1. Une remise en cause.

En premier lieu, on observe que l’adoption d’une pédagogie coïncide avec une forme de remise en cause. La situation professionnelle est interrogée et problématique. Il y a une forme d’inquiétude. En même temps, on discerne, et on s’en indigne, des situations qui portent atteinte à la dignité de l’élève. On ne supporte pas l’injustice. La révolte intérieure incline à l’écoute de l’enfance en souffrance. Foncièrement, il ne s’agit pas d’une cupabilité en ersatz, mais d’un aveu commun et unanime. Rappelons que vingt-huit des enseignants interviewés expriment de la contrition, en même temps qu’une rébellion intérieure.

Il est notable, par ailleurs, qu’ils témoignent de leur propre expérience d’un mal et d’un vécu souffrant, correspondant à une mésestime d’être, d’une privation de reconnaissance, ayant eux-mêmes subi le mépris. On relate avec gravité des blessures existentielles imprimées dans la vie familiale ou scolaire, relevant d’une rupture de lien, dont on a le clair souvenir. Sept enseignants Freinet évoquent d’emblée les offenses subies à l’école. L’engagement dans la pratique innovante semble dès lors inscrire l’action dans une espérance de justification pour eux-mêmes et pour la personne blessée. Il y a une croyance en la restauration et en la réhabilitation de l’autre comme soi-même, pour lequel on escompte allègement et confirmation. La pédagogie s’avère implicitement un moyen d’actualiser cette attente et cette conviction.

Le choix pédagogique se légitimerait par l’espérance de la valeur, ’On a quand même des idées de rendre un peu l’homme meilleur, on tend vers un monde meilleur, on aspire à un monde meilleur (..) J’ai un désir d’absolu, ça me renforçe dans ma foi, dans mon espérance dans un monde meilleur.’. Nonobstant, ce n’est pas tant l’idée du progrès, au sens développemental, qui est mobilisée que celle de l’amélioration personnelle, au sens de la vertu. On reconnait ses propres fautes et on veut essayer de mieux faire, ’Tu te dis y a autre chose à faire (..) je ne pouvais plus enseigner comme ça (..) je ne leur tends plus de pièges.’. C’est pourquoi on est convaincu d’une perfectibilité propre. Cette forme de contrition personnelle est quelque-chose d’important, dont l’expression est suffisamment fréquente et homogène pour qu’on s’ interroge à son propos.