4. PEI et connaissance de lois.

En quoi la finalité du PEI procède-t-elle de l’éducation spirituelle ?

R. Feuerstein considère que l’homme est ’l’être modifiable par excellence308’. Il représente un système ouvert, puisqu’il peut bénéficier d’une connaissance d’expériences. Cette auto-plasticité l’inscrit virtuellement dans un processus de développement continu. Selon lui, ’il y a des individus qui ont de très grandes difficultés à bénéficier de leur exposition aux expériences, même si ces expériences sont extrêmement riches. Il y a des gens qui répètent les mêmes erreurs pendant des années. Il y a des gens que n’importe quelle exposition aux stimuli laisse absolument inchangés.309’. L’homme ne doit pas avoir peur du changement, ’Celui-ci n’a rien de pathologique, c’est le cours naturel de l’être humain, c’est typiquement pour l’être humain.310.’.

Or le but du PEI est d’augmenter la modifiabilité humaine, de développer un réfléchissement de sens qui, pour R. Feuerstein, est la définition même de l’intelligence. A propos d’activités de tâche, on propose une perception d’expérience, ’Créer dans l’individu la perception de ce qui se trouve à l’intérieur de nous. Donc, c’est rendre l’individu capable de réfléchir sur ce qu’il fait, sur les raisons de son succès, sur les raisons de son incapacité de faire certaines choses et, par cela, de trouver les moyens d’appliquer les stratégies qu’il vient d’acquérir dans des situations très diverses. 311 . C’est pourquoi la notion d’environnement doit être élargie à l’expérience interne ; ’il ne s’agit pas uniquement de regarder hors de nous, mais aussi de regarder en nous. 312 . R. Feuerstein précise que le but n’est pas de couvrir toute la gamme de l’expérience humaine, qui est beaucoup plus riche. Mais, quand il parle de l’apprentissage, c’est, selon la science cognitive, de former l’aptitude à apprendre en éduquant les pré-requis fonctionnels 313 de la pensée. Il déclare donc que ’ce n’est pas donner un contenu de pensée.’. Le but pratique est bien d’offrir les moyens d’une conquête de puissance personnelle par dépassement des obstacles et des erreurs. L’utilisation de ces ’structures mentales’ formées dans le cadre des expériences d’apprentissage médiatisées va libérer la progression vers la réussite selon la retrouvaille de chemins de puissance qui permettent d’affronter ou de modifier les obstacles au service d’une expansion propre. La connaissance de soi est d’abord une connaissance cognitive.

Pour cette connaissance, l’activité est très importante, car l’individu a ainsi l’expérience de cette résistance, qu’il doit surmonter en utilisant les ressources internes découvertes en lui-même, ’ignorer ou abandonner cette activité individuelle, cet effort que l’individu doit faire risque de ne pas permettre la prise de conscience, qui après cela peut devenir le point de départ pour la discussion et pour la médiation. 314 . L’auteur considère qu’il y a des qualités d’expériences qui ne peuvent être ’conçues’ qu’en fonction de l’activité de l’individu, ’en fonction de l’activité directe qu’il a en travaillant sur la tâche. 315 . Or ceci ne peut se faire simplement en y pensant, ’certaines personnes disent qu’il ne faut pas faire tout ça, on peut y penser (..) la pensée est fluide, elle ne s’accroche pas, elle ne crée pas cette réalité musculaire (..) donc tout en reconnaissant le fait qu’il faut limiter l’isolement de l’individu avec la page, en créant cette situation dans laquelle on discute de manière divergente, il doit y avoir une période de travail. 316 ’.

L’interpellation de l’expérience que véhicule le médiateur, par la ’discussion’ que celui-ci favorise à propos de la tâche, occasionne à travers l’échange, qui requiert une implication personnelle, une ’conceptualisation d’être’ qui est une ’compréhension d’être’ et qui, à la faveur d’un processus de décentration, permet une rencontre d’intelligence : ’Parfois on définit l’intelligence comme un acte inconscient. Nous sommes extrêmement contre cette condition ; ceci veut dire, même si l’acte est en soi inconscient, nous faisons tout pour rendre l’individu conscient.317’. En quelque sorte, on forme une connaissance d’être se sachant connaissant, qui est une connaissance d’intelligence.

R. Feuerstein insiste sur l’insight qui lui est constitutive, qui se découvre dans la conscience et dont la vertu première est la tranférabilité. Ainsi, favoriser l’insight, c’est développer la propension au réfléchissement de l’expérience, qui relève d’une forme d’installation sensorielle et mentale du vécu propre à une expérience privée, ’c’est le facteur de l’insight que nous essayons de donner. Parce que ce n’est que par cette insight que nous pouvons éspérer que l’individu dira : ah! ici j’ai utilisé cette stratégie pourquoi est-ce que je ne pourrais pas la reproduire autre part.318’. Pour cela, le médiateur favorise l’idée des clés de la réussite, ’Je dois savoir que c’est une clé que j’ai utilisée ici et qui a ouvert cette porte (..) avec cette clé je pourrais la réouvrir, ou réouvrir quelque part ailleurs. Donc c’est cet insight qui est nécessaire.319’. Le médiateur permet cette continuation, ’C’est un travail du médiateur pour que les mystères de travail dans les exercices de PEI deviennent connus et que l’individu puisse les maîtriser.320’.

Le but de la séance PEI est de générer des unités de sens qui aient un caractère d’universalité, des ’principes de Généralisation’ transférables à de nombreuses situations. Dès lors, l’apprentissage du lien est l’objet de connaissance. On établira ainsi des brigings, afin d’en élargir la portée.

Très concrètement, le guide du maître, édité par le Hadassah Wizo Canada Research Institute de Jérusalem, donne de nombreux exemples pour aider le praticien. Choisissons, a priori, l’instrument des ’relations temporelles’. On annonce que le but visé est de réorienter la perception du temps et de donner des concepts temporels pour décrire et organiser l’expérience du sujet. On lit notamment, dans les principes de généralisation proposés :

‘ ’Le temps est unidirectionnel ; on doit fixer un point de départ pour ordonner une série ; il existe un passé éloigné et un passé immédiat ; il y a un passé personnel, il y a un passé universel ; on se sert à la fois des expériences du passé et des perspectives sur l’avenir pour vivre le présent. Nos propres vies sont une partie minuscule du temps historique, qui a commencé bien avant le début de notre vie et qui continuera bien après. Dans un cycle, les mêmes éléments reviennent dans le même ordre.’.’

Mais la fin de la séance PEI est une connaissance de lois par les ’principes’ qui sont des unités de sens d’universalité, dont on vise le discernement et l’intériorisation. La connaissance cognitive, qui est une connaissance de soi, est ainsi finalisée par la loi. Dans le PEI, il y a donc une forte accointance entre la recherche de l’intelligence et la définition d’une unité de sens d’universalité, dont la transcendance introduit la Loi.

Dans le Judaïsme, la loi est l’image de Dieu. L’intelligence est définie comme une science qui augmente le savoir, qui permet de se rapprocher de Dieu, donc de la loi. Le développement de l’intelligence est un moyen de connaître la loi. On sait, comme nous l’évoquions précedemment, que la culture juïve encourage le développement des aptitudes cognitives, notamment pour le déchiffrement et la lecture de la Thora, dans les assemblées où les enfants sont conviés très jeunes. Aussi l’intelligence est-elle définie comme la science du Saint, qui est la connaissance de Dieu. L’intelligence est sagesse et la sagesse augmente le savoir. Autrement dit, l’intelligence permet la connaissance de la loi. R. Feuerstein déclarait ’ C’est un devoir de l’être humain de s’approcher le plus près possible de l’image de Dieu, de l’intelligence divine et ceci par le développement d’une spiritualité (..) 321 . La Thora enseigne : ’Mon fils, si tu élèves ta voix vers l’intelligence, si tu la cherches comme l’argent, et si tu la creuses comme pour découvrir un trésor (..) tu trouveras la connaissance de Dieu.’ (Le livre des proverbes, chap II, 1-22).

La connaissance cognitive comme connaissance de soi est une connaissance de la loi. Dieu étant identifié à la loi, la connaissance de la loi procède de l’humanisation de l’homme à l’image de Dieu322. Si, comme le déclare R. Feuerstein, ’l’être humain est un partenaire dans la création323’, il est médiateur de la Valeur.

Le PEI, par la formation cognitive, vise l’éducation spirituelle. R. Feuerstein déclare, ’nous sommes vidés de valeurs, nous nous sommes même vidés de certain type d’émotions qui ont donné une signification à notre vie, et ceci doit être rétabli, et ceci ne peut pas être rétabli sans une certaine maîtrise de notre pensée.324’. Aussi l’éducation de l’intelligence, très valorisée dans la culture juive, est-elle voie de salut.

Notes
308.

R. Feuerstein, Le PEI, pp. 5-15.

309.

Conférence Afpim, op., cit, p 4.

310.

Ibid., p 8.

311.

Ibid., p 11.

312.

S. Borie, M. Mendes-France, op., cit.

313.

Conceptualisés en terme de fonction cognitive et d’opérations mentales. La dominante fonctionnelle de la pensée correspond par exemple au besoin de faire une inférence, de générer une hypothèse, de percevoir le problème, d’être précis, exact, de vérifier, d’explorer, d’élargir le champ mental, de se décentrer, de planifier son activité, d’établir des liens, d’utiliser un vocabulaire adapté etc... Les opérations mentales sont définies par la pensée opératoire : la comparaison, la sériation, la pensée analogique, transitive. cf : Pédagogie de la médiation autour du PEI, chronique sociale, 1990, p. 146 à 150.

314.

S. Borie, M. Mendès-France, op., cit.

315.

Ibid.,

316.

Ibid.,

317.

Ibid.,

318.

Ibid.,

319.

Ibid.,

320.

Ibid.,

321.

R. Feuerstein, Médiation éducative et Educabilité cognitive, p. 19.

322.

Marie-jo Thiel souligne la place des interdits fondateurs dans le développement de la personne. La loi indique l’ alliance et donne un sens d’être. Elle positionne le sujet dans son identité, ’la loi peut trouver sa juste place : au service de l’amour et de la confiance pour une humanisation de toute la personne.’.

323.

S. Borie, M. Mendès-France, op., cit.

324.

Ibid.,