On peu juste partir de..
Je crois qu’il faut partir d’un itinéraire personnel.
Oui, si vous préférez.
Pour moi, c’est difficile de l’expliquer autrement. Moi, je suis devenue institutrice par hasard, c’est-à-dire que j’avais passé mon BAC et j’étais très intéressée par la psychologie, sans savoir très bien ce que c’était parce qu’en philosophie, Freud m’a bien interessée et je me suis mariée. Donc, il a fallu que je travaille et par hasard quelqu’un m’a dit : ’Pourquoi ne ferais-tu pas institutrice ? Ca ne m’avait absolument jamais effleurée l’idée. Je me voyais faire du journalisme, n’importe quoi, mais sûrement pas m’occuper d’enfants, mais comme il fallait que je travaille, j’ai dit oui, après tout, pourquoi pas et donc je n’ai eu aucune formation.
Je suis tombée en 1965 sur une période où l’on devait avoir besoin d’enseignants, donc on m’a engagée sur le seul diplôme du BAC et ayant émis que la psychologie m’intéressait, lors de la première réunion avec l’inspecteur, je n’avais pas eu une heure de formation entendons-nous bien, on m’a proposé de faire de la pédagogie spécialisée. Je n’ai uniquement accepté que parce que l’école qu’on me proposait était en trajet direct avec mon domicile et que c’était un poste à l’année, c’est-à-dire qu’au lieu de faire des remplacements tout au long de l’année, il me semblait plus judicieux, plus agréable, d’avoir un poste à l’année. Je me suis donc retrouvée dans une classe de perfectionnement dans le 18ème arrondissement, dans une école primaire de garçons.
C’était en 1965, c’était encore l’époque où l’on mettait les enfants en rangs à coup de sifflet, on écrivait avec des portes-plume où le châtiment corporel, tout en étant interdit était encore très pratiqué. Je me suis retrouvée le premier jour avec un dizaine de gamins en petit perfectionnement, des gosses de 8 - 9 ans. Je suis rentrée dans cette classe, l’école était commencée depuis 8 jours et ils n’avaient pas eu d’instituteur, ils étaient debout sur les tables et ils se lançaient les portes-plume à la tête. Je suis arrivée du haut de mon mètre cinquante-cinq, je suis restée plantée-là avec les gosses, le directeur est parti après m’avoir présentée. J’ai pris le plus petit, je lui ai foutu une paire de claques, tout le monde s’est assis, je n’ai plus jamais eu d’histoire de discipline. Je me suis retrouvée devant ces gosses, sans absolument savoir quoi faire. Je ne savais pas ce qu’on attendait de moi, bon, je savais qu’ils ne savaient pas lire, c’est pour ça qu’ils étaient là. Ils n’avaient pas réussi à apprendre à lire. Je n’avais jamais enseigné à qui que ce soit et en fait, les seules bases sur lesquelles je me suis mise à travailler c’était le souvenir. J’étais toute jeune donc je me souvenais de ce qui c’était passé pour moi, dans mes classes. Or, comme il se trouve que j’avais fait toute ma scolarité dans une école privée, école alsacienne qui était en avance sur son temps d’une bonne vingtaine d’années, j’ai essayé de reproduire ce que j’avais vécu.
Manifestement, ça devait être pas mal puisque au bout de l’année, après quelques visites de la conseillère d’orientation, tout le monde s’est plu à dire que je devais être faite pour ça. Pour ça, entre guillemets. Donc, j’ai passé mon CAP et là, du coup, j’ai eu droit à huit jours de formation et quinze jours de stage dans une autre classe et je travaillais toujours dans ma classe où j’obtenais des succès. C’est-à-dire que le succès, à l’époque, c’était que les gosses se tiennent tranquilles, qu’ils fassent pas de, qu’on ne les voit pas dans la cour, qu’on ne les remarque pas, qu’ils se tiennent à carreau ! Point de vue pédagogie, on nous foutait à peu près la paix ! Pas à peu près, complètement, surtout le directeur.
Donc, après, l’inspecteur m’ayant dit vraiment que j’était douée pour..; c’est comme cela, on m’a donc proposé de passer mon CAEI. A l’époque ça s’intitulait comme ça, certificat d’aptitude pour l’enfance inadaptée. J’ai donc eu droit à un an de formation, ça se passait rue O, mais j’étais reliée à la formation, non pas... il y avait deux formations, il y avait A et une autre formation dans le centre de P et pendant un an, on nous a donc enseigné de la psychologie clinique, psychologie de l’enfant. Pour moi, c’était enfin une formation, enfin ce que j’attendais. Donc, suite presque à cette année de philo que j’avais adorée, la psychologie ! Donc enthousiasme complet de ma part, une année de bonheur, bon où je m’engageais après cette année à travailler 5 ans dans l’inadapté.
Donc après une année de formation, de lecture, de découverte et d’enthousiasme, une seule envie, c’est d’aller plus loin. Là-dessus, je suis tombée enceinte et je me suis arrêtée. Je me suis arrêtée pour élever mon enfant pendant 4 ans et j’ai donc pendant ces 4 ans profité pour passer ma maîtrise de psycho. Puisque à l’époque on vous donnait l’équivalent de la première année de psycho. Donc, c’était très tentant de se lancer. Donc j’ai élevé mon fils pendant 4 ans tout en passant ma maîtrise de psycho. Et là, j’ai eu l’impression d’avoir enfin cette formation dont j’avais besoin pour faire mon métier, véritablement, convenablement et puis c’est vrai, j’ai toujours eu une attirance pour tout ce qui est étude des comportements humains. Donc j’ai fait ma maîtrise de psychologie clinique à Paris 5, et puis j’ai repris parce qu’il a bien fallu reprendre au bout de 4 ans et j’ai repris très peu, toujours dans des classes de perfectionnement puisque de nouveau j’ai eu une autre fois un autre enfant. J’ai repris encore 5 ans, cette fois ci. Donc finalement ça m’a fait un espèce d’arrêt en tout de 10 ans. J’avais très peu repris, j’avais repris en tout 1 an. Là, pendant 5 ans, j’ai beaucoup lu, j’ai pas fait d’étude mais je me suis vraiment penchée sur la psychanalyse plus que sur le psychologie. Ma maîtrise de psycho avait été très orientée vers la psychanalyse. Bon, j’ai pas fait d’analyse personnelle.
Quand j’ai repris au bout de 5 ans, je suis tombée par hasard dans une SES. Je ne savais pas que ça existait, c’est donc cette fois-ci dans un collège et c’est donc avec des adolescents qui ont entre 12 et 16 ans. Donc une toute autre population avec une toute autre approche. Faut que je dise encore, que pendant mes années de perfectionnement.... j’ai un caractère assez fort, donc je suis tout à fait capable de m’opposer aux idées reçues de l’époque. A l’époque, à cette époque-là, on estimait que mettre un enfant dans une classe de perfectionnement, c’était une chance pour lui et qu’il fallait surtout pas l’en sortir et pendant mes quelques années dans les classes de perfectionnement, j’en ai toujours sorti. Alors on disait autour de moi, bien alors, c’est peut-être une mauvaise orientation. Moi, je disais, non, c’est pas vrai, c’est un gosse qui s’est modifié. Je ne disais pas modifié à l’époque, c’était pas un mot qu’on employait, mais je disais non, c’est un gosse qui a fait des progrès, qui a acquis des choses et qui maintenant peu retourner dans le cycle normal ’entre guillemet’. Mais ça ne se faisait pas, c’était très mal vu et on estimait qu’un gosse qui avait 75 de QI, il devrait toute sa vie avoir un QI de 75.
Quand vous dites on estimait, c’est-à-dire que des gens vous disaient ça ou c’est l’impression que vous aviez ?
Non, c’était l’inspecteur, le conseiller d’orientation, le directeur, les psychologues de l’époque.
Et vous vous rappelez de moments où l’on vous disait ça ?
Absolument.
Oui. Vous revoyez des situations concrètes...
Des gosses qui avaient complètement évolué, qu’on remettait dans le circuit. Alors on me disait : ’ah, bien c’est parce que c’était une mauvaise orientation, c’était pas vraiment un débile’. Parce qu’à l’époque on disait débile ! C’était le mot employé à l’époque. Ca devait être pour d’autres raisons qu’il se trouvait en perfectionnement, donc c’était une mauvaise orientation. Vous vous en êtes aperçue, très bien, on le ressort, très bien. Mais c’est une exception, si l’orientation avait été bonne, si vous aviez vraiment eu que des débiles, puisqu’on était sensé recevoir des gosses qui avaient des QI entre 70 et 85. Eh bien, normalement, il aurait dû rester avec vous et c’était la chance de sa vie d’être dans ce trajet parallèle. Ca je m’en souviens très bien. Mais, j’avais des doutes, mais avoir des doutes, à l’époque c’était un petit peu vouloir dire à l’époque, moi j’ai été capable de faire progresser alors qu’on ne pouvait pas le faire progresser. Donc c’était difficile comme situation, parce que c’était comment, moi, pauvre petite enseignante de rien du tout, j’étais capable de faire progresser un gosse qui normalement n’aurait pas du progresser. Donc, c’est très difficile à défendre, comme opinion. Donc, c’est vrai que je n’avais pas beaucoup d’arguments et que bon... moi, j’étais contente qu’on sorte le gosse. Qu’on me dise que c’est une mauvais orientation, eh bien !, tant pis. Le principal pour moi, c’est que le gosse il est retrouvé le circuit ordinaire donc, qu’il s’en sortait. On peut le retrouver à 16 ans apprenti et puis travaillant, ayant son CAP et puis revenant me voir quelques années plus tard, marié, des enfants et se débrouillant très bien, ce qui m’est arrivé !
Donc, quand je suis retournée en SES donc, je me suis retrouvée avec une équipe, chose que je n’avais jamais connue, puisque quand on est en classe de perfectionnement, on est seule, très isolée, avec autour, des instituteurs normaux, bien fiers de leur classe et vous, vous êtes la bête noire, vous avez des élèves qui se tiennent mal, qui volent, etc. Des mongoles, quoi ! Alors, là, tout d’un coup, je me suis retrouvée au sein d’une équipe avec 6 classes au sein d’un collège, un équipe très dynamique, une directrice qui était elle-même diplômée de psychologie, qui avait écrit un livre d’apprentissage de la lecture, enfin bon, vraiment des gens très engagés dans ce qu’ils faisaient, qui avaient une pédagogie très active c’est-à-dire que je me suis retrouvée à faire vraiment des action pédagogiques importantes : théâtre, voyages, vraiment bon, tout d’un coup une découverte d’une équipe qui croyait dans ses gosses et qui voulait en sortir vraiment un maximum et qui ne les considérait pas du tout comme des crétins pour la vie.
Je suis rentrée dans cette école en 81 et en 83, donc ça avait très, très bien collé, je me suis tout à fait inscrite au sein de cette équipe très dynamique, sans aucun problème et en 83, on est venu proposer à cette équipe... moi à l’époque j’avais une cinquième, dans notre collège, il y a deux sixièmes de 15 élèves, deux cinquièmes, une quatrième et une troisième. On est venu proposer, je dis on, parce qu’on ne savait pas très bien d’où ça venait un stage pour une nouvelle méthode : apprentissage de la lecture. On a évidemment proposé ça aux sixièmes parce que notre population d’élève étaient des enfants qui ne savent pas lire. On a tous les niveaux et c’est très hétérogène, ça ne peut pas être plus. Comme commun, ils ne peuvent pas rentrer en sixième parce que leur niveau n’est pas suffisant et qu’on a proposé à leur famille une SES et que la famille a accepté, c’est pour ça qu’ils sont là. Il suffirait que la famille refuse pour qu’ils aillent en sixième de collège. Donc deux enseignantes de sixième, très dynamiques, V et C sont donc parties faire de stage. Elles sont revenues l’une très enthousiaste, l’autre très énervée. C’était donc cette fameuse méthode : rencontre avec le professeur Feuerstein qui venait d’Israël, qui essayait de travailler avec madame D, ça n’était pas du tout une méthode d’apprentissage de lecture, bien entendu, madame D, syndicaliste acharnée, à tout de suite vécu ça comme un espèce de... vraiment bon elle a tout de suite eu beaucoup de recul vis-à-vis de cette méthode, alors que madame V a été très enthousiaste. Donc, moi, j’en ai entendu parler pendant un an et il avait été dit qu’elles nous rapporteraient tout de qu’il se passerait, parce que ça serait sûrement intéressant. Je vous dit on était une équipe très soudée, très dynamique. Bien sûr, elles nous ont rapporté semaine après semaine, fidèlement tout de qui ce qui se passait au stage et je dois dire que personnellement, je regrettais déjà beaucoup de ne pas y être.
Alors pourquoi, je regrettais beaucoup de ne pas y être ? C’est là qu’intervient tout le personnel. Je suis israélite, alors, c’est vrai que ce qui vient d’Israël, ça fait écho. Que j’ai lu ce qu’avait écrit le professeur Feuerstein et que j’ai retrouvé là, tout de suite, sans tout comprendre tout de suite de sa pensée, de sa méthode, des idées que j’avais toujours eues, que l’homme est modifiable, qu’on a pas un QI pour la vie, qu’il ne faut jamais désespérer de l’être humain, qu’il faut toujours essayer de faire quelque chose pour lui. Là, c’était l’idée essentielle et puis l’idée de cette revalorisation d’anti- cycle, alors, là, ça a fait écho en moi, parce que j’avais étudié certainement la psychanalyse et puis que ça faisait écho en moi à toute une éducation qui est bien connue de tout le monde, la mère juive qui dit à son fils tu es le plus beau mon fils et tu vas réussir, tu es le plus intelligent et c’est vrai que ça aide, quoi. Ca aide dans la vie. Alors tout ça, ça a fait écho en moi et l’année d’après puisque c’était une formation sur deux ans, madame Dn’avait pas du tout adhéré, elle avait vu tout le côté négatif, j’ai dit cette formation...et elle m’a donné sa place.
Donc j’ai rattrapé la formation la deuxième année et la formation, il fallait tout de suite faire dans sa classe, c’est-à-dire c’est pas une formation théorique comme ça en l’air. On s’engageait immédiatement à commencer ce programme de PEI dans la classe que l’on avait, donc on a tout de suite... on s’est lancées et on avait régulièrement un superviseur qui venait nous voir pour nous aider et c’est vrai qu’avec I on a adhéré. On s’est accrochées à ça comme à une ancre parce que jusqu’à présent personne ne nous avait jamais donné un outil. Que faire de la pédagogie spécialisée en France, c’est.... On a pas de livres, on a pas de conseils, on a des inspecteurs qui s’y connaissent moins bien que nous, qui n’ont jamais fait ces classes-là, on sait pas où on va, on sait pas quels sont les objectifs que l’on cherche. C’est très vague donc on essaie de faire ce qu’on peut, de sortir le gosse de là où il est. Alors ça peut être d’apprendre à lire au gosse qu’on nous a donné, qui arrive d’Afrique et qui à part savoir le français, parce que sinon il serait mis dans une classe d’accueil, il ne sait rien jusqu’à un gosse portugais qui s’est trouvé dans une classe du 16° arrondissement où le niveau est très fort, où on lui a refusé l’accès en sixième, alors que s’il avait vécu dans le 20 ° arrondissement, il y serait allé, donc des niveaux d’une hétérogénéité folle.
Donc, on est dans un flou complet et c’est vrai, on était surtout, il y a 12 ans. C’est vrai que là, on s’est accrochée à quelque- chose parce que c’est un petit construit. 12 cahiers de 30 feuilles, une feuille par jour, une théorie derrière. Cette fameuse théorie de remédiation cognitive, que ces gosses aient eu des manques, c’est évident, qu’ils soient inculturés, alors là, on a tout à fait retrouvé notre population et une population qui n’a ni une culture d’où il vient, c’est-à-dire que il n’y a pas de culture maghrébine, il n’y en a plus, ils ne savent pas parler arabe, à peine s’ils savent d’où ils viennent, mais ils n’ont pas acquis non plus la culture française, c’est vrai qu’on a des gosses inculturés, c’est vrai que beaucoup plus il y a 12 ans qu’aujourd’hui, ça a beaucoup changé en 12 ans.
C’est vrai que là on s’est accroché. On avait besoin de quelque chose avec I et on a adhéré. C’est vrai qu’on a adhéré... comme à une espèce de secte parce que c’est vrai que c’est vécu par certain comme une espèce de secte. On a été fascinées toutes les deux par cet espèce de gourou qui est le professeur Feuerstein, c’est vrai. Avec le recul, là maintenant, on peut le dire. Donc on a suivi cette formation, on a commencé à faire classe, ça a marché parce qu’on avait envie que ça marche. On était complètement dedans et c’est vrai que ça correspondait à ce qu’on avait en nous profondément, cette croyance du gosse, de l’amour du gosse, de l’envie que ça marche, de l’envie de les sortir de là et non pas de les laisser dans leur ignorance avec ce que je dis toujours à leur faire faire des crèmes, des dessins, à les occuper quoi. Et puis, qu’ils se tiennent calme et qu’ils n’embêtent pas les autres. Non, c’était pas ça notre but, c’était pas ça notre objectif. On voulait les sortir de là et qu’ils deviennent comme les autres parce qu’on sent en eux un potentiel, parce que c’est pas des débiles, attention ! On a pas une population de débiles, pas du tout ! Ils ont parfois des QI de 70 - 75, c’est vrai, mais c’est absolument pas rigide, c’est pas fixe, c’est pas vrai.
Moi, je suis sûre que ces gosses-là, on les reteste 4 ans après, ils n’ont plus le même QI et on s’est aperçues, que c’était d’autant plus agréable que ils détestent la vie. C’est une méthode qui marchait mieux sur les très faibles que sur les ’borders line’ qui auraient pu entrer en sixième. Et c’est vrai qu’on s’est aperçues que toutes les déficiences cognitives dont parlait Feuerstein, c’était vrai que ces gosses-là, ils avaient. Donc c’était très jouissif de se dire : ’tiens, il y a quelqu’un qui a travaillé et que c’est vrai que ça marche’. Alors l’année d’après en 85-86, dans notre classe, tout-à-fait aidées par la hiérarchie, la directrice adhérait complètement. La directrice de SES . Nous avons eu des moyens de faire, puisqu’on était ’classe-cobaye’, donc financée par l’Institut de Psychologie de Feuerstein On faisait vraiment bloc à l’époque, on était très peu intégrées au collège. Et puis l’année d’après comme on adhérait tellement avec I, en juillet 85, nous sommes parties 3 semaines en Israël, compléter notre formation. Donc, nous avons obtenu le diplôme de formateur. C’est-à-dire qu’on est capables de former des gens. Là, on a commencé à être dans le coup, point de vue théorie parce que c’est vrai que bon, j’ai eu du mal à... je ne suis pas une théoricienne. I est une grande théoricienne, elle était je crois, à la Fac, de l’Education, bon. Moi, j’avais quitté la Fac depuis longtemps, j’avais été plus proche de la maternité, de l’éducation, des autres enfants dans la pratique que dans la théorie, donc c’est vrai que j’ai eu un peu plus de mal à rentrer dans la théorie, mais là j’ai commencé à me sentir vraiment au clair. Ce stage de 3 semaines a été vraiment essentiel pour moi. Et alors là a commencé donc une période de 10 ans : 85-95 où on a donc fait équipe avec I et c’est très important parce qu’on s’est aperçues que de tout ceux qui avaient une ’classe-cobaye’, très peu avait continué le PEI dans leur classe, même s’ils avaient trouvé ça formidable, etc. parce qu’ils étaient seuls dans leur équipe à le faire et que sans parler du problème financier qui est énorme, de se retrouver seul à faire ce programme, c’était très difficile. Que nous, on a toujours été deux et qu’au fil des années, plusieurs personnes qui sont venues dans l’équipe, se sont formées. On est trois aujourd’hui, mais on en a formé deux qui sont parties depuis. Là en tout cas, on est restées sur la base de deux et ça, c’est un point essentiel.
Donc en fait, ça fait quand même 10 ans que vous pratiquez ?
Que l’on pratique, oui. On a commencé par pratiquer vraiment ensemble. C’est-à-dire que l’on prenait les sixièmes deux ans. Les sixièmes qui avaient gardé un...? pour pouvoir faire un maximum d’instruments, puisque c’est 12 cahiers, qui sont sensés être faits en deux ou trois ans. On a jamais réussi à faire tout le programme en deux ans, mais on essayait d’en faire le maximum. On a fonctionné comme ça pendant 6 ans. On travaillait ensemble, c’est-à-dire qu’on prenait le grand groupe, 2 fois 15, mais toutes les deux et c’est vrai que ça été une symbiose toutes les deux, qui faisait que ça a parfaitement marché. On faisait un numéro assez rigolo à regarder. Tous les ans, on avait des stagiaires, des visiteurs qui filmaient etc. Bon, des vedettes, quoi ! Alors entre avoir la foi entre Ste-Thérèse de Lisieux et Ste-Bernadette de Soubirou, des vedettes de cinéma, quoi ! Ca nous a souvent posé des problèmes financiers, parce que c’est un programme qui est cher, mais on s’est toujours débrouillées, on y est toujours arrivées. Puis on a eu la chance depuis 4 ans, d’avoir un principal Israélite, monsieur C, alors depuis, on a plus de problème, on a l’argent mais c’est pas un problème nul parce qu’il y a beaucoup de personnes qui nous ont dit je n’ai pas pu continuer le PEI par manque d’argent, ça coûte 250 F par élève. Parce que mettre 250 F pour 15 gosses seulement, c’est très mal vu par les autres, c’est ça, hein, par rapport à l’équipe ! Alors que nous, les autres instituteurs ou institutrices qui ne le faisaient pas, on ne les a pas formés, mais on les a informés, et tout le monde a toujours été d’accord. On a toujours fait équipe autour de ce PEI et c’est vrai que nous, formant des gosses en sixième, cinquième, on avait donc des instits de quatrième, troisième, qui nous disaient ah là là, qu’est ce qu’ils sont mieux les gosses qui ont eu le PEI. Ils voyaient la différence, donc ils étaient d’accord, sans pour forcément se former et adhérer complètement et ne pouvant pas le faire parce que c’est vrai qu’en quatrième, troisième, il n’y a que 12 heures d’enseignement général et souvent un examen au bout qui a changé. Et c’est vrai qu’ils ont pas le temps de faire 4 heures de PEI par semaine, quoi, c’est clair et il s’est trouvé que ces gens-là n’ont jamais été formés. Mais l’équipe a toujours adhéré, ça été un projet d’établissement. C’est rentré dans le projet d’établissement.
Et comme vous disiez, ça parait un facteur important de persévérance ?
Essentiel.
Le fait d’être à deux, de pouvoir travailler.
Complètement. On se renvoyait une énergie. Et puis on découvrait au fil des ans... on a sans arrêt découvert des nouvelles incidences. Alors je pense que ça a complètement changé notre façon de faire et finalement, au bout de deux ou trois ans, on s’est aperçues ce qui était important, c’est de faire ce qu’on appelle le ’bridging’ le pont avec les autres affaires, parce que faire ses 4 heures de PEI et puis après faire ses leçons de français et de maths de la même façon, ça n’avait aucun intérêt. Et ce qui est très important c’est de faire ce bridging avec les autres matières et là, on a beaucoup travaillé là-dessus, avec Isabelle, et c’est vrai que nous, on avait évidemment pas la même attitude, même si au départ on était prêtes, parce qu’au fond de nous on avait ça, c’est-à-dire de dire les gosses, on peut les porter plus loin, y croire, faut les revaloriser narcissiquement, ça on l’avait quelque-part en nous, sans mettre l’étiquette dessus. C’est vrai que notre façon d’enseigner, alors là, je parle vraiment de la pédagogie, français, maths, histoire, géo, à complètement changée. C’est-à-dire que vraiment, on a fait autrement.
D’accord. On va peut-être... En fait là, on a dressé l’itinéraire, les grandes étapes jusqu’à maintenant, alors je vais revenir sur certains aspects de ce que vous avez dit, peut-être avant de revenir sur le thème de votre pédagogie aussi, qui a évolué. La rencontre avec l’enseignement spécialisé, vous avez dit ça été un petit peu le hasard. La première classe de perfectionnement y compris la SES. Est-ce que vous diriez aujourd’hui, c’est le hasard ou ça correspond à mon itinéraire personnel, mon éducation cette tendance à être orientée vers les enfants par exemple en difficulté. Classiquement, ça peut se dire, se concevoir. Est-ce que vous diriez ça ?
Je dirai qu’il n’y a pas de hasard. Je pense que mon éducation personnelle a un manque. J’ai pas eu de mère, j’ai été élevée par une nounou. Très brave, très gentille qui m’a comblée affectivement, mais le manque d’une mère, ça marque pour la vie. J’ai eu un père, qui faisait ce qu’il pouvait, mais c’est vrai que cette blessure narcissique... parce que quand je dis que je n’ai pas eu de mère...on peut combler, fantasmer magnifiquement, mais une mère qui est rejetante, qui ne s’occupe pas de vous, ça c’est une blessure narcissique. Donc cette blessure a fait certainement que j’étais intéressée par la psychologie et que j’ai été portée vers des enfants qui me semblaient dans un vide affectif, ça c’est certain. Je projette beaucoup, ça c’est évident et que ces enfants qui sont souvent mal aimés, pas aimés, rejetés, me parlent, c’est évident, et cette mère rejetante est morte folle, dépressive, et c’est vrai que cette blessure fait qu’on est porté forcément, vers la psychologie, la psychanalyse, la psychiatrie, les enfants qui sont blessés. Et ce sont des enfants blessés dont on s’occupe.
C’est à dire en quoi ce vécu personnel, puisqu’on en parle directement maintenant, en quoi, cette difficulté personnelle vous a promue plus qu’elle ne l’aurait pu faire si elle avait été absente par exemple. Vous faites un lien, mais quel est ce lien ?
Parce que je pense que ce qu’on donne, on le reçoit. Quand on panse une blessure d’un autre, on panse la sienne et que quand on voit une réussite d’un enfant, eh bien on dit on l’a sorti de sa blessure, on la revalorisé, il réussit, il se sent mieux, il se sent moins rejeté, il se sent valable, il se sent une personne humaine, entière, complète et reconnue, ça guérit soi-même, ça renvoie à sa propre blessure. On se guérit en guérissant les autres.
En même temps, c’est autre chose, mais vous disiez la rencontre avec le professeur Feuerstein, vous reconnaissiez justement dans ses idées que vous adhériez, on est modifiable, on peut progresser, le potentiel d’apprentissage et vous évoquiez cette attrait par rapport au gourou au professeur Feuerstein avec le recul que vous avez, 10 années, là. Est-ce que vous pouvez un petit peu en reparler de ça par rapport à...
Oui, je ne peux pas m’empêcher de penser que toutes ces méthodes, si on parle de Freinet, si on parle de... je voudrais pas mal dire le nom, c’est... La Garanderie. (Je suis dyslexique) ou Feuerstein, ou d’autres, c’est d’abord un personnage. C’est d’abord une forte personnalité qui veut savoir vraiment, inculquer une passion parce que je crois qu’il faut être passionné pour adhérer à une méthode et c’est vrai que la recherche du père, la recherche d’un Dieu, la recherche d’un être, je l’ai très profondément en moi et que je ne suis pas la seule. J’ai toujours été en questionnement vis-à-vis de la religion. Je sais toujours pas si je suis croyante ou pas. Donc pour moi, je suis toujours en questionnement. Je suis toujours à la recherche de quelque chose et je crois que finalement, aujourd’hui, je crois surtout en l’homme, plus qu’en Dieu et que c’est vrai que le professeur Feuerstein fait partie de mon ensemble de maître à penser, que lui a une spiritualité en lui qui infuse. Enfin je veux dire vous lui diriez, je suis sûre que... tant sa transpire par tous les pores de sa peau, donc c’est très attirant pour moi. En plus une spiritualité que j’ai dans les gènes. C’est dans les gènes, forcément ça me parle quelque-part et il y a plein de choses dans la Bible qui vont dans le sens de la revalorisation narcissique. Le Dieu punit, mais pour que l’homme s’améliore, donc le gourou, c’est très important parce que pour adhérer, moi je crois qu’adhérer à un livre, adhérer à une théorie sèche d’un bouquin, faut être très fort. Alors moi, j’aurais pas été capable. Alors qu’on donne des conférences, aller en Israël, vivre avec lui, le voir faire, on l’a vu faire avec des trisomiques, on a vu les résultats, ça c’est pratique, ça c’est parlant, c’est vraiment du tangible, enfin, ça, ça me parle. La théorie, ça ne parle pas beaucoup et c’est vrai que ça me ’crotte’ un peu de lire des bouquins. La théorie de la modifiabilité, je m’en fou un peu. Je veux dire j’y crois, je lis en moi, je la pratique et je la vois. Les grandes théories, c’est des mots.
Pour moi, c’est des mots et les mots on peut leur faire dire plein de choses hein et puis leur contraire. Moi, ce qui m’importe, c’est ce que je vois, c’est la pratique, c’est que ça marche, c’est qu’il y ait des gosses qui s’en sortent, qui se sentent bien, qui se sentent moins blessés, même si cette blessure il vont la garder toute leur vie, on y peut rien, on est tous des blessés plus ou moins. Ce qui est important, c’est de voir les résultats et ça on les a vu en 10 ans, les résultats. Mais évidemment, c’est pas miraculeux, je veux dire que ça marche pas à 100 %, mais il suffit d’un. Il suffit de sauver une personne pour être un juste. C’est ça pour moi qui est important.
Et vous disiez dont cette rencontre avec le professeur Feuerstein en tant que personne, a été déterminante pour vous, pour vous motiver ensuite à l’action. Alors vous avez déjà répondu, mais je voudrais redire ma question, chez le professeur Feuerstein, est-ce que vous revoyez cette situation avec le professeur Feuerstein, parce qu’on avance cela encore, même si ce n’est pas dans l’ordre, mais est-ce que vous pouvez reprendre. Qu’est-ce qui vous a canalisé ? Revoyez cette situation première où vous voyez le professeur.
Moi, ma première rencontre, c’était Freud, mais Freud, il est mort. Feuerstein c’était Freud pour moi., c’était Freud de l’époque. C’était le maître à penser de 1980, que je pouvais rencontrer, à qui je pouvais parler et sa façon de faire avec les enfants, parce qu’on a vraiment assisté à une séance.
Qu’est-ce qui vous marquait dans sa façon de faire ?
Sa façon d’être, sa façon de tirer de l’enfant ce qu’il avait en lui, sa potentialité, d’arriver à rentrer, et de tirer vraiment. On le sentait avec une telle... je ne sais pas, il faut le voir pour le comprendre, c’est difficile à dire, c’est complètement lumineux, un sourire, enfin, il tout l’amour. C’est complètement religieux, c’est complètement spirituel ce que je dis, mais ça fait partie de cette rencontre et bon, voyez, c’est ce petit bonhomme à barbe blanche. C’était vraiment Freud, quoi ! Son petit béret sur le côté et c’est vrai que c’est difficile de rechercher des situations exactes, la façon d’être aussi avec nous, parce qu’il n’y a pas aussi ce qu’il était avec l’autre, avec l’enfant, les trisomiques, c’était aussi une façon d’être avec nous. Nous aussi, on avait l’impression qu’il nous tirait le maximum de nous. Ca aussi, avec une douceur et une tendresse, avec un geste, avec des gestes complètement paternels et grand-paternels. On sentait qu’il allait vraiment tirer de nous le plus qu’on pouvait faire et arriver à faire travailler des français de 9 heures le matin à 8 heures du soir avec 1/2 heure de pose, fallait le faire !
Il était avec vous pendant ces 8 heures ?
Oui. C’est-à-dire le bourreau de travail. Le gars qui est capable, vraiment de montrer qu’on peut travailler presque 12 heures pas jour et que... Ca y allait les neurones ! Et donc il nous montrait ce qu’on pouvait faire avec des gosses. C’est-à-dire que si nous, intelligence, on va dire, c’est banal, au lieu de dire comme tout le monde au bout de 6 heures, on n’en peut plus, on va prendre un café, il dit non, vous pouvez plus. C’est pas vrai, vous pouvez encore ! Et c’est vrai que c’était là, que ça commençait à venir intéressant. C’est comme la gym, c’est quand ça fait mal que ça fait du bien. Et que finalement, c’est ça qu’on allait reproduire. C’est que les gosses qui nous disent au bout d’une demi-heure, j’en peux plus de faire des maths, c’est pas vrai, guide de la pâte à modeler, c’est pas vrai, il faut les tirer plus loin.
Donc en même temps c’était un petit peu un modèle pour vous, vous voyiez agir et puis...
C’est ça la médiation. Il nous montrait la médiation, complètement.
Donc vous aviez envie un petit peu avec les enfants de reproduire ça ?
Complètement.
C’est sûr que là, non, mais c’est des choses que l’on acquiert dans cette médiation, c’est-à-dire qu’on devient tout à coup un modèle pour l’enfant. Et c’est vrai que ça c’est une notion, je trouve, qu’on a complètement perdue dans l’éducation nationale. Cette notion de modèle. On dit aux enfants, c’est vachement mauvais de fumer. Il ne faut surtout pas fumer et qu’est-ce qu’ils voient dans la salle des profs, partout, c’est des instits qui clopent. C’est d’une banalité, mais je veux dire c’est le reflet du quotidien, quoi.
Qu’est-ce que vous entendez par modèle ?
Je veux dire qu’il faut être ce que l’on voudrait que les enfants soient. Si on leur montre une image autre, comment voulez-vous que l’enfant s’identifie ? Ils ont déjà des parents auxquels ils ne peuvent pas s’identifier, surtout ils ne veulent pas s’identifier à eux, ils n’ont plus de modèle d’identification, donc on a une population qui ont des parents en déprime, qui sont chômeurs, qui sont loin de leur pays, qui sont malheureux, qui sont mal dans leurs pompes, la plupart du temps, n’ont pas voulu avoir l’enfant qu’ils font. C’est très difficile de s’identifier à des gens comme ça, c’est très dur ! Ils ne font pas un métier qui leur plaise quand ils ont un métier, qui n’ont pas eu de vie qui leur plaise quand ils ont une vie, alors le modèle identificatoire, il est où ? Il est à l’école. Et si on leur montre pas quelqu’un qui est bien dans ses baskets, qui est passionné, qui croit en eux et qui leur dit, il y a une vie possible, même avec l’enfance que vous avez, même avec toutes les blessures, c’est complètement...ça fou tout en l’air tout de suite. Et c’est ce qu’ils font la plupart du temps, c’est la délinquance, c’est n’importe quoi, parce qu’il n’y a pas de modèle identificatoire et qu’on peut pas se former sans modèle, c’est pas vrai, on peut pas.
Et en même temps, pour vous, à votre niveau, Feuerstein était un modèle ?
Oui. Moi aussi, j’ai besoin de mon identificatoire, bien sûr ! Modèle d’attitude envers les enfants, modèle d’attitude envers vous et puis cette spiritualité qui émanait. Quand je dis spiritualité, c’est... C’est croyance en l’homme, quoi. Il n’y a pas de Dieu dans la spiritualité dont je parle, c’est croire en l’homme, croire qu’on peut le tirer de sa médiocrité, qu’on peut en tirer quelqu’un qui va avoir une vie avec une image de soi où il va se supporter, parce qu’il a une image de lui-même supportable. C’est insupportable d’être un enfant qui rate tout, d’être un enfant qui est nul, d’être l’enfant mongol au sein de école et puis chez lui d’être l’enfant rejeté, d’être l’enfant qu’on aime pas pour x ou y raisons. Comment voulez-vous que l’enfant puisse être bien dans sa peau. C’est insupportable.
Alors en fait, ce que vous avez mis beaucoup en avant par rapport à cette adhésion et par rapport au professeur Feuerstein, c’est toutes ces valeurs qu’il y a derrière, notamment beaucoup la modifiabilité, la revalorisation narcissique, vous l’avez pas mal dit et en même temps vous dites, la théorie, ça me fait suer de lire les bouquins. Est-ce que ça veut dire profondément cet engagement dans cette pratique, dans la médiation, tout ça, est fondamentalement de ce ressort plus que d’un concept très précis ou même dune technique ou d’une feuille de papier ?
Attention, je ne rejette pas du tout la technique, rien à voir avec la théorie, hein !
La question en fait, c’est un petit peu comment vous vous situez par rapport à...
Par contre, la façon de faire, la technique, d’une façon de faire cette fameuse feuille...
La didactique en fait.
Voilà. Là, j’adhère, là j’accroche. Ca ne fait pas partie de la théorie, c’est la technique, la façon de faire qui consiste à beaucoup donner la parole aux enfants, à leur parler de façon presque crue, leur dire vous êtes là, parce que vous avez des manques, parce que vous avez des déficiences et que ces déficiences, on va mettre le doigt dessus et qu’on va chercher pourquoi vous avez raté, pourquoi vous n’arrivez pas. Cette recherche qu’on fait faire à l’enfant au fond de lui-même, cet espèce ce psychanalyse de la façon dont fonctionne le cerveau et non pas dont fonctionnent les sentiments. On va pas chercher pourquoi, quel est le traumatisme affectif qu’ils ont eu et qui font que il y a cette déficience, non, vraiment on cherche la déficience vraiment de cette machine qui est rouillée, de cette machine qui marche mal. Ca, je trouve ça fabuleux parce que ça donne tout d’un coup une... c’est vrai que les gosses réalisent que tout doit venir d’eux, que nous on est là pour les aider, on est le médiateur qui va les aider mais que c’est eux qui ont la clé en main et que ils vont devoir faire du travail, eux, en eux-mêmes, dans leur tête, dans le cerveau, et ça j’adore ça, tout ça j’y crois beaucoup.
On peut pas tout faire pour tout le monde, il faut qu’il y ait une recherche. C’est vrai que ces gosses sont parfois en psychothérapie, sont parfois en aide, en soutien, mais pas tous. Donc ça leur fait beaucoup de bien. Je trouve que la médiation à beaucoup d’importance parce que je suis tout à fait contre cette image du maître qui fait tout, qui est infaillible et qui serait le maître absolu parce que ’image idéale’. Ca, ces gosses là, ils ne peuvent pas adhérer, c’est pas possible ! Ca marche peut-être pour certains gosses. Eux, non. Eux, ils ont besoin de voir en face d’eux quelqu’un qui a aussi des déficiences et c’est là où moi, ça marche très bien avec eux parce qu’ils savent que j’ai des déficiences aussi et je leur dis. Ils savent que je fais des fautes d’orthographe, que je suis dyslexique, que j’ai eu un passé scolaire qui n’est pas brillant, brillant, même s’il n’est pas aussi catastrophique que le leur, que moi aussi je suis enfant d’émigrés, que... voyez, il y a toute un renvoi vers... une image positive parce que un peu semblable. Vaguement. J’essaie de ne pas caricaturer quand je leur parle. Quelque-part voir quelqu’un qui tout d’un coup sait pas écrire un mot, il va dans le dictionnaire, ah tiens, bien voilà, tiens, aujourd’hui j’ai appris que... voyez, faut encore apprendre. Et c’est vrai, c’est vrai qu’aujourd’hui encore, j’apprend à écrire des mots, c’est vrai ! Je crois que c’est valable pour tout le monde, mais que les gens n’osent pas le dire. C’est vrai que je fais encore des fautes d’orthographe, c’est vrai. C’est vrai que je ne sais pas tout en histoire géographie. C’est vrai que des fois, je dis je ne sais pas, nous allons chercher et ça c’est une médiation très importante et je pense que beaucoup de professeurs ou d’instituteurs n’osent pas être comme ça avec les enfants, n’osent pas être naturels. Comment, moi, je ne sais pas tout ? Qu’est-ce que vont penser de moi les enfants ? C’est vrai qu’il faut dire là, je me suis trompée, mais c’est pas grave, c’est une erreur rattrapable. Ah oui, tiens, là je me suis mise en colère, bon. Etre capable de se remettre en question devant les enfants, je crois que c’est une médiation très importante, parce qu’eux, tout d’un coup vont pouvoir eux aussi se remettre en question. Et c’est comme ça qu’ils vont avancer, c’est comme çà qu’ils vont se modifier et ça c’est vraiment très Feuerstein de dire que ça c’est toute sa façon de faire.
Et en même temps une question qui me vient c’est en quoi vous avez découvert ça chez Feuerstein et en quoi c’était déjà présent en vous ? Ca c’est très difficile, mais qu’est-ce que vous pouvez dire de cet aspect, par exemple le fait d’être ... devant l’enfant ? Est-ce qu’au fond vous l’étiez avant ? Est-ce que ça été franchement une découverte ? Quelles sont les grandes découvertes ?
Je crois pas que je l’étais tant que ça, parce que j’avais un peu peur. Quand j’ai été nommée classe de perf. et puis c’est facile face à des gosses de 8 - 9 ans. C’est beaucoup moins facile avec des 12 - 13 - 14 ans. Un gosse de 8 ans, vous lui dites la Seine a 3 000 km de longueur, il n’en savait rien du tout ; il ne va pas aller chercher et le lendemain il sera pas capable de vous répéter votre connerie, mais vis-à-vis des adolescents, beaucoup plus difficile de dire une bêtise, tu seras pas reprise, le gosse il peut toujours aller chercher l’information et tout. Je pense que quand j’étais en perfectionnement avec mes petits bonshommes de 8 - 9 ans que j’étais madame je sais tout, beaucoup plus.
Donc ça, ça été une...
Ah oui. Je pense que c’est parce que je me suis retrouvée en SES avec une autre tranche d’âge. Et en même temps je me suis sentie mieux avec l’adolescent qu’avec le tout petit, enfin à l’époque je me sentais très bien avec les petits. C’est pas l’impression de se sentir mal, mais disons que se retrouver avec des ados... je me suis sentie très bien. J’ai l’impression parfois d’en être restée là. J’ai souvent l’impression d’avoir leur âge.
Donc ça collait bien au niveau de...
Ca colle bien et puis je comprends bien tous leurs problèmes, je me sens très proche d’eux.
Je voudrais revenir au fil qui nous guidait avant, c’était le rapport spiritualité, technique, théorie. Finalement, vous avez argumenté du fait que ce qui vous avait beaucoup attirée, c’était le professeur Feuerstein, un petit peu la spiritualité autour, sans parler de Dieu, mais la confiance en l’homme, etc., mais que la théorie c’était un peu plus difficile, et quand je vous ai posée la question par rapport à la technique en disant bon bien la technique, vous avez dit bien au contraire, mais si, si la technique attention.
C’est très structurant. Il y a aussi quelque chose de très rassurant dans le fait qu’on a nos feuilles, qu’on a nos cahiers, enfin l’instrument, ça se fait dans un certain ordre, qu’il y a quand même des guides, enfin des guides. Il y avait des guides en anglais que l’on doit traduire. C’est un gros boulot de traduction... qu’on cherche des principes après chaque feuille. Il y a aussi il ne faut pas le nier ça, quelque chose à cadres structurants, on sait où on va, on sait ce qu’il faut faire, je vous l’ai dit tout à l’heure au début. On était dans un vide total.
Donc c’est tout de même sécurisant.
Là, pour moi on est sécurisé. On sait qu’on va faire tel jour telle chose. Là, il y a aussi un espèce de ouf de soulagement. On dit au moins une heure par jour, on sait ce qu’on fait.
Et vous aviez besoin de cette sécurité.
Ah ça fait plaisir quand même. Parce que vous savez, prendre une classe où on vous dit faites ce que vous voulez. Savez-vous faire de l’anglais ? Ah, bien tiens, bonne idée, faites de l’anglais. Une autre années vous dites, tiens, je vais faire le même programme en histoire géo que les sixièmes cinquième. Tiens, bonne idée comme ça si on les recycle, ils feront pareil. Tout le monde s’en foutait, je veux dire, complètement. On prend des livres de CE2 après on prend des livres de sixième, on prend des fiches que l’on fabrique soi-même inévitablement et des fois c’est un peu lourd, hein. Comme moi, je suis absolument incapable de refaire la même chose deux ans de suite, il n’y a que le PEI que j’arrive à faire, mais les feuilles sont toujours différentes, parce que ça part jamais dans le même sens, c’est ça qui est intéressant, mais où la balle est la même, quoi. Des fois c’est... on a envie de se reposer sur un truc quoi et ça été le cas.
Alors qu’est-ce-qui est majeur dans le fondement de votre adhésion ?
Voyez, certains ont vécu ce PEI comme un complet embrigadement, comme un entraînement à la réussite au test. Ce que disait madame D. Puis en fait, finalement, on les entraîne à réussir au test qu’on va leur faire passer ultérieurement eh bien, moi, je ne l’ai pas vécu du tout comme ça. Pour moi, c’est pas du tout un entraînement complètement rigide. Je ne peux pas comprendre pourquoi les gens le vivent comme ça, c’est marrant ! Je suis complètement imperméable à ça, je cherche à comprendre qu’est-ce qui peut faire que ça puisse être vécu comme ça, c’est marrant. Parce que moi au contraire, je trouve ça comme une libération. Je vis ça comme une libération chez l’enfant parce qu’il se libère finalement de tout ce qu’il a autour de lui. C’est- à- dire il est vécu, il a autour de lui t’es nul, tu ne réussiras jamais, t’es mongole, puis tout d’un coup on lui met le doigt dessus : oui, tu as des déficiences, tes déficiences les voilà, tu vois c’est ça et on t’en fait la preuve puisque tu vois tu n’arrives pas à faire ça. Alors pourquoi ça ne marche pas, bien voilà, c’est parce que tu ne sais pas prendre les indices, tu n’a pas de stratégie, etc., tu vas recommencer, tu vas essayer à le faire et on voit que le gosse progresse si on met le doigt sur ses déficiences. Donc au contraire, c’est une libération pour lui puisqu’il comprend enfin pourquoi il n’y arrive pas. Et ça, c’est ça qui m’attire, c’est de pouvoir libérer en fait une potentialité qu’on a tous, qu’on soit d’un niveau le plus bas qui soit ou le plus haut qui soit, on sait très bien qu’on ne se sert pas du cerveau comme on pourrait se servir. On a tous une potentialité, pour moi c’est complètement évident et qu’il faut essayer de s’en servir ne serait-ce que +1. Même ce +1, ce gosse, il le sent. Et c’est ça qu’il faut : sortir le gosse, c’est à dire qu’il voit sa progression. C’est complètement lucide. Les feuilles sont tellement bien faites qu’elles sont faites pour que le gosse voit sa progression et c’est ça que je peux appeler technique, c’est que la fabrication de ces feuilles qui sont très bien faites, parce qu’il y a une telle progression entre la page 1 et la page 16, tellement bien faites, tellement bien pensées, que c’est difficile, c’est difficile. Le mot. Et puis, en fait il y a la revalorisation narcissique, il y arrive, il le voit. Il voit le résultat de ses efforts. Donc c’est là où je dis qu’il y a une technique, c’est là que c’est rassurant. Je crois que je suis complètement à côté de la question.
Non, tout à fait. C’est -à -dire que la question c’est au fond le fondement profond de l’adhésion. Est-ce que c’est le fait d’utiliser une technique au sens du texte et puis vous avez dit que non, finalement, il est plus d’ordre philosophique.
La technique sert à ma philosophie. Je m’en sers pour ma philosophie.
Ca veut dire que votre philosophie est première et directrice et impulse votre action ?
Oui, je crois qu’on peut le dire comme ça et en même temps ça réconforte la philosophie. Avoir une philosophie, c’est très bien, mais si elles est dans le vide, si on ne la voit pas s’appliquer.
Donc cette découverte du PEI et du professeur Feuerstein vous dites, ça réconforte.
Ca va dans le sens, ça donne des preuves.
Mais est-ce que vous diriez que c’est finalement cette philosophie qu’il y a derrière le PEI qui a été motrice de votre adhésion et de votre engagement plus que dire j’ai capté une méthode, une technique et des instruments ?
J’ai capté un homme, j’ai capté la pensée d’un homme.
Oui, et vous l’affirmez haut et clair ça par rapport au bénéfice du côté instrumental. Une technique, une méthode que je vais pouvoir appliquer.
Ah oui, c’est clair. si je n’avais que des livres, avec la théorie, je suis pas sûre que j’aurais adhéré comme ça. C’est parce que je l’ai vu, c’est parce que je l’ai vu penser, je l’ai vu parler, je l’ai vu vivre.
Lui et...
Lui et sa famille, dans son pays, dans son cadre, avec ses élèves, avec son école, avec ses élèves c’est-à-dire instituteurs, enfin profs qu’il formait, avec ses élèves, et la philosophie qu’il représente.
D’accord. On va reprendre la question... c’est pas facile, mais essayez de penser par rapport à votre itinéraire personnel et professionnel, simplement un peu intuitivement, spontanément, quelles ont été les grandes découvertes ? C’est-à-dire que quand vous avez rencontré Feuerstein, vous avez adhéré, donc vous l’avez rencontré, vous avez discuté, vous avez pratiqué, mais finalement, quelles ont été les grandes découvertes ?
Le rôle du médiateur. Et je peux dire, bon, c’est pas modeste, mais je me suis rendue compte que sans le savoir, j’étais une bonne médiatrice et que si ça avait marché dans l’enseignement dès le départ, sans aucune formation, c’est que sans le savoir, j’étais une bonne médiatrice. Sans le savoir... j’avais quand même, bon, j’avais quelques critères déjà que je pratiquais, sans le savoir bien entendu.
Donc, qu’est-ce que ça veut dire : que vous les avez compris assez rapidement finalement, ces critères ?
Complètement. Alors ça, ah bien oui, bien sûr.
Par exemple vous pouvez en parler de ces critères auxquels vous adhérez, qui sont importants ?
Je vais pas vous en donner la liste !
Non, pas forcément la liste, mais 2 ou 3 grands principes, comme ça.
Je vous en ai déjà dit un. Vraiment le médiateur qui est lui-même le modèle, la médiation de reconnaissance, la médiation d’imitation, d’identité. Puis la restauration narcissique. Puis on ne travaille pas avec constamment, quoi.
Tout à fait. Mais en même temps, c’est intéressant ça, c’est à dire que on a parlé philosophie, on a parlé un peu de la technique au sens de l’outil, puis la théorie, vous dites bien que oui, lire, même si je me suis mise dans le bain et tout, je ne retiens pas tout par coeur, etc. Donc là, vous dites, les critères de médiation, je ne sais pas si je serais capable de dire les noms.
Sûrement pas. C’est vrai que je me suis aperçue que quand on les avait travailler, que inconsciemment, bon, bien je faisais tout ça.. Il n’y avait aucun problème, c’était dans ma façon de faire, c’était dans ma pédagogie où jamais ni inspecteur, ni conseiller d’orientation...pas les conseillers d’orientation... ceux qui viennent vous donner des conseils en classe... les conseillers pédagogiques, ne nous on parlé de cela. C’est pas du vocabulaire, c’est pas une façon de parler dans les années 60, certainement pas, mais je me suis rendue compte que effectivement...
Ca vous a rassurée.
Voilà.
Ca vous a encouragée à...
C’est ça, oui, complètement. je persiste en bonne voie. C’est bien ce que je fais, je suis dans la bonne voie. C’est très rassurant au contraire. Nous aussi on a besoin de revalorisation narcissique.
Ca veut dire quand même qu’il n’y a pas eu dans les critères de médiation, une grande découverte fondamentale ? Cette action a une continuité par rapport à...
Au fait, non, je ne peux pas dire qu’à un moment donné, j’ai dit ’Eurêka’ ah bien voilà, quelque chose de nouveau. C’était plutôt pour moi, conforter ma façon de faire, tout en me donnant un outil structuré.
D’accord.
C’est sûr. Autre chose, la médiation, là, ça m’a confortée dans ma façon de faire, donc ça a donné de la théorie, des mots surtout pour ma façon de me comporter, mais c’est vrai bon, que les déficiences cognitives, là effectivement, ça été une découverte. Bien sûr je me rendais compte que ces gosses avaient des manques quelque part. Manque affectif, ça je l’avais trouvé toute seule, d’accord. Qu’on ne croyait pas en eux, ça aussi je l’avais découverte toute seule, que s’ils avaient quelqu’un en face qui croyait en eux, qui les aimait pour ce qu’ils étaient, pour ce qu’ils étaient, ça leur faisait beaucoup de bien, ça je l’avais trouvé toute seule, mais c’est vrai qu’au côté vraiment déficience cognitive, c’est-à-dire pas savoir s’organiser, pas savoir rentrer les indices... Ca c’est vrai, c’est une découverte.
Théorique ?
Oui. Voilà. Ca c’est vrai, ça, ça m’a ouvert des horizons. Il y avait des déficiences par exemple que j’avais trouvées toute seule. C’était par exemple la mauvaise orientation spatiale. C’est bien connu, ça, bon quand même on en parlait déjà. Pourquoi le gosse qui a des difficultés avec la gauche et la droite. Dire, essayer de lui faire retrouver sa droite, personne n’avait pensé qu’il fallait vraiment leur faire travailler, mais vraiment, systématiquement jusqu’à ce qu’il n’y ait plus aucun problème. Nous, dans les années 60, on nous disait faut leur faire faire des petits jeux, la gauche et la droite, on en était resté aux choses qui se faisaient à la maternelle, sans comprendre qu’on pouvait leur faire travailler de façon plus abstraite, plus théorique la chose, parce que un enfant débile, ça peut pas atteindre l’abstraction. Ca aussi, grande découverte. En fait, l’abstraction, ça marche très bien. Mais il y a encore aujourd’hui en 1995, des inspecteurs qui pensent que ça ne marche pas. Qui viennent voir une leçon de PEI, qui disent c’est bien votre truc, hein, mais vous auriez dû leur faire prendre des ciseaux et du papier. Eh bien non, justement. Pas de ciseaux et de papier, on fait dans la tête. C’est pas encore passé complètement ça, aujourd’hui. Et pourtant, ça marche très bien.
Disons, que la découverte pour vous, c’est plus cognitive avec...
Voilà, c’est ça. La découverte, c’est plus ça. Voilà. C’est l’affaire cognitive. Voilà. Ca c’est clair. C’est plutôt ça la découverte.
D’accord. Et en même temps vous disiez ça m’a engagée à changer ma pédagogie, notamment dans les autres matières. Alors, ça, est-ce que vous pouvez en parler ?
Oui. C’est-à-dire qu’on ne fait plus de leçons de français ou de maths de la même façon quand on fait du PEI.
Oui. Alors, est-ce que vous pouvez m’expliquer, revoir dans votre tête des situations concrètes et me dire simplement comment ça pouvait se passer ?
Je vais vous donner un exemple. Je ne vais justement pas prendre ni français, ni maths, je vais prendre de l’anglais. Il y a eu un moment donné où j’ai fait de l’anglais, avant qu’on ait droit au professeur d’anglais. Alors je me suis dit voyons, comment je vais faire de l’anglais? Bien je vais faire comme une feuille de PEI. Alors, je leur donnais le livre, ils avaient un livre de sixième et je leur faisais analyser la page. Vous savez les pages de sixième, il y a toujours une illustration pour les gosses et puis après il y a un dialogue. C’est classique. En sixième, on fait un dialogue. Alors on faisait ça exactement comme une page de PEI. Ils recherchaient les indices, faire des hypothèses, tiens, qu’est-ce-que ça peut bien vouloir dire ? Eh bien, je vous promets qu’avec des gosses qui avaient pas un mot d’anglais, en travaillant comme ça, on n’avait pas besoin d’un dictionnaire. C’est-à-dire qu’ils arrivaient à déduire grâce à toutes les prises d’indices, qu’est-ce qu’ils se disaient dans ce dialogue. Et en faisant des hypothèses, en cherchant les indices, ils arrivaient à trouver la signification des....C’est un truc simple.... Vous vous rendez compte, au lieu que le prof dise ’hello, good morning, my baby’s Dave’, le gosse arrive à déduire tout seul, grâce aux images, ce que voulait dire chaque mot, la différence de la pédagogie ! C’est-à-dire que le gosse à tout découvert lui-même et il s’imprégnait de façon plus rapidement, parce qu’il se faisait vraiment son anglais tout seul.
Oui, d’accord. Il cherchait par lui-même, en fait.
Voilà. Bon après, il y a eu la prononciation, d’accord. Là, il y a la médiation par le modèle. Là, on est bien obligé de passer par l’oral. J’avais ma cassette. Moi, je dis j’ai un aussi mauvais accent en anglais que vous, bon, on passait par la cassette qui nous donnait... Je vous assure, j’ai des résultats en anglais au bout d’un an qu’on jamais eu des profs d’anglais qui s’occupent d’eux maintenant. Ca, tant pis pour la modestie. Ca, c’est sûr. Parce que je faisais ma feuille d’anglais, vraiment calquée sur le PEI. C’est-à-dire qu’on cherchait absolument tout soi-même, stratégie, etc.
Ah oui, d’accord. Donc vous travailliez au niveau de la sphère intellectuelle, mais à propos d’un contenu différent.
Voilà. Et on peut évidemment, faire le français, les maths, exactement de la même façon. Et je veux dire qu’avec ces gosses -là, si vous ne travaillez pas un texte de problèmes de cette façon là, le môme, il n’arrivera jamais à faire le problème, parce qu’un texte de problème. En maths, c’est un charabia pour un gosse qui ne sait pas bien lire. Mais si vous faites : quels sont les mots clefs ? Qu’est-ce que je cherche ? Qu’est-ce que je sais ? Qu’est-ce qui est inutile dans ce texte ? Où suis-je ? Où vais-je ? Alors bien sûr les gosses le font naturellement quand ils n’ont aucun problème justement, aucune déficience cognitive. Tout se travaille. Ils le font naturellement. Et eux, ils ne le font pas naturellement, justement. Et là, il faut le travailler complètement comme une feuille de PEI. Quelle est la consigne ? Qu’est-ce que je sais ? Quel est le mot clef ? Quelle est la situation ? On peut le faire en français bien entendu, là aussi. Mais alors ça veut dire, et alors c’est là que c’est très amusant, moi je m’amuse beaucoup. Comme on dépiaute chaque chose, pourquoi ? Comment ? Eh bien les gosses ils deviennent drôlement exigeants. Pourquoi on fait faire ça ? A quoi ça va me servir ? Quel est l’objectif ? Pourquoi on me fait faire la recherche de la circonférence du cercle ? A quoi est-ce que ça va me servir ? Et alors vous avez en cinquième... en sixième, ça ne se voit pas tellement, mais en cinquième des gosses qui sont d’une pertinence dans leurs questions et on ne peut plus leur raconter n’importe quoi, on ne peut plus leur faire faire n’importe quoi, parce qu’ils vous disent pourquoi ? Ca va me servir à quoi, ça ?
Oui
Oui. Voyez, c’est pas facile avec les cinquièmes, il ne s’agit pas de passer le temps avec eux ! Ca fait des gosses qui...Il n’y en a jamais 30 sur 30 , c’est clair. On n’adhère pas avec 30 gosses complètement. Il y a toujours un noyau malin fidèle à une classe, quelque soit la classe, alors il y a les autres qui suivent. Eh bien le noyau qui entraîne, il est exigeant. Exigeant de votre attitude, de vous, il ne vous laisse rien passer, et exigeant du contenu scolaire.
Est-ce que vous pouvez avec des exemples précis, là, de détails où vous avez remarqué leur exigence ? Me donner un exemple concret.
Là, j’en ai pas tout de suite... En gros, ils veulent savoir pourquoi on leur fait travailler plein de choses. C’est pas une attitude ou une question, c’est un peu plus général, c’est... je me souviens d’une année où on faisait le PEI. On était en cinquième, I attendait un bébé, elle a dit bon, bien je vais m’en aller, j’aurais un remplaçant. Ils ont dit bien alors vous nous abandonnez ? Et ça je crois que jamais sans PEI les gosses, ils l’auraient vécu, ils ne l’auraient pas verbalisé.
D’accord.
Je pense qu’ils arrivent à verbaliser des choses que d’habitude ils ont en eux, ils sentent, mais qu’ils n’oseraient pas dire, ou qu’ils n’auraient pas les mots pour le dire. Je crois que ce qui est très important aussi dans le PEI c’est qu’on leur donne les mots pour le dire. Ca aussi, c’est une découverte pour moi, c’est qu’on pouvait leur donner un vocabulaire, même compliqué, qu’ils pouvaient complètement assimiler et ces mots compliqués, ça leur donnait enfin la possibilité de parler et de dire ce qu’ils ressentaient, ce qu’ils vivaient. Ca aussi pour eux, c’est très libératoire et très source de progrès. C’est que ces enfants, très pauvres, très inculturés socialement, ont très peu de vocabulaire. Je crois que c’est le grand noeud de leur déficience. C’est un des grands noeuds de leur déficience et là aussi, c’est une découverte.
Donc oui, une découverte.
Donner le vocabulaire. Avant peut-être, j’osais pas ou j’étais pas modeste, j’osais pas leur donner ce vocabulaire.
Oui, vous n’osiez pas. D’accord.
Et dans l’abstrait bien sûr. Je dis vocabulaire concret de tous les jours, mais le vocabulaire abstrait.
Là au fond vous avez parlé en même temps un peu, enfin on va revenir à ce qu’on disait, des effets. C’est un grand mot, mais qu’est-ce que ça produit ? Et vous disiez ça produit des modifications de comportement au niveau de la verbalisation, de l’attitude et puis ça prouve une intelligence, parce qu’ils sont plus pertinents.
On n’arrive moins à les manipuler puisqu’on leur donne les clefs. On peut moins les manipuler forcément puisqu’ils savent qu’il y a toujours un objectif, ils savent que rien n’est fait au hasard, ils savent qu’on travaille pour quelque chose et pour les améliorer, tout ça on leur dit. Je veux dire rien n’est caché quand on leur présente le PEI. C’est un peu le but quand même, de leur faire comprendre qu’ils ont tout à fait intérêt à assimiler du français, des maths, une culture générale que les autres appellent histoire, géographie, sciences parce que c’est comme ça qu’ils vont s’améliorer. C’est ce qu’on essaie.
C’est ce que vous essayez !
Comme je dis toujours, ça ne marche pas pour tout le monde. Il faut savoir qu’on ne peut pas adhérer 30 élèves tous les ans. Il y en a toujours qui reste sur le carreau, il y en a toujours qui n’adhère pas.
Concrètement, est-ce que vous pouvez parler d’élèves comme ça ?
Il y a des gosses qui nous arrivent comme des mollusques. J’ai vais vous prendre le ’cas’. Le cas de la petite fille maghrébine qui arrive à 12 ans. Donc une petite maghrébine à 12 ans, elle est déjà femme. C’est pas des bébés, souvent ! Là, c’était le cas. Donc déjà grande, une petit femme un peu comme moi, 1,50 m le mollusque quoi, vraiment. Aucune appétence, petit niveau, enfin bon, on se dit la pauvre gosse, bon. Effectivement, on se dit, c’est de la débilité, quoi, 75 de QI. Eh bien, c’est la gosse qui tout d’un coup a compris quelque chose. Alors on ne sait pas ce qui se passe dans une tête, c’est très difficile, qui tout d’un coup s’est éveillée en 3 - 4 - 5 mois, je sais pas, s’est éveillée, s’est mise à travailler, s’est mise à comprendre pourquoi elle était là. Elle a fait du CE1 au CM1 dans l’année, elle a fait une excellente cinquième, même brillante, je veux dire. Elle est devenue très femme, elle s’est prise en charge, elle s’est du coup redressée, elle s’est mise à bosser, on s’est aperçue qu’elle avait vraiment fait des progrès fou, adorant le PEI, aidant les autres, complètement fanatique de PEI, bon. Là, on s’est aperçues que c’était ça qui l’avait motivée. On nous dit toujours, mais peut-être que vous feriez autre chose, c’est votre personnalité qui fait que, mais tout ça c’est un tout, on ne peut pas savoir. Donc on s’est dit cette gosse- là, il faut la sortir de la SES il n’y a pas de problème ! Elle a fait ce qu’on appelle, ça existe encore, les classes transitoires, on nous a dit mais enfin attendez, c’est une gosse qui progresse complètement, 4° techno, 3° techno, CAP, brevet, seconde, et elle a passé le BAC. Bon, mais c’est une sur 17 enfants.
Ah oui.
On la voit aujourd’hui, elle est en BTS, donc encore plus loin que le BAC.
C’est un cas limite, mais je vous assure que nous dire que c’était une mauvaise orientation, vous l’auriez vu la première année, même nous, avec 75 de QI. C’était un mollusque, hein, c’est pas la petite gamine ou on dit tout de suite, tiens, elle a mal été orientée, bon. Alors, est-ce que c’est le QI ? Est-ce que c’est ce qui s’est passé dans sa famille à ce moment -là ? Est-ce que c’est parce qu’on était deux médiatrices en face d’elle ? Est-ce que c’est parce qu’elle aime la SES ? Est-ce que c’est parce que ça devait arriver ? On ne le saura jamais.
Et en même temps, vous avez évoqué le problème de la personnalité. Est-ce que c’est votre personnalité ?
On me l’a dit souvent, on m’a souvent critiquée, enfin, critiquée...
Vous pourriez parler de ça un petit peu.
On nous disait. On nous le dit plus, parce que maintenant on fonctionne plus ensemble, on s’est séparées. I est restée en sixième et moi je reste en cinquième, exprès pour qu’il y ait plus de population qui fasse le PEI puisqu’avec notre façon de faire, il y avait forcément un an sur deux. Donc là, on essaie de former la personne qui est avec nous, de l’entraîner avec nous, évidemment il n’y a plus l’équipe d’enfer. Mais c’est vrai qu’on nous a dit de toute façon, que vous fassiez ça ou autre chose, c’est parce que c’est vous, c’est votre personnalité, vous les tirez vers vous, vous leur impulsé une énergie, vous croyez en eux, vous les aimez, donc de tout façon, c’est pas votre instrument qui fait, c’est vous. Je sais pas !
Et vous qu’est-ce que vous en pensez un peu de ça ?
Bien, je sais pas, parce qu’on peut plus nous séparer de l’instrument. Que l’instrument nous a peut-être aussi transformées.
Oui.
Donc je veux dire, on ne ferait plus le PEI, imaginons, on prend une tranche d’âge, moi, j’avais dit qu’il faudrait le faire, ce serait intéressant au bout de 10 ans de dire on prend un groupe d’élèves pendant 2 ans et on leur fait pas le PEI puis voir si finalement on arrive à peu près à la même proportion de gosses recyclés.
Par rapport à votre pédagogie.
Voilà. Mais ça serait faux, puisque de toute façon, notre pédagogie elle est complètement imbibée de PEI. Alors je dis c’est très difficile aussi de dire on prend 2 enseignants qui ne font pas le PEI et puis on leur dit on va faire une année cobaye parce que c’est aussi... c’est embêtant quoi, vis-à-vis des deux autres instits... Puis qu’est-ce que ça va donner ? Si ça donne un groupe qui a très peu progressé, c’est épouvantable ! C’est très difficile et puis c’est pas notre façon d’être, bon. Faudrait que ce soit nous qui le fassions, mais ce sera faux, puisqu’on a 10 ans de PEI derrière nous.
Et en même temps vous avez dit, c’est l’instrument qui nous a transformées.
Bien oui. Transformées, c’est peut-être un grand mot, parce que je pense qui si on a adhéré, I et moi, c’est parce qu’on avait ça en nous, mais ça nous a donné une impulsion, peut-être.
Vous entendez l’instrument dans le sens de l’outil en lui-même ?
De toute la méthode, de toute la théorie,
Ah oui, d’accord.
De l’ensemble. Ca nous a donné une impulsion, on est complètement imbibées de ça, même si on faisait plus les feuilles. Il faut beaucoup d’énergie pour faire la classe, beaucoup d’énergie. Beaucoup, parce que on voit ça sur le terrain, la moindre dépression ou la moindre fatigue, le moindre problème personnel, fait que tout d’un coup, la classe ne marche plus, c’est la catastrophe. On a vu des classes pourrir parce que ils n’étaient pas assez de personnes pour des problèmes personnels ou dépression personnelle. Je veux dire que c’est de cela si vous avez la moindre faiblesse, je pense que c’est valable pour tous les enfants et particulièrement pour ces enfants- là qui vivent quotidiennement face à des gens faibles, déprimés, avec des problèmes matériaux insurmontables. Ils ont tous une histoire épouvantable, si en face d’eux, ils n’ont pas quelqu’un de dynamique, de fort, de souriant, une énergie. S’ils n’ont pas face à eux une énergie, comment voulez-vous qu’ils trouvent l’énergie ? Il faut bien la trouver quelque part !
Oui, vous disiez au tout début de l’entretien, j’ai un caractère fort au sens et c’est ça cette force...
Je suis comme ça dans la vie, je ne suis pas comme ça qu’en classe. C’est une énergie que j’ai certainement développée face à la dépression de ma mère. C’est assez classique pour l’enfant du maniaco-dépressif, s’il n’est pas maniaco-dépressif, c’est un grand hystérique battant.
Cette difficulté personnelle vous a engagée à aller plus loin, beaucoup plus loin.
Oui, c’est évident parce qu’on peut être instituteur par hasard et puis après, dévier, devenir autre chose. Il y a beaucoup d’instituteurs au départ qui ont fait autre chose. Si on accroche avec les enfants... et très souvent on s’est raconté notre vie avec les instituteurs spécialisés et il y a toujours quelque chose, toujours un parcours qui parle un peu de la même chose. Il y a toujours eu un manque, une blessure, qui fait qu’on est attiré par ces gosses -là, parce qu’on s’y retrouve.
Et alors maintenant, avec le recul des ces 10 années, en tant qu’enseignante, sans parler forcément de la pédagogie d’enseignement spécialisé, comment vous concevez l’éducation, ? La façon dont vous voyiez l’enseignement évoluer.
Oui, alors ça, ça a un peu évolué, Dieu merci ! Vis -à -vis de ces enfants là, ça a un peu évolué, maintenant on essaie de nous donner des contenus, ça doit rassurer les inspecteurs qui sont pas d’ailleurs forcément comme nous, on aurait voulu. Enfin, bon, ils essaient, c’est déjà pas mal. Moi, j’ai plutôt des réflexions à faire vis-à-vis de l’enseignant en général, parce que c’est vrai quand on choisi l’éducation spécialisée, je ne parle pas des pauvres petits remplaçants qui viennent alors qu’ils n’ont pas demandé, je parle des gens qui choisissent de rester dans l’éducation spécialisée. C’est vraiment des gens qui ont réfléchi parce que ça peut pas être une motivation financière, ce qui était le cas. Moi, au début de ma carrière, quand on choisissait spécialisé, on était mieux payé que quand on choisissait l’ordinaire. Maintenant c’est le contraire. Donc, on est sûr d’une chose, c’est que si on choisit le spécialisé, c’est pas pour toucher 200 F de plus par mois. Donc, il y a une autre motivation et je pense que les gens qui choisissent spécialisé, le choisissent en connaissance de cause et ils font bien leur métier. Ils font des recherches et je pense que c’est chez nous qu’on va trouver plus d’énergie qu’ailleurs, parce que c’est pas tranquille. C’est pas un lieu de tranquillité. Je pense que dans le spécialisé, ce sont des gens qui cherchent, ce sont des gens qui se posent des questions, qui cherchent un bébé. Je ne dis pas qu’il n’y en a pas dans l’éducation ordinaire ! Mais je dis que malheureusement, ce que je vois autour de moi, il y a beaucoup de gens qui ne sont pas à leur place et que malheureusement, des professeurs de collèges, je ne connais pas l’éducation de lycée, ils ont pas évolué, en général. Je fais une critique en général. Il y a des cas particuliers de gens formidables, mais il y a encore quand même beaucoup de professeurs, qui ne croient pas dans les potentialités et ça c’est dramatique ! Il y a quand même beaucoup de professeurs qui viennent la gueule aux pieds, leur cartable à la main et ils ont l’impression d’aller à l’abattoir. Et ça, moi, ça me rend malade.
Ca, ça vous paraît essentiel ?
Ca me paraît essentiel. Comment peut-on faire ce métier, si on aime pas les gosses, si on ne croit pas qu’on peut les modifier. Comment peut-on voir encore des professeurs crier à une classe vous êtes nuls. Moi, ça me rend malade et j’entends ça très souvent dans mon collège. Je ne pense pas que mon collège soit le reflet d’une particularité. Mon collège, il est le reflet du collège en général.
Et ça, ça vous irrite ?
Ah, beaucoup. Je pense que c’est dommage que les professeurs aient une image d’eux-mêmes, moi, je sais tout et eux, ils n’ont qu’à venir à mon niveau. Moi, j’ai été formé, comprenez, je suis agrégé ou certifié. Moi, j’ai été formé pour apprendre le malade imaginaire en sixième, alors, ceux qui ne sont pas capables de comprendre le malade imaginaire en sixième eh bien tant pis pour eux. Moi, il y a encore 2 jours à la cantine, il y avait deux prof de français qui parlaient à côté de moi et un qui demandait à l’autre qu’est-ce que tu leur fais lire comme livre et l’autre répondait ’les lettres de mon moulin’. Moi je trouve ça dramatique !
En quel sens, là ?
Faire apprendre de nos jours à des gosses, comme on a comme population, on est pas au lycée La Fontaine XVI° arrondissement, non ! Notre population de collège est à l’image de notre population de SES. C’est vraiment un collège de bas niveau donc j’imagine comme dans les collèges de banlieue ou quelque chose comme ça. Faire lire les lettres de mon moulin en sixième, bien c’est dégoutter à tout jamais de la lecture !
En 1995, comment voulez-vous que ça lui parle ? Essayer de relire aujourd’hui, les lettres de mon moulin, vous mettre à la place du petit gosse de banlieue.
Alors, qu’est-ce qu’il faudrait leur faire lire par exemple ?
Des choses dans lesquelles ils se projettent, je veux dire la lecture c’est fait pour se projeter. Si un enfant ne se projette pas dans ce qu’il lit, il peut pas adhérer, au départ. Après, on peut l’amener dans l’imaginaire ou justement il ne sera pas du tout, en sixième, ils ont 11 ans, ils vivent à Paris, dans un HLM. Ils parlent le verlan et on va lui faire lire les lettres de mon moulin, la chèvre de monsieur Seguin. Moi j’ai pas pu m’empêcher de lui demander et ça les intéresse ? J’ai pas pu m’empêcher, j’aurai peut-être du la fermer, mais j’ai pas pu m’empêcher. Et en plus, c’est une femme adorable, une agrégée qui se pose des questions, qui est venue vers nous qui nous a demandé tout. Non pas forcément, mais c’est la seule série qu’il y a à la bibliothèque. Moi je trouve ça dans les titres.
Est-ce que vous avez été amenée à avoir des conflits justement avec des inspecteurs par rapport à votre façon de faire ?
Moi, personnellement, jamais. Je n’ai jamais été en conflit, ni avec des gouvernes, ni avec des collègues, non. Non, avec les inspecteurs, jamais, j’ai toujours fait peur à mes inspecteurs, de toute façon, j’ai toujours parlé, argumenté, j’ai toujours fait ce que je voulais, de toute façon. Là, j’ai un inspecteur qui trouve que le PEI..., mais bon, il n’ose pas me ... heureusement. L’inspecteur, il passe une fois tous les 4 ans, vous avez votre classe tous les jours. En conflit, non. Avec des professeurs, dans la SES à propos de la pédagogie non plus. Il faut toujours essayer d’être médiateur aussi hein. Avec les collègues, on est une toute petite équipe, donc c’est très facile. 6 instituteurs, 4 professeurs d’atelier. C’est quand même très facile. Et puis ceux à qui ça plaît pas, eh bien ils s’en vont. C’est ça chez nous, c’est comme ça. On a un projet, on est structuré, donc.
Vous disiez parce qu’il y a le PEI parce que ces gens sont aussi un petit peu aussi en recherche. Pour vous, comment ça se traduit cette... c’est un petit peu un autre versant d’une autre question Cet itinéraire de recherche, est-ce que pendant le PEI, après le PEI, vous continuez parce que vous avez dit au fond, pendant que j’étais en congé maternité, même quand vous avez élevé vos enfants, vous avez continué à lire pendant la psychanalyse, c’était une recherche, il y a eu le PEI, alors, est-ce qu’il y a eu d’autres choses ?
Bien oui, c’est après je suis retournée encore à la FAC pour faire un DESS et alors là...Donc 85 on commence notre équipe de recherche avec I et I continuant ses études m’entraîne dans les années 90 à retourner à la FAC en disant : institutrice, c’est ridicule, pourquoi tu ne continues pas ? Et pour une fois, le hasard, parce qu’il fallait bien trouver des horaires compatibles avec le boulot, j’ai fait un DESS qui portait sur l’entretien clinique et qui en fait m’a fait travailler sur toute la sphère familiale, parce que la psychologie a beaucoup changée aussi depuis les années 60. Dans les années 60 on prenait un gosse en souffrance, on le sortait de sa famille, c’était l’époque de B et surtout on s’occupait pas des parents. Tout était de la faute des parents, donc on sortait le gosse au maximum, on ne soignait que le gosse et puis on essayait de faire avec alors que maintenant, B c’est l’affreux Jojo qui est complètement rejeté et maintenant, nouveau courant, c’est plutôt Palo Alto. Il y a beaucoup de travail à faire, on se retrouve avec 15 gosses qui ont un passé scolaire très lourd, un passé personnel très lourd et on travaille beaucoup sur l’acceptation des différences. L’acceptation de l’autre, qui n’est pas forcément la couleur de peau.
Qu’on retrouve chez Feuerstein.
Et on travaille beaucoup sur l’acceptation de la différence intellect, c’est -à- dire qu’on ne ricane pas sur quelqu’un qui rate un exercice, on l’aide à trouver pourquoi il a raté quelque chose. On cherche chacun à s’aider, à s’entraider. On travaille beaucoup sur le travail de groupe. Les plus forts aident les plus faibles. On travaille beaucoup en psychothérapie de groupes. On fait beaucoup de dynamique de groupes et en général, quand ils sortent de la cinquième, c’est un bon petit groupe et moi je vois ceux que j’ai cette année, nous sommes allés l’année dernière en C, à la fin de la sixième et je peux vous assurer quand on voit le groupe de cinquième, la façon dont ils se tiennent, dont ils sont, dont ils sourient quand ils arrivent en classe, et la troupe de sixième qui arrive, on dirait un troupeau d’abattoir une bande des gosses qui vient se marrer. Cette année, ça nous est apparu plus que jamais et peut-être aussi parce qu’on a fait quelque chose d’un peu d’exceptionnel : deux jours à P et l’autre groupe six jours en C, je veux dire que là, on a fait quelque chose d’un peu exceptionnel ! Là, on voit le changement.
Oui, au niveau de leur attitude.
Ca n’a peut-être rien à voir avec le PEI. C’est parce que on a fait quelque chose à la Freinet. On a fait de la pédagogie Freinet.
Dans quel sens ?
Dans le sens où on les a fait travailler toute l’année, on a fait des ventes de gâteaux et des choses pour l’argent de la coopérative pour se payer le voyage, enfin je crois que c’est très Freinet !
Ah oui, d’accord. Sans penser que vous faisiez du Freinet au niveau des grandes idées ?
Sûrement pas !
Oui, vous faites un rapprochement, comme ça.
Oui, je fais un rapprochement. disons qu’on les a fait travailler pour leur voyage. Ils ont eu un objectif, un but toute l’année, ils se sont bien tenus parce qu’ils allaient là et je crois que ça c’est plus une théorie Freinet qu’un théorie de PEI.
Donc au fond, même si c’était pour l’avenir, votre intérêt pour une pédagogie innovante, c’est de rechercher en fonction de votre itinéraire et de votre croyance ce qu’il y a de bon, ce qu’il y a de vrai, ce qui vous semble intéressant dans une méthode qui peut faire progresser le gosse et que...
Et nous, par la même occasion !
Voilà, vous êtes pas forcément attachée d’une manière très rigoureuse à la théorie, les concepts, non vous l’avez dit plusieurs fois, ou même la feuille de papier puisqu’à la fin vous disiez au fond le PEI maintenant, j’ai progressé.
J’ai besoin d’un outil des fois. Parce qu’après tout on pourrait faire du PEI ailleurs. On pourrait très bien introduire le vocabulaire en faisant du français ou des maths. On peut très bien mettre le doigt sur la déficience intellectuelle à travers d’autres exercices, évidemment ! Ce qu’on fait beaucoup avec B, avec les ordinateurs.
J’espère que je pourrais compulser la thèse ? C’est bien d’être capable de recentrer quelqu’un. C’est vrai quand on commence à raconter sa vie, on peut partir dans n’importe quel sens ! C’est bien parce que vous avez bien recentré et c’est ça qui est important dans un entretien c’est de bien pouvoir poser la question qui va bien recentrer la discussion.