4. La conviction de l’éducabilité dans le PEI.

En quoi l’éducabilité et la perfectibilité de l’homme sont-ils des postulats fondateur du PEI ?

Le besoin d’éducation des enfants juifs issus de l’holocauste, migrants vers Israël, gravement déprivés culturellement, fut, dans les années 50, à l’origine du PEI. Des convictions profondes ont stimulé la démonstration de leur potentiel personnel, en dépit de la situation extrême dans laquelle ils vivaient. La foi intime en l’homme implique de rejeter la résignation, ’Nous ne pouvions accepter qu’un seul enfant ne puisse pas arriver au-delà de ce que son fonctionnement actuel permettait d’entrevoir.241’ ; l’engagement en est indissociable, ’Je dois vous dire qu’en éducation, sans cette foi, je ne crois pas que l’on arriverait à quelque chose. (...) sans cette croyance, vous penseriez que, si l’enfant n’est pas capable, ce n’est pas à vous de vous engager. Cet engagement est donc nécessaire pour que l’on adopte la foi ; sans elle rien ne peut être entrepris242’. Sur le plan doctrinal, la Thora juive commande la charité ’Prenez soin des enfants du pauvre, car d’eux sortira la Thora : l’eau coulera de ses eaux , cela signifie que la Thora s’épanouira grâce aux plus pauvres d’entre eux.243’. Le secours devient une nécessité,’le besoin d’aider autrui244’.

La croyance dans la propension de l’homme au développement est le point cardinal de l’auteur. Elle repose sur une conviction d’avenir. Il y a une orientation du regard préalable à tout dispositif éducatif qui considère l’être humain comme capable de penser d’une manière critique, autonome, indépendante, distanciée. Feuerstein dit ’l’homme capable d’apprendre sur l’appareil mental d’autrui.245’. Il cite à ce sujet son petit-fils trisomique, dévoilant une forme de connaissance de sens implicite ’il a décidé que la modalité par laquelle il a été questionné a eu comme supposition qu’il est attardé (..) ce que tu me demandais, c’est quelque chose que tu sais très bien que je peux le savoir sans que tu me le demandes.246’.

Le programme PEI, déclare R. Feuerstein, prend en compte, d’une certaine manière, le besoin ’d’équité247’ de l’individu. Le besoin de sentir l’autre comme un frère, comme un égal. Pas simplement le besoin d’assurer certains droits, ’c’est plutôt le sentiment(..)moi j’aimerais voir cet individu capable de penser comme je l’ai fait moi. Pas comme moi, c’est-à-dire il peut penser comme il le fait lui.248’. C’est pourquoi, selon l’auteur, il est important de bien penser ’aux bases émotionnelles, philosophiques, éthiques de ce système, pas tout simplement à la structure formelle.249’.

Pour le psychologue, l’éducation est un service, au développement de l’adaptation, ’Nous avons aussi constaté à quel point l’homme a besoin de se modifier. Depuis l’origine, l’être humain a dû s’adapter à de nouvelles structures250’. Mais il n’est pas préparé à la confrontation aux difficultés, ’l’homme n’est pas parfait, il a des besoins de développement, il a besoin d’une certaine préparation, d’une correction, d’un complément dans les fonctions qu’il a à son répertoire pour pouvoir y faire face.251’. Autrement dit, l’homme a besoin de se perfectionner pour s’adapter à la mouvance des situations, ’ce n’est pas que lui n’est pas parfait, il n’est pas parfait par rapport à certaines conditions qui exigent de lui un phénomène de perfectionnement. L’homme dans la recherche d’un perfectionnement implique le fait que nous ne sommes pas parfaits.252’. Il y a une forme de reconnaissance d’imperfection qui est motrice de cette recherche, ’c’est un acte de perfectionnement qui doit se faire et qui peut se faire à partir de certaines modalités d’agir, de vouloir, de reconnaître ce phénomène.253

Or, pour R. Feuerstein, la perfectibilité s’appuie sur le postulat de la modifiabilité humaine. L’homme peut être considéré comme ’l’existence modifiable par excellence.254’. L’éducabilité correspond ainsi à la propension255 de l’homme à l’intelligence qu’il définit par le concept de modifiabilité. Intrinsèquement dynamique en son état256, R. Feuerstein définit l’intelligence comme ’une énergie qui se manifeste dans les changements, dirigés en vue d’une adaptation.257’. C’est pourquoi l’hérédité ou la physiologie ne fixe pas l’individu dans une représentation figée. R. Feuerstein conçoit l’inconditionnelle perméabilité aux expériences d’apprentissage médiatisé, quelle que soit la sévérité du handicap. Il postule l’auto-plasticité comme une dotation fondamentale de l’homme. C’est pourquoi ’la conception de la médiation se refuse à poser un diagnostic définitif sur la personne comme à préjuger de son devenir258.’.

La notion de médiation recèle l’idée d’une volonté éducative qui traduit une intentionalité chargée d’exigence, car celle-ci est fondée sur une conviction d’avènement, mais elle n’est pas sans requérir la polémique et la contrainte. R. Feuerstein note la qualité d’un environnement modifiant qui espère en l’enfant, qui lui demande un effort.

Le milieu est vecteur de reconnaissance de désir de plus- être, ’Un environnement est caractérisé par les exigences (..) ceci crée en lui de nouveaux besoins qui permettront à leur tour de mobiliser certaines forces qui peuvent exister, mais faute d’activation seront absolument atrophiées, rigidifiées car l’individu n’est plus dans une situation de défi, il tend à s’accepter tel qu’il est. 259 . Motiver l’espoir engendre la force. La médiation renouvelle et inscrit l’individu dans le désir ; elle permet l’intériorisation de l’avenir, ’le fait de vivre dans une réalité virtuelle, dans une représentation de l’avenir, de projeter, de se projeter hors de l’immédiat vers des horizons beaucoup plus éloignés. 260 . Ainsi, le but du PEI est de régénerer la ’motivation intrinsèque’, de telle sorte que la capacité s’étaye sur ’le besoin de connaître, le besoin d’acquérir des choses 261 . Il s’agit, en quelque sorte, de créer le besoin, de trouver le ressort, d’utiliser le bénéfice, ’Comment produire en lui, même dans un environnement hostile, ce besoin intrinsèque de modalités énergétiques affectives qui lui permettront d’utiliser ce qu’il a appris ? 262 . Aussi le PEI s’adresse-t-il également ’aux éléments motivationnels, aux dispositions émotionnelles et affectives qui lui permettront de maîtriser les éléments à apprendre. 263 . R. Feuerstein parle d’une ’sensitivité’, qui correspond à un reél changement de motivation. Il considère fondamentalement la ’propension 264 de l’être humain, son ouverture aux possibilités, et cette conviction s’avère un levier d’avènement.

Notes
241.

R. Feuerstein, Apprendre à être intelligent ?Le Journal des Psychologues, pp. 12-17.

242.

Conférence Afpim, 14 nov 1986, Paris, non publiée.

243.

Op., cit, Nombres 24-7.

244.

Conférence du 14 nov 1986, op., cit.

245.

S. Borie (S.), M. Mendes-France, Développer la modifiabilité par la construction d’expériences d’apprentissage médiatisées.

246.

S. Borie, M. Mendes-France, op., cit.

247.

Ibid.,

248.

Ibid.,

249.

Ibid.,

250.

R. Feuerstein, Le PEI, pp. 5 à 15.

251.

S. Borie, M. Mendes-France, op., cit.

252.

Ibid.,

253.

Ibid.,

254.

R. Feuerstein, Le PEI, op., cit.

255.

R. Feuerstein préfère la notion de propension ou propensité à celle de potentialité parce que cette dernière donne l’idée de la mesure qu’il réfute.

256.

R. Feuerstein préfère évoquer le passage d’un ’état’ à un autre de l’intelligence, plutôt que de parler de ’traits’ dont il réfute la connotation statique, figé, quantifiable.

257.

S. Borie (S.), M. Mendes-France, Développer la modifiabilité par la construction d’expériences d’apprentissage médiatisées.

258.

Cl Longhi, L’inspiration éducative de Reuven Feuerstein, p. 23.

259.

S. Borie, M. Mendés-France, op., cit.

260.

Ibid.,

261.

S. Borie, M. Mendés-France, op., cit.

262.

R. Feuerstein, Pédagogie de la médiation, op., cit, p. 129.

263.

S. Borie, M. Mendés-France, op., cit.

264.

Terme qu’il préfère à celui de potentiel : ’il serait préférable de ne plus utiliser le terme de potentiel car il a quelque-chose de limitatif, parlons plutôt de propension à l’apprentissage, notion dynamique du besoin de se mofifier.’, in Pédagogie de la médiation, op., cit, p. 124.