CONCLUSION.

Nous avons trouvé que le fondement profond de l’adhésion durable dans une pratique pédagogique innovante relève fondamentalement d’une référence à la valeur de la personne ; que cette référence implicite traverse un itinéraire personnel qui rend compte d’une permanence, dans un trajet original. Cette reconnaissance engage le praticien à l’approfondissement d’une pratique dont il entrevoit une promesse d’intelligibilité. Il s’agit dès lors, de la rencontre d’ une personne et d’une méthode qui partagent des valeurs communes, précisément parce que ces valeurs sont communes il y a une investigation visant une intelligence du procédé utilisé. Car comme nous l’avons compris, l’adhésion ne saurait se résoudre à l’appropriation d’un ensemble de techniques, d’outillages méthodologiques, bien que necessaires, mais relève plus profondément du discernement d’une philosophie implicite de l’être, d’une certaine visée anthropologique de l’homme et de l’existence, au regard de telle ou telle référence. C’est l’idée ou l’intuition de la personne qui semble fondatrice d’une pratique innovante. Est-ce à dire que cette conclusion est généralisable à d’autres pratiques ? En tous cas, elle interroge le point de vue épistémologique en sciences pédagogiques, car elle pose de façon diachronique la question de la diversité et de l’unité des mouvements pédagogiques. Ce questionnement de fond renvoit ainsi à l’ éthique éducative.

Si la référence théorique fût singulièrement celle du personnalisme, avec son représentant E. Mounier, nous avons envisagé la notion de personne dans un sens large, laissant des ouvertures, invitant d’autres recherches. Sans doute est-ce en vertu de son statut spécifique, nous disions : ni scientifique, ni objectivable, que cette notion propose un champ de découverte et d’invention. Elle n’est pas une notion abstraite mais elle est incarnée et indissociable de l’acte, c’est pourquoi elle est source d’observation et d’invention, ce qui fonde, au demeurant, la démarche scientifique.

Si dans le cadre de cette recherche notre souci fût théorique et méthodologique, il n’en demeure pas moins que les limites de ce travail s’imposent au regard de la population investiguée, de sa qualité. Celle-ci est cependant méthodologiquement cohérente avec l’orientation spécifique de notre problématique qui intéresse l’engagement persévérant dans la pratique d’une pédagogie innovante. Nous avons travaillé avec des personnes convaincues. Le cas inverse aurait mérité une problématisation différente. Mais il faut reconnaître qu’il s’agit là d’une limite à toute généralisation abusive. En outre notre approche résolument clinique et qualitative - en raison de notre méthodologie sous la forme d’entretiens individuels- requérait un échantillon raisonnable, et par conséquent, un effectif réduit, excluant toute investigation statistique.

D’un autre côté, on s’interrogera : si notre perspective de recherche est d’ordre philosophique, celle-ci ne s’inscrirait-elle pas, d’une certaine façon, dans le champ sociologique ou micro-sociologique ? Dès lors qu’on s’intéresse à la psychologie des praticiens inscrits dans un groupe de référence, on interpelle le point de vue psychosociologique. Enfin, l’attitude, telle qu’elle désigne, selon P. Ricoeur, le concept fondateur de la personne, fût avant tout un concept de référence en psychologie-sociale. Autant de cadres disciplinaires, de théories psychologiques que nous n’avons pas exploitées par choix résolu, dans la mesure ou notre intuition de recherche nous guidait vers la pédagogie et le personnalisme, dont on connaît l’ancrage philosophique.

Et pourtant, on sait a quel point E. Mounier (notamment dans son traité du caractère) a des accents de psychologue. On questionne ici, de nouveau, le rapport entre la science et la philosophie, sujet épineux, tant sont imposées les frontières. L’hérméneutique comme méthode d’interprétation, se préoccupant de l’entendement du sens, de la définition de la finalité n’est-elle pas scientifique ? Le comment de la science est-il si éloigné du pourquoi de la philosophie ? Les causes immédiates sont-elles si distantes des causes dernières. L’observation de l’acte doit-il être déconnecté du sens qui le finalise ? N’y a-t-il de science que positive ? Quel est le statut de la foi par rapport à la science ? E. Stein affirmait ainsi une science de la personne.

Ces questions sont pour nous à la fois obscures et sensibles.