B. Perfectibilité de la personne.

1. La personne humaine naturelle et raisonnable.

La notion de désir est centrale chez la personne, car celle-ci est avant tout aspirante et réceptive ; mais cette quête de connaissance est portée, en définitive, par une recherche de sens, qui est une motivation fondamentale. E. Lévinas dira que le désir est ’l’idée d’infini 102 . Au demeurant, on définira la personne à l’articulation du théocentrisme et de l’anthropocentrisme, de telle sorte qu’E. Mounier, réfutant son caractère strictement transcendant, la définit comme l’être incarné qui, vivant dans le monde, est ’mouvement vers l’universalité.’. Elle expérimente, de fait, une tension dynamique, où sont à l’oeuvre une compulsion égoïste constitutionnelle, qui fait du retour à soi une fin en soi, génératrice de violence, et une motivation dirigée vers un au-delà de soi-même, créative d’un bien universel.

On oppose facilement l’individu à la personne. L’individu serait la dissolution de la personne dans la matière, tandis que la personne figurerait raisonnablement la maîtrise et la générosité. J. Lacroix103 la situe, plus prudemment, dans l’ ’au-delà’qui commande une tension entre l’individuel et l’universel. Car c’est bien la personne ’humaine’ qui intéressait E. Mounier, comme il l’écrivit en décembre 1926 dans une lettre à sa soeur, ’Ce qui me guide, sous le pretexte du problème historique, c’est le souci d’une philosophie humaine. 104 . C’est pourquoi il s’attachera à l’idée d’une ontologie personnaliste, fondée sur la confiance dans la personne, dans ses ressources, dans ses possibilités de dépassement, sur la croyance en son éducabilité, en sa perfectibilité, ’Il a basé sa vie sur la foi en la personne humaine. 105 .

Comme le dit P. Ricoeur, E. Mounier considérait ’l’humaine nature’ de l’homme, plus encore sa ’condition humaine’, ’qui étire à l’extrême la notion de ’nature’ dans le sens (..), de l’audace et du risque. 106 . Car ’la personne transcende la nature. 107 ; elle est en de-ça et au-delà de l’homme naturel, bien que lui étant liée, corps et âme. Elle n’est pas non plus réductible à l’être que l’éducabilité de l’intelligence dissocierait de l’animalité - sinon a développer les catégories de l’habileté et de l’utilité-. La personne est une liberté qui transcende l’être naturel et lui confère une dignité.

C’est ce qu’ont développé Rousseau (1712-1804) et Kant (1724-1804). Les philosophies post-chrétiennes définiront, chez Descartes, (1596-1650) le Cogito Ergo Sum. Pascal (1623-1662) érigera la supériorité de l’homme pensant sa condition,

‘’l’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature ; mais c’est un roseau pensant (...) toute la dignité de l’homme consiste donc en la pensée. C’est de là qu’il faut nous relever (...) Travaillons à bien penser : voilà le principe de la morale (...) mais la grandeur de l’homme est grande en ce qu’il se connaît misérable.108’.’

La liberté est dans la pensée, au-delà de la nature, au-delà de l’intelligence calculatrice, ’la pensée n’est rien d’autre que le décollement de l’homme et du monde, qui permet le recul, l’interrogation, le doute (..) l’homme pose la question de l’homme ; et cela c’est ’penser109’. Aussi l’idée définit-elle la dimension proprement morale de la personne. Elle est une capacité de désintéressement, qui supplante les intérêts particuliers et rend l’homme capable d’opposer au réel un idéal.

Notes
102.

E. Lévinas, Humanisme de L’Autre homme, p. 54.

103.

J. Lacroix, Individu et Personne, p. 70 à 78.

104.

E. Mounier,Oeuvres, tome IV, p. 423.

105.

Père A. Depierre, Ce témoin persévérant de Dieu, Esprit, p. 916.

106.

P. Ricoeur, une philosophie personnaliste, p. 869.

107.

Albert Lachièze-Rey, op., cit.

108.

B. Pascal, Le roseau pensant.

109.

op., cit, p. 11.