4. Une fortuité relative dans l’unité d’un itinéraire.

Les données recueillies laissent entrevoir, en réalité, que la pratique innovante est le signe d’une continuité temporelle d’un récit personnel car la mobilisation fait partie de l’histoire et de l’actualisation de la personne enseignante. Il y a un sens commun, celui de la recherche et de l’implication personnelle. Ainsi, les préoccupations éducatives se manifestent par des engagements divers dans la vie sociale, sur le plan associatif, culturel ou communal. Il y a, en quelque sorte, une vocation et une implication, si modestes soient-elles, dans le travail social.

Le choix pédagogique s’avère également en continuité de lien avec quelques aspects saillants de l’histoire personnelle, au sens où l’ on constate l’influence prégnante du relais humain dans la décision pédagogique. C’est dire que l’adhésion est relatée en référence à une ou plusieurs personnes, figures d’autorité. On dira :’c’est carrément affectif’.

Les enseignants témoignent de ces rencontres qui furent importantes dans leur vie, car elles ont été facteur d’influence et d’épanouissement de leur personnalité. Or, l’option pédagogique trouve également sa justification dans la rencontre personnelle du fondateur ou du disciple. Singulièrement, la conviction est fondée sur l’intuition du sens de l’homme, derrière la ’méthode’, ’si c’était x qui me l’avait présenté, j’aurais certainement moins adhéré.’. , ’l’homme que je pensais derrière ses écrits me touchait.’. On est touché par ses qualités humaines, par son attitude. On relate une relation édifiante, qui fût source de libération. Pour d’autres, la rencontre a permis une reconnaissance d’identité. On évoque le sentiment d’être soutenu et motivé. Considérer le poids de ces rencontres créatrices conduit à faire l’hypothèse qu’une forme d’’attachement personnel’ motive la volonté active et persévérante de la pratique.

Quelle que soit la pédagogie, on ne méséstime pas non plus le poids d’une éducation chrétienne très majoritaire, celui d’une présence parentale engagée, l’influence de personnalités spirituelles, d’hommes de religions, dont la présence éducative motiva des engagements. Mais on reconnaît surtout, à travers cela, une formation humaine propice à l’intériorisation de valeurs. Présentement, chez les praticiens Freinet, le rejet de l’aspect institutionnel de la religion est très franc ; on évoque l’embourgeoisement de l’Eglise. D’ailleurs, la plupart se déclarent athées et on se souvient avec amertume de la période catéchétique.

Certains argumentent d’une forme d’hérédité de positionnement politique. De fait, on assimile facilement les praticiens de l’Ecole Moderne à un positionnement politique de gauche ’on était très à gauche dans la famille’. Mais dans nos entretiens rappelons que nous n’avons rencontré aucun prosélytisme politique ou religieux mais un consensus et une conviction motrice, autour d’une valeur, celle de la personne.

Aussi le choix de la pratique persévérante de telle ou telle pédagogie est-elle produit par la rencontre d’un homme et d’un ’outil’ qui partagent des valeurs communes. Précisément parce que ces valeurs sont communes, il y a chez ces personnes un effort d’investigation permettant d’avoir une intelligence du procédé utilisé. C’est dire qu’ au-delà de l’instrument il y a un discernement de la finalité et des valeurs qui sont porteuses de la pratique, ainsi qu’une conception théorique du sujet apprenant. La pratique de telle ou telle pédagogie ne se limite pas à l’appropriation d’une boîte à outils dont les instruments seraient simplement appréciés quant à leur fonctionnalité pour façonner une structure. L’enseignant recours durablement à telle ou telle pratique parce qu’il discerne à travers telle ou telle pédagogie- mère l’immanence d’une certaine conception de l’homme, de son développement et de son éducation. La personne est au centre de la raison pédagogique, c’est-à-dire qu’ elle en est la fin.