2. Personne et accroissement en pédagogie Freinet.

En quoi le postulat de l’éducabilité atteste-t-il du fondement personnaliste de la pédagogie Freinet ?

Chez C. Freinet, la dimension polémique de l’éducabilité est fondée sur la conviction que la liberation est le destin du peuple. La charité éducative s’adresse à l’enfance populaire, dans laquelle il entrevoit ’le ferment d’une humanité nouvelle220’. Le capitalisme a engendré ’une école bâtarde avec son verbiage humaniste masquant sa timidité sociale et son immobilité technique221.’. Avec le Front de l’Enfance, C. Freinet institue une charte qui veut lutter pour l’école du peuple au service de la libération de l’homme. Il entrevoit une éducation humaine vectrice d’espérance, qui apporterait ’des raisons encore, de lutter, de vivre et de croire.222 ’ ; l’humanisation est le destin du peuple.

C. Freinet se souvient amèrement d’une éducation scolaire à contre-sens, ’(...) avec les clairs souvenirs de mes huits ans, (..) je détecte à travers les systèmes et les méthodes dont j’ai tant souffert, les erreurs d’une science qui a oublié et méconnu ses origines. 223 . La compréhension profonde de la vie humaine doit mobiliser la science au service de la puissance de l’homme, selon les lignes de sa destinée. Aussi l’humanisation du peuple par la connaissance est-elle la clé de voûte de l’amélioration sociale. Elle est une connaissance de puissance, ’parvenir à une culture qui soit un jour la vraie science de vie, une science pratique, humaine, et qui ajoute sans cesse à la puissance de l’homme en face de la nature. 224 .

La perspective de destinée, qui légitime le postulat de la perfectibilité, requiert chez C. Freinet une science de l’éducabilité, c’est-à-dire une science qui découvre la vie au service de la vie, en dehors de laquelle elle ne saurait être une science humaine. Elle est une science de la création, qui inclut l’idée du pouvoir de l’homme et de sa liberté. Pour C. Freinet, il importe peu d’être savant si ce savoir est extérieur au destin, ’pour une réussite indifférente à notre destinée. 225 . Il importe peu à l’homme que le philosophe soit savant si l’esprit de corruption est son lot quotidien, ’Maudite soit l’éducation (..) qui lui a enseigné à isoler ces concepts, mais qui a négligé de l’aider à comprendre et à pratiquer une vie utile et digne ! 226 , ’Et s’il emploie ses découvertes à créer le mal, à servir les exploitateurs de la misère, à étouffer le vie, on peut dire aussi : ’si du moins il n’avait jamais été initié à cette science ! 227 ’.

Dans la pédagogie Freinet, le désir éducatif est fondé sur une foi fondamentale en la vie, en l’homme, ’Il faudrait faire à la nature une confiance nouvelle et, en son sein, retrouver les lignes de vie hors desquelles nul ne saurait construire utilement.228’. En même temps, la formation de la personne procède d’une révélation de confiance et d’espérance,’L’optimiste espoir envers la vie (...) cet espoir en la vie sera (...) le fil d’Ariane mystérieux qui nous conduira vers notre but commun : la formation en l’enfant de l’homme de demain (..) Servez et renforcez la vie ! (..)229’.

Aussi la visée personnaliste de Freinet selon le postulat de l’éducabilité est-elle pleinement exprimée par l’idée de puissance et de direction humaine.

Notes
220.

G. Piaton, La vraie fidélité, p. 64-65.

221.

Cité par L. Lavergne, Célestin Freinet, une recherche hors des cadres imposés, p. 7.

222.

J. Houssaye, Freinet pédagogue socialiste, p. 35.

223.

C. Freinet, Les dits de Mathieu, p. 34.

224.

C. Freinet, Oeuvres Pédagogiques, p. 572.

225.

Ibid., p. 575.

226.

Idem.

227.

Idem.

228.

Ibid., p. 55.

229.

Ibid., p. 176