Vous pratiquez encore selon la méthode Freinet ?
Actuellement je n’ai plus d’élève puisque je suis conseiller pédagogique depuis 1984. Donc j’ai une démarche en pédagogie Freinet par rapport à la formation d’adultes que je fais à l’heure actuelle. Mais elle est beaucoup moins structurée que celle que je pratiquais quand j’avais des élèves. C’est plus des habitudes de fonctionnement en période d’apprentissage que je garde. Par contre j’ai pratiqué la pédagogie Freinet de 1968 à 1984 à l’école élèmentaire, au collège, dans des classes de transition et puis en suite dans des classes rurales avec ma femme dans des postes doubles. (ce sont des écoles à deux classes.).
Est-ce-que vous vous souvenez de la première fois où vous avez entendu parler de la méthode Freinet ?
Tout à fait, tout à fait, la première fois que j’en ai entendu parler, c’est dans le cadre de la quatrième année d’école normale et je m’en suis aperçu après-coup, c’est-à-dire qu’une fois que je suis arrivé au groupe Freinet, je me suis aperçu qu’en quatrième année d’école normale, y’avait eu un militant Freinet qui était venu un jeudi matin à l’ époque j’ai pas fait attention du fait que c’était coincé entre différentes choses.Voilà la première fois où j’ai eu contact avec la pédagogie Freinet. Ensuite la deuxième fois, je m’en souviens précisément de tout çà, j’étais en classe rurale, une école à deux classes avec ma femme et on galérait pour faire classe dans les écoles à plusieurs cours, puisqu’elle avait des gamins de CP, de CE1, de CE2 et moi CM1, CM2, avec des effectifs de trente-cinq gamins à peu près et puis on s’apercevait qu’on n’y arrivait pas et puis en ’farfouillant’ dans les greniers de cette vieille école, on a trouvé une imprimerie, on a trouvé des fichiers Freinet et on a trouvé une publication du mouvement Freinet et on s’est dit qu’il y avait peut-être des pistes de ce côté-là et on a pas poussé plus loin parce qu’on n’ avait pas le temps et puis ensuite le vrai contact, c’était dans l’année 1967/1968, j’avais un CE avec Quarante-quatre élèves et là j’en avais marre parce que ça faisait deux trois ans que j’avais la même classe et j’ai horreur de faire plusieurs années la même chose ça ne m’intéresse pas du tout et là l’inspecteur de la circonscription a fait passer une note, une note du groupe Freinet annonçant une réunion et là y’a quelque chose qui a fait ’tilt’ en particulier avec les publications que j’avais trouvées dans l’école, je me suis dit c’est peut-être une solution, donc je suis allé à la réunion et je suis rentré en contact comme ça avec le groupe des Y... où j’ai retrouvé l’original qui avait fait la conférence à l’école normale que j’ai reconnu et puis là dès la première réunion, ça m’a intéressé parce que ces réunions du mercredi c’était une époque où ils amenaient les gamins et elle faisait classe devant nous, ensuite on a pu discuter avec les gamins, en plus y’avait la vision de la classe qui est une organisation bien particulière et ça m’a bien plus et au retour j’ai commencé à mettre en place autant que je pouvais dans ma classe des textes libres et ce qu’on appelait le dessin libre, en fait des peintures sur des grandes feuilles, en jonglant parce qu’avec quarante-quatre élèves dans ma classe, j’avais peu de place et ensuite toute cette année-là, j’ai fréquenté les réunions du mercredi après-midi et à la fin de l’année ils m’ont proposé de travailler avec eux, pas seulement comme clients qui venaient assister aux réunions mais de m’intégrer dans leur groupe pour travailler à la fois à la conception des séquences et donc j’ai accepté parce que entre temps en plus il y avait une demande d’instits pour aller enseigner en transition et j’avais sauté sur’ l’occas’ parce que ça me permettait d’avoir que vingt-cinq élèves maximum et de ne plus avoir de programme.
C’était deux obstacles que j’avais pour la mise en place de la pédagogie Freinet dans ma classe, le fait que j’en avais quarante-quatre, le fait que j’avais un programme et des parents qui regardaient ce que je faisais. En transition, vingt-cinq élèves maximum des gamins qui sont déjà sur la voie de garage donc les parents nous ont pas trop embêtés, pas de programme, sinon un court texte du ministère prenant sans la citer la mise en place de la pédagogie Freinet dans ces classes-là, donc je jouais sur du velours, j’avais en plus à travailler avec l’INRP la recherche officielle n’était pas mise dans un baraquement au fond de la cour, mais elle était au centre du projet du collège.
Quand vous vous remémorez ce moment où vous avez eu envie d’aller à ces réunions Freinet vous y alliez avec des attentes particulières est-ce-que ça correspondait à un moment où vous cherchiez quelque chose pour les enfants?
Tout à fait, tout à fait. Je me suis aperçu que j’y étais allé non pas pour des raisons idéologiques, mais pour des raisons pédagogiques, didactiques. Donc comme je l’ai dit, je m’ennui très vite quand je fais deux fois la même chose dans la classe, je ne supporte pas du tout et donc en plus je m’apercevais que la manière d’apprendre qui était la manière qu’on appelle traditionnelle entre nous sans que ce soit un jugement de valeur maintenant... Les gamins avaient l’air de se raser, bon ils suivaient bien parce que c’étaient des enfants cadre supérieurs.. des choses comme ça, ils avaient une image de l’école positive, ça se passait bien, moi j’avais l’impression que c’était pas génial ce que je faisais, donc je cherchais une méthode qui me permettrait, d’abord un pour moi de m’intéresser plus à ce que je faisais, parce que je ferais quelque chose de nouveau, et puis au niveau des gamins quelque chose qui me permettrait d’intégrer... à l’époque les gamins ils nous apportaient des trucs qu’ils avaient trouvés dans le bois et je ne savais pas comment j’arriverais à les caser, des gamins qui m’apportaient, comme leurs parents étaient diplomates, des documents qui venaient de différents pays et j’arrivais pas à les intégrer, ça tombait comme des cheveux sur la soupe et ils avaient l’air intéressé, j’aurais bien eu envie d’en faire quelque chose. Pour moi c’était un peu l’image de la pédagogie Freinet. Ca me permettrait d’intégrer ces apports, ces intérêts des enfants et puis derrière y’avait une aventure, ça me plaisait bien, c’était ça la motivation......
Y’avait l’idée d’intégrer les intérêts des enfants que je devais laisser à la porte de l’école parce que j’arrivais pas du tout à les caser et puis donc les premières choses que j’ai mis en place, c’est-à-dire que paradoxalement j’aurais dû mettre en place un entretien avec les enfants, non, j’ai mis en place le texte libre, j’ai mis en place l’expression libre, maintenant je sais pourquoi d’ailleurs à travers l’expression écrite et les arts plastiques, la peinture et ça vient du fait qu’ à l’époque, les maîtres à penser du groupe des Y... étaient des collègues qui étaient très expression libre en particulier à travers les textes libres et la peinture.
Donc si j’ai bien compris, ce qui a été moteur au moins de votre intérêt à aller aux réunions c’était votre désir de renouveau pour vous-même...
Je m’ennuie dès que je fais quelque chose trop longtemps...
Et puis l’autre aspect, c’est que vous aviez eu déjà cette idée intuitivement par le fait que les enfants vous apportaient du matériel que vous aviez envie de réinvestir...
Mais je ne savais pas comment faire parce que je ne l’avais jamais connu dans ma scolarité personnelle et donc, je ne voyais pas du tout comment faire, alors y’a une autre chose qui me revient en mémoire maintenant qui se passe un peu avant soixante-sept, soixante-huit.... j’avais été en contact avec un instit Freinet pratiquant Belge, c’était un des fondateurs du mouvement Freinet Belge, il connaissait Freinet à l’époque. Le mouvement Belge a toujours eu une place importante dans le mouvement Freinet Français. J’étais pas encore instit, j’étais à l’école normale en formation et puis après ça je suis devenu instit, il est devenu ami avec mes parents et il était souvent à la maison. Ce belge sachant que j’étais instit, il m’a demandé comment je faisais la classe, il me racontait comment lui faisait la classe en pédagogie Freinet et je me souviens qu’à l’époque ça me paraissait très chouette ce qu’il me racontait, mais c’était tellement loin de mes pratiques que je ne voyais pas du tout du tout comment je pouvais introduire ça dans ma classe même si j’en avais envie. Donc j’étais très attiré par ce qu’il me racontait et en même temps dans ce qu’il me racontait, mais en même temps il m’était impossible d’en tirer des fils pour démarrer en classe.
Et en même temps quand vous revoyez cette situation de communication avec cette personne qu’est-ce qui vous attirait comme idée ?
Ce qui m’attirait comme idée, justement à travers ça, ce que je percevais, c’était que il pouvait travailler à partir des intérêts des enfants, mais la mise en oeuvre qu’il me racontait me paraissait d’une autre planète.
Donc au fond quand vous dites, votre intérêt pour la méthode Freinet ça a été ces trois ancrages : le besoin de renouveau, l’attente des enfants et la rencontre d’une personne, et puis des rencontres par hasard....
Parce que je dis toujours, quand l’inspectrice à fait circuler cette proposition de réunion du groupe Freinet, elle aurait fait circuler une proposition du GFEN ( Groupe Français d’Education Nouvelle.), c’est un groupe qui travaille je serais aller au GFEN et maintenant je serais un militant du GFEN. C’est pas un hasard si j’ai eu des contacts avec la pédagogie Freinet, c’est pas un hasard parce que c’est quand même la plus répandue en France à l’époque et à l’heure actuelle, c’est celle que j’avais le plus de chance de rencontrer statistiquement par rapport à sa diffusion.
Alors Freinet, il y a eu ces réunions et puis après vous vous êtes engagé, qu’est-ce qui vous a séduit au départ ?
Ce qui m’a séduit, j’essaie de me souvenir maintenant...
Quand vous revoyez la situation...
Oui je revois bien au début parce que c’est quelque chose d’important dans ma vie, je revois bien cette classe de S..., ce qui m’a frappé quand je suis rentré dans la classe c’est l’aspect de la classe qui était totalement différente des classes d’élémentaires que je connaissais...
Vous parlez de la dame qui...
Oui c’était un CE2 je me souviens dans un préfabriqué, et donc une classe totalement différente, y’avait des dessins d’affichés aux murs, y’avait des écrits d’affichés aux murs, les tables étaient disposées pas en rang d’oignon comme d’habitude et puis la deuxième chose qui m’a frappée, c’était la séquence de classe que jai vue avec une manière, c’était ce que m’avait raconté l’ami belge là donc que je voyais se dérouler devant moi, des gamins qui étaient partie prenante, qui participaient, qui prenaient des initiatives au niveau de la tâche etc...donc la fameuse motivation que je pressentais elle était là et ensuite par rapport à ce que m’avait décrit l’ami Belge, je voyais l’application pratique dans le droit fil de ce qu’il m’avait raconté et là comme tout instit praticien, en voyant la pratique, j’ai commencé à noter des idées de mise en oeuvre pour quand j’allais revenir dans ma classe le lendemain.
Donc ce qui vous a intéressé, c’est l’organisation de la classe...
Ce qui m’a frappé quand je suis arrivé c’est l’aspect de la classe, l’ambiance, tout ce qui était dans la classe, et puis les gens qui visitaient, parce que traditionnellement, l’instit de maison expliquait, pourquoi j’ai mis ça là, qu’est-ce-que c’est que ça etc...
Et autrement du point de vue de l’animatrice dans sa façon d’être avec les enfants...
Là, je risque de dire des bêtises parce que je sais que c’est N. qui avait fait ça, quelqu’un avec qui on a dirigé le groupe Freinet des Y...dont j’ai été très proche et avec qui on s’est fâché après pour des raisons pédagogiques...
A l’époque est-ce-qu’il y avait quelque chose dans son attitude qui vous avait intéressé, dans sa façon d’être...?
Pas vraiment, je pense pas, par contre c’est plus au niveau du groupe, parce-qu’elle n’était pas toute seule N... on était accueilli par six-huit personnes du groupe là qui étaient présents, donc là ce qui m’a frappé au niveau de l’entretien qui à suivi la classe, c’est des instits qui travaillaient autrement, comme j’avais envie de travailler et qui étaient capables de répondre à nos questions à toutes nos questions par rapport à la mise en oeuvre dans notre classe, des gens qui étaient très ouverts aux questions qui étaient très motivés par ce qu’ils faisaient et qui avaient envie de le transmettre, c’est très communicatif quoi, même si par ailleurs ce que j’ai perçu dès en premier, c’est que c’était très carré, des gens qui insistaient sur le fait que déjà à l’époque c’était pas n’importe quoi et qui fallait faire çà comme çà que c’était important, je m’apercevais que c’était un peu par rapport à l’image que j’avais, ça me satisfaisait plus parce que je voyais où j’allais, que c’était quelque chose de très construit, on allait mettre en place des situations pédagogiques, des situations didactiques et non pas... ça me donnait des repères par rapport à ce que je faisais.
Donc en fait ce n’est pas l’animatrice qui vous à un peu séduite dans son attitude, mais c’est au niveau du groupe...
Là je peux pas dire parce que c’était peut-être vrai mais euh vu que j’étais séduit après, je peux pas dire à quel moment, mais je pense pas que ce soit N... qui est séduit proprement dit, bien qu’elle est une aura telle que normale qu’elle séduise, mais je pense que c’est plus au niveau de l’ambiance du groupe, l’ambiance de communication dans le groupe, d’accueil et de communication..
Ce que j’ai cru comprendre avec une personne que j’ai vue la dernière fois, au niveau du mouvement Freinet le groupe prend beaucoup de...
Tout- à-fait, c’est toujours des groupes très affectifs...
Est-ce-que vous pouvez m’en parler un petit peu...
Oui tout à fait, moi je fonctionne assez sur l’affectivité, donc ça me convenait bien et donc là le groupe Freinet c’est toujours quelque chose de très très affectif et d’ailleurs, la séparation d’avec N... si le mot séparation convient a été vécu par les militants du groupe comme un divorce dans un couple, ça à été aussi orageux les séances qui ont conduit à la séparation effectivement on est tous marqués comme si on avait euh... enfin j’ai jamais divorcé, mais comme je pense que ça peu être au niveau d’un divorce dans un couple, c’est à ce point là... et les relations que l’on a maintenant, sont des relations de vieux amants, bien que ce soit au niveau des amours pédagogiques, encore attirés pour aller se voir, avoir envie de se voir et puis en même temps on va pas se voir et puis etc... et puis quand on a envie de se voir, on a envie de se sauter dans les bras pour se faire des bises comme on faisait avant et en même temps se sortir des méchancetés. ( pause)
Oui alors on était parti sur...
Sur l’affectivité...
Oui, le groupe qui vous convient bien et en même temps vous dites, ça fait référence à votre personne dans le sens où vous fonctionnez aussi...
Oui je fonctionne pas mal à l’affectif.
Dans cette rencontre avec le mouvement Freinet, y’a eu le groupe, y’a eu les idées tout ça, est-ce-que vous pensez que cette chaleur qu’il y avait dans le groupe et notamment l’amitié entre les gens à été de nature à vous faire persévérer, à été important aussi..?
Par rapport à ma présence dans le groupe... Est-ce-que c’est quelque chose qui était important le côté convivial.....je réfléchis par rapport aux autres groupes dans lesquels je travaillais. Je suis entrain de réfléchir.... La réponse est oui...oui, oui, parce que dans les autres groupes où je fonctionnais à l’époque, l’affectivité était pas... dans le groupe Freinet l’affectivité est quand même à la base du groupe... dans le groupe où je travaillais, j’étais militant syndical, y’avait une affectivité, mais c’était pas à la base du fonctionnement tandis que dans le groupe Freinet l’affectivité est un moteur du groupe et en même temps c’est ce qui le gêne le plus.
ça consolidé votre adhésion au départ, ça pas été anodin ?
Ca pas été anodin, même si dès le début, j’ai essayé de gérer çà en me situant dans le groupe et en ayant des relations affectives qui m’engagent pas trop profondément pour me protéger.... En plus quand c’est quelque chose qui m’intéresse, je suis toujours partant, je m’engage à fond au niveau travail surtout, bon j’avais perçu aussi que ça fonctionnait parfois un peu trop sur l’affectif et j’avais peur de me faire avoir, bon je rentrais mais ...bon.... en particulier avec la N. en question.
Et alors au niveau des idées qui étaient véhiculées chez Freinet, si vous vous rappelez dans les premiers temps, qu’est-ce qui vous intéressait ?
On parle de...
Y’a deux choses, y’a l’aspect pratique, la mise en pratique et puis y’a peut-être les idées, je ne sais pas peut-être plus philosophiques.
C’est ce que j’allais vous dire, oui c’est-à-dire qu’il va y avoir des idées qui sont plus de l’idéologie et puis après ça de la pédagogie. On peut parler déjà un peu de l’idéologie, mais c’est pas ce que vous vouliez...
Si...tout à fait.
L’idéologie ça m’a pas surpris parce que j’étais dans une mouvance idéologique de gauche proche du PC à l’époque de part mon engagement syndical et puis là dans le mouvement Freinet des gens engagés politiquement avec le même combat et même à l’époque les dirigeants étaient adhérents du PC même et puis les autres étaient des gens qui gravitaient autour et donc je retrouvais un environnement idéologique qui correspondait au mien, qui correspondait à mon engagement syndical de l’époque. Donc pour le situer, tous les gens qui étaient là se situaient dans le socialisme utopique style 19 ème, plus que dans le communisme de type Stalinien, d’ailleurs c’était juste après soixante-huit. Donc ça m’a pas beaucoup désorienté et après ça ce qui m’a plu tout de suite après, c’est que ça me permettait de mettre en oeuvre dans la classe en cohérence mes idées politiques et ma pratique de classe puisque je voyais qu’en mettant ça en oeuvre je formerai un citoyen pour avoir plus de chance d’être un citoyen critique autonome, beaucoup moins manipulé par la société en pratiquant ce type de pédagogie, comme ça, ça m’incitait à continuer et à y rester comme ça, ça me permettait d’avoir une cohérence entre mes pratiques militantes et mes pratiques professionnelles et mes pratiques de vie, donc là cette cohérence a fait que je suis resté dans le groupe Freinet.
Revenons à cette cohérence vous et puis finalement ce qui était véhiculé chez Freinet. Au départ qu’est-ce-que vous avez identifié comme type d’idéologie chez Freinet qui vous convenait bien...qu’elles étaient ces grandes idées ?
Ba la grande idée c’était à la fois le non endoctrinement et en même temps la mise en place d’un fonctionnement de classe qui habitue les enfants à fonctionner comme futur citoyen avec un équilibre entre les deux. J’aurais pas accepté une école qui endoctrinerait les enfants, même pour la bonne cause et là je m’apercevais que j’avais comme j’ai dit tout à l’heure un fonctionnement qui permettait aux enfants dès l’école d’expérimenter des savoir-faire, des attitudes qui sont des savoir-faire et des attitudes d’un citoyen responsable, donc c’était à la fois la formation du citoyen puisque dans la charte de Freinet qui existe toujours, y’avait dans les premiers articles le non endoctrinement et puis on travail pour une société de non exploitation de l’homme par l’homme, alors ça, ça me plaisait bien c’est deux idées-là au début, c’est ça que j’ai identifié en premier dans le mouvement Freinet donc quelque chose de très idéologique et ça venait de mon fonctionnement, de ma formation auparavant, c’était tout à fait cohérent. Par exemple on parlait de GFEN tout à l’heure qui était à l’époque la courroie de transmission pédagogique du parti communiste sur l’école, si j’y étais allé, si j’étais tombé là-dessus au lieu du groupe Freinet, ça m’aurait sans doute séduit au niveau de la mise en oeuvre pédagogique parce que c’était très très proche, mais je les aurais sans doute lâché au niveau idéologique parce que, ils étaient beaucoup plus massifs... Freinet me convenait bien.
On va essayer de creuser un petit peu cet aspect des choses sur l’idée que vous avez de l’enfant que vous voulez promouvoir.... un peu l’idéal ?
Oui alors l’homme qu’on cherchait à former à travers l’enfant...
Que vous personnellement...
Qui moi personnellement ?.. Ba j’avais envie par rapport au vécu de l’époque, il faut bien se resituer... j’ai bénéficié, à l’époque quand on était à l’EN on était en classe pour avoir notre BAC parce-qu’on savait que si on loupait notre BAC notre sursis sautait et on partait tout de suite, c’était une motivation puissante pour suivre ses études, mai 68 là-dessus, donc le gamin qu’on voulait, que je voulais former, mais je dis qu’on, parce que à la fois le groupe Freinet et en même temps des gens du syndicat, c’était vraiment un gamin qui serait suffisamment lucide pour éviter de se faire avoir, c’est-à-dire en clair, qui arriverait à lire, qu’aurait une lecture de la société qui lui permettrait de se positionner et de faire les deux choix possibles : Le choix de vivre sa vie en utilisant la société en faisant attention qu’elle ait pas trop de prise sur lui, donc une vie marginale si vous voulez ou alors ce qu’on préférerait nous qu’il apprenne à lire et donc à utiliser les rouages de la société pour la faire évoluer, rentrer dedans en tant que militant et la faire évoluer au service de tous en prenant des responsabilités syndicales, politiques, on cherchait à former des militants soient politiques, soient pédagogiques pour transformer la société, pareil, pour avoir une société meilleure comme on dit, c’était ça, donc un objectif très militant de formation de l’individu pas seulement pour le citoyen, mais c’était on forme des militants, mais en même temps pas d’endoctrinement....(rire.)
Vous dites on formait, on avait cette idée, ça été transversal à toute votre pratique ?
si on prend le facteur temps... Ah tout à fait, maintenant ça reste pareil, ça reste pareil, ça et dans mon travail avec les adultes ça reste pareil.
Donc ça porte votre activité.
Ca porte mon activité, je fonctionne, mon moteur principal, c’est l’idéologie... Je suis ravi d’être dans ce métier parce que ça me permet de garder cette cohérence entre mon idéologie et mes pratiques pour l’instant parce que dans la place où je suis, j’ai eu ce poste en 84 la gauche est arrivée au pouvoir en 80, si ça change, j’aurais peut-être des problèmes de contradiction, parce que pour le moment je suis amené à participer à des mises en oeuvres de la politique du gouvernement je me poserai peut-être des questions plus tard... en tout cas je ne me sentirai pas capable de mettre en oeuvre des choses auxquelles je n’adhérerais pas.
Vous disiez au fond tout ça pour permettre d’être militant, de changer la société au service de tous.
Au service de tous, au service de l’homme avec un grand H, c’est-à-dire pas au service d’un parti, pas au service d’un système, même à l’époque le système était à définir... à cette époque-là on parlait d’autogestion on savait pas trop ce que ça recouvrait puisque même en Yougoslavie y’avait de l’autogestion qui était en pratique dans un système totalitaire, donc on savait pas trop, c’était un système autogestionnaire, c’était l’époque du BSU, c’était pas au service de quelque chose de construit, c’était quelque chose à construire, mais par contre comme je l’ai dit tout à l’heure, on préférait plutôt qu’ils prennent la voie, notre enfant devenant adulte plutôt que de devenir marginal et Hippie, qu’il s’oriente vers le militantisme pour bouger la société au service de l’homme.
Et quand vous dites au service de l’homme, au service de tous, au service de quelque chose qui est meilleur, pour affiner un peu votre idéologie, quelles seraient les valeurs auxquelles vous vous rattachez et qui sont porteuses de cette idée ?
Ba les valeurs auxquelles je me rattacherais ça serait, les valeurs de fraternité en premier et puis ensuite je ne sais pas après la fraternité...
Vous entendez par fraternité...
Fraternité c’est l’idée de rapports complètement utopiques, de rapports humains, comment dire sans arrière-pensée... non parce que c’est pas possible...(rire) non mais je veux dire, des rapports humains basés sur une idée de la personne humaine qui inclut son respect. Respect profond de la personne humaine dans les rapports humains. C’est-à-dire que en pratique on va pas essayer d’avoir l’autre ou on est pas d’accord avec lui et on va se confronter avec lui verbalement en disant franchement qu’on est pas d’accord on essaiera pas de l’avoir par en dessous ou de l’exploiter à son insu, quelque chose de très utopique, mais c’était ça l’idée.
Alors les modèles de société qui étaient derrière, on y avait réfléchi un peu au niveau du mouvement Freinet parce que on avait le modèle de la classe qui était une micro-société protégée fermée par l’institution, en sachant que c’était pas un modèle transposable parce que ça ressemblait à la démocratie Grecque, les instits représentant les sages qui orientaient le peuple vers une démocratie... alors ça on a vu ce que ça a pu donner au début du vingtième, quelque part y’a du fascisme là-dedans au niveau idéologique, donc, le modèle qu’on avait en classe, il fonctionnait dans une institution fermée avec un sage qui était l’instit donc c’était pas transposable, on a vécu au niveau de mini communauté post-soixante-’huitarde’en autogestion, mais en groupe restreint, on voyait pas tellement comment ça pouvait fonctionner au niveau d’un pays, puisqu’on était à l’époque contre la démocratie représentative... à la limite sur une commune, mais on ne pouvait pas aller tellement au-delà puisque c’était impossible d’arriver à cette démocratie participative, donc bon on n’allait pas chercher plus loin non plus.... je ne sais pas si j’ai répondu.
En fait on était parti de l’idéologie sous-jacente, vous disiez le non endoctrinement, former un futur citoyen et je vous avais demandé l’idée que vous aviez du développement de l’enfant en tant que personne... les valeurs... et vous disiez, c’est la fraternité et le respect des individus en tant que personne. Est-ce qu’il y a d’autres valeurs qui vous viennent à l’esprit et qui sont importantes pour vous ?
Non, non, je veux dire par rapport à la valeur liberté la fraternité passerait avant. Si fallait faire un choix, bien que je connaisse les dérives qui sont arrivées à l’Est avec ça... bon je sais aussi que pour fonctionner comme ça, il faut mettre un certain nombre de règles communes en place et que donc ces règles communes sont des entraves à la liberté. Pour moi la différence que je ferais, je veux dire par rapport à mon gamin tout à l’heure qu’il y a ces deux choix possibles, le choix de la liberté absolue entre guillemets, ce serait le marginal hippie et donc mon militant il va faire le choix de.. pour travailler au développement de la fraternité et du respect de l’homme il va faire le choix de mettre la liberté au deuxième plan.. s’il fallait situer par rapport à cette valeur-là.
Et quand vous voyez cet enfant dont vous aimeriez bien qu’il ait les qualités d’un militant au service de l’humain, quelles types d’action vous voyez qu’il pourrait faire ?
Quand il sera adulte ?
Oui
Ba le type d’action il était clairement défini, c’était soit un engagement comme militant syndical pour se défendre vis-à-vis de ce qu’on appelait à l’époque le patronnat.. soit s’engager au niveau politique pour lutter contre ça en restant dans la politique traditionnelle sans aller dans le terrorisme et à l’époque c’était possible. Donc c’était vraiment, des gens, des militants.
Donc ça c’est la partie idéologie, si on revient à la partie pédagogique, comment...
Comment mettre ça en place, en classe ? C’était lié en bonne partie à ce qui a été mon axe premier dans toute la première partie de mon travail en pédagogie Freinet c’est-à-dire la vie coopérative c’est-à-dire la mise en place d’une institution de co-gestion de la classe, entre l’instituteur et les élèves par l’intermédiaire pour parler dans le langage courant d’une assemblée générale dans laquelle sont débattus non seulement les problèmes de conflits à l’intérieur du groupe et les problèmes de travail à faire, d’information. Il faut dire en pédagogie Freinet ce qui n’a pas été dit depuis le début, c’est que comme on tient à rester à l’école public pour des raisons idéologiques, c’est l’école de la république et donc du peuple et de tout le monde, donc on tient à tout pris que les gamins qui passent chez nous ne soient pas les cobayes de notre pédagogie donc on fait le programme, donc le gamin s’il change de classe il faut pas qu’il soit ’planté’. Pour réaliser ça.. d’où cette fuite vers des structures de l’éducation nationale qui permettent ces espaces de liberté, qui était les classes de transition, les classes d’enseignement spécialisé et pour moi c’était une des raisons de mon départ vers les classes rurales avec une plus grande liberté, on avait pas de directeur sur le dos. Tout ça pour mettre en place des pédagogies coopératives qui nous permettait de rôder avec les enfants la direction de réunion avec tout ce que ça comporte, l’éducation de la prise de parole.. qui sera utile à notre futur militant.. pour travailler la prise de décision par rapport à une tâche, à une tâche matériel, l’apprentissage de la mise en place d’analyse des structurations d’une tâche....donner des outils et puis qu’il analyse après, alors ça on le travaillait par l’entretien en introduisant...( pause)
Oui à travers les programmes scolaires, je vais revenir là-dessus, parce que toutes ces techniques qu’on mettait en classe, nous permettaient aussi par rapport à l’apprentissage de traiter les programmes scolaires parce que ce qui c’est peu à peu mis en place dans mon évolution dans la pédagogie Freinet, j’ai gardé ça la formation du citoyen et le deuxième axe qu’on a mis en place c’était l’axe qui correspondait à la même formation de la personne autonome ... ces techniques-là on s’apercevait qu’elles permettaient de mettre en place aussi un enfant et plus tard un adulte autonome par rapport au savoir, je m’explique, quand on s’aperçoit qu’il a besoin d’une formation pour développer ses compétences, il va être capable de trouver les personnes ressources et de se construire un parcours de formation en fonction de ce dont il a besoin, plutôt que de se dire bon je vais me former à l’université et là-bas je m’inscris dans ’machin-chose’, on le gavera et normalement ça devrait marcher et ça, ça a été un deuxième grand point d’appui de notre travail dans la pédagogie Freinet parce que ça nous paraissait important au niveau de la formation de notre gamin, qu’il ne soit pas dépendant des savoirs au sens de transmetteur de savoir.
Qu’il prenne en charge sa formation...
C’est ça qu’il prenne en charge sa formation, qu’il sache identifier les lieux, qu’il cherche, donc là, ça mettait ça en place.
Les moyens concrets que vous aviez..
C’était d’abord dans cette réunion, on balançait au gamin, il avait le programme qu’il devait acquérir et c’était à eux de discuter avec nous pour savoir comment ils allaient l’acquérir.
Par exemple comment ça se passait pour l’apprentissage des opérations?
Ba j’ai besoin de savoir la division à deux chiffres diviseurs en CM2 pour passer au collège : ’ tu as besoin de savoir ça, comment tu va faire ? ’ Il savait qu’il y avait des manuels donc il allait chercher des manuels de classe ’ Et puis après comment tu va faire ? ’, ’Toi tu sais, oui moi je sais, y’a des gamins qui savent aussi ’, donc ils se construisaient un petit truc.. ça c’était pour un truc purement scolaire, par contre s’il voulait savoir le diplodocus il faudrait qu’il pense à se renseigner dans les musées peut-être ?
Donc si je comprends bien dans tout ce que vous me dites y’a cette activité tournée autour de former un certain état d’esprit .. l’autonomie, la possibilité qu’il soit militant... Lui transmettre quand même un contenu pour qu’il puisse ensuite passer dans les classes, mais l’ouvrir aussi à d’autres contenus, y’a pas que le programme, suivre un peu son désir.
Alors ça, ça revient un peu à ce qu’on a dit au début, suivre ses désirs, même si c’est un peu hors programme avec quelque chose qui a avancé au fur et à mesure que je me suis perfectionné en pédagogie Freinet c’est la différence entre le spontané et les désirs profonds, parce que si dans la prime enfance le spontané n’est pas très éloigné des désirs profonds au fur et à mesure que le gamin se scolarise il s’intègre à la société on s’apercevait d’un écart important entre le spontané et ses désirs profonds en particulier dans la pédagogie traditionnelle, nous on cherchait à les faire identifier ses désirs profonds par rapport au spontané, c’est une manière de ne pas se faire avoir, de ne pas confondre ses désirs spontanés et ses désirs profonds en particulier dans une société de consommation où on joue à mort sur les désirs spontanés.
Ca, ça vous est apparu après une maturation...
Ca, ça m’est apparu par la formation avec le groupe, le plus lisible pour nous ça a été au niveau des arts plastiques, de la peinture. Par exemple, moi j’étais en transition avec mes gamins vers 14-15 ans c’était l’époque de ’Satanas et Diabolo’ à la télé, bon ba les gamins nous peignaient Satanas dans sa grande voiture fusée.
Alors là on parlait de la classe et au niveau de votre groupe de travail..
Le groupe Freinet ? Est-ce-que vous travaillez sur l’idéologie ou c’est un commun accord, c’est implicite ou est-ce-que vous travaillez sur la pratique, la recherche de nouvelles pratiques ?
On travaille sur la pratique, on travaille uniquement sur la pratique, parce que le mouvement Freinet s’est appelé enfin ça jamais été clair, maintenant ça s’appelle pédagogie Freinet, ça s’appelait pendant un moment techniques Freinet. Notre fonctionnement de travail est, on pratique, on théorise après toujours, toujours, si on a le temps. La raison c’est qu’on est des praticiens des instituteurs, nous sommes pris par la pratique de classe journalière, donc ce qui nous intéresse c’est la pratique d’abord, on a pas une formation de théoricien. On a du mal d’ailleurs a intégrer les apports extérieurs, didactiques parce que si c’est trop théorique on n’arrive pas à lire... donc on travaille uniquement la pratique, donc l’idéologie ou la théorisation elle vient après... comment mettre en place le texte libre, comment mettre en place la technologie...
Donc vous parlez très rarement de ces idées dont...
Nous on ne l’inscrit pas à l’ordre du jour en tant que tel, c’est implicite entre nous, bon il arrive qu’on en..il arrive rarement qu’on en parle sauf sous forme de..oui d’implicite qui devient explicite autour d’une phrase, mais y’a jamais discussion idéologique. On avait, dans le post soixante-huit là, mais c’était l’histoire du mouvement ça et puis des idées, on avait un fort consensus là-dessus avec des militants athées, des militants catho, des militants PC qui deviendraient plus-tard des écolo, bon et qui sous-tendait nos pratiques, bon y’avait un accord commun là-dessous, ce qui d’ailleurs a provoqué dans le groupe une certaine gène, parce qu’on avait dans le groupe un copain qui était RPR, d’ailleurs ça s’appelait pas comme ça à l’époque qui était intéressé par les pratiques de classe, dont on savait au niveau idéologique.. bon le côté démocratique, on était d’accord, l’autre côté tendance de gauche, ça, ça ne le satisfaisait pas, ça, ça gênait un peu dans le groupe. On causait moins parce qu’il était là, on voulait pas le choquer parce que c’était un bon copain et puis lui nous a quitté d’ailleurs ça doit être pour ça.
Donc dans le mouvement Freinet on retrouve des gens de...
On retrouve des gens de la mouvance de gauche de 68, donc on va retrouver.. à quelle époque ?
Maintenant.
Maintenant on retrouve principalement les ex PC, on retrouve des militants de catho de gauche, on retrouve des écolos, on retrouve des militants PS ou d’ex - militants PS, donc on va pas plus loin que le PS qui est déjà bien à droite maintenant.
Tout à l’heure on parlait d’implicite entre vous, mais est-ce-que vous pensez que vous, vous pensez sincèrement que dans votre groupe, vous êtes tous sur un accord commun où vous savez pas trop.
En 92 dans le groupe tel qu’il fonctionne à l’heure actuelle, c’est un implicite, mais qui n’est pas élucidé du tout, il est pas élucidé du tout. Les vieux copains qui sont là depuis longtemps, on se connaît suffisamment pour savoir qu’on est à peu près sur la même longueur d’onde, enfin qu’il y a un consensus qui est quand même massif, un noyau dur. Par contre sur des militants plus récents, on est pas sûr et personnellement j’ai une espèce de pudeur à le mettre sur le tapis, personnellement, je ne voudrais pas parler pour les copains du groupe qui sont là depuis longtemps.
Est-ce-que c’est gênant ça pour le fonctionnement ?
Pour le moment ça nous a pas trop gêné parce que notre objet de travail c’est toujours, la pédagogie et la didactique, donc les pratiques de classe au ras des pâquerettes, transmettre nos pratiques, transmettre nos techniques pour que les gens... en pratiquant, on va se poser des questions on va peut être amené à recourir à des questions de théories de l’apprentissage, mais pour le moment ça pas eu l’air de nous gêner, puisqu’on a même intégré cette année, alors que normalement on devrait la foutre dehors, dans les statuts de l’ICEM, une instit d’une école Catho. On ne l’avait pas identifiée comme telle au niveau de son comportement et tout... on le sait maintenant ça nous gène pas, normalement d’après nos statuts, on ne devrait pas accepter des gens de l’école privée.
Et pourquoi ça ?
Parce que c’est l’idéologie laïc, mais je pense qu’elle a beaucoup évoluée, y’a encore dix ans on l’aurait foutu dehors, je dis pas qu’après mars si les autres nous pompe l’air, ça pose pas de problèmes.
En même temps y’a des gens de Freinet qui sont catho.
Oui mais ils sont catho et instit dans le public, pour ne pas le citer J.. il est militant catholique de gauche, ça nous gène pas que ce soit des catho, mais elle s’est une enseignante qui est enseignante dans l’enseignement privé catholique et ça normalement dans le mouvement Freinet on devrait la foutre dehors, par rapport à l’histoire du mouvement.
Vous en tant que personne ?
Moi en tant que personne ça ne me gène pas du tout, je ne dis pas que ça ne me gênera pas toujours parce que la guerre scolaire elle peut être rallumée.
Alors je vais aborder un autre plan...
Y’a une chose que je voudrais dire par rapport à l’idéologie qui peut être intéressante, par rapport à l’histoire du mouvement. On a eu après soixante-huit l’arrivée des gauchistes, dans le mouvement Freinet, gauchiste au sens ou il venait politiquement du Maoïsme, du troskisme. Ils sont venus et il y a eu des tentatives de noyautage du mouvement, j’étais responsable national à l’époque. Notre type de fonctionnement les a complètement désorienté, parce-qu’on avait pas de structure de fonctionnement par éléction, on chargeait les copains et les copines qui étaient les plus compétentes à notre avis, on les cooptait, ils devenaient chefs sur deux ans trois ans. On leur disait ce qu’on voulait qu’ils fassent pour le mouvement et puis quand c’était fini, ils étaient renvoyés à leur militantisme...
Alors je vais vous diriger sur un autre versant de l’entretien, celui de votre propre itinéraire scolaire et professionnel.
Ba je crois que j’ai tout dit tout à l’heure parce que à travers mon parcours scolaire, j’ai eu aucune rencontre avec Freinet ou avec les pédagogies dites modernes....
Mais ce désir de promouvoir un individu autonome, responsable, çà s’ancre comment chez vous ?
Ba, alors là, ma nourrice était une directrice d’école traditionnelle, c’est elle qui m’a élevé parce que mes parents travaillaient tous les deux, je passais tout mon temps chez elle j’allais juste dormir chez mes parents c’est d’ailleurs pour ça que je suis devenu instit, j’ai pas choisi, j’avais pas le choix. Je devais devenir instit puisqu’elle avait choisi, elle était directrice d’école elle n’était pas passée par l’école normale, je devais faire l’école normale, y’avait peu de chance quand on était sur les rails de dérailler.
Donc cette personne-là a eu une influence importante..
Une influence tout-à-fait prédominante puisqu’elle a orienté complètement mon parcours scolaire elle m’a fait inscrire pour..? on s’engageait pour quatorze ans, en troisième ils s’engageaient à ce qu’on soit instit pendant dix ans, donc ils m’engageaient jusqu’à vingt-neuf ans puisque j’ai été instit à dix-neuf ans.
Quand vous revoyez ce passé est-ce-que c’était l’admiration de cette personne est-ce-que c’était....
Pourquoi est-ce-que je suis devenu instit ?
Oui.
Parce que je suis très obéissant, non mais c’est ça le vrai fondement parcequ’elle avait une forte influence sur moi c’était très valorisant à l’époque de passer le concours de l’école normale en fin de troisième. Y’avait quatre-vingt-dix places et mille candidats, c’était être sûr d’avoir son bac, c’était être sur d’avoir un emploi. Voilà, j’étais un bon élève en troisième.
Vous étiez un bon élève tout au long de votre..
Non pas forcément, un an sur deux.
vous avez eu des échecs ?
Non aucun, j’ai appris à lire à la maternelle, je suis rentré en CE1 avec pratiquement deux ans d’avance puisque je suis de janvier, j’ai échoué à l’examen d’entrée en sixième après j’ai fait un parcours en quatre ans au cours complémentaire après à quatorze ans j’ai eu mon bac et puis... j’étais trop petit, pas apte pour rentrer dans la fonction publique donc j’ai été dans un lycée faire une seconde préparatoire à l’école normale et puis après je suis rentré à l’EN et là j’étais assez moyen, en sachant que j’avais pas envie de devenir instit depuis le début et que c’était général puisque sur quatre-vingt-dix normaliens, y’en avait cinq qui voulaient devenir instit et puis en plus on n’avait plus trop le choix avec la guerre Algérie derrière.
Et au fond pour revenir à l’idéologie...
L’idéologie, je pense que cette dame, la directrice qui m’a élevé était quelqu’un qui était d’extrême gauche au sens proche du parti communiste lié à la résistance. Elle était pas au PC, elle lisait pas l’humanité. Elle lisait libération, mais le libération qui était issu de la libération. Elle lisait combat, les deux journaux de gauche qui était issu de la résistance. C’était la gauche non communiste. Alors je pense que c’est là que j’ai baigné là-dedans. C’est elle qui m’a indiqué ce que je devais lire, c’est aussi elle qui m’a initié au cinéma. C’est pas un hasard si on allait voir les films de Zeinstein (?) à Paris, donc je pense que ça vient de là un peu. J’ai été élevé par un instit du début du siècle, dans l’idéologie des instits du début du siècle, bon avec ça... c’est pour ça que je suis parti là-dessus. Bon mes parents par contre, moins d’idéologie, bon des gens qui votaient sans doute à gauche mais qui n’étaient pas si marqués que la personne qui m’a élevé, je pense que c’est elle qui m’a marqué. Par contre elle était pas Freinet du tout elle m’en a jamais parlé, je suis pas sur qu’elle en est entendu parler.
Avez-vous des responsabilités dans d’autres associations...?
A l’époque quand j’étais dans le mouvement Freinet, j’étais délégué syndical, un des dirigeants départemental d’un syndicat qui était responsable d’un secteur géographique à tendance pro-communiste, c’était un syndicat d’instituteur où y’avait une tendance pro-socialiste, pro-communiste et pro-trotskiste et une tendance libertaire. Donc au moment où j’étais dirigeant Freinet au niveau national, j’étais aussi un dirigeant départemental du syndicat des instituteurs, je menais ça de front en parallèle. J’ai abandonné mes responsabilités syndicales pour des raisons idéologique, parce que le syndicat où j’étais prenait des positions politiques de plus en plus radicales, de plus en plus proches des pays de l’Est le totalitarisme. J’aurais bien voulu aller dans la tendance libertaire, mais c’était pas possible du fait du vécu que j’avais de militant syndical dans le département. J’ai carrément changé de boutique et je suis parti à la CFD mais je ne suis pas militant. Par contre je continu à être militant dans le groupe Freinet. Par contre j’ai jamais adhéré à un parti politique, parce que chaque fois y’avait le côté endoctrinement qui ne me plaisait pas quel que soit le parti. Maintenant mon idéologie elle passera à travers le syndicat, bien que je m’y consacre pas trop et puis le mouvement.
Cette idéologie de base c’est toujours celle dont on parlait au départ.
Même si elle est un peu à l’heure actuelle, pas désabusée. Je ne suis plus désabusé, j’ai été désabusé maintenant je suis de nouveau plein d’espoir ( rire.). Non je pense que avec la fin du bloc de l’Est, avec le libéralisme sauvage qui s’est planté aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, je pense qu’en Europe tout au moins.....devrait nous permettre la mise en place d’une société plus fraternelle enfin d’une certaine manière, et du fait de notre culture politique qui est une culture très démocratique et très participative, très proche des gens... je pense que..moi je suis assez confiant dans l’avenir au niveau des avancées démocratiques.
Et au niveau de votre travail maintenant de conseiller pédagogique, qu’est-ce-qui est moteur de votre action ?
Et bien la réponse que j’ai envie de donner c’est pas grand-chose, j’ai été très perdu quand je suis devenu conseiller pédagogique. La raison pour laquelle je suis devenu conseiller pédagogique, c’est toujours la même, ça faisait neuf ans qu’on était dans la même école avec ma femme, y’avait quatre ans qu’on avait mis un truc qui tournait au point... on est aller ailleurs, parce que quatre ans pour moi j’en ai marre. L’opportunité s’est présentée et j’ai sauté sur l’occasion, sans savoir ce que ça représenterait comme boulot et là grosse frustration, parce qu’il y avait incohérence... j’arrivais plus à mettre en oeuvre dans les rapports de formation que j’avais avec les collègues, au niveau idéologique... fallait que je mette en retrait mes idées pédagogiques Freinet parce que ça aurait été nuire à la pédagogie Freinet que d’essayer de l’imposer et contraire à son esprit et à mon esprit à moi on n’endoctrine pas, on convainc et donc frustré de ça. Frustré des enfants, mais ça, ça le fait à tout le monde... Donc j’ai cherché à mettre en place des techniques de formation auprès des adultes qui seraient proches de mes actions en pédagogie Freinet, mais j’avais peu de modèle et donc j’ai essayé de le travailler d’abord au niveau des relations c’est-à-dire.. au niveau du respect de l’autre et puis donc au niveau de la fraternité du respect de l’humain dans les relations, ça j’ai travaillé là-dessus au niveau des relations que j’avais avec les gens et puis au niveau de leur conduite de formation, d’essayer de voir où ils en sont, d’essayer de voir dans quelle direction ils ont envie d’aller pour les accompagner.
Partir de leur désirs et les accompagner..
Oui je faisais comme ça avec les gamins, je fais comme ça avec les adultes...Mais je reste un peu frustré quand même, mais c’est la frustration qui me tient en recherche d’essayer de mettre en oeuvre des techniques de la pédagogie Freinet, ce que j’ai pas encore pu mettre en place, c’est des outils pratiques. J’ai mis en place des outils relationnels qui viennent de la pédagogie Freinet mais ils ont s’en doute besoin d’outils, je pense fichiers, référents bibliographiques, référents documentaires. Maintenant j’aimerais bien mettre en place des outils de référence pour eux, comme en pédagogie Freinet les gamins qui ont besoin de trucs ils savent qu’ils peuvent aller chercher là un outil pour répondre à ses besoins... Ce qui m’a apporté d’être conseiller pédagogique, c’est que ça m’a ouvert des formations de formateurs qui m’ont permis donc d’aller voir ce qui se passait ailleurs, d’aller voir ce que racontait A. De La Garanderie, d’aller voir dans les sciences de l’éduc ce que proposait les didacticiens... tout un tas de matériaux théoriques ou d’ouverture que je n’avais pas le temps d’avoir quand j’étais instit Freinet parce que j’avais ma classe, le groupe Freinet, le syndicat, la famille etc...Maintenant ce qui m’intéresse beaucoup c’est que de part ma position, je reste un militant Freinet et puis j’ai envie de taper au niveau national de nouveau... Tout ce que j’ai pu glaner à droite ou à gauche et qui peut soit ancrer les pédagogies Freinet je pense aux théories de l’apprentissage, nous on le fait intuitivement, mais là on peut trouver des ancrages théoriques qui justifient nos pratiques éducatives et puis d’un autre côté s’ouvrir à des techniques qu’on pourrait aller pêcher pour nous aider, je pense en particulier à l’interview de cracs chez La Garanderie, demander à un gamin qui réussit bien de raconter comment il fait. Voir le côté médiation à travers le PEI.
Dernière chose, vous disiez y’a des praticiens catho, athée, vous vous situez comment au niveau personnel de conviction ?
Moi je suis athée oui, faut en dire des choses ! ça ne me gène pas de le dire.. non à l’heure actuelle ? euh un militant athée...
Vous n’avez pas eu d’éducation religieuse par exemple ?
Ah si tout à fait, communion confirmation jusqu’à seize ans parce que je suis très docile... par mes parents qui n’y croyait pas du tout mais ça se faisait, je suis d’origine bretonne et chez les familles bretonnes le paraître institutionnellement à une importance énorme, même si on n’y croyait pas du tout... mon père bouffait du curé tant qu’il fallait. Mon père a été enfant de coeur, mais c’est pareil sans y croire.
Donc vos croyances se réfèrent plutôt à des croyances en...
Plus des croyances liées au socialisme utopique du dix-neuvième, par contre je suis pas du tout anarchiste au sens idéologique du terme. A l’heure actuelle je suis là, si fallait me situer dans l’échiquier politique, on pourrait me mettre génération écologie, avec le côté écolo qui était toujours en filigrane de la pédagogie Freinet qui ne s’appelait pas comme ça, mais que Freinet introduisait dans sa pédagogie, médecine naturelle etc... végétarisme. Donc du centre gauche écolo.
Et dernière chose au niveau de votre personnalité comment vous vous voyez ? Qu’est-ce-qu’on dit de vous ?
Quelqu’un qui n’aime pas rentrer en conflit avec les autres qui cherche à le gérer par les contacts humains et par le consensus, c’est pas une qualité forcément, mais c’est comme ça. Quelqu’un de relativement docile quand même, docile envers la hierarchie, je lutte contre ma docilité. Soupe au lait, je démarre au quart de tour quand quelque chose me choc complètement et je suis capable même de frapper...si on me cherche... c’est-à-dire une attitude brutale qui déborde et je suis capable comme ça de rentrer dans le lard facilement de quelqu’un si quelque chose me choc profondément, je ne sais pas quelqu’un qui battrait un enfant, je réfléchis pas, je lui rentre dedans, je réfléchis après.
Donc à partir de là connaissant ce côté très soupe-au-lait très instinctif très primaire d’où la recherche de consensus....Y’a un apport par rapport à la pédagogie Freinet qui me revient maintenant qui va vous faire plaisir par rapport à votre recherche, c’est que une des raisons qui m’a amené à trouver une pédagogie différente, c’est que dès que je me fâchais en classe, j’avais du mal à me maîtriser et j’aurais eu tendance, je l’ai fait d’ailleurs bien que je n’ai pas forcément à le dire à foutre des ’baffes’ à un gamin, devenir très violent et à avoir du mal à me maîtriser. Donc fallait que je trouve une pédagogie qui me permette d’avoir des relations avec des gamins qui se situent sur un autre mode que l’autorité frontale, donc pour éviter de générer des conflits frontaux et la pédagogie Freinet me le permet. Donc ça explique aussi que j’ai cherché ce genre de pédagogie j’ai essayé de gérer dès le début les contacts humains, donc là du fait des relations il fallait que je change ma pédagogie, je ne pouvais pas rester en pédagogie comme ça sans ça j’en aurais démoli un depuis longtemps, surtout qu’ on travaille avec des ado. Ils font de la provo et tout. Donc ça c’est une composante forte de ma personnalité qui m’a amené aussi à la pédagogie Freinet, dans le cadre de la mise en place d’un système de relation...
Donc un système plus convivial...
Un système où on va pouvoir avoir des lieux de discussion..
Pour éviter la communication frontale...
Tout-à-fait qui me fait disjoncter... bon ça s’est calmé avec l’âge, mais quand j’avais vingt ans alors-là c’était... pour finir là-dessus le fait de devoir gérer ces relations avec les autres m’a permis d’avoir un certain recul mais qui me fait accuser par fois d’être manipulateur.
L’apport Freinet donc c’est à la fois les gens que vous avez rencontré, des lectures..
L’apport Freinet ça a été au début des lectures, j’ai dévoré pour gagner du temps et puis en suite ça a été le mouvement Freinet en particulier le fait que je sois venu assez rapidement dans le conseil départemental et puis responsable national tous les contacts que j’ai eu tous les stages que j’ai fait que j’encadrais. Je vivais pratiquement toutes mes vacances en pédagogie Freinet, donc j’ai une formation énorme là-dessus....
Et au niveau de la personnalité pensez-vous qu’il y a des choses communes entre vous dans le mouvement...
Peut-être comme.... y’a le respect de l’homme y’a peut-être cette recherche de la discussion du consensus, fonctionner par consensus dans notre rapport avec les autres.