ENTRETIEN N° 2
Enseignante en SEGPA. Pratique le PEI depuis 9 ans.

  • Donc vous avez arrêté cette année.

  • J’en ai un peu fait cette année, dans la mesure où j’avais formé plusieurs collègues qui sont partis. C’est-à-dire que les gens ici partent ne restent pas sur le poste, excépté une collègue formée il y a deux ans dans le cadre de la Mafpen et qui continue. Donc j’ai été amenée à retravailler avec elle partiellement. C’est-à-dire qu’on était pas en duo, mais partiellement parce-qu’un jour elle ne sentait pas une page d’illustration...ou elle était plus très sûre. Et j’interviens aussi comme ça en classe dans d’autres activités en dehors du PEI.

  • Qu’est-ce-qui vous a amené à pratiquer le PEI ? Est-ce que c’est le hasard de la rencontre avec a ... ?

  • Oui tout à fait, c’est le hasard, je ne connaissais pas plus que ça, bon je savais qu’il existait des méthodes mais vraiment j’étais très très neuve en la matière.

  • Et quel effet ça vous a fait de découvrir le PEI ?

  • Ca a été une grande claque pédagogique je dirais, parce-que on a tous des certitudes...institutrice CAEI c’était mon cursus...je me suis battue avec toutes ces déficiences depuis des années, n’enseignant plus en direction depuis très longtemps, trop longtemps, j’ai trouvé alléchant cette méthode. Excusez-moi, (on frappe).....

  • Alors je reviens à ma question principale... Est-ce-que vous pouvez décrire votre itinéraire professionnel ?

  • De 68 à 70, institutrice remplaçante, volante sur tous les postes ’merdiques’ du département, sans formation préalable c’est-à-dire sortant du Bac, terrain, boulot. Donc j’ai eu un éventail de tout, de la maternelle à la classe de troisième en anglais. Ensuite on m’a parachutée toujours institutrice volante sur un double poste pendant deux ans en classe de perfectionnement. Au bout de deux années j’ai vu les conseillés pédagogiques qui m’ont dit: ’vous êtes faites pour les enfants inadaptés’ Donc on m’a confié une classe pré-professionnelle, avant la création des SES. On faisait de tout, cuisine, montage, démontage des rideaux, on pratiquait beaucoup à l’époque la pédagogie Freinet dont j’étais satisfaite, avec un contrat avec les enfants dans une certaine ambiance...ça marchait bien... Donc ensuite, j’ai passé mon CAP dans ces conditions là, après j’ai fait mon stage CAEI. J’ai pris pendant deux années une classe de SES et on manquait de directeur, on m’a demandé de faire de l’intérim de direction pendant quatre ans, jusqu’à temps que j’ai l’âge pour faire mon diplôme de directeur d’établissement spécialisé. J’ai effectué la formation en 1977. Ensuite je suis venue ici à la rentrée 77-78 où je suis toujours en direction.

  • Alors bien-sûr qu’au niveau de mes interrogations notamment quand je suis arrivée en SES, j’étais complètement abassourdie par la disparité des élèves qui nous étaient confiés, ça allait de l’enfant presqu’infirme avec des difficultés intellectuelles très profondes, à des enfants en échec scolaire, beaucoup de magrhébins....Donc je me suis toujours demandé par rapport à ces gamins comment faire etc...Plus le temps passait plus on disait ces gamins qui ne réussissent pas, il faut leur donner plus, alors c’était toujours plus, plus de maths, plus de français, laisser tomber l’EPS au bénéfice des disciplines dures. On était dans une inflation galopante de matières dites essentielles pour rattraper le temps perdu et on colmatait et on en ajoutait sans bénéfice... avec un profond écoeurement de la part de tout le monde, parce-que évidemment eux ça faisait rien et nous déception. On investissait, on faisait des efforts terribles. On a tout essayé comme tout le monde, je suis arrivée ici, même problème, une institutrice spécialisée les autres cdma. Une est prof d’anglais, une a fait du droit et une grande disparité dans les recrutements y compris au niveau des professeurs du technique. C’est-à-dire qu’on a baptisé couturière une dame qui avait trois enfants et qui est rentrée à l’éducation nationale parce-qu’elle avait trois enfants. Donc avec cette politique d’élever les élèves au niveau V puisque c’est le but des circulaires maintenant de SES d’aller toujours plus haut, on recrute de plus en plus bas, plus grande disparité, des cas très lourds, des déficiences physiques mêlées à des déficiences psychologiques, tout ça dans les mêmes classes pour aller vers le CAP, c’est la voie royale pour aller vers le bac. Y’aura peut-être un bac SES...

  • Donc j’étais dans une période de grands doutes, je continuais comme beaucoup d’enseignants et puis c’est vrai que j’ai eu cette rencontre fortuite avec madame M... Je travaille avec tous les centres CMPP , GAP... où j’envoie des enfants enfin ceux qui veulent bien y aller c’est comme ça que j’avais connu Meme M... autrement que par le PEI. Elle est venue vers moi, elle m’a expliquée la méthode. Elle m’a dit est-ce que vous auriez des élèves à me confier, parce-que j’ai besoin d’un terrain d’application. Je lui ai pris les plus gratinés bien-sûr, avec son accord. Pour montrer quand même l’efficacité de la méthode il faut prendre les plus compliqués, ceux qui ont le plus de troubles, ceux qui ont des blocages terribles avec qui tous les angles d’attaque sont vains. Donc pendant deux ans on a travaillé avec un petit groupe de quatre ou cinq élèves. Et puis tout de suite j’ai dit : ça m’intéresse donnez-moi des bouquins. Je me suis renseignée, et mon choix a été vite fait quand j’ai vu ce que c’était, je me suis dit aller hop je me forme et j’ai entraîné dans la formation une de mes collègues. Et on a appliqué toutes les deux ensemble dans une classe de sixième.

  • Et quels sont à votre avis les éléments importants qui ont fait que ça a marché, vous avez adhéré tout de suite à la méthode et vous n’avez ...?

  • D’abord c’était nouveau, par rapport à tout ce que j’avais eu, toutes les structures de colmatage, tout ce qu’on me présentait, comme je disais : toujours plus. Ca attaquait si vous voulez l’individu sous un autre angle. On ne cherchait pas à savoir, il’dysfonctionne’ en mathématique donc on fait plein de cours de soutien en mathématique, mais enfin on prenait en compte l’origine du blocage, du pourquoi du dysfonctionnement et quel moyen on pouvait donner à l’individu de se corriger. Parce que, c’est toujours pareil, si c’est l’adulte qui fait pour, ou qui fait avec, sans jamais doter le sujet de pré-requis utiles, pour lui-même d’abord, dépister son propre dysfonctionnement et y remédier grâce à des techniques, des repérages. Et c’est ce côté là qui m’a plu. Enfin c’était un plus par rapport au reste. D’abord cette prise de conscience du médiateur et surtout une dimension qui m’a beaucoup intéressée, c’est tout ce qui est transfert, c’est-à-dire qu’on ne faisait pas ça dans son petit coin, la séquence PEI, mais si on était prof essentiel de la classe, on pouvait ’transférer’ toute la pédagogie que je sentais naître. J’avais pas pris en compte, si vous voulez à l’époque, toute la pédagogie de la médiation. Je sentais que c’était utile, mais donc ce qui m’avait quand même accroché c’est le transfert, la généralisation sur tous les autres travaux.

  • Donc c’est comme ça que je suis rentrée, avec cet esprit-là de découverte, de quelque chose de plus, appelez ça méthode tout ce que vous voulez. Et on a découvert à mesure que l’on avançait pendant ces deux années de formation et de répercussion au niveau de notre public l’ampleur du système, l’ampleur de ce que c’était et la richesse et je crois que la richesse six ans après, je la découvre toujours, parce que c’est un outil génial. On peut dire tout ce que l’on veut de Feuerstein, qu’il a compilé pleins de choses, moi je dis c’est un compilateur génial et son truc s’est articulé divinement. Quand on voit la progression au niveau des acquisitions, au niveau des opérations mentales, la façon dont sont reliés entre eux les instruments. On peut faire par exemple avec ’relations transitives’ un transfert, de tout l’instrument ’relations familiales’ on peut s’en servir comme exemple si vous voulez de ’relations transitives’. Moi c’est comme ça maintenant que je travaille parce-qu’on est souvent ’coinçé’ effectivement pour trouver des exemples de généralisation, on n’a qu’à se prendre la tête et prendre relations familiales et là on a les exemples. Ces liens qu’on peut faire plus la projection dans leur propre pratique, mathématique français, jeux organisation de la pensée, moi je trouve ça formidable. Problème c’est qu’il faut que ça soit fait avec l’instituteur de la classe.

  • Justement qu’entendez-vous par médiateur ?

  • Un médiateur, c’est le lien, c’est le lien entre l’environnement je dirais dans un sens large et l’apprenant, entre les contenus et l’apprenant et entre les apprenants entre eux et tout le problème est là, je veux dire. Je veux dire on est bon ou mauvais médiateur mais..bon çà tient au charisme à la personnalité de l’individu.

  • Là vous parlez du médiateur...

  • Du médiateur, à la façon dont il se présente par rapport aux enfants, à l’amour qu’il a vis à vis des autres, à sa disponibilité, à ce qu’il a envie de faire passer. Je vois des gens hautains qui prennent le PEI comme un plus, une technique supplémentaire à leur CV à la limite, ça passe pas trop, je veux dire à la limite, on peut être un excellent médiateur en dehors du PEI et heureusement qu’il y en a, .. parce-que le système pédagogique français serait tombé en désuétude... heureusement qu’il y a eu des gens qui y croyait ... mais je dirais avec n’importe quelle méthode à la limite.

  • Vous parlez de croyances. Quelles sont pour vous les croyances qui vont être motrices de votre travail par rapport au PEI, disons en dehors de la méthode?

  • En dehors de la méthode, bon ’ba’ c’est croire que l’individu est modifiable de toute façon et je dirais c’est un peu comme tintin 7 à 77 ans, jusqu’au bout, jusqu’à la mort. Je crois qu’on à tord de sous-estimer à priori, de s’enfermer dans un comportement de type Piaget, en disant que s’il est stable et n’a pas évolué à un certain âge, c’est fichu quoi. Moi je dis qu’il y a toujours quelque chose à faire que les angles d’attaque ça peut être le PEI, ça peut être la Gestion Mentale, mais qu’on trouve toujours son maître à un moment déterminé de sa vie et que ça fait partie d’un cursus de vie, d’un projet de vie individuel, et qu’il y a des restaurations qui se font à dix ans à vingt ans à quarante ans à cinquante ans je dirais même.

  • Qu’on peut découvrir toute une partie de son être et de son potentiel quelque soit son âge, parce-qu’on a fait une rencontre un jour. Et cette rencontre, c’est le médiateur, c’est le maître, c’est le gourou appelez cela comme vous voulez, mais c’est affreux de dire ça surtout que vous enregistrez, mais ça va au-delà d’une démarche simplement scolaire. Je crois qu’à un moment donné on a une évolution spirituelle, et quelque soit l’individu, même le plus frustre, celui qui nous apparaît comme tel, il rencontre un jour quelqu’un qui débloque, qui débloque quelque chose pour lui, bon alors à un niveau de la sphère cognitive, à un niveau humain, à un niveau de recherche personnelle, ou à un niveau même physique. Il y a des déblocages qui se font. Ca peut être un cursus maladif et au moment déterminé on rencontre quelqu’un qui vous fait prendre conscience de la somatisation de la maladie. C’est ça pour moi, et je dis qu’il y’a toujours quelque chose à faire, j’adhère tout à fait à ce que dit Feuerstein, à la vision optimiste du monde, optimiste mais réaliste. Soyons conscients, je ne vais pas vous dire le monde il est beau, vous avez bien vu dans quel contexte je vis, dans la violence, dans l’horreur.

  • Vous voyez le contexte, l’environnement, ce qui s’est passé, il y a trois semaines avec le meurtre d’un de mes élèves, bon je veux dire qu’il y a pleins de choses, mais néanmoins, je suis intimement persuadée de cela et je crois que c’est ce qui me donne encore la force au bout de vingt-cinq ans d’Education Nationale de résister à l’usure du temps. Je me sens encore très réaliste d’une part, très engagée dans le potentiel d’évolution individuel, des jeunes et des vieillards je dirais. Parce-que le PEI, je voudrais pouvoir l’appliquer en expérimentation dans des maisons de personnes âgées, dans des mouroirs à la limite là où il n’y a plus rien à espérer, c’est une porte ouverte à l’espoir là y’a pas de problème.

  • Vous disiez : ’ça dépend aussi de la personnalité de l’individu’. Bon ceux qui sont inhibés et puis ceux qui ont envie de faire passer quelque chose, qu’on un peu d’amour envers ... bon et de votre point de vue, au fond qu’est-ce-qui caractériserait votre personne qui ferait justement que vous avez cette croyance en l’individu. Qu’est-ce-qui l’en est de votre croyance plus profonde par rapport à cette dynamique ?

  • Là vous touchez quand même des choses très intimes et très personnelles. Donc c’est délicat.

  • C’est délicat et en même temps c’est vrai que c’est au coeur de mon sujet.

  • Tout à fait, mais je veux dire... Bon moi je suis rentrée à l’Education Nationale avec ce qu’on appelle la vocation. Elle a eu des hauts et des bas, comme toute vocation. Elle est toujours intacte, je veux dire, je crois en une mission, alors ça c’est peut-être très présomptueux de ma part. Dans ma vie actuelle, puisque je pense que c’est une vie parmi d’autres, qui est de donner, d’aider. Je pense que j’ai une mission d’aide quelque part. J’ai été, je dirais presque programmée pour çà. Je veux parfois m’en détacher, mais çà me revient en pleine figure sans arrêt. Bon c’est l’image aussi que j’ai donné de moi, c’est l’image qu’on attend de moi, donc je suis enfermée dans cette image, à moi d’en sortir par d’autres moyens si je peux en trouver, au niveau là de ma propre vie personnelle de femme. Mais en ce qui concerne mon travail je ne sais pas comment je peux y échapper, dans la mesure où c’est une évidence pour moi. J’ai du mal a dire non, j’ai du mal à ne pas aider. J’ai du mal à ’rembarrer’ par exemple un gamin en souffrance ou en besoin d’aide. Même si ce soir là je pars au théâtre, quelque part, c’est plus fort que moi. J’ai essayé de le chasser, de lutter contre, çà revient. Ca revient bon c’est un constat que je fais, je fais avec, même si parfois çà gène. J’essaie que çà n’influence pas trop sur l’autre côté de ma vie. Par contre quand j’ai fermé ma porte, je l’ai fermée totalement. Il est cinq heures, il est six heures, quelque soit l’heure, c’est fini, c’est fini, je suis sortie. Bon j’ai réussi à faire la part des choses, c’est pas un engagement qui m’engage de tous mes instants. C’est un engagement très fort, le temps ou je suis là. Il est évident que, un cas d’élève très douloureux, il arrive qu’on m’appelle un dimanche je ne vais pas dire non. Non c’est fini, c’est plus l’heure.

  • Et du point de vue de ces valeurs, qu’est-ce-que vous avez retrouvé dans les conceptions de Feuerstein qui vous rejoint bien ?

  • Bon, vis à vis des enfants c’est ce qu’il appelle la pose de repères et de limites. Je me suis aperçue que dans l’éducation, on ne savait pas où on allait, on parlait ni des buts ni des objectifs, on n’avait pas de repère. Je suis quelqu’un qui aime la justice. Donc pour aimer la justice et pour la faire respecter, il faut en fixer les règles. Le téléphone sonne....

  • Vous avez commencé à parler de la croyance en la modifiabilité de l’individu et là vous avez émis l’idée de la justice par rapport à la pose de repères et de limites.

  • Oui tout à fait... et puis bon ba c’est un cadre, c’est très cadré son programme. J’ai été moi très enthousiaste, on dit le cadre théorique c’est ceci, c’est cela, bon, laissons-le de côté, mais sur les séquences, le dynamisme qu’il y avait dans les séquences. Les séquences où l’on voit pendant trois heures faire du PEI, c’est dingue. Pour moi le PEI, c’est une séquence de soixante minutes maximum où on mouille sa chemise en temps que médiateur, on mouille sa chemise parce-qu’on a envie que ça passe. C’est un moment privilégié où se dénoue plein de choses autant au niveau affectif qu’au niveau pédagogique, pour moi c’est le moment privilégié des séquences, comme des flashs si vous voulez dans une journée scolaire qui va éclairer le reste bien-sûr, mais qui vont à un moment déterminé fortement solliciter l’individu d’ailleurs si y’avait çà tout le temps, ils ne tiendraient pas et nous non plus. Pour moi, c’est vraiment le moment intense et ce moment intense on le fait entrer quand même dans un cadre très défini, avec des séquences qui se déroulent.. ce déroulement de séquence moi me séduit parce-que, je suis quelqu’un d’organisée, donc çà me séduit ce système d’organisation. Comme je vous parlais du lien entre les instruments, là dans les sept phases du déroulement de séquence, je suis séduite par le timing. (çà frappe)

  • Donc on en était au déroulement de séquence.

  • Moi çà me séduit si vous voulez parce-que très souvent au niveau des enseignants on est un petit peu dispersé, là on ne peut pas se disperser et les gamins suivent un cheminement, ils connaissent le déroulement de la séquence, ils savent qu’il y a cette émergence, cette ouverture sur le monde je dirais grâce au PDG et au transfert et ils organisent leur pensée en fonction de çà. Ils savent et ils s’attendent à. Donc quand on disait ces repères, ces limites, moi ça m’a séduite beaucoup, je veux dire cet encadrement qui manque. Moi je dis que depuis soixante huit à force de tout laisser, on a plus de cadre, on a plus de cadre de référence.

  • Et la relation par rapport à la justice c’était quoi exactement?

  • On en était venu à parler de justice pourquoi? Oui par rapport aux droits et devoirs que moi j’imposais des limites ici, des droits et des devoirs aux enfants, parce-que moi si vous voulez, j’avais une représentation juste des choses. Quand je leur dis, voilà vous rentrez là, quand j’ai reçu ce jeune enfant en présence du papa l’autre jour, je lui ai dit ici c’est comme çà, çà fonctionne comme çà, faut que tu l’entendes avec ton père que tu ne dises pas j’ai été pris en traître. Y’a un règlement, bien sûr moi je te le dis. Je représente l’institution, je suis la directrice, je suis chargée de faire observer les droits des enfants et les règles de l’institution. Tu entends, je vais te tenir un discours, il en restera ce qu’il en restera, mais tu dois l’entendre solennellement et souvent on oublie de dire aux gens les choses. C’est-à-dire que c’est tellement du domaine de l’implicite.

  • On rentre à l’école, on doit pas faire ceci, on doit pas faire cela, mais ou c’est dit une bonne fois pour toute, yeux dans les yeux. Et j’ai dit ici comme je fais respecter les droits et les devoirs de chacun y’a aussi bien-sûr des sanctions. Les sanctions je vais te dire ce qu’elles peuvent être, çà ne t’arrivera certainement pas, mais tu dois t’y attendre et surtout je te dis moi si je te dis tu peux compter sur moi, tu peux compter sur moi, tu peux pousser ma porte n’importe quand, elle est toujours ouverte pour toi, dans l’accueil pour le service mais aussi dans l’accueil pour la contrainte face à une bêtise que tu auras commise. Si je te dis, je te garde un soir jusqu’à neuf heure, j’en informe tes parents, je te garderai, çà sera comme çà, çà sera pas dans la douleur, tu l’auras entendu tu sauras. C’est-à-dire tu sais que moi je peux aller loin des deux côtés, dans le bon chemin ou dans le mauvais pour toi, mais çà sera comme çà et que les larmes n’y feront rien, on discutera, on sera de dialogue mais au bout, il y aura ce qu’il doit y avoir, même si çà doit moi me coûter et je leur dis. Si j’ai promis quelque chose, je tiens. Et je suis très attachée en fin de compte au respect si vous voulez de la promesse de la chose dite même verbalement. C’est ainsi qu’on doit fonctionner.Y’à une sorte de code de l’honneur moi que j’instaure ici et sans le code de l’honneur on ne peut pas fonctionner avec ces gamins là.

  • Et c’est un code de l’honneur que vous aviez au fond avant ou est-ce-que...?

  • Non avant..avant... je crois que c’était comme çà, çà vient de mon éducation. C’est le reflet de ce qu’on a vécu antérieurement, c’est pas par réaction, je veux dire c’est dans un cursus. Et je comprends très bien les gamins vous voyez quand ils sont très très en colère par rapport à une injustice, même vis-à-vis des profs il m’est arrivé d’être vraiment entre l’enfant et le prof par rapport à l’injustice criante. L’adulte ayant raison, le gamin ayant raison et où est la vérité. Je suis très très mal-à-l’aise souvent quand je dois trancher, parce-que d’un côté je dis au prof, je serais toujours derrière vous, parce-que vu le contexte, j’ai intérêt à les soutenir et puis vis-à-vis du gamin mes engagements, c’est Cornélien des fois, parce-que je dois trancher.

  • Alors là on est parti un peu sur deux voies, qui sont en fait les deux voies que je souhaite explorer un petit peu plus avec vous. Y’a la voie des valeurs qui sont sous- jacentes à la théorie de la médiation aux travaux du professeur Feuerstein, vous avez parlé de la modifiabilité vous avez parlé de la notion de justice, c’est plus du domaine des valeurs. Et puis à côté ce qui est du domaine des concepts théoriques que vous retenez et qui pour vous sont éclairants quoi. Et vous avez parlé de pose de repères et de limites vous avez parlé de transfert, du bridging. Enfin plein de choses. Alors ce sont ces deux éléments que j’aimerais encore ’recreuser’ avec vous....C’est-à-dire la dimension des valeurs et la dimension des concepts. Alors on va prendre tout d’abord la dimension des valeurs... Du point de vue de la dimension plutôt spirituelle de la méthode, quelle est disons votre position par rapport à cela. Au niveau des sous-jacents spirituels qu’il y a...?

  • Sous-jacents spirituels ?

  • Je ne sais pas par exemple la croyance en Dieu..Quelles sont vos positions par rapport à cela? Vous disiez tout à l’heure bon la personne si elle donne de l’amour....

  • Oui mais on a pas besoin de croire en Dieu pour donner de l’amour.

  • Oui c’est ciblé par rapport à cela et çà je crois que ce sont les valeurs individuelles de chacun...

  • Alors justement quelles sont vos valeurs?

  • Mes valeurs moi, mon système de croyance à moi je vous l’ai dit. Je ne dirais pas l’homme est bon comme Rousseau. L’homme il est ce qu’il est, mais je crois qu’il faut avoir une approche respectueuse de l’individu, c’est-à-dire bon il est ce qu’il est, mais il faut aller vers lui avec nous aussi nos faiblesses, reconnaître les siennes et puis se dire on va s’améliorer ensemble je dirais presque. Parce-que cette cohabitation continuelle du médiateur avec ses élèves, c’est quelque chose de difficile, compte-tenu de l’immense d’abord degré et intellectuel et spirituel qui peut les séparer et d’autre part du niveau tout simplement. Alors qu’est-ce-que je fais moi avec ces enfants -là qui sont là, à cette période déterminée de ma vie aussi parce-que je ne suis pas ce que j’étais y’a dix ans, cinq ans, trois ans, deux ans...Et bon, çà permet si vous voulez, cette méthode, je dirais presque comme n’importe quelle autre, de faire prendre conscience au jeune de ce qu’il est de ce qu’il peut être. On va peut-être interférer là des problèmes de bien et de mal de plus et de moins. Lui montrer en fin de compte que dans son système de valeur et dans ses repères actuels, l’idée du mal qu’il a et du bien, n’est pas forcément celle de l’humanité ou reconnue par tel ou tout du moins en France ici et maintenant. Il est normal par exemple que comme le jeune à été assassiné ses copains cassent toutes les vitrines, attaquent les petits vieux dans la rue, c’est normal, c’est la loi du talion (le téléphone sonne.)

  • Alors nous on en était où après cette intérruption ? J’étais...

  • Et bien, l’idée que je vois derrière, c’est quel type d’enfant, quel type d’individu vous voulez promouvoir à travers votre action?

  • Oui on était entrain de parler du bien et du mal... oui c’est çà, c’est vrai que quand on dialogue avec eux, on se rencontre qu’ils n’ont pas le même code que nous, et moi je me heurte très souvent, très violemment, en disant, mais c’est pas possible, ce sont des monstres, ce sont des monstres puisque. On a tué un des leur alors ils vont tuer les autres. Est-ce-qu’ils n’ont pas compris qu’ on réprouve le meurtre.

  • Mais çà c’est passé récemment çà?

  • Oui y’a trois semaines.. Les média n’ont pas. On a fait sauter des voitures là devant ma porte.. On a été avec les CRS pendant huit jours quand même. Assassinat dealer entre dealer, des problèmes de drogue, bon un gamin de dix-neuf ans comme je leur dis, il était pas blanc quand il était là, c’était un petit voleur de bicyclette et de mobylette et de voitures, bon déjà il avait un passif très lourd. Il n’ a pas respecté la loi. ’Ouais mais enfin vous et votre loi’ etc... Bon vis-à-vis de la loi, ils n’ont pas la reconnaissance de la loi. Ils n’ont pas le même code de valeur que nous. Ce qui est permis nous c’est interdit. Il leur faut adhérer à notre système d’interdits à nous, çà rentre pas, alors est-ce-que c’est culturel ?. Est-ce-que c’est nous qui les avons fait comme cela à force d’interdire de les mettre dans des ghettos etc... Bon, je veux dire on est pas là pour faire porter la responsabilité à qui que ce soit, ce que je veux dire, c’est qu’ils ne fonctionnent pas comme nous.

  • Alors je me dis qu’après tout, y’a peut-être ce moyen là en discutant, parce que çà revient très souvent, même à travers ’illustration’, on vit des choses très douloureuses. Moi je me sers souvent d’ ’illustration’ pour éclairer. Un jour, il y avait une violence terrible ici au moment de Sadam Hussein. On avait Sadam Hussein en lettres rouges sur tous les murs du collège, les filles avaient mis les tchadors y’avait une ambiance d’enfer et je faisais PEI à l’époque et moi j’avais pris la page vous savez où il y a la petite bonne femme qui cause à l’autre, lui murmure des trucs dans l’oreille et on avait beaucoup discuté sur la violence alors que j’avais travaillé cette page une autre fois avec un autre groupe sur entendre et écouter, parce-qu’ils ne saisissaient pas la nuance, je travaille beaucoup le vocabulaire avec eux. Bon et toute la page avait tourné autour de cela, bon il y avait des exemples et là au niveau de la violence pour eux ce n’était pas un système de violence, c’était la violence verbale. Et la violence verbale ce n’est pas de la violence. La seule violence qui existe, qui soit illustrative du terme, c’est la violence physique, c’est du coup la destruction, donc on avait longuement discuté la dessus.

  • Donc à travers si vous voulez, des situations vécues, je me sers du PEI, mais inversement, le PEI me sers à faire émerger chez eux, tout ce code non conforme à notre culture et à notre code à nous.

  • Alors si vous essayez d’identifier... parce-que à travers tout çà c’est vrai qu’il y a plein d’idées sur le type de personne que vous voulez former et qu’est-ce que vous compter apporter aux enfants et qu’est-ce-que vous comptez leur transmettre. Vous avez une idée de ce qu’est l’individu et de ce que vous avez envie de lui apporter.

  • Transmettre en priorité? D’abord le respect des autres, çà serait peut-être la première chose.

  • Et la méthode PEI est un moyen de véhiculer cette valeur ?

  • Oui tout à fait, tout à fait, tout à fait, quand vous travaillez lutte contre l’égocentrisme, l’individuation etc.. bon y’a pas de problème quand vous laissez les autres s’exprimer que vous donnez le droit à la parole même à celui qui s’exprime mal, que le leader se tait au bénéfice du pauvre petit canard boiteux de la classe entre guillemet. Bon là aussi c’est le respect, le respect de la parole de l’autre en tant qu’individu de sa différence, c’est déjà pas mal et l’aspiration certainement à devenir quelqu’un. Pas forcément s’identifier aux bandes de loubards qui traînent si vous voulez. Donc se projeter dans l’avenir mais je dirais triomphant quelque part, par rapport euh... à travers le travail, à travers un métier c’est-à-dire ou découvert ou choisi de façon implicite déterminé pendant leur pré-adolescence. Mais à être quelqu’un, non plus s’identifier aux autres, mais être un individu à part entière, donc j’irais presque plus loin, un citoyen libre. Donc l’idée d’appartenir quand même à une communauté, qui n’est pas forcément leur communauté de naissance, mais pouvoir s’inclure et trouver sa place dans la communauté d’accueil, sans se diluer, sans être un être soumis et rampant, donc avoir son libre arbitre, pouvoir déterminer dans les droits et les devoirs, ceux qui sont vraiment de l’ordre du droit et du devoir. Parce-que ils ont pleins de droits mes élèves, ils n’ont aucun devoir. Donc c’est vrai parce que on me dit souvent tu les mets dans un cadre, dans un moule, c’est presque de l’embricadement. A ceci je réponds, si on les laisse aller à leurs propres pulsions, à leurs goûts effrénés de liberté sans jamais mettre des barrières. On sait comment çà va se terminer, et c’est pas en donnant parce-qu’ils demandent, qu’ils cassent qu’on y arrivera.

  • Moi je serais par exemple beaucoup plus rigide que certaines personnes dans la ville et notamment notre maire qui s’est fait injurier en séance public, il était venu rencontrer les jeunes, moi je ne tolérerais pas, j’ai jamais toléré qu’on m’injurie et çà ils le savent. Je veux dire une fois que c’est dit, ils m’ont jamais levé la main dessus, s’ils se battent je sais pas, je peux le faire parce-que mon entraînement physique en art martiaux me permet de le faire, mais j’ai pas eu à le démontrer cinquante fois ; une fois je l’ai démontré, une fois j’ai séparé deux, c’était y’a onze ans et ils savent y a eu la transmission. On me dit : tu es une femme, tu dois avoir du mal... mes collègues masculins. Je ne suis pas une femme exceptionnelle, ce que je fais là, chacun peut le faire. Je pense que j’ai gagné en crédibilité, en respectant mes engagements vis-à-vis d’eux là aussi y’a le terme respect qui revient, je veux qu’ils me respectent, je les respecte. L’enfant c’est pas du matériel, j’ai un projet pour eux, je veux qu’ils deviennent libres, forts, insérés dans le tissu social. Que se soient pas des pauvres gosses qui souffrent comme leur parents, comme vous voyez ces deux personnes que l’on a vues très soumises à la directrice. C’est chaleureux mais, ils étaient prêts à revenir dix fois.. bon. Je les reçois et je les reçevrai par contre je leur dis : ’attention si vous venez plus tard, je ne vous reçevrai pas’ et ce que j’ai dit avec eux en les prenant un peu pour des enfants quelque part, c’est parce que culturellement ces gens-là n’ont pas de repères. Ce matin j’en avais un à neuf heure pour une inscription, j’ai dis attention à dix heure je suis prise, je ne pourrai pas m’occuper de vous. Leurs familles n’ ont pas ce respect des autres, c’est même pas du respect, c’est sympathique, mais bon ’ba’ c’est aujourd’hui peut-être ou bien demain comme dit la chanson. Alors je lutte contre çà parce que on en souffre, on en souffre au niveau de leur ponctualité, mais ils vont en souffrir eux dans leur vie d’homme. Moi y’a des jours ou je dis, je voudrais avoir une pointeuse ici pour les gosses à l’atelier, et leur faire prendre conscience que plus tard, lorsque vous pointerez, c’est autant de salaire retenu et ils ne voient pas la corrélation entre çà. ’Mais c’est dégoûtant, si je m’excuse’ Tu ne peux pas te permettre quand tu es dans un système déterminé de ne pas être là quand il faut. C’est vrai qu’ils n’ont pas des modèles devant eux parce-que souvent mes ’instits’ arrivent en retard. Parce que moi les repères que je pose en tant que directrice ne sont pas relayés par les ’instits’ eux-mêmes.

  • On a le droit à l’erreur, on a le droit au retard, je le conçois, je ne suis pas quelqu’un d’une rigidité terrible, mais pour être crédible là aussi, pour porter le message, faut aussi un modèle quelque part dans sa vie, dans ses formes de pensée, dans le respect des valeurs que l’on a lançées, je dirais c’est incontournable. Et on souffre peut-être dans différents domaines, d’un certain laxisme à tout point de vue, ’ moi je peux le faire puisque les autres le fond’. Pour les gamins c’est pareil.

  • Donc si on reprend tout ce qu’on disait sur ce que vous véhiculez à travers votre action de tous les jours, vous cherchez à promouvoir chez l’enfant le fait qu’il soit respectueux de l’autre, qu’il est une identité forte personnelle, ancrée dans une certaine liberté et puis qu’il s’insère dans le tissu social.

  • Alors sans pour autant, je le disais être un être soumis. Je ne veux pas robotiser les gamins donner un modèle définitif, un moule. Faut quand même qu’on considère que je leur laisse leur originalité, leur personnalité, que j’essaie de renforcer aussi (çà frappe).

  • Bon je reviens à ce qu’on disait tout à l’heure, si y’avait pas le PEI, ce sont des valeurs de toute façon qui sont les vôtres et qui sont liées vous disiez à votre personne et à votre éducation. Alors quelle à été la rencontre qui a fait que ces valeurs éventuellement vous les retrouvez dans le PEI ou pas ou c’est deux choses différentes... ou...

  • Non çà ne peux pas être deux choses différentes...

  • Enfin, je veux dire le lien entre ça et...

  • çà peut pas être deux choses différentes

  • Est-ce que çà explique votre adhésion à la philosophie..

  • Certainement

  • Sous-jacente au PEI...

  • Certainement, certainement, le cadre moi m’a tout à fait convenu. Quand j’ai vu défiler et les instruments, le lien qu’il y avait entre eux tout ce qu’on pouvait corriger, apporter en plus, ce désir de servir que l’on retrouve là, d’apporter, d’aider, c’était pour moi une aide supplémentaire, un moyen de rendre l’individu autonome par rapport à ce que je souhaitais qu’il fut, ce vers quoi je tendais pour qu’il se réalise en tant qu’homme, bon là, j’ai retrouvé. Donc je me suis dit, c’est vraiment super d’avoir cet outil là à disposition et de transmettre, pas d’une façon anodine. Donc c’était dans mon cursus personnel, j’avais trouvé d’autres choses de visualisation positive, que moi je travaillais, y’avait eu la Gestion Mentale, y’avait eu Freinet aussi, j’étais pas toute neuve quelque part. Donc c’était un plus et j’espère qu’il y en aura encore d’autres et pour moi et pour eux, comme je pourrais transmettre éventuellement, je crois que c’est un tout.

  • Je relisais là récemment de De Bono, vous savez Edouard De Bono qui est un américain qui à écrit six cerveaux pour penser, qui donne si vous voulez à l’individu les pré-requis pour ne travailler qu’un seul aspect de sa pensée, je dis ’tiens on pourrait le raccorder avec le PEI’, c’est un plus.

  • Vous n’êtes pas fermée à d’autres approches...

  • Ah non, le PEI est pour moi un ensemble très cohérent que j’utilise comme outil, mais je l’éclaire avec plein d’autres aspects de ce qu’a été mon passé d’enseignante, mon passé personnel par rapport à différentes méthodes et ensuite par rapport à ce que j’apprends continuellement.

  • Donc je vous ai dirigé vers l’idée de la philosophie sous-jacente à votre action et peut-être sous-jacente au PEI, l’idée que vous avez de ce que vous voulez promouvoir chez l’individu et puis y’a l’autre côté des concepts théoriques. Sur l’idée des valeurs donc on a vu, je pense que là c’est clair, les valeurs philosophiques, les valeurs spirituelles, vous m’avez dit au fond vous savez pas trop, l’idée de Dieu par exemple des choses comme çà, par rapport à ces croyances là vous n’avez pas de position affirmée sur le fait que par exemple vous avez des croyances religieuses qui vous engagent à aller dans ce sens là.?

  • Euh non... non, non plus maintenant ( çà sonne)

  • Quand je disais plus maintenant, bon c’est quand même une réponse...(rire...) ... bon je veux dire ce fut... et l’on est quand même ce que l’on a été. Donc j’ai eu une éducation religieuse, j’ai longtemps cru en Dieu, je m’en suis peut-être éloignée je ne sais pas définitivement ou pas, mais c’est vrai que quelque part y’a surement cette éducation religieuse que j’ai reçue qui n’est pas étrangère à ce que je suis et ce que je vis maintenant, je ne peux pas le nier... Dans un premier temps, je vous dis non plus, mais en le disant, je me rendais compte si vous voulez du côté expéditif des choses...

  • Parce-qu’en même temps je vous donne le mot Dieu, vous dîtes non, et en même temps vous m’avez parlé, le médiateur c’est celui qui donne de l’amour.

  • Oui...Oui... Non,non mais

  • C’est pour çà que je raccroche à ce que j’ai dit d’une façon arbitraire. Ce non, c’est peut-être moi maintenant par rapport à une position quelconque d’un Dieu existant. Alors çà çà véhicule trop loin si vous voulez peut-être.

  • Mais est-ce que cette croyance en l’amour que je crois déceler chez vous, ou alors j’infère...?

  • Non, non c’est...oui (rire). Oui j’aime les gens pour ce qu’ils sont. Le jugement s’il vient, vient après, mais je vais aller vers les gens avec cette esprit là.

  • Bon, revenons à vos découvertes premières en PEI.

  • Bon je dirais, la découverte première c’est que grâce au PEI ou à cause du PEI, on est peut-être amené à dire pour la première fois je dirais aux jeunes que eux peuvent leur donner un sentiment de compétence, c’est toujours dans la médiation, mais çà je crois que c’est très fort. Quand on leur explique ce que c’est que le PEI, que on peut apprendre à apprendre, c’est quand même leur donner une sacrée découverte de leur potentiel, le sentiment de compétence... et que tout s’apprend aussi, je veux dire que l’on sort un peu du domaine du don. C’est trop souvent ce qu’on entend, je ne peux pas le faire parce-que je ne suis pas douée. Y’a des parents qui m’ont présenté un enfant le père disant : ’je vous l’amène mais il est aussi ’con’ que sa mère. Avec cette valise là ! Et que l’on vous dit : non tu peux quand même apprendre à apprendre, y’a des moyens, ça ’interpelle’ sacrément l’individu comme dirait l’autre sur son propre potentiel. Bon ça c’est quelque chose de très fort, leur dire, leur faire prendre conscience et leur prouver. Parce que tant qu’on reste au niveau du manque de preuves çà marchera pas. Par exemple, un bon moyen de le prouver, c’est commencer OP( instrument organisation de point). Vous notez bien de quelle manière ils fonctionnent sur Op3 par exemple et puis quand ils arrivent à OP14 à la fin... ’C’est compliqué c’est difficile on n’y arrive pas, mais vous pouvez vous savez, rappelez-vous comment’ et vous leur redonner OP et ils la fond dans un temps record et c’est facile, alors là on ressort la feuille et l’on dit : ’voyez ce que vous me disiez à l’époque, y’a pas eu apprentissage’. Alors là c’est vraiment leur faire prendre conscience de leur modification, qui dit modification dit modifiabilité mais c’est une prise de conscience pour eux. On a les moyens là, mais on peut le faire avec n’importe quoi à la limite. En mathématique, en français, en n’importe quoi.

  • Bon et puis au niveau des concepts, y’a quand même le vocabulaire, bon moi je suis quand même très attachée, à les enrichir au niveau du vocabulaire. Alors on dit souvent tu leur colles un vernis, je nie pas que çà peut être de l’ordre du vernis, mais je dis qu’est-ce-que c’est bien utile parfois d’être comme les autres. Tiens j’avais une photo d’élève il sort d’un IMP, voir ce qu’il était, ce qu’il est devenu, oh il n’a pas modifié pleins de choses, c’est ce jeune homme que l’on croise dans la rue sans s’aperçevoir qu’il est si lourdement atteint, voilà, alors c’est vrai qu’il y a ce vernis mais.

  • Vous savez on est un peu ce que l’on voudrait que l’on soit. C’est vrai que pour endosser, je vois mon clown là, c’est vrai que pour être clown, il faut certainement avoir des compétences, avoir un désir d’aider les autres, la aussi y’a surement une démarche au niveau du clown. Mais je dis dès qu’on endosse l’habit de clown, on est un peu clown, dès qu’on endosse l’habit d’écolier on est un peu écolier et ça on l’oublie trop souvent. Pour penser on peut très bien se mettre dans la peau de RODIN et pour autant ne pas penser. Mais quand on est déjà dans cette pose là, quelque part ce n’est pas anodin et on va avoir un cheminement de notre propre fonctionnement, à ce moment- là on dira, je pense peut-être pas, mais on va penser sur ce qu’on ne pense pas. C’est un peu la prière. Bon j’ai eu une conversation sur Dieu etc... avec une amie qui est très croyante, que j’aime beaucoup, qui fait des missions qui est médecin et elle me dit tu ne pries plus. Non je ne prie plus çà ne m’intéresse plus, je n’ai rien à dire et je ne peux plus prier et elle me dit tu n’as qu’a te mettre dans l’attitude de l’individu qui prie et sa viendra tout seul. Alors bien sûr je me suis opposée à çà en disant que mon esprit vagabonderait et c’est vrai que ce n’est pas vrai, parce-que si effectivement, appelez cela de la méditation, si vous vous mettez dans une position de automatiquement vous serez celui dont vous avez pris l’habit quelque- part et avec nos enfants et çà c’est une dimension que j’ai du mal à faire passer auprès de mes collègues que je prône vraiment. Ils sont à l’atelier ( changement de face), c’est pas que le look, c’est un peu se mettre dans la peau du personnage, quand on dit, visualisation positive de quelque chose, moi j’ai beaucoup travaillé sur la visualisation positive de la maladie, dans un cursus personnel.

  • C’est vrai que se voir triomphant de quelque chose, d’une maladie ou d’une situation, pouvoir se projeter soi, plus tard, comme çà, çà aide à gravir les échelons de l’horreur de l’angoisse et de pleins de choses. On sait que de toute façon, il faut être optimiste d’accord, mais quelque part on va triompher, et se voir battant. Vous savez dans la vie vous avez ceux qui ont toujours la gueule de l’emploi du perdant et qui seront toujours perdants et puis ils y a ceux qui au bout du compte se disent, bon ’ba’ non ce n’est pas possible, non on va bien trouver, il va bien se passer quelque chose, sans forcément idéaliser ce qui va se passer et être et inconscient des phénomènes qui lui échappe parfois, mais çà vous donne une autre dimension, çà vous donne un angle d’attaque plus fort et quand Feuerstein prône le système de croyance, en la modifiabilité de l’individu. Déjà çà que de leur dire, de se le dire et d’en être convaincu. C’est aussi se mettre dans la position d’un éducateur qui voit les autres sous un autre angle, s’attaquer différemment l’individu.

  • C’est une représentation différente..

  • Voilà, et moi je pense que nos représentations influent beaucoup beaucoup sur l’idée qu’on a des autres. Quand on a un a priori négatif, on a du mal à s’en défaire, et quand çà échoue aussi, ’ oui mais enfin il est quand même’ on a du mal à revenir sur. Alors quelles sont les représentations que l’on a vis-à-vis des enfants, du système éducatif en général, vis-à-vis de plein de choses, ça remet en cause, mais là j’y ai trouvé ma dimension, à cause du système de croyances. Moi j’y ai adhéré.

  • Bon... on va essayer d’attaquer le troisième volet de mon schéma, c’est justement, vous l’avez un peu abordé à travers votre... ? religieuse, c’est votre histoire,.. je ne veux pas dire personnelle, mais un petit peu les étapes de votre éducation et votre histoire scolaire....

  • Oui...oui...

  • D’après vous.. essayez... spontanément... c’est vrai que ce n’est pas facile, ce sont des questions, un petit peu intimes....

  • Si,si...si je vois ou vous voulez en venir.

  • Vous dîtes, vous êtes programmée, mais au fond là vous êtes là, mais au fond vous avez aussi cette histoire qui à fait que vous êtes là...

  • Oui...Oui c’est pas anodin.

  • Alors est-ce-que vous pouvez identifier ces éléments?

  • Oui, Oui, tout à fait. Ma décision par rapport à mon désir de servir entre guillemets, dans ce milieu là précisément, envers et contre tous dirais-je parce-que, mon père ne voulait pas que je fasse ce milieu là, dans la mesure où c’est un métier de crève la faim et que et bien, j’allais donner sans rien reçevoir....Mais mes parents ont toujours respecté mes désirs donc çà n’a pas posé de problèmes. Disons que c’était la mise en garde. Mais l’injonction paternel, c’était quand même, tu serais capable de mieux faire, de mieux réussir socialement. Mon cursus scolaire, il à été celui d’une petite fille obéissante, gentille, très florissant très positif jusqu’en CM1et CM2, début d’une maladie que je trimbale depuis donc changement d’univers. Cours complémentaires de jeunes filles, garde à vous, monsieur, madame, non y’avait pas de messieurs, y’avait que des mesdames, y’avait que des vieilles filles acariâtres, qui ne toléraient pas le fait que je manque pour aller à l’hôpital, qui ne toléraient pas le fait que ceci que cela, qui m’ont excessivement brimées dans ma personnalité.

  • Un seul exemple qui va vous montrer la souffrance de la jeune fille que j’ai pu être. C’était la mode, je ne sais plus en quelle année c’était des collants de couleurs, à l’époque on avait des bas à 12 ans. Les collants sont arrivés sur le marché, c’était des gros collants en ’rilsant’ et ma mère m’avait acheté une paire de rouge et une paire de bleue marine, c’était super. J’ai mis les collants rouges, le professeur d’anglais m’a appelé au tableau, m’a obligé à retirer les collants rouges, en disant que c’était absolument monstrueux de voir une jeune fille déguisée comme cela voilà et la même professeur, prenait l’éponge au tableau et le matin quand on était maquillée nous essuyait le visage avec l’éponge du tableau. C’était y’a pas cinquante ans, voilà, bon j’ai beaucoup souffert justement, parce-que chez moi j’étais très libre euh..bon... j’adore créer, dessiner, j’ai eu un herbier très tôt, j’ai fait de la botanique, j’ai crée un théâtre de marionnette, j’étais monitrice très très jeune, je parcourais tout A... avec mon théâtre de marionnettes, le jeudi, je dirigeais une chorale, enfin je faisais plein de trucs. J’adorais m’exprimer, je dansais, j’ai fait des cours de danse pendant des années et tout çà c’était dans une expression très libre de ma personnalité qui avait cette dimension dans ma famille. Bon y’avait des interdits bien-sûr, mais là c’était notre côté bohème entre guillemets.

  • Et vous avez été dans cette école à cause de la maladie?

  • Non j’ai été dans cette école, parce-que c’était l’école qui était à côté de chez moi, où en sortant de l’école primaire je devais aller. Bon à l’époque habitant à A... on avait beaucoup de mal à aller dans les lycées P...Au cours complémentaire, j’étais la nulle, comme ma soeur qui était passée avant,... j’adorais l’anglais mais j’étais nulle,... si bien que quand je suis arrivée, Je ne faisais plus rien d’ailleurs parce que je savais que quelque soit la qualité du travail que je rendais, la femme qui m’avait retirée mon collant me collait le samedi après- midi, j’avais un abonnement. Donc le samedi après-midi, je savais que je ne pouvais pas sortir, voilà j’étais consignée toute l’après-midi, alors j’en avais pris mon parti et je m’ évadais par la pensée, de ces classes où je copiais l’anglais. Et quand je suis arrivée au lycée, j’étais première en anglais, j’ai ’rafflé’ tous les premiers prix, parce-que j’avais appris beaucoup en fin de compte à l’insu de tout le monde et là j’ai commencé à vivre au lycée, c’est-à-dire, à savoir que j’étais pas incompétente, à avoir confiance en moi sur le plan scolaire, à mettre en oeuvre pleins de choses qu’on m’avait refusé.

  • Vous aviez l’idée que vous étiez incompétente en primaire..?

  • Ah, non, non, pas en primaire, j’étais brillante. C’était en cours complémentaire, de la sixième à la troisième, peu à peu on m’a donné l’étiquette mauvais élève.

  • Même si ça ne se traduisait pas sur le carnet scolaire ?

  • C’était pas brillant quand même. J’avais fini peut-être à l’image de ce qu’on attendait de moi. Et on m’a fait aussi un coup absolument abominable, c’est qu’en troisième, on passait le brevet à l’époque et pour rentrer au lycée, il fallait treize de moyenne en tout et on ne m’a pas inscrite au lycée parce-qu’on m’avait dit que je n’aurais pas le brevet et j’ai eu le brevet et j’ai redoublé ma troisième avec le brevet, dans mon cours complémentaire de jeunes filles. Ils ont regrétté, parce que là, je savais que je rentrerais au lycée l’année suivante, alors j’étais brillante la dernière année...évidemment les professeurs étaient tellement programmés, qu’ils vous collaient exactement le même texte que l’année passée et comme j’avais les corrigés, parce que j’étais très consciencieuse, j’avais des bonnes notes partout. Je suis rentrée brillamment au lycée, ils m’ont fait redoubler une année, mais ils s’en souviennent encore, j’étais ignoble, m’affichant avec des garçons, arrivant en motos, mon père convoqué sans arrêt, en disant ecoutez je lui donne raison. Alors là c’était la fin de tout, puisque sa famille lui donnait raison, S...., vous pouvez aller au bout de vos fantasmes, j’y suis allée. J’ai donc été une bonne élève au lycée, j’ai eu mon bac sans problème, j’ai fait ’philo’ .

  • Bon et après j’ai dit moi je veux enseigner. Mes parents ont dit ce serait peut-être bien de continuer en ’fac’. Moi je voulais enseigner, forte de l’expérience douloureuse que j’avais vécue. Je me dis, il faut que quelque part je rattrape cela, faut que je me blanchisse... je sais pas.

  • Vous pensez que çà a un lien?

  • Oui tout à fait, tout à fait, tout à fait. Et peut-être aussi que dans ma façon d’être, j’aime aussi donner, peut-être commander, diriger.. un peu l’idée de diriger...

  • Versant plus de la personnalité, de la nature de la personne.

  • Voilà, voilà.. Donc c’est dans cet aspect là. Et puis bon ’ba’ voilà, çà a été un peu programmé entre guillemets par ces incidents de parcours.

  • Donc c’est un petit peu l’histoire scolaire et en même temps vous parliez que vous aviez reçu une éducation religieuse, donc le versant des parents, qui a été une éducation ... qui pourrait expliquer un petit peu ce que vous êtes à travers votre personnalité, votre dynamisme, votre croyance etc...

  • J’ai milité beaucoup quand j’étais jeune, j’étais ’janette’, cheftaine, j’ai fait un camp scout en soixante-six à Athène, je veux dire, j’ai fait plein de trucs, dans le cadre d’encadrement de jeunes et sur le plan religieux, à l’époque, j’étais très croyante, j’ai mobilisé les foules un peu, faire adhérer etc... j’avais un sentiment d’aider les gens à progresser. Puisqu’on avait un moyen autant le prendre, c’était bête de rester comme çà dans son coin etc... Je suis un peu programmée comme çà. Mais je pense que çà vient aussi de mon père qui était comme çà et j’ai une grande identification à mon père principalement, donc j’avais quelque part certainement envie de... Du point de vue de la croyance, on était pas ’bigo’, on était croyants.

  • Et actuellement, ces engagements, vous disiez, je m’occupais de jeunes... mais à part, enfin c’est une question bête parce-que je pense que vous n’avez pas le temps, mais à part cette responsabilité que vous avez ici, vous avez d’autres engagements ailleurs....

  • J’ai eu longtemps la direction du centre de loisir de la ville de N...conjointement avec ma direction pendant quatre ans. C’est-à-dire qu’il y avait quand même dix-huit directeurs, trois mille enfants, une pléiade de moniteurs. C’est l’éducation nationale qui m’avait demandé de remonter le centre de loisir. Pendant quatre ans j’ai fait cela, j’ai donné aussi des cours de danse pendant des années, j’avais aussi un groupe de femmes, c’était plus de la thérapie de groupe, à travers la gymnastique volontaire entre guillemets, que j’ai lâchée y’a deux ans là que j’ai gardée dix-sept ans. Elle ont été fidèles pendant dix-sept ans, j’ai toujours été étonnée. Je me dis comment un groupe de femmes ont pu pendant dix-sept ans se retrouver tous les lundis, il fallait surement qu’il se passe des choses fortes dans un groupe pour qu’envers et contre tous... et on se retrouve toujours, je ne donne plus de cours mais de temps en temps elles me téléphonent et me disent : tu veux pas nous redonner un cours... Bon j’ai fait des colonies de vacances, en tant qu’ intendante, j’aime bien aussi l’organisation. Je suis très sensible au mal que se donne les personnels de service pour que çà fonctionne, je suis très attachée au bon fonctionnement des choses, donc si çà fonctionne bien, chacun a sa place dans le système organisé. Et puis j’ai fait des tas de boulots dans ma vie professionnelle, c’est vrai qu’instit c’est un métier de misère et qu’ instit en soixante huit, c’était ou je mange ou je me loge. Alors j’ai fait les marchés, j’ai vendu du poisson. J’ai fait la comptabilité, j’ai été serveuse de restaurant, j’ai distribué des prospectus, j’ai fait du baby-sitting, j’ai été bonne à tout faire. J’ai été traductrice d’anglais chez un agent de change, voilà j’ai fait plein de trucs. Donc je connais un peu l’entreprise et d’autres milieux. Et là aussi de part mon travail dans le PEI, je suis amenée à travailler en entreprise.

  • Vous parliez de la rencontre de personnes qui à un moment de la vie jouent un rôle important. Est-ce-que la rencontre avec la méthode où la personne du professeur Feuerstein, à travers son aspect charismatique, a aussi été dynamisante ou pas?

  • Oui, si, si tout à fait, tout à fait, je veux dire on ne sort pas indem d’une rencontre avec Feuerstein et çà a été un événement, alors que si c’était Rand qui me l’avait présenté, j’aurais certainement moins adhéré.

  • Vous pensez que c’est un facteur important...

  • C’est un facteur...Oui...Oui

  • Bon après je l’ai découvert sous son aspect... bon je veux dire plein de choses.... Mais disons euh.... Le bonhomme, le jour où point.... Bon einh heureusement, mais je veux dire, c’est important. Mais aussi le cadre, tout ce qu’il y avait derrière la méthode, les instruments, je veux dire pas lui seulement. Enfin il a joué un rôle....

  • Il a joué un rôle..... à un moment déterminé point voilà. Vous savez, je pense on va aussi vers des gens plus facilement, il joue beaucoup la-dessus, mais c’est vrai.... c’est peut-être parce-que c’était lui. Vous savez dès fois on dit, c’est parce-que c’était lui que... ’Ba’ oui ... peut-être sûrement c’est pas étranger.