2. Unicité, unité, et singularité de la personne.

La personne est unique et originale, de telle sorte qu’il existe une permanence d’être, une sorte d’identité de substance entre les tribulations ; ’c’est le noyau même de la personne qui est unique. 88 , immanent, et qui imprègne l’acte de l’homme. La temporalisation de la personne développe une permanence d’unicité mais, surgie dans l’instant, la liberté est une sorte de commencement absolu. N. Berdiaeff, qui inspira E. Mounier, disait que ’la personne c’est l’immuable dans ce qui change sans cesse, l’unité dans la multiplicité. La personne ne représente pas un état figé : elle s’explicite, se développe, s’enrichit, mais son développement est celui d’une seule et même personne, qui reste malgré tout permanente, qui ne cesse jamais d’être elle-même. 89 .

La permanence qui défie le temps est constitutive de l’identité. E. Mounier évoquait singulièrement l’unification de la personne, ’Cette unification progressive de tous mes actes, et par eux de mes personnages ou de mes états est l’acte de la personne.90’. Elle est une oeuvre de soi-même, un véritable travail inachevé, d’effort constitutif. L’effort requiert notamment une acceptation de soi et de ses limites, ’une assomption libre et modeste de tous ses aspects.91’ ; un ordre dans le chaos qui tient de la hiérarchie. Le choix de la centration, comme renoncement à la dispersion est un chemin de mortification naturelle de la personne selon l’acceptation d’inconnu. Aussi l’identité n’est-elle le résultat ni d’un découpage artificiel ni d’une collection organisée ; elle relève d’une personnalité, ’elle est constituée par ce que nous pouvons appeler la personnalité, qui constitue la forme d’unité qui correspond à la personne.92’.

Unicité et unité fondent la différence centrale. P. Landsberg l’énonçait : ’j’appellerai ’aveugle de la personne’ quiconque ne serait pas certain du phénomène de la différence, certain à un degré de certitude essentiellement supérieur à n’importe quel résultat scientifique d’hier, d’aujourd’hui et de demain. 93 . F. Poché avertit cependant de concevoir la différence sur fond d’universel, qui préserve d’un dérapage communautariste. Il propose d’utiliser le terme ’différence’ pour évoquer ce qui relève d’une catégorie générale (différence culturelle sociale, sexuelle...) en commun avec d’autres ; et il réserve l’altérité à ce qui renvoie à la singularité et à l’irréductibilité de l’être humain, ’Le premier registre relève de la connaissance et le deuxième renvoie davantage à la reconnaissance. 94 .

Plusieurs philosophes montrent la difficulté de la reconnaissance et de l’intégration de la différence. R. Girard95 évoque le mécanisme compulsif d’exclusion du tiers et F. Jacques96 constate sa sacrification dans la communication courante. Or, l’identité se construit au coeur d’une dialectique de l’union et de la séparation, ’Il n’y a pas d’identité temporelle sans un certain rapport au tiers. 97 . Pour P. Ricoeur, ’En parlant d’identité, je parle de différences ; il ne peut y avoir de même sans autres, ni d’autres sans même. 98 . En ce sens, chez G. Bachelard, ’en me détachant de mon frère, je m’anéantis. 99 . E. Mounier soulignait également la valeur propre de l’altérité dans la construction de l’identité, ’La personne ne se connaît que par autrui, elle ne se trouve qu’en autrui (...) On pourrait presque dire que je n’existe que dans la mesure où j’existe pour autrui. 100 . L’idée est celle du ’prochain’, au sens où l’entendait M. Buber101, et non du semblable à soi-même, qui satisfait et rassure.

Notes
88.

A. Lachièze-Rey, op., cit, p.14.

89.

Cité par J.M. Grevillot. Les grands courants de la pensée contemporaine, p. 208.

90.

Cité par A. Lachièze-Rey.Manifeste pour le Personnalisme, p. 15.

91.

A. Lachièze Rey, op., cit, p. 15.

92.

Ibid.

93.

P. Landsberg, Quelques réflexions sur l’idée chrétienne de la personne. Esprit p. 388.

94.

F.Poché, Reconstruire la dignité, p. 91. Voir également p. 62 à 65.

95.

R. Girard , La violence et le sacré.

96.

F. Jacques, Différence et sujectivité.

97.

Ibid., p. 52.

98.

P. Ricoeur, Le Personnalisme d’E. Mounier Hier et Demain, p. 228.

99.

Cité par M. Buber, Je et Tu, p. 10.

100.

E. Mounier,L’engagement de la foi, p. 45.

101.

Op., cit.