A. La dignité et l’unicité de la personne.

1. La dignité de la personne.

La personne est digne. Le Kantisme proclame que l’homme ne peut être traité comme un moyen, mais toujours comme une fin. En ce sens, la personne ne saurait se réduire à un simple instrument en vue d’un objectif anticipé. Sa dignité requiert une conception du respect ; elle introduit une limite à l’usage de ma liberté spontanée. Tout ne m’est pas permis à son égard. Au contraire, le respect convoque une forme de délicatesse et de discrétion vis-à-vis de l’intimité propre, ’en posant la réalité d’autrui ; le respect la protège contre la vaine curiosité du savoir. 77 .

Dans tous les cas, la personne interpelle la liberté ; d’emblée instituée dans l’éternité, elle a du sens. Le visage est, selon E. Lévinas, ’le lieu originel du sensé 78 . N. Berdiaeff déclarait que ’le monde entier n’est rien, à côté de ce qu’il y a d’unique dans un visage humain, dans une destinée humaine. 79 . Dans le projet de disponibilité, le regard introduit la rencontre. Il y a une liberté du sujet propre à accueillir la liberté, ’par le regard d’autrui, dit J.P. Sartre, je fais l’épreuve concrète qu’il y a un au-delà du monde. 80 . E. Mounier considère l’importance du regard comme mode d’être. La rencontre met en présence, elle est un ’dépouillement de moi-même comme ennemi de moi-même, de mon opacité égo-centrique, de cet encombrement et de cet écran que je suis pour moi. 81 . En ce sens, l’expérience de la présence d’autrui, au lieu de me figer, est une source bienfaisante, et sans doute necessaire, de renouvellement et de création. L’auteur soulignait notamment que le regard des élèves sur le maître est le principal agent de leur vitalité. Il stipulait que le regard généreux n’est pas le seul à vivifier. Le regard d’autrui, y compris ’la médisance’, disait E. Mounier, reflète notre image ; ’seul nous nous connaissons mal et nous nous jugeons mal. 82 .

Pour S. Tzitzis83, Il y a une charité propre à la reconnaissance de la personne qui justifie l’être, ’la personne ne saurait se concevoir sans cette justice dont l’attribut principal est la miséricorde. 84 . L’accueil disponible relève de la sympathie envers autrui, d’une intuition de destin. Dès lors, la proximité est une forme de compassion et de discernement du manque-à-être, ’comprendre et sentir la souffrance, au nom du visage qui reflète l’image de mon visage. 85 . Car la personne est l’être incarné, qui vit l’expérience du mal, ’la personne, en nous, c’est la part de l’erreur et du péché. 86 . C’est un être souffrant, blessé, qui éprouve une certaine détresse. Selon S. Weil, ’Dans l’homme la personne est une chose en détresse, qui a froid, qui court chercher un refuge, une chaleur. 87 , tandis que la blessure comme ferment vital interpelle la foi et la re-création. Comme le croyait S. Weil, celui qui a eu, ou a encore, à pâtir de l’injustice, du mépris, de l’angoisse et de la proximité de la mort, est, constitutionnellement si l’on peut dire, encore plus sensible qu’un autre et, dès lors, plus enclin à trouver des ressources pour le secours.

En somme, la rencontre du visage procède de la compassion envers la misère de l’homme et de la conversion à la richesse de sa destinée.

Notes
77.

P. Ricoeur sympathie et respect. Cité par Albert Lachièze-Rey. Retour à la personne, p. 9.

78.

E. Lévinas, Transcendance et intelligibilité, p. 170.

79.

Cité par G. lurol.Genèse de la Personne, p. 200.

80.

Cité par A. Lachièze-Rey, op., cit, p. 12.

81.

E. Mounier, L’engagement de la Foi, p. 42.

82.

Ibid., p. 43.

83.

S. Tzitzis, Qu’est-ce que la personne ?

84.

Cité par S. Tzitzis. E. Lévinas, Hors sujet,p. 129.

85.

Ibid., p. 156.

86.

S. Weil, Ecrits de Londres et dernières lettres. La personnalité humaine, le juste et l’injuste, p. 17.

87.

Ibid., p. 21.