Chapitre I : La remise en cause du modèle paroissial et de l’église monumentale dans le cadre du mouvement oecuménique et conciliaire.

A – La période pré-conciliaire : remise en cause du modèle paroissial et évangélisation des masses ouvrières

1) Des Missions dédiées aux masses rurales et urbaines déchristianisées : Mission de France (1941) , Mission de Paris (1943)

Durant l’entre-deux-guerres l’évangélisation des classes sociales populaires est au coeur des préoccupations pour l’Eglise catholique. Pie XI (1922-1939) estime que le grand scandale de l’Eglise du XIXème siècle, n’est pas qu’elle ait perdu beaucoup d’ouvriers mais qu’elle ait perdu l’ensemble de la classe ouvrière24. Il manifeste une attention particulière à l’égard de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne qu’il considère être la forme la plus achevée de l’action catholique. « ‘Pour ramener au Christ les diverses classes d’hommes qui l’ont renié’ », déclare-t-il en 1931, « ‘il faut des apôtres qui comprennent la mentalité de leur milieu. Les apôtres immédiats des ouvriers seront les ouvriers...’ »25. Il compte sur ces militants spécialisés, rattachés au fonctionnement des paroisses, pour entreprendre l’évangélisation des masses ouvrières.

Cependant, le système paroissial traditionnel révèle alors son incapacité à assurer la présence de l’Eglise catholique dans les quartiers nouveaux qui s’édifient en périphérie des centres anciens.

Deux ouvrages écrits à la fin des années vingt - Le Christ dans la banlieue 26 et Le Bon Dieu dans le bled 27 - décrivent les conditions de vie et d’apostolat dans la banlieue parisienne - banlieue qu’évoque Louis-Ferdinand Céline dans Voyage au bout de la nuit 28 - et montrent clairement la faillite du système paroissial dans ces territoires en pleine mutation.

Pour leurs auteurs, il s’agit d’attirer l’attention de l’archevêché de Paris sur ce problème. Le cardinal Verdier29 se montrera sensible au message délivré par les deux ouvrages mais, en réponse, il se bornera à tenter de rétablir un maillage paroissial jugé acceptable sur la base d’une église pour 10 000 habitants. Pour cela le cardinal Verdier prendra l’initiative de la construction d’une centaine d’églises monumentales. Ce programme sera achevé en 1939 - la centième église correspondant, de manière symbolique, au pavillon pontifical de l’exposition internationale de 1937 conçu par l’architecte Paul Tournon - mais sans que la question de la rechristianisation des populations laborieuses ait été résolue.

Le Christ dans la banlieue, écrit par le jésuite Pierre Lhande, paraît en 1927. Cet ouvrage qui souligne le caractère spectaculaire des migrations alternantes quotidiennes entre Paris et sa banlieue, est le condensé d’une série d’enquêtes de terrain réalisées par ce prêtre. « ‘Il faut chercher très loin, hors de France, autour des formidables cités industrielles modernes de Liverpool, Manchester, Hambourg, pour découvrir un mouvement de population comparable à celui dont la banlieue et les alentours de Paris sont, depuis plusieurs années le théâtre’ », écrit le père Lhande, « ‘c’est l’exode vers la banlieue. C’est l’assaut aux tramways, surtout aux longs trains noirs qui se succèdent de cinq en cinq minutes dans les principales gares et vont déverser hors les murs leur cargaison humaine ’»30. Le propos du père Lhande est de montrer que cette urbanisation qui se déroule dans un climat de spéculation effrénée et quasiment hors de tout contrôle social, se fait sans qu’aucune planification des équipements urbains de base - routes, écoles - ait été organisée mais aussi sans que le clergé catholique ait prévu d’accompagner ce processus en y construisant des églises. Le champ serait ainsi laissé libre aux prosélytes de la révolution sociale, de l’athéisme et donc de l’immoralité. « ‘Le lecteur devinera sans peine quels graves et difficiles problèmes ont été brusquement soulevés par cette invasion d’une soudaineté et d’une intensité effrayantes : problèmes du logement, problèmes des communications, problèmes administratifs, surtout problèmes d’ordre social, moral et religieux’ »31, écrit le père Lhande qui met en garde contre les risques que ferait conduire à la société l’abandon des banlieusards aux discours des « semeurs d’idées subversives ». Le tableau qu’il dresse semble l’exact négatif de la propagande communiste – le mythe du « Grand Soir » - qu’il cherche à dénoncer :  « ‘Quelle force humaine pourrait arrêter, un jour aux portes de la capitale, la ruée furieuse d’un million d’êtres amoraux, exaspérés par leur misère, hallucinés par la convoitise », écrit-il et il poursuit : « que peuvent-être aux yeux de repris de justice, d’indésirables, d’évadés du bagne, nos vies, nos monuments, nos musées, nos bibliothèques ?’ »32.

Pour évangéliser ces populations décrites comme une sorte de peuple sauvage, étranger à la ville et à la civilisation – on parle de leurs « villages indiens »33- le père Lhande évoque par imitation avec les « pays de mission »34 la nécessité d’y envoyer des missionnaires : « ‘Les recteurs des anciennes cures n’ont pas de prêtres à envoyer dans les agglomérations qui se forment avec une rapidité inouïe ; la paroisse à elle-seule absorbe toute l’activité du clergé. Une annexe est impossible. Il faut faire du neuf. C’est bien. L’archevêché enverra des missionnaires : non pas des hommes qui prêchent (où prêcheraient-il? il n’y a souvent ni salle ni chapelle), mais des hommes qui demeurent ’»35.

Cependant, pour pallier l’absence d’églises traditionnelles, les curés des banlieues improvisent avec des moyens de fortune des édifices de culte face auxquels le père Lhande ne sait pas quelle attitude adopter : les admirer c’est leur reconnaître une valeur religieuse, les critiquer c’est rejeter le travail apostolique des curés « missionnaires ».

Ces chapelles et ces églises sont construites avec des matériaux de récupération comme, par exemple, la chapelle de Contin à Athis-Mons (fig. 15) ou celle de Saint-Joseph des Quatre-Routes à Asnières (fig. 16).

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Fig. 15 : chapelle du Contin à Athis-Mons, circa 1927.
[Note: (Pierre Lhande, Le Christ dans la banlieue)]
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Fig. 16 : Saint-Joseph des Quatre Routes à Asnières, circa 1927.
[Note: (Pierre Lhande, Le Christ dans la banlieue)]

Un curé a même recours a une solution qui semble annoncer l’architecture évènementielle et ludique des années soixante. L’abbé Larmenier, curé des Grésillons prés de Gennevilliers, a en effet l’idée, en 1912, de louer une grande tente de toile blanche à rayures rouges et à guirlandes d’or pour accueillir les premières communions qui regroupaient quelques années après son arrivée plusieurs dizaines d’enfants (fig. 17).

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Fig. 17 : l’église-tente des Grésillons près de Gennevilliers en 1912.
[Note: (Pierre Lhande, Le Christ dans la banlieue)]

Parfois, on se contente d’utiliser des locaux existants. Ainsi, à Juvisy-sur-Orge, un curé a aménagé de manière sommaire le grenier d’une ancienne ferme. « ‘J’ai trouvé un grenier plein de toiles d’araignées qui servait de séchoir’ », raconte l’abbé Le Lidec, « ‘j’ai balayé, déblayé, blanchi. On m’a prêté un autel, même un harmonium où tapote de son mieux une petite fille.(...) Je viens d’Athis dire ma première messe à moi. Puis je vais dire ma seconde à Contin’ »36. Le père Lhande qui décrit ces lieux de culte improvisés, hésite entre l’admiration pour ce « ‘vrai décor de messes clandestines’ »37 ou la honte. La valorisation d’une architecture religieuse dépouillée et discrète ou l’hypothèse de l’abandon de l’église comme programme architectural spécifique n’est pas encore à l’ordre du jour.

Le père Lhande parle d’ailleurs des édifices qu’il mentionne comme de « chapelles de secours » à l’image de celles qui furent utilisées pour remplacer de manière provisoire les églises détruites lors de la Première Guerre mondiale. Il ne présente donc pas ces édifices comme résultant de recherches à développer et à valoriser mais tout au plus comme des solutions provisoires. D’ailleurs, en conclusion et contredisant l’esprit même de son ouvrage, il dénie toute qualité à ces édifices qui ne répondent à aucun des quatre points de vue – religieux, social, économique et artistique – qui, selon lui, qualifient une église. « ‘C’est du provisoire », écrit-il, « donc presque du temps perdu. Une masure n’attire pas le peuple à la prière ; une masure ne rehausse pas la valeur des terrains alentours ; une masure ne peut que desservir les intérêts artistiques d’une région’ »38.

Dans Le Bon Dieu dans le bled, publié en 1929, Jean de Vincennes décrit également les lotissements de la périphérie de Paris. Son ouvrage montre une banlieue faite de bric et de broc qui s’étend quasiment à vue d’oeil. « ‘D’invraisemblables agglomérations ont jailli du sol, parfois en quelques semaines », écrit-il et il poursuit : « Les maisonnettes noirâtres ont poussé comme elles ont pu : un mur après l’autre, ou la cheminée d’abord, à laquelle on rattachait les parois ’»39. Cette urbanisation anarchique résulte du développement des transports en chemin de fer : « ‘Le soir, à courts intervalles , les trains partent de toutes les gares de Paris, ramenant dans leur misère des milliers et des milliers de gens qui ont regardé vivre la ville’ »40.

Cet ouvrage qui souligne le caractère exemplaire de l’action pionnière de prêtres en milieu ouvrier, est illustré d’exemples de « chapelles de secours » dont les liens avec la Première Guerre mondiale sont parfois directs. « ‘J’ai acheté des morceaux d’églises provisoires des régions dévastées et je les ai assemblés ’»41, déclare le curé de Goussainville (fig. 18). Le curé du Vert-Galant à Villepinte fait visiter avec enthousiasme la chapelle de l’Immaculée-Conception (fig. 19) composée de deux minuscules pièces où la pierre d’autel est celle dont le curé se servit durant toute la guerre dans les tranchées. Jean de Vincennes souligne l’importance de l’entraide des ouvriers et des employés dans l’édification de cette chapelle. « ‘Les quelques ouvriers et employés catholiques du Vert-Galant ont travaillé pour leur chapelle, le soir, après l’usine ou le bureau. Avant de cultiver leur lopin de terre ou de consolider leur cabane, ils ont voulu que le bon Dieu puisse au moins camper parmi eux’ »42. Il conclut son ouvrage en exprimant sa confiance dans la capacité des prêtres « ‘isolés dans les lotissements’ »43, aidés par les mouvements d’action catholique, a reconquérir les populations ouvrières fortement influencées par le prosélytisme communiste.

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Fig. 18 : la chapelle de Goussainville, circa 1928.
[Note: (Jean de Vincennes, Le bon Dieu dans le bled)]
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Fig. 19 : chapelle de l’Immaculée-Conception à Villepinte, circa 1928.
[Note: (Jean de Vincennes, Le bon Dieu dans le bled)]

Si Jean de Vincennes, malgré la gravité et la singularité des questions que posent les banlieues, s’en remet néanmoins toujours au système paroissial traditionnel, en revanche, peu de temps avant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, l’abbé Féron, un prêtre du Nord aumônier national de l’Action catholique rurale, constatant le phénomène de déchristianisation important des campagnes et des villes suggère de mettre en place une organisation missionnaire spécifique pour la France.

En 1938 il rédige un rapport dans lequel il considère que certains diocèses doivent être considérées comme « terre de mission » et faire l’objet d’une rechristianisation quasi totale. Cette tâche serait confiée à un clergé spécialisé composé de « prêtres séculiers » : les Missionnaires de l’intérieur. Ce rapport est diffusé à tous les évêques de France dont les réactions sont variables, certains craignant que ce type de mission ne remette en cause l’autorité épiscopale. A l’opposé, le cardinal Liénart, évêque de Lille, mais surtout le cardinal Suhard archevêque de Reims se distinguent parmi les évêques les plus intéressés par les réflexions de l’abbé Féron.

Le cardinal Suhard n’est pas simplement préoccupé par le diocèse de Reims, au sein duquel il distingue des régions éloignées du christianisme, mais par la situation de l’ensemble des diocèses de la France (Il avait d’ailleurs suggéré, dès 1936, de créer un séminaire national destiné à former des prêtres à l’évangélisation des régions de France les plus déchristianisées). Il se montre également particulièrement attentif au devenir des villes industrielles.

C’est d’ailleurs à cette époque que des prêtres et des séminaristes, poursuivant jusqu’au bout la logique d’une pastorale tournée vers les ouvriers, décident d’évangéliser en priorité le monde des usines. En septembre 1939, quelques uns d’entre eux quittent leurs paroisses ou leurs couvents pour se consacrer au travail en usine ou à la vie de quartier.

Le 8 mai 1940, deux jours avant l’invasion allemande, le cardinal Suhard est nommé archevêque de Paris. « ‘Quand je parcours des banlieues aux usines mornes, quand je vois cette foule tour à tour raffinée et misérable’ », dit-il encore en 1948, « ‘je n’ai pas à chercher loin le sujet de mes méditations, c’est toujours le même : il y a un mur qui sépare l’Eglise de la masse’ »44. En septembre 1940, le cardinal Suhard se rend à Lisieux dont il fut autrefois l’évêque, et évoque son projet de création « ‘d’un séminaire de la Mission de France dont l’idée le poursuit depuis dix-huit mois ’»45. Il soumet son projet à la réunion des cardinaux et archevêques de la zone nord en janvier 1941. Celui-ci est adopté mais la décision est ajournée à la réunion suivante qui a lieu le 24 juillet 1941.

Ce jour-là, en pleine Occupation, l’Assemblée des cardinaux et évêques de France décide la création de l’Institution interdiocésaine. Celle-ci a pour objectif d’installer à Lisieux un séminaire appelé « Mission de France » qui doit fournir des prêtres pour les milieux déchristianisés des « pays de mission ». En octobre 1942, ils sont trente-six séminaristes à entrer à Lisieux. L’année suivante leur nombre double. Très vite le séminaire attire des visites. Parmi celles-ci, l’abbé Godin qui, aumônier jociste, représente un nouveau type de prêtre. En avril 1942, dans le cadre du séminaire, l’abbé Godin a plusieurs conversations avec l’abbé Daniel qui est comme lui vicaire de paroisse et aumônier jociste. L’un et l’autre cherchent à définir ce que doit être la Mission en milieu ouvrier. Le cardinal Suhard leur confirme que la Mission de France a une vocation urbaine autant que rurale.

Au début de l’année 1943, l’abbé Godin rédige un premier rapport. Celui-ci donnera naissance à La France pays de mission ? qui paraîtra en librairie le 12 septembre 194346.

La question de l’évangélisation des banlieues est au centre de cet ouvrage. Les auteurs font le constat que la génération née après 1919 constitue un prolétariat dont les institutions, le climat et les individus sont désormais païens. Ils estiment qu’un quart de la population française de l’époque, soit environ 9 millions de personnes, relève de cette catégorie. Les pays de mission à évangéliser sont identifiés comme correspondant au territoire d’une vingtaine de grandes villes industrielles (Marseille, Lyon, Bordeaux, l’agglomération de Lille, Roubaix et Tourcoing, entre autres) et aux départements de la Seine et de la Seine-et-Oise. Godin et Daniel estiment qu’il faut appliquer au prolétariat ouvrier les mêmes méthodes que celles qui furent prônées par le pape Pie XI pour les missions étrangères : former un clergé indigène et, concernant la question des lieux de culte, ne « pas s’installer tout de suite »47. Pour Godin et Daniel qui citent Pie XI évoquant les missions étrangères, il s’agit d’éviter de « ‘construire à grands frais des temples et des édifices somptueux ’»48. Même s’ils jugent qu’il faut continuer à construire des églises – « ‘des églises convenables sont indispensables pour faire saisir la dignité de la France’ »49 - , ils redoutent que la réalisation d’édifices importants transforme les prêtres en entrepreneurs et les éloigne de leur mission apostolique. Ils craignent également que l’évolution rapide de l’apostolat fasse que ces églises se révèlent très vite inadaptées50.

Le cardinal Suhard, après lecture de ce rapport, donna son accord pour que l’on commence la mission sur Paris même. En mai 1943, l’abbé Godin se rendit à Lisieux pour préciser le sens de la fondation de la Mission de Paris et les modalités de sa collaboration avec la Mission de France. « On commencera un essai très large », précise l’abbé Godin, « ‘non pas sur une paroisse , mais sur le diocèse de Paris tout entier ; on réalisera le plus étroitement possible l’idée de communauté dans l’apostolat, à l’exemple de ce qui se fait à la Mission de France ’»51. Au début de l’année 1944, la première équipe de la Mission de Paris, composée de six prêtres, s’engage par serment à consacrer sa vie à la christianisation de la classe ouvrière.

Un très grand nombre de séminaristes manifestent alors leur désir d’être prêtres en milieu de travail. Ces prêtres en mission ne souhaitent pas limiter leur sacerdoce à un ensemble de tâches pastorales mais partager la vie des milieux sociaux qu’ils veulent évangéliser. C’est à ce moment-là qu’apparaissent les prêtres-ouvriers - on en compte dix en France au début de l’année 1947 - dont les témoignages touchent les séminaristes de Lisieux. « ‘A nos yeux, le prêtre-ouvrier est l’expression la plus authentique de l’effort missionnaire de l’Eglise’», témoigne en 1954 le père Perrot dans la lettre de liaison entre les communautés de la Mission de France, «  ‘au séminaire des vocations particulières s’affirment – sans peut-être suffisamment tenir compte des possibilités réelles – mais traduisent du moins l’ampleur du travail missionnaire qui est à accomplir pour que l’Eglise naisse vraiment dans la vie du monde moderne’ »52.

Cependant, depuis 1947, année de la rupture entre l’Est et l’Ouest et du début de la Guerre Froide, de nombreux chrétiens manifestent un grand effroi devant le communisme et le Vatican exprime sa méfiance à l’égard de l’expérience des prêtres-ouvriers. Dans les diocèses, les aumôneries d’Action catholique comprennent mal que les équipes missionnaires regardent d’abord vers les non-chrétiens. Peu à peu le séminaire de Lisieux apparaît comme un lieu de bouleversements, de négations , de crypto-communisme.

En 1949, la Mission de France reçoit son premier statut de Rome. Elle compte alors dix-neuf communautés rurales, seize communautés urbaines, deux communautés chez les marins et dix-sept prêtres ouvriers.

En 1952, plus de deux cents prêtres estiment appartenir à la Mission de France. Mais confronté aux contestations que connaît la Mission, l’évêque de Bayeux et de Lisieux souhaite que le séminaire quitte Lisieux. L’évêque de Limoges accepte alors de partager son diocèse avec la Mission. Cependant, en juillet 1952, la Curie romaine décide d’interdire le recrutement de nouveaux prêtres-ouvriers.

Dans un contexte, en France, de tensions sociales importantes et de guerres néo-coloniales – la guerre d’Indochine s’intensifie, la guerre d’Algérie débute – le nouveau nonce apostolique convoque le 23 septembre 1953 à Paris vingt-six évêques et supérieurs d’ordres religieux pour leur donner l’ordre d’arrêter l’expérience des prêtres-ouvriers qui devront avoir cessé leur travail le 1er mars 1954 au plus tard. En août 1953, le nonce avait informé la Mission que la Curie romaine avait décidé de fermer le séminaire dans l’attente de la promulgation de nouveaux statuts.

C’est donc dans un contexte très tendu que Rome étudie le statut de la Mission de France et de son séminaire. Celui-ci signe le 15 août 1954 la Constitution apostolique qui indique à la Mission de France sa place et son rôle. La Mission de France ne dépend pas directement du pape, comme les grands ordres religieux, mais de l’ensemble des évêques français pour les aider dans leurs tâches pastorales. Le séminaire est alors transféré à Pontigny. Il accueillera en octobre 1954 quatre-vingt séminaristes, cent-sept en 1955.

La Mission de France continuera à développer ses activités vers les milieux non-croyants durant la décennie suivante malgré la confirmation par Rome en juillet 1959 de l’incompatibilité entre le sacerdoce des prêtres et le travail en usine ou en entreprise.

Entre juin 1960 et juin 1961, dans un moment où le monde connaît de profondes mutations – accession à l’indépendance d’une dizaine de pays africains ; Gagarine premier homme dans l’espace -, les commissions préparatoires du Concile décidé par le pape Jean XXIII élaborent leurs projets.

L’ouverture du Concile Vatican II est attendue avec beaucoup d’espoir et un peu d’appréhension par la Mission de France. Le 30 mars 1965, peu de temps après avoir nommé Monseigneur Marty prélat de la Mission de France, Paul VI le reçoit à Rome. A cette occasion, le pape situe la Mission dans le sens du secrétariat pour les non-croyants qu’il a créé en 1964. Ces propos du pape et la création du secrétariat sont entendus comme une reconnaissance de la vocation de la Mission. Cette orientation est confirmée par l’autorisation de l’épiscopat français, donnée le 23 octobre 1965 en accord avec le Saint-Siège, d’autoriser les prêtres à travailler à plein temps dans les usines. Cette décision intervient paradoxalement à un moment où l’appareil industriel commence à se restructurer donnant une place de plus en plus importante au secteur tertiaire.

D’ailleurs, en 1965, une équipe de cinq aumôniers d’hôpitaux poursuit une activité de recherche pastorale en direction des malades et du personnel soignant. La Mission s’intéresse alors également aux personnels hôteliers dont le nombre ne cesse de croître en fonction du développement des vacances d’été et d’hiver. Or, les personnes qui occupent ces emplois, sont confrontés à une grande instabilité – travail saisonnier et déplacements fréquents - qui les situent hors du champ paroissial. La Mission de France cherche également à atteindre les marins qui entretiennent des rapports erratiques avec leurs familles, a fortiori avec l’Eglise. En 1965, deux équipes de la Mission sont engagées l’une à Dunkerque, l’autre à Marseille dans l’évangélisation des pêcheurs et des marins de la marine marchande.

Mais l’urbanisation croissante de la France se répercute également sur les orientations de la Mission. En effet, si à cette époque il y a peu de prêtres dans les mondes hospitalier, hôtelier et marin par contre la moitié des prêtres de la Mission se trouvent dans des communautés urbaines. La très grande majorité de ces communautés compte alors plusieurs prêtres qui consacrent une partie de leur temps à un travail manuel salarié.

Notes
24.

Pie XI cité par Henri Godin et Yves Daniel, La France pays de mission ?, 1943, p.129.

25.

Pie XI, Encyclique Quadragesimo Anno, cité par Henri Godin et Yves Daniel, p. 108.

26.

P. Lhande, Le Christ dans la banlieue, 1927.

27.

J. de Vincennes, Le Bon Dieu dans le bled, Paris, 1928.

28.

L.-F. Céline, Voyage au bout de la nuit, Paris, 1932.

29.

Jean Verdier (1864-1940), archevêque de Paris et cardinal en 1929.

30.

P. Lhande, op. cit., p. 5.

31.

Ibid., p. 11.

32.

Ibid., p.13.

33.

Ibid., p.12.

34.

Concernant la question de la France « pays de mission », on consultera Etienne Fouilloux - « Fille ainée de l’Eglise » ou « pays de mission ». - in Histoire de la France religieuse, tome 4/ édité sous la direction de Jacques Le Goff et René Rémond. – Paris : 1992, pp. 129 à 252.

35.

P. Lhande, op. cit., p.15.

36.

Ibid., p. 234.

37.

Ibid.

38.

Ibid., p. 242.

39.

J. de Vincennes, op. cit., p. 12.

40.

Ibid., p. 15.

41.

Ibid., p. 112.

42.

Ibid., p. 77.

43.

Ibid., p. 250.

44.

Jean-François Six, Cheminements de la Mission de France 1941-1966, 1967, p. 16.

45.

Ibid., p. 19.

46.

Henri Godin et Yves Daniel, La France pays de mission ?, 1943.

47.

Ibid., p. 92.

48.

Ibid.

49.

Ibid.

50.

Ibid.

51.

Jean-François Six, op. cit., p. 42.

52.

Père Perrot, Lettre aux communautés, novembre 1954, p. 11. Cité dans l’ouvrage de Jean-François Six.