L’église Saint-Luc de Grenoble construite en 1968 par les architectes André Béhotéguy265, Giraud et Stahl constitue une proposition tout à fait étonnante. Le lieu de culte, pourvu d’une toiture à versants, semble avoir été glissé sous les pilotis d’un immeuble d’appartements. Le renversement d’échelle entre l’église et l’habitat est, ici, traduit de manière très explicite. Celle-ci ne domine plus la cité mais, au contraire, apparaît à la fois intégrée et protégée par la ville.
« L’histoire de la construction de Saint-Luc est tout à fait singulière », se souvient André Béhotéguy, « une dame âgée a légué par testament un terrain situé à un angle de rue pour qu’y soit construit une église ou une chapelle. Elle pensait que ce nouveau lieu de culte pourrait accompagner la création d’une nouvelle paroisse. Mais cela n’a pas été accepté par l’évêché et l’édifice qui a été réalisé dépend maintenant de la paroisse de la cathédrale Notre-Dame. Le comité qui présidait à la construction de la chapelle s’est trouvé confronté à un dilemme. Il souhaitait réaliser ce projet alors que la paroisse n’acceptait pas d’en financer la construction. Le comité qui regroupait des personnes d’origines très diverses, dont un notaire, m’a contacté. Lors d’une réunion j’ai suggéré qu’il existait une solution. Celle-ci consistait à financer le lieu de culte par la construction, sur la même parcelle, d’un immeuble de logements. En fin de compte, tout le monde s’est rangé à cette idée. Cependant, le clergé s’opposa à ce que le lieu de culte soit totalement liée à l’immeuble d’habitation et il souhaita que les deux constructions soient quasiment indépendantes l’une de l’autre. C’est comme cela qu’un peu à la fois, l’idée que la chapelle passerait par dessous l’immeuble de logements s’est imposée (fig. 48).
Initialement la chapelle dont j’avais dessiné la toiture en forme de paraboloïde hyperbolique, devait être réalisée en béton (je l’avais aussi étudiée en métal). Cela coûtait très cher et c’était difficilement réalisable. Finalement c’est le bois sous forme de lamellé-collé qui a été retenu car ce matériau fut jugé plus chaleureux. En fin de compte, pour réaliser la toiture, j’ai dessiné deux dièdres qui viennent buter sur un portique rectangulaire situé au centre. De chaque côté ces dièdres basculent en arrière et se rejoignent. Ainsi, les formes sont équilibrées (fig. 49 et 50). A l’époque, on ne disposait pas des moyens de calcul qu’offrent aujourd’hui les ordinateurs et on n’a jamais pu calculer les efforts générés par ces deux dièdres. Cela a posé des problèmes de conception. Il ne fallait pas que la structure touche les planchers de l’immeuble. Il fallait également qu’à l’intérieur on obtienne un beau volume spacieux, assez noble. La nef est orientée sur la place et sur la cour. L’autel est situé en dehors de la partie habitation, un peu à l’extérieur, à l’aplomb des balcons.
L’ensemble du terrain sous la chapelle appartient à l’Eglise. L’immeuble lui-même, qui est bâti sur pieux, n’a que la propriété des impacts des poteaux. Ce fut extrêmement intéressant à concevoir. Il a fallut obtenir l’accord de l’évêché. Finalement la paroisse Notre-Dame a financé une salle, située en sous-sol de la nef, qui a servi pour de nombreuses manifestations comme des kermesses etc. Cette réalisation a été très critiquée à l’époque de sa construction. Mais c’est le cas de toutes les innovations »266.
Le renversement symbolique entre l’église et suscita certaines réserves puisque le père Jean Capellades lui-même estime, dans son Guide des églises nouvelles de France, que cette solution « ‘crée une discordance, un désaccord très déplaisant ». Il attribue ce désaccord à la juxtaposition des deux architectures et surtout à « la résurgence des schèmes ruraux’ » dans l’image de l’église267. A l’inverse, on peut estimer que la superposition sans continuité des deux édifices et l’extrême lisibilité typologique de leurs architectures réciproques confèrent à cette proposition une grande clarté et une forte expressivité.
André Béhotéguy (né en 1927). Originaire d’une famille du pays basque mais né à Cognac, A. Béhotéguy est venu à Grenoble après ses études secondaires pour suivre une formation supérieure en électronique comme le souhaitait son père. Mais, en fin de compte, c’est à l’école des Beaux-Arts qu’il s’inscrivit en 1947 pour faire architecture. Quand la possibilité n’en était pas offerte à Grenoble, il rendit ses projets à Paris ou, également, à Bordeaux qui était très réputée pour l’apprentissage des rendus décoratifs. Diplômé en 1957, A. Béhotéguy s’est installé presque aussitôt à Grenoble avec deux amis – Giraud et Stahl – , ville où ils ont réalisé ensemble la quasi totalité de leurs carrières.
Jean Béhotéguy, propos recueillis lors d’un entretien téléphonique avec l’auteur le 3 novembre 2000.
J. Capellades, Guide des églises nouvelles en France, 1969, p. 128