas du dogmatisme, donc on peut pas être totalement dans son truc, au contraire, c’est l’ouverture la plus forte.

  • Oui.

  • Il a jamais enfermé dans une technique justement, sûrement pas.

  • Donc vous avez l’impression que c’est un petit une pratique personnelle.

  • C’est parce que comme il y a une démarche en éducation, il y a forcément besoin d’outils au service de cette démarche. C’est pour ça qu’on a besoin parfois de plannings, de journal, de notre agenda avec nos adresses, de nos cartes du monde, de nos plans de travail, bon, parce que ça rentre à l’intérieur d’une démarche en éducation, voilà.

  • Est-ce que ça veut dire que vous construisez d’autres outils, éventuellement ?

  • C’est sûr qu’on améliore toujours l’organisation, mais moi, je ne veux pas penser plus vite que mes élèves. Si le problème se pose, on débat, on discute. Le jour où ils ont dit l’imprimerie, on ne veut plus y aller, j’ai dit vous êtes sûrs ?. On a discuté quand même et puis on a pris une décision en commun. C’est quand même à chaque fois comme ça que ça se passe, mais il n’y a absolument pas d’entrée dans une utilisation de matériel spécifique qui donnerait lieu à un certain enseignement un peu comme Montessori, pas du tout.

  • Il y a quelques aides de...mais c’est pas rigide en fait.

  • Pas du tout.

  • C’est souple.

  • C’est sûr, il y a les fichiers, les plannings, des choses comme çà. Un enfant qui a fini, je lui dis tu peux faire une fiche souris. C’est une fiche de lecture silencieuse, il y a des trucs assez rigolos à faire. Il sait comment se débrouiller, prendre son travail, le corriger, etc.

  • Et vous disiez Freinet, c’est pas dogmatique.

  • Pas du tout, c’est tout le contraire.

  • Est-ce que vous avez eu l’occasion de connaître Freinet?

  • Ah non. Non ça ne m’intéresse pas du tout. Mais, bon, c’est quand même quelqu’un qui avait du génie, c’était un visionnaire. En 1930, il était au plus fort de sa forme, il y a quand même plus de 60 ans de ça et l’on enseigne toujours pas comme ça. On est vraiment... c’est la solution en tout cas à l’école. Ca je trouve ça incroyable que ce soit si difficile pour les gens d’entrer dans une démarche comme ça.

  • Vous dites j’aime pas les enseignants qui enseignent classiquement ?

  • Mais chez Freinet j’ai aussi vu de la fumisterie....Or, dans les classes Freinet, il y a des astreintes, il y a des contraintes, il y a des trucs à finir, des trucs quelque fois pas marrant à faire...J’ai vu au nom de Freinet des trucs scandaleux. D’ailleurs, j’ai très souvent été embêtée, parce que je fais un travail de formation volontaire. C’est-à-dire que je voudrais transmettre, enfin faire connaître en tout cas cette pédagogie, montrer qu’elle existe et que ça marche et que c’est beaucoup mieux quoi. Mais je vois des stagiaires qui vont même dans des classes où il y a des gens qui se disent formateurs, qui sont formateurs... il y avait une instit ici dans l’école qui est partie, qui disait qu’elle était...que c’était une classe Freinet, et justement c’était tout l’aspect mal compris, quoi. On attendait que les enfants aient envie, ils étaient alors là, livrés à eux-mêmes, pour beaucoup abandonnés. Un manque de rigueur, un manque d’organisation, voilà. Rien n’était vraiment approfondi. C’était vraiment une catastrophe. Si bien que j’avais prévenu les stagiaires en disant vous savez, malheureusement, n’importe qui peut dire qu’il a une classe Freinet, donc, vous allez voir des choses qui ne correspondront pas. Donc, j’ai dit lisez bien ce que c’est Freinet, ce que suppose cette démarche. Eh bien, ils sont allés voir. Une stagiaire revient en disant ah oui c’est comme le ’Canada dry’, ça en a la couleur, mais... Bon, mais c’est courant ça.

  • Vous dites vous avez conseillé lisez bien Freinet.

  • C’est à dire oui, ça correspond à quelque chose de précis quand même. C’est pas n’importe quoi.

  • Qu’est-ce-qui a été le moteur de votre passion ? vos stages ? Vos lectures ? Vos rencontres ?

  • Les deux. Freinet déjà quand il a écrit il a déjà un langage qui me plaît à moitié. Il a une façon de s’exprimer. C’est vrai, c’est démodé. Quand on lit Freinet, vraiment, il y a des fois ça saute aux yeux. Même quand on voit une publication, comme celle que vous avez. Vous savez, ça a un côté vraiment là, carrément démodé. Ce que j’aime, c’est les idées qui restent à travers les années. C’est-à-dire ce qui reste de ça, c’est vraiment les idées, les projections qu’il y a derrière tout ça, l’idéal de la démarche éducative. C’est ça qui me paraît essentiel.

  • Et vous avez passé beaucoup de temps à lire concrètement, en fait?

  • Bien j’ai lu tout ce qu’il y avait à lire, sur Freinet. Les trucs les plus connus quoi ! Et ce qu’a écrit aussi Elise, ’L’histoire d’une pédagogie populaire’, l’oeuvre de Freinet qui a été rééditée là. J’ai le tome II, parce que c’est le plus intéressant. Tout ce qui concerne les méthodes naturelles. Freinet il a écrit des tas de trucs sur les méthodes naturelles en grammaire, méthodes naturelles en histoire-géo aussi.

  • Et vous les lisez encore ? Comment ça se passe ?

  • Je ne lis plus Freinet, je lis d’autres gens. Par exemple j’ai lu il n’y a pas longtemps, beaucoup de choses qu’avait écrit Meirieu. Il avait aussi une façon de dire les choses bien claire et j’ai besoin moi aussi de cette argumentation, parce que quand j’ai des stagiaires, il faut que moi aussi je me nourrisse de... Je me souviens que j’ai lu Freinet un peu dans ce sens là, perspective d’éducation populaire. C’est vrai qu’il y avait toute une langue spéciale, quoi. Même des militants Freinet qui écrivaient dans les années 70 qu’on ne pourrait plus publier maintenant. Militants politiques, trotskistes, etc.

  • La question que je voudrais vous poser par rapport à ça, c’est est-ce que vous êtes à l’écoute, éventuellement d’autres courants pédagogiques ? Vous avez un ancrage dans Freinet. Comment vous vous situez par rapport au reste ?

  • Tout ce qui concerne l’éducation alternative m’intéresse. Je suis dans l’annuaire des écoles différentes. Il parle de Freinet. A l’intérieur il y a plein d’écoles qui existent en France, souvent où justement c’est pas la même chose. Je pense à la femme qui a monté ’auto-école’ à Saint-Denis. Elle s’appelle Pierrelée. C’est une principale de collège de quartier à Saint-Denis, assez dur et comme les mômes n’allaient plus à l’école, ils traînaient dans la rue, elle a créé un truc qui s’appelle auto-école. C’est-à-dire qu’ils viennent quand ils veulent, mais ça se fait de telle façon, qu’ils viennent tout le temps. Donc, on était en relation ensemble.

  • Ca correspond à quoi pour vous en fait cette ouverture ? Cette ouverture à d’autres pédagogies dans le domaine alternatif ?

  • C’est la même chose. C’est-à-dire c’est la même attitude face à l’enfance maltraitée ou face à l’adolescence pas comprise ou à l’adolescence larguée, quoi. C’est pour ça que je vous dis que Freinet était un visionnaire parce que Freinet apporte des réponses excessivement concrètes à ce qui se passe actuellement. Je vais citer l’équipe de V., ils ont monté une école Freinet. J’ai un ami qui s’appelle A..., qui est un observateur des banlieues, justement, parce que lui, il a écrit depuis longtemps là-dessus. Il les connaît, il m’a dit l’école Freinet de V..., c’est la seule où il n’y a pas les carreaux cassés et où ça marche. C’est la seule. Bien, j’étais pas étonnée.

  • En même temps au début de l’entretien vous disiez, il y a des moments de doute. Est-ce que vous pouvez en parler un petit peu?

  • Oui. Les moments de doute c’est est-ce que là, quand je lui ai dit ça, je ne l’ai pas coincé ? Est-ce qu’il ne va pas mal réagir ? Est-ce que mon intervention ? Est-ce que j’ai pas...(La Contrition Personnelle.)

  • Ca tendrait à signifier que ce ne sont pas des doutes par rapport à Freinet, à la pédagogie Freinet, mais plus par rapport à votre attitude envers l’élève ?

  • Bien sûr. A moi-même à moi-même. C’est-à-dire qu’il faut que je me méfie de mon autorité naturelle, de mon désir d’intrusion... Tout ce qui est...

  • Vous faites votre autocritique, en fait ?

  • Ah bien sûr, parce que moi, je pense que quand on enseigne, il y a un truc, il faut se méfier de soi. Il faut se méfier, oui. (La Contrition.)

  • Comment vous qualifieriez votre engagement ? Est-ce qu’il est convaincu, est-ce qu’il est fort, comment vous... ?

  • Convaincu, oui. Moi je le suis vraiment...D’ailleurs, convaincre, ça me plaît bien ce mot là. C’est-à-dire quand j’ai des stagiaires, je tente de les convaincre et à chaque fois que je parle, je suis toujours assez passionnée, parce que vraiment, je tente de convaincre et c’est vrai parce qu’à mon sens on ne peut pas enseigner autrement. Je ne comprends même pas qu’on enseigne autrement, comment on peut enseigner autrement. Là, vraiment pour moi, c’est un mystère.

  • Autrement que ?

  • Que ce type de démarche. Les enfants arrivent à l’école primaire, les enseignants veulent que l’enfant maîtrise sa langue maternelle, c’est-à-dire le Français. Eh bien, il n’y en a pas un qui pense à les faire écrire tous les jours. Voilà ! Eh bien j’étais arrivée à cette conclusion que quand un adulte rentre dans l’école, il perd sa logique. C’était là où j’étais arrivée. Bon, maintenant il faut que je sache comment il fait pour la perdre, et pourquoi, et ou, et en passant une porte, il se la fait choper au passage, mais quand il met le pied dans une classe, il n’est plus logique. Il obéit, je ne sais pas... le tâtonnement expérimental, le truc de base que tout scientifique met dans son labo pour découvrir un truc, se tromper, recommencer, essaie... En classe, on oublie tout ça, alors que c’est comme ça qu’on apprend, quoi !

  • Vous avez beaucoup abordé le plan de l’humanisme, des valeurs, de relation à l’autre, du respect, de l’écoute, c’est quand même revenu très, très souvent. Alors, y-a-t-il un lien à faire ? Peut-être, peut-être pas avec un côté spirituel justement. Parce que c’est pas idiot de penser que quand on parle d’humanisme, on peut y associer la religion.

  • Au contraire, les élèves et les citoyens, ils sortent des classes Freinet justement des gens armés contre tout ce qui est secte. Moi, mes élèves, je leur raconte toujours Panurge, c’est un des premiers trucs que je raconte au CP en leur disant il y en a un qui avance et les autres derrière et on bêle, quoi. Alors ça, quand je veux les titiller, je leur rappelle le mouton de Panurge.

  • Je veux qu’ils aient leur libre arbitre et leur critique, je ne veux pas qu’ils gobent et à chaque fois, je les excite là-dessus, je vais les chercher, vous avez vu, je vais les titiller là-dessus, je ne les lâche pas, parce que je veux qu’ils se méfient, je ne veux pas qu’ils gobent.

  • Il y avait un exemple incroyable hier. Bertrand est un très bon élève, ’grande gueule’, etc. Tout le monde le sait, celui-là, il est brillant, bon, bref, eh bien il suffit qu’il dise quelque chose pour que tout le monde dise bien oui, c’est normal parce que lui doit pas se tromper. Alors, ça, j’étais furieuse ! Puis justement, il s’est gouré, parce qu’il est comme tout le monde. Alors j’ai mis le doigt dessus, alors là tu sais plus ta leçon ? Bien non, on vérifie, on va vérifier.

  • Personnellement vous n’avez pas de croyances....

  • Alors, pas du tout. Alors, là, c’est laissé à l’appréciation de chacun, mais moi c’est pas mon propos !

  • Je voulais vous entendre dire comment vous vous positionnez.

  • Dans la réussite de l’humain de A à Z c’est plutôt ça.

  • Oui.

  • Non, non, ce que je veux, c’est l’individu lucide. Un être humain qui a les deux pieds sur terre, mais qui regarde.

  • Ca va vous paraître farfelu mais quelle est la part de votre personnalité dans votre engagement ?

  • Je ne sais pas si c’est en liaison ou pas, mais c’est vrai que moi, j’aime bien, même pour moi personnellement, m’interroger sur ma propre vie, c’est à dire travailler sur moi aussi. Ca ça m’intéresse la démarche d’analyse par exemple, moi j’aime bien justement, pour être un individu plus éclairé sur lui, donc plus éclairé sur les autres. Ca, ça m’intéresse beaucoup. ( L’enseignant en recherche.).

  • Vous êtes toute seule je crois à pratiquer la pédagogie Freinet dans l’école. Alors comment ça se passe avec vos collègues ?

  • Alors là, c’est très mal ressenti dans l’école.

  • Est-ce que vous pouvez m’en parler un petit peu de ça.

  • Moi, c’est ce que j’interprète, mais ce que j’ai pu en comprendre là, c’est que j’ai mis quelque part en danger les autres collègues parce que malgré tout, ça soulève des grands questionnements, cette démarche en classe.

  • Par exemple le conseil, j’ai quand même parlé à mes collègues de ce qu’était le conseil, ça me semblait déjà la première chose qu’il fallait faire, même dans des classes un peu moins organisées comme ça, mais quand même, qu’il y ait la consultation, que les élèves puissent proposer des choses, parler d’eux. Moi, ça me semblait vraiment important et alors ’ça a foiré’ complètement, ça été pris au pied de la lettre comme un exercice quoi. Alors, c’est l’instit qui parle, c’est l’élève qui écoute enfin, c’est très mal compris, je sais pas ! Enfin je me dis est-ce que c’est à cause de moi, et je pense que je n’ai pas été innocente dans l’affaire, alors, je ne sais pas trop.

  • C’est vrai que j’en tire une identité de cette façon d’enseigner, malgré tout, mais les résistances, moi ça m’intéresserait de travailler là-dessus. J’aimerais bien connaître les résistances, pourquoi les enseignants ne tendent pas vers ce type de pédagogie, alors vraiment, pour moi, c’est un mystère. (Le Choix Libre).

  • Vous avez cette impression d’être mal perçue ?

  • Ah oui, oui.

  • Ca se trouve comment ? dans les attitudes ou alors est-ce que ce sont des faits précis ?

  • Oui, on m’agresse.

  • Vous pouvez m’en parler ?

  • On me dit c’est pas parce que tes élèves écrivent pendant 2 heures, tu sais, moi je les ai vus au CM1, ils font autant de fautes que les autres ! Par exemple, ou bien alors oui, ils ont fait beaucoup de conseils, mais ils sont aussi insupportables. Mais moi je leur dis mais quoi, c’est pas scientifique ça. C’est quoi, vous me parlez d’une rumeur ou de... je ne sais pas d’une impression, mais on ne peut rien vérifier, rien calculer, ni mesurer, donc qu’est-ce que vous voulez que je vous dise de ça ?

  • Donc vous dites, c’est pas vérifié, mais cette impression que vous êtes mal perçue dans l’école, c’est plus de l’ordre du ressenti en fait avec quelques...

  • Il y a sûrement... elles se sentent en faute. Moi, c’est un peu comme ça que je le sens, elles... je dis elles parce qu’il n’y a... si il y a un homme quand même !

  • C’est à dire que vous n’avez pas beaucoup d’amies dans l’école en terme de collègues.

  • Non.

  • Et par rapport à ça, comment vous réagissez ? Est-ce que vous ça vous empêche de continuer ?

  • Non, surtout pas de continuer, ah, non. Bien moi, je vis ma solitude avec mes élèves (Le choix Libre), et puis j’ai quand même ma collègue de classe d’adaptation avec laquelle j’ai travaillé longtemps parce qu’une année, on n’avait pas beaucoup d’élèves en cours préparatoire, et elle, elle avait assez peu d’élèves en difficultés, elle est institutrice d’adaptation, donc elle prend des élèves qui ne sont pas encore capables d’apprendre à lire. Elle les prépareet je lui ai proposé de mettre tout le monde ensemble pour pas qu’il y ait un petit ghetto. Ils étaient 6 - 7 Ils étaient dans une petite classe et je lui ai dit on met tout le monde ensemble avec un plan de travail et l’individualisation. Ils vont faire le journal et tout ça et puis toi, tu pourras peut-être plus travailler avec eux pour les aider. Si c’est trop copieux, ils en feront un peu moins. Je trouvais que c’était une façon d’intégrer des enfants en difficulté, donc on a travaillé longtemps ensemble et elle, elle a vraiment beaucoup aimé cette collaboration et d’ailleurs, depuis, elle a gardé des tas d’idées pour faire travailler les enfants en lecture, elle a gardé entre autre, l’écrit. Elle fait écrire beaucoup les élèves dont elle s’occupe. Donc, elle est devenue vraiment une amie et puis elle est aimable, elle me remplace quand je ne suis pas en classe. Elle aussi, elle est devenue Freinet. Alors elle, carrément.

  • Entrer dans cette pédagogie, pour vous, est-ce que ce n’était pas un moyen pour vous de vous distinguer, d’avoir du pouvoir sur les autres ?

  • Il y a un paramètre dont je n’ai pas parlé, mais peut-être qu’il a aussi son importance, par rapport à la hiérarchie dans ce métier, c’est-à-dire par rapport aux gens qui vous dictent des choses et qui vous gouvernent. Moi j’ai du mal avec ça. J’ai du mal avec l’autorité, voilà. Et je pense que c’est vrai que la démarche Freinet est très satisfaisante à ce niveau-là parce qu’il n’y a pas de chef. Alors, ça, moi, j’aime beaucoup ça. On peut être chef chacun son tour. Alors ça, ça me plaît bien, parce que l’autorité, moi, ça ne me va pas.

  • Vous dites :parce qu’en fait le pouvoir ça ne m’intéresse pas. C’est un peu votre réponse finalement.

  • Voilà. En parlant justement de pouvoir. Non, ce ne serait pas à ce niveau-là. J’aime assez quand même cette image de ’non aligné’. Moi, ça me plaît bien ça les gens non alignés. Ca rejoint les moutons, quoi. C’est-à-dire que oui, faudrait t’aligner, voilà.

  • Ca correspond pour vous à une éthique par rapport à une façon de voir l’enfant.
    1. Une déontologie. Tout à fait, c’est sûr. Préserver l’individu, ne pas l’abîmer, c’est important.