Comment avez-vous rencontré cette méthode ?
Au départ à patir de documents sur l’éducabilité cognitive et aussi par l’intermédiaire d’un collègue.
Vous enseignez le PEI depuis combien de temps ?
Ca fait trois ans.
Quand vous vous souvenez de cette rencontre livresque, avant d’en avoir entendu parler par votre collègue... Qu’est-ce-que vous en avez pensé ?
Faut que je me remette dans le contexte. On avait toujours un regard sur ce qui se passait sur l’extérieur. On avait fait un certain nombre de bilans de constats par rapport a nos activités, un petit peu insatisfaisant, ce qui a débouché sur une envie d’aller voir ailleurs et dès qu’on a eu ça sous les yeux, on a plongé, ça avait l’air intéressant.
Est-ce-que vous vous souvenez de ce qui vous avait paru intéressant, l’idée qui vous avait accrochée ?
Modificabilité.
En quel sens ?
Parce-que justement nous n’avions pas de prise pour les rendre plus performants et ça, ça paraissait prometteur, donc il fallait y aller voir et puis quand on voit çà d’un oeil nouveau, quand on lit cela d’un oeil nouveau....
C’est votre collègue qui vous a initié ?
Oui tout à fait, X avait tout-à-fait plongé dans la méthode, il était emballé par ça et on a vu très rapidement ce qu’on pouvait en tirer quoi ça n’a fait qu’amplifier que confirmer notre désir de se former quoi.
Avez-vous lu des choses par rapport au PEI?
Le livre de rosine Debray, il y a eu pas mal d’articles dans le monde de l’éducation.
Vous avez reçu une formation, quels souvenir en avez-vous ?
J’avais des attentes, mais j’avais le désir de découvrir peut-être encore plus d’ailleurs, ça je crois que chacun le ressent différemment. Je crois que c’est normal ça dépend aussi de l’animateur, nous avons eu madame x, qui est très brillante, très compétente, mais qui ne laisse pas assez d’initiative aux gens.
Au niveau du contenu, qu’est-ce-qui vous a attiré ou qu’est-ce-que vous avez rejeté ?
C’est pas tellement le contenu, c’est la méthode par elle-même quoi. C’est la façon d’opérer avec les enfants qui m’a semblé quelque-chose de très riche quoi, qui allait vraiment sur d’autres sentiers que ce qu’on avait fait jusqu’à présent et qui devait permettre d’avoir des effets modifiants sur les individus, c’est ça qui est perceptible en fait.
Et les types d’effets que vous perceviez étaient de quelle nature ?
C’est l’envie de rendre nos enfants plus performants, ça veut dire concrètement, de reveiller en eux ou d’éveiller en eux, des fonctions qui ne fonctionnent pas ou qui fonctionnent mal.
Par rapport a la théorie, quelles sont les grandes idées, qui pour vous sont majeures, sont importantes.
L’une des premières choses, c’est la médiation, la médiation ça a vraiment été quelque-chose de nouveau que m’a fait découvrir le PEI.
Pour vous qu’est-ce-qu’un médiateur ?
C’est une personne qui s’interpose entre un contenu et un individu, pour permettre à l’individu d’accéder à ce contenu. C’est celui qui stimule qui est toujours présent. C’est celui qui va jouer sur toutes les touches des fonctions cognitives de l’individu, c’est celui qui va conscientiser l’action chez l’apprenant qui va développer la métacognition. C’est-à-dire quand je fais quelque-chose comment je le fais...Autrement y’a la notion de modifiabilité, je crois qu’on ne s’engage pas la-dedans si on n’a pas foi en ça. Je veux pas dire que le PEI ne me l’a pas fait découvrir autrement, mais c’est quelque-chose que j’ai toujours cru, que l’homme pouvait évoluer, donc j’ai toujours été dans cette optique-là, j’ai adhéré tout de suite, ça conforte
Et même ça vous a engagé a y adhérer
Oui tout-à-fait et même un individu très bas pour moi, il peut évoluer, je crois que mes élèves peuvent évoluer, je crois que les trisomiques ils peuvent évoluer, je crois en ça, mais il faut qu’il y ait quelque-chose qui s’interpose. Cette notion de modificabilité est importante ici. Y’a aussi bien-sûr la notion de métacognition, là c’est pas facile à mettre en oeuvre chez nos gamins, la prise de conscience de son fonctionnement bon c’est quelque-chose de difficile surtout pour des élèves déficients.
Pourquoi ça vous paraît important ?
Je crois que ça fait partie de la conscience de l’individu.
Donc vous parliez de la notion de médiation, de modificabilité, de métacognition qui vous paraît important.
Oui, je crois que ça ce sont les trois grands points. Ce qui nous a paru très intéressant quand on a découvert le PEI, c’est la découverte des fonctions cognitives, ça, ça nous a fait avancer d’un grand pas, ça nous a permis d’avoir une analyse beaucoup plus fine auprès des èlèves, beaucoup plus pertinente.... ça nous laisse pas indifférent, je crois qu’on peut pas s’engager, si on s’engage avec la foi dans cette oeuvre là, je crois qu’on peut pas rester indifférent, ça met en oeuvre quelque-chose en soi de très important.
De quelle nature ?
Je crois qu’on est beaucoup plus confiant en soi-même dans ce que l’on fait parce que le PEI ça représente quand même une institution et on adhère a cette institution.
Et qu’est-ce-qui est moteur de cette confiance en soi ?
C’est tout un amalgame, ça doit être l’intérêt de la chose, quand on est face a des enfants en difficultés, si on a vraiment envie d’être bien dans sa peau, de faire son boulot quoi, on essaie de tout faire pour rendre ces enfants plus performants... pour qu’ils soient plus heureux. Donc quand on a la possibilité de découvrir quelque-chose qui peut permettre à ces enfants de les sortir de leur condition et bien on y adhère.
Un moyen au service de cette foi pour les faire progresser.
Voilà, voilà.
Donc çavous redonne confiance, c’est un outil qui permet...
Oui, tout-à-fait, ça nous redonne confiance, ça nous stimule, ça conforte nos convictions.
Et en ce qui concerne ces jeunes que vous avez en charge, quelle idée vous avez de ce que vous leur apportez et de ce à quoi vous contribuez ?
On peut parler de buts finaux, mais je veux pas être trop ambitieux quand même....bon ce qu’on recherche....
Même si c’est un idéal.
Oui d’accord, oui parce que c’est un peu un idéal, c’est sûr. Pour moi c’est de rendre ces individus là capables de s’intégrer socialement, je crois que ce serait le but premier, c’est-à-dire qu’il soit autonome par rapport aux situations courantes de la vie quoi, qu’il puisse se gérer, qu’il puisse continuer à se construire.
Y aurait-il des sous-buts qui permettraient d’aboutir à cela ?
C’est quand on est sur le terrain avec eux. Quand on fait une page de PEI, ce but final, il est réduit à tout autre chose. Là on s’attaque à l’individu à son fonctionnement, on s’attaque à ses blocages, à ses désirs, à sa façon d’être, de perçevoir les choses. On s’attaque aux dysfonctionnements cognitifs.
L’entrée dans le PEI est-ce une volonté personnelle? Une impulsion d’équipe, quelle est la part de l’un de l’autre?
Quand x m’a parlé de cette méthode, j’ai sauté sur l’occasion d’une formation et aussi par rapport à mes croyances sur la modificabilité de l’individu et par rapport à ce que je pouvais apporter avec cela vis-à-vis de nos enfants. Donc c’est une volonté personnelle. Il n’y a pas eu de la part d’un individu de dire allez vous former c’est necessaire, c’est le truc qui va marcher. Je crois que ça n’aurait pas eu du tout les mêmes suites que ça a eu.
Est-ce-que le projet d’équipe vous a aidé ?
Oui, c’est necessaire. Je crois qu’on peut difficilement faire du PEI, comme ça tout seul dans sa classe sans avoir de contacts avec d’autres qui pratiquent aussi dans le même établissement.
Vous parliez tout à l’heure de votre conception de la modifiabilité, à votre avis elle s’enracine dans quoi ? Cette croyance a-t-elle un sens ?
Je crois que c’est une necessité, c’est une necessité de l’homme de toujours aller de l’avant, je crois que c’est un besoin un petit peu vicéral, d’être un peu toujours à l’écoute, de toujours se former, de ne pas stagner dans ses propres convictions et dans ses propres problèmes. Je crois qu’il faut toujours se confronter à notre monde qui bouge, qui évolue, je crois qu’on est dans cette mouvance-là et moi j’y adhère.
Du point de vue de votre itinéraire scolaire et professionnel ? Est-ce qu’il y a eu des épisodes clés dans ce cursus en termes de réussite et en termes d’échecs.
J’étais peintre en bâtiment, j’ai cherché a rentrer dans l’enseignement pour sortir de ma condition. C’était pas tellement l’aspect physique, même si c’était dur, mais c’était surtout l’aspect moral, l’ambiance au travail et puis la non perspective d’évolution. J’ai toujours été très sensible à l’environnement du travail, c’est primordial.
Quelles étaient vos attentes ?
Ce qui me déplaît surtout c’est l’abscence de relation, surtout quand on est en équipe, ou des relations superficielles.
Ce besoin de relations approfondies vous l’expliquez comment ?
C’est peut-être par rapport à un vécu antérieur. J’ai lu pal mal de choses sur la psychologie, ça m’a toujours attiré, pour moi il y avait quand même un aspect relationnel très fort, un regard sur l’autre.
Vous étiez attiré par la dimension humaine.
Oui, tout-à-fait. J’aurais pu tout-à-fait trouver ailleurs.
Votre choix de travailler avec des élèves en difficultés, c’était intentionnel ?
Non c’est le hasard, il s’est trouvé ce poste, je l’ai pris. Maintenant, je peux dire que je l’ai choisi, puisque je persiste, j’y reste.
Comment vous voyez l’avenir par rapport à la pratique du PEI?
Je pense que les choses vont évoluées, je ne sais pas à quelle vitesse, déjà le cognitif est quelque-chose de très exploité actuellement. Ce que je souhaite et l’esprit dans lequel je vis, c’est d’être toujours à l’écoute de ce qui se fera, de ce qui sera proposé et de continuer à se former si autre chose se propose.
C’est lié a votre personne d’aimer rechercher..
Oui et puis je crois que le PEI à l’époque où c’est arrivé, c’était très bien, c’est encore très bien, on est pas rendu au bout, moi je suis pas performant en PEI, je crois qu’on peut aller toujours beaucoup plus loin, mais je crois aussi que ça ne sera pas toujours l’apanaçée. Il y a autre chose qui nous sera proposé, il y aura des choses plus performantes, je crois qu’il ne faudra pas hésiter et puis pourquoi pas faire des amalgames. Je crois que tout ce qu’aura apporté le PEI ça ne sera pas inutile, tout ce qui est médiation, la métacognition, je crois qu’il y aura des choses qui ne nous lacherons pas et d’autres qu’il faudra arrêter.
Avez-vous été à l’écoute d’autre méthodes ?
Oui, j’ai fait une formation sur des méthodes cognitives..Donc on est toujours a l’écoute, je crois que c’est très important de savoir ce qui se passe, ce qu’à fait untel, untel.....Tous les ans, j’ai été en formation pédagogique...
Que vous étiez obligé de faire ?
Non, c’était un libre choix. J’ai fait de la PPO, ça j’en ai fait énormément.
Adhérez-vous a des associations en dehors de votre travail ?
Dans le cadre de mon travail, j’adhère a une association éducative qui vise à promouvoir les activités au niveau du collège.
Pourquoi cette adhésion ?
Parce-que je ne peux pas faire autrement, venir le matin, poser ma valise et repartir le soir. Je le fais parce que je crois que c’est necessaire de faire quelque-chose... un souci d’aide, de partage. Autrement, je fais partie d’une association de botanique et une autre association qui a pour but de sauvegarder les espèces en voie de disparition.
Pensez-vous qu’il y ait des sous-jacents spirituels au PEI ? Vous êtes-vous posé la question ?
Si, pour la bonne raison que Feuerstein est quelqu’un qui est croyant. Je crois qu’on peut faire du PEI sans vraiment être pratiquant. Je crois qu’il faut plutôt être attaché à des valeurs humaines qu’à des valeurs spirituelles.
Vous avez discerné des sous-jacents spirituels...
Oui.
Et vous-même par rapport à çà comment vous vous positionnez, est-ce-que vous faites un lien ?
J’avoue ne pas y avoir trop réfléchi ou c’est peut-être pas très conscient chez moi, mais c’est sûr que le PEI à parfois un côté un petit peu moralisateur, mais j’essaie de ne pas trop mettre l’accent là-dessus vis-à-vis des élèves, donc je ne fais jamais resurgir ça.
Et vous vis-à-vis de vos croyances ?
Je suis catholique, je suis profondément croyant. C’est une dimension que je convoite chaque jour ma croyance en Dieu, mais je peux pas.... je dissocie les deux....
C’est-à-dire votre croyance et..
Et tout ce qui a trait au PEI. Je le dissocie plutôt pour les gamins que pour moi-même, parce que je me refuse à aborder tout ce qui est culture religieuse.
Mais est-ce-qu’il y a un rapport entre l’adhésion aux valeurs humaines qu’il y a derrière le PEI et vos croyances ?
Je ne sais pas, je n’ai jamais trop réfléchi par rapport à ça... Est-ce que mes valeurs en l’homme... je crois qu’il y a certainement un lien, mais quel est-il ?
Vous disiez cette croyance anime un petit peu votre quotidien, est-ce que c’est ce qui est premier dans votre action quotidienne avec les enfants et le PEI ne serait qu’un moyen par exemple au service de cette finalité ?
Oui, je crois que le PEI est venu renforçer cette croyance, je crois que la croyance, c’est ce qui fait la force de l’homme, je crois que celui qui ne crois en rien c’est quelqu’un de très faible. On choisit pas d’avoir la croyance en quelque-chose ou pas c’est pas le débat. J’ai des croyances, j’ai des valeurs, je crois que c’est quelque-chose de fort en moi.
Si vous aviez des mots à mettre sous ces valeurs, à les identifier, qui conduisent votre action en référence à votre pratique d’enseignant est-ce-que vous avez des valeurs qui guide votre action ?
Oui, je peux les nommer, ça c’est sûr, des valeurs qui sont humaines auxquelles je suis très sensible, tout ce qui touche le respect de l’autre, la tolérance, l’échange, tout ce qui est construction ensemble quoi, le partage.
Ces valeurs sont sous-tendues par votre pratique ?
Ah oui, ça c’est en moi.
Faîtes-vous un lien entre ce que vous êtes et votre adhésion à l’esprit de la méthode ?
Oui, je crois que de toute façon le PEI véhicule des valeurs, je crois qu’il véhicule celles-là, je crois que si on a pas, si on est pas a l’écoute de l’autre, si on est pas attentif aux autres, je crois que pour toutes ces valeurs-là, on ne peut pas adhérer au PEI, enfin je ne pense pas que ça puisse être possible.
C’est valeurs vous les avez senties à travers les présentations, les écrits..
Oui et puis, j’ai lu des livres de Feuerstein lui-même, ça transparait.
Vous voyez dans le PEI, des valeurs qui correspondent à ce que vous êtes, il y a un petit peu une reconnaissance entre les valeurs et ce que vous êtes au départ.
Oui, oui, ah oui, je crois.
Durant votre cursus scolaire, voire professionnel, avez-vous le souvenir de personnes humaines, de personnes ressources clés qui vous ont permis de vous construire ?
Oui, je crois que la plupart des gens qui sont actuellement dans mon environnement, même les gens les plus détestables... et c’est indispensable, c’est pour ça que j’ai toujours cru en l’apport de l’autre, c’est très important....des gens qui m’ont fait confiance...des profs quand j’étais au collège.
Quelle idée avez-vous de l’enseignement ?
L’enseignement est trop superficiel, je trouve que l’on donne une grande quantité de savoir, mais ça reste très superficiel et là j’ai vu dans le PEI, l’occasion pour moi de travailler en profondeur et avec certains élèves, j’ai pu faire je crois un bon travail....Les fonctions cognitives, auprès des élèves ça a bien fonctionné, leur faire prendre conscience des différents rouages qui font que leur pensée fonctionne bien ou mal, plus ou moins bien plus ou moins mal. On a beaucoup travaillé cette année sur la prise d’information, la prise de données, parce-qu’ils avaient vraiment des difficultés à s’écouter et ça je crois que s’est bien passé, la perception claire, je crois qu’on a bien travaillé sur cela.
Si vous aviez à les identifier dans les fonctions cognitives, spontanément, celles qui vous viennent à l’esprit que vous avez travaillé avec vos élèves, ce serait lesquelles.
Bon perception claire, comportement de planification, surmonter le blocage. Je crois que s’est revenu très très fréquemment avec ce groupe-là. Perception claire parce-qu’ils ont une perception très massive et pas du tout analytique. Comportement de planification, parce que de toute façon, ils volent directement à l’objectif, ils ne pensent pas aux étapes et puis surmonter le blocage parce qu’ils sont quand même un peu capricieux et dès qu’ils rencontrent un échec, ils ont tendance soit à se décourager, soit à se buter. Bon voilà ce sont les trois que je retiendrais ’prioritairement’ pour cette année.
Vous avez dit ce qui vous a paru important c’est la modificabilité....ou modifiabilité.
La modifiabilité de l’être humain, c’est quelque chose en quoi je crois fermement. C’est-à-dire que c’est ce qui me choc un petit peu dans le système scolaire, c’est le fait qu’on laisse très peu de chances aux individus et très peu de temps aussi pour se modifier, pour évoluer. Je suis persuadé que n’importe quel élève peu arriver à l’enseignement supérieur, au moins à un stade de réflexion très satisfaisant si on lui en laisse le temps, si on lui en donne les moyens et c’est ce qui me plaît beaucoup chez Feuerstein, c’est cette foi en fait en l’homme, que l’homme peut évoluer, c’est une question de temps, de méthode, d’intentionalité, je trouve que c’est très très fort comme idée. Ca peu paraître et c’est ce que dirons certaines personnes ici un peu dubitatives, ça peu paraître idéaliste mais je trouve ça, je trouve que c’est une belle idée. Le projet est conforme avec moi ce que j’ai essayé de faire avec mes élèves, leur faire comprendre que c’était possible quoi.
Et dans ce système de croyance justement, outre la théorie, qu’est-ce-que vous voulez promouvoir comme type d’élève par rapport à votre intervention ?
Promouvoir comme type d’élève?
Quelles idées vous avez de ce que vous leur apportez ?
Cette année c’est assez confus en fait, ce que moi j’ai essayé de leur apporter, c’est cela?
Qu’est-ce-que vous pensez leur transmettre à tous niveau?
J’essaie de leur transmettre des envies, je veux dire, des envies et de la méthode. Des envies et une méthode pour accéder à leurs envies.
Si l’on prend les envies, c’est-à-dire?
Envie d’évoluer, envie de changer, envie de bouger, envie de ne pas rester statique.
Ca à rapport avec le PEI?
Pas simplement, je crois que c’est lié a ma personne, mais je crois que c’est lié aussi au PEI, c’est quand même un plan d’enrichissement, alors s’enrichir c’est quand même ne pas s’accepter en tant qu’être fini, c’est considérer qu’on va pouvoir évoluer. Donc moi j’ai essayé de leur apporter cela, bon le PEI est très intéressant pour cela, parce-qu’il y a toujours une nécessité de sortir de la tâche, la tâche n’est qu’un prétexte, il faut aller beaucoup plus loin et justement aller plus loin, c’est réfléchir à différents principes qu’on va pouvoir appliquer par ailleurs. Dans mon enseignement de français, c’est aussi ce que j’ai essayé de leur donner, des envies de lire, d’interpréter de ressentir, plus que des connaissances en fait, c’est pour cela que je ne suis pas certain d’être un bon professeur dans le système actuel, parce-que je crois que je transmets peut-être trop peu de connaissances, mais j’essaie de transmettre beaucoup d’envies d’acquérir ces connaissances, parce-que sans l’envie de toute façon ces connaissances vont être très diffuses et très éphémères dans l’esprit des élèves.
Est-ce-que ça a rapport, je fais une association, avec créer le besoin de chez Feuerstein?
Oui bien-sûr et surtout créer un besoin, une image très valorisante, une image positive de l’individu. Je crois que notre système scolaire qui a de grandes qualités, on va pas cracher dans la soupe, ce système scolaire a complètement oublié de valoriser les élèves. On valorise des comportements, on valorise des résultats, on valorise des filières, mais au sein de ces comportements de ces résultats on valorise très peu l’individu.
Ce qui m’a intéressé moi par exemple, c’est de montrer à un élève qui avait continuellement zéro en dictée, de montrer qu’il était capable de faire une page d’organisation de point, d’une manière très efficiente très intelligente et de lui dire : ’tu vois, si tu réussis ici, tu peux réussir ailleurs, c’est une question de trouver la passerelle entre cette réussite ici et puis ce que tu considères être comme un échec incontournable ailleurs, le cheminement est très intéressant. Selon moi cette année, je ne suis pas parvenu à faire traverser beaucoup de personnes, quelques unes, mais disons que je crois aucune n’est restée sur son échec. Chaque personne avec qui j’ai travaillé à quand même pris conscience qu’elle avait des possibilités. Donc en cela le contrat est partiellement rempli, mais partiellement simplement, il aurait fallu avoir beaucoup plus de temps, être mieux organisé et là c’est une auto- critique, peut-être aussi beaucoup plus d’intentionnalité, cette année j’ai eu une intentionnalité très faible dans la mesure où le groupe était difficile et j’ai eu le sentiment d’être pris dans une vitrine.
Je reviens à ce qu’on disait tout à l’heure au niveau de ce que vous pensez apporter aux enfants, c’est leur donner des envies pour qu’ils puissent prendre plaisir à ce qu’ils font et leur donner des méthodes. Autrement, est-ce-que vous pourriez définir les valeurs auxquelles vous vous rattachez qui auraient référence au PEI et qui dénoteraient le type d’enfant que vous voulez promouvoir ?
Créer le besoin, ça je crois que c’est important dans le PEI, la notion aussi de modifiabilité, je l’ai dit tout à l’heure. Qu’est-ce-qui me semble important aussi dans le PEI ? Une certaine complétude aussi dans le PEI qui est importante, je crois que si on travaille sérieusement avec le PEI, mais je crois que ça demanderait beaucoup plus de temps, là on faisait deux heures par semaine et ça me semble vraiment pas assez.
Je crois qu’on peut vraiment faire une analyse complète, des difficultés, des qualités, des potentialités d’un individu. Y’a une sorte de ’cheq up’ en fait possible et ça je crois qu’assez peu de méthode l’offre aussi directement, parce que il y a aussi quelque chose de très très bien dans le PEI, c’est sa dimension concrète. On part toujours d’un instrument, c’est-à-dire qu’on fait pas de belles phrases, on ne fait pas de longs discours, on confronte l’individu à une difficulté, à un problème. On essaie d’abord de lui donner l’envie de résoudre ce problème et de lui faire comprendre qu’il a en lui-même des moyens, qui sont plus ou moins efficients, mais qu’il a en lui-même des moyens. Alors moi je reviens toujours à cette idée centrale du respect de l’individu et du respect de cette foi en l’individu. Ce que fait Feuerstein avec les trisomiques par exemple est très très important. Je crois que leur redonner, d’abord leur donner une intelligence, plutôt leur révéler une intelligence, c’est important et puis essayer de leur rendre une dignité humaine, Feuerstein est très très attaché à cela. Ca peut se comprendre de part son histoire, de part ses origines très attaché à la notion de dignité humaine et c’est ce qui m’a vraiment bien plu dans le PEI.
Déjà il y a deux mots que vous avez employés, autres que la modifiabilité : créer le besoin, le respect et puis la dignité, par rapport au PEI, qui correspondent bien à votre conviction.
Ah oui, oui, oui, j’ai toujours essayé de respecter mes élèves en tant qu’individu.
Concrètement, ça peut se traduire comment?
Concrètement, par exemple, c’est des choses aussi bêtes que de ne pas accepter de corriger une copie en rouge, je corrige une copie en vert parce-que je trouve que le vert est une plus belle couleur, le rouge est une couleur trop connotée et puis c’était très agressif. Que ce soit en rose, en violet peu importe, mais pas en rouge, je n’aime pas cela. Je le dis d’ailleurs aux élèves pourquoi je n’aime pas cela. Quand je rends les copies, je ne fais pas de commentaires à haute voix sur la copie de l’élève, sauf s’il y a vraiment provocation de la part de l’élève. Par exemple, si un élève a eu une mauvaise note, je ne vais pas en faire des gorges chaudes.
J’essaie de ne pas utiliser le groupe contre l’élève, sauf si l’élève essaie d’utiliser le groupe contre moi ce qui peut se produire. J’essaie aussi de ne pas être le dernier arrivé et le premier parti, j’essaie d’être disponible. Bon je suis quelqu’un de..., j’aime beaucoup les relations, je suis plus quelqu’un de relationnel, que quelqu’un de..., le pouvoir ne m’intéresse pas, je ne suis pas un homme de pouvoir. Et je crois que ça peut se manifester comme cela aussi le fait d’avoir des relations dans la classe qui sont des relations très claires avec les élèves, on est là pour travailler, j’ai horreur du copinage, le cercle des poètes disparus, c’est pas mon truc. Mais je considère aussi qu’il y a quand même des rencontres possibles et j’essaie aussi toujours d’expliquer aux élèves que je peux très bien porter un jugement très sévère, très cinglant sur le travail de l’élève et apprécier la personne par ailleurs. C’est-à-dire que leur faire comprendre qu’ils sont là pour faire un travail, à partir du moment où ils ne font pas tout pour le faire je suis là pour le leur reprocher, mais par contre si je le rencontre à l’extérieur et qu’à l’extérieur ils font preuve de qualité humaine, je ne verrai pas l’élève, je verrai la personne.
De toute façon, je ne pense pas qu’un élève soit paresseux par nature. Un élève qui est paresseux, ça traduit quelque chose, c’est à nous de savoir ce qui se produit, je pense l’avoir trouvé. Mais euh.. je crois que c’est cela respecter l’individu, c’est bon il y a un contrat à remplir, l’élève ne remplit pas le contrat, ce n’est pas pour autant que l’individu est détestable, je crois que c’est ça. Respecter l’individu c’est aussi prendre conscience de la grande responsabilité qui est la notre dès lors que dans un conseil d’orientation on dit oui ou on dit non. C’est-à-dire qu’on a tellement peu d’élément à propos de l’élève, on connaît tellement peu de chose à propos de sa personne, qu’ on oublie justement qu’en disant oui ou non à l’élève, on engage l’avenir d’une personne.
Même si l’orientation est plus souple aujourd’hui, y’a des choses qui sont ’abérrantes’. Quand j’entends des enseignants dire qu’un élève ne fera jamais rien, il ne fera pas un lycée, c’est horrible de dire des choses comme cela, ça me révolte vraiment, parce-que je considère justement qu’un élève peut toujours évoluer, je connais pas mal de personnes moi, entre autre, qui ont été qui sont justement des anciens supposés rachetés de l’enseignement. Les professeurs disaient que je ne ferais jamais un lycée, alors que c’est vrai, j’ai mis longtemps à me débloquer, mais je me suis débloqué, ça a tenu justement à deux ou trois professeurs qui m’ont fait confiance alors j’essaie de ne pas l’oublier cela.
Et en fait si je comprends bien, quand même, votre adhésion à la méthode, sur le plan théorique etc... est tout à fait en rapport avec des croyances que vous avez personnellement.
Ah oui
Vous parlez d’une certaine foi en l’homme etc...
Ah oui complètement
y’a quelque chose qui est en lien..
Bien-sûr. L’enseignement qu’on essaie de promouvoir actuellement au lycée, plus au lycée qu’au collège est un enseignement fondé sur des relations de consommation. C’est-à-dire qu’on arrive avec une certaine masse de savoir, à dispenser dans l’année, avec des élèves qui sont en face de vous qui remplissent leurs cahiers comme ils rempliraient leur ’caddy’ en fait. Avec des parents qui réagissent comme des consommateurs, des élèves qui réagissant de plus en plus consommateurs, qui demande en fait uniquement l’efficacité et pas du tout la réflexion personnelle. C’est-à-dire que la matière n’est justifiée que par la note qu’on va avoir, qu’on espère avoir ou qu’on craint avoir au prochain contrôle. Donc on va apprendre pour le prochain contrôle et on va tout oublier pour apprendre autre chose pour le contrôle suivant. Donc moi ça ne correspond pas du tout à ce que j’attends à ce que je considère être la richesse de l’enseignement, donc je préfère partir pour quelques temps parce que je suis persuadé qu’on va quand même revenir à des choses plus saines, parce qu’on va quand même bien s’aperçevoir que les jeunes dont cinquante pour cent se plantent lors de leur première année de faculté, ces jeunes-là n’ont pas été formés individuellement justement, n’ont pas été préparés dans leur individualité. Ils ont été préparés très collectivement à consommer un savoir pour répondre à un cadre bien donné celui du bac etc.., mais dès lors qu’on leur demande de réfléchir personnellement, ils sont fichus quoi.
Je reviens à ce que vous disiez tout à l’heure, à propos de votre itinéraire scolaire, vous avez eu des personnes qui vous ont fait confiance, ça vous a dynamisé. Est-ce que vous pourriez me décrire cet itinéraire scolaire?
Oui oui c’est un itinéraire très très banal, j’étais un élève besogneux en primaire, je crois que j’ai failli redoubler le cours élémentaire, alors je suis passé de justesse. J’étais un élève moyen en sixième, cinquième, quatrième, troisième. En seconde, j’ai eu des difficultés et puis première et terminale, j’ai vraiment rencontré là deux professeurs, un professeur de français et un professeur de philosophie, qui m’avaient vraiment porté à bout de bras, qui m’ont fait confiance et là ça a été vraiment une révélation, j’ai été... En français je pense que j’étais un bon élève, pas en orthographe, mais j’aimais beaucoup le travail sur le texte et puis en philosophie c’était extraordinaire cette possibilité de s’exprimer, mais j’ai eu un parcours scolaire très très banal. J’ai du avoir neuf à l’écrit au bac et quinze à l’oral. C’est toujours cette notion de relation que j’ai toujours cherchée.
Je repense aux gens que vous avez rencontré, au niveau de leur attitude. Qu’elle avait été leur attitude.
L’attitude que j’essaie d’avoir avec mes élèves, une attitude de respect, une attitude aussi de dédramatisation. On dramatise beaucoup dans le milieu scolaire, bon tu as une mauvaise note aujourd’hui, si tu as travaillé c’est grave, si tu n’as pas travaillé bon tu sais ce qui te reste à faire, ceci dit ce n’est pas la fin du monde. Bon j’essaie d’avoir ce même langage avec les élèves, bon ’ba’ tu sais que tu n’as pas travaillé, tu vois le résultat bon tu sais ce qui te reste à faire la fois suivante, en donnant toujours aux élèves la possibilité de se racheter. C’est-à-dire que je donne toujours un contrôle assez difficile et un contrôle un petit moins difficile de manière à ce qu’ils puissent se racheter dans le deuxième, tout en insistant sur le fait que la vie ne leur donnera pas forcément toujours deux chances, que c’est un système qui est fait pour les préparer, donc qui doit être un peu plus confortable que ce qui les attend à l’extérieur et que justement, ils doivent bien s’attendre à ce qu’à l’extérieur ce soit plus difficile.
Moi c’est ce que j’ai apprécié de la part de mes professeurs, de laisser des chances, on laisse très peu de seconde chance en fait aux gens, les redoublements c’est pas une seconde chance. C’est souvent perçu à juste titre comme une punition, c’est aberrant de redoubler toute une classe. On devrait redoubler une matière, par exemple, les mathématiques, le français et puis continuer, faire une sorte d’enseignement modulaire et de redoublement modulaire. La notion de seconde chance dans le système collectif est quelque chose qui est bannie complètement et ça, je trouve cela grave.
Je crois beaucoup aux rencontres. Bon et c’est une dizaine de personnes qui m’ont dit bon tu peux aller par là, mais tu sais que si tu vas par là c’est pas bien, non mais c’est pas lié à une éducation.
Vous parliez tout à l’heure de liberté?
Ah oui, oui.
Et qu’est-ce-que vous entendez par la notion de liberté?
La liberté je crois que c’est bon, avoir des désirs, avoir des espoirs, se construire, enfin reconstruire des savoirs. Ne pas accepter un savoir qu’on vous donne, sans avoir essayé de le reconstruire, on vous donne des pièces d’un jeu de construction, on vous les présente individuellement, on en fait l’analyse, mais la synthèse est personnelle.
Et qu’est-ce-que vous pourriez associer autrement comme mot à liberté? Un mot qui vous vient à l’esprit?
Amour...
Le mot amour.
Ca c’est très lié tout ça à Feuerstein aussi, mais je crois, mais c’est vrai qu’il n’y a pas de... La première liberté, c’est la liberté d’aimer, d’aimer ou de ne pas aimer, mais pas simplement des personnes, un texte, une matière. Beaucoup de professeurs se sentent atteints dès qu’un élève n’aime pas la matière, au contraire c’est positif de dire je n’aime pas cette matière. Ce qui est négatif c’est de dire je ne l’aime pas donc je ne vais pas la travailler, il faut aussi apprendre à travailler ce qu’on aime pas. Je crois que c’est très positif quand un élève vient me dire moi j’ai pas aimé tel ou tel livre que vous m’avez demandé de lire.. je ne me sens pas euh... Je suis déçu parce que si je lui ai demandé de le lire c’est que j’avais aimé, mais je considère cette différence comme...?
Alors en fait, cette notion de liberté et cette notion d’amour, vous dîtes ça me correspond bien et ça correspond bien aussi à l’esprit de la théorie du professeur.
Je crois oui, mais sachant que Feuerstein se méfie un petit peu de l’affectif. Il a raison d’ailleurs, c’est pas facile à gérer d’ailleurs l’affectif, quand on a une douzaine ou une quinzaine de personnes, y’a des interactions, c’est un peu comme des médicaments, ceci dit je ne me suis pas privé de faire intervenir dans les transpositions, des situations qui sur le plan affectif pouvaient être forte. Par exemple quand on fait une erreur, il faut d’abord savoir analyser l’erreur pour pouvoir la corriger. Une transposition relationnelle tout de suite chez les adolescents ça peut se transformer en bombe... Parce-que ça peut être une erreur d’interprétation de relation avec un parent, il ne faut pas l’écarter. Feuerstein à tendance un petit peu à l’écarter, je trouve ça un peu dommage, peut-être a-t-il raison, je ne suis pas certain de bien fonder ma démarche. Quand les élèves faisaient intervenir directement des problèmes, je n’essayais pas de les évacuer en disant oui mais attention on est pas dans le cognitif, on est dans l’affectif, c’est la même chose....c’est un être humain, tout fonctionne ensemble.