c) La chapelle Notre-Dame du Bon Conseil, Paris François Delage, architecte avec la collaboration de René Coulon, Roger Faraut et Paul Henry architectes(1965)

La chapelle Notre-Dame du Bon Conseil à Paris constitue une réalisation où le lieu de culte est inclus au sein d’un ensemble de logements et d’équipements réalisés en même temps au point que sa présence est parfaitement insoupçonnable de l’extérieur. Cette discrétion a sans contribué à ce que cet édifice singulier et qui fonctionne sans quasiment aucun changement notable depuis plus de trente-cinq ans ne soit mentionné dans quasiment aucune publication268. Par ailleurs, et malgré sa modernité, ce bâtiment est directement et profondément relié à l’histoire et à la nature de l’édifice qui préexistait sur l’îlot où il a été bâti, édifice avec lequel il entretient des liens complexes mêlant continuité et relecture.

La chapelle du Bon Conseil est située au coeur de la paroisse Saint François-Xavier située dans le 7ème arrondissement à Paris. En 1894 un abbé - l’abbé Esquerret - créa dans cette paroisse un premier groupe de jeunes catholiques, organisés dans le cadre d’un patronage. Par ailleurs, il existait depuis le début du XIXème siècle un couvent de carmélites rue Albert Lapparent. Au moment de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, en 1905, celles-ci en furent chassées et le couvent fut vendu en 1907. Des habitants du quartier se cotisèrent pour en racheter les bâtiments qui furent confiés à la paroisse. De 1910 à 1960, il abrita le patronage créé par l’abbé Esquerret. Cet ancien carmel est resté tel qu’il était jusqu’à la construction de l’édifice actuel au début des années soixante (fig. 51).

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Fig. 51 : Photographie de l’ancien carmel situé rue Lapparent à Paris (circa 1960).
[Note: ( Archives privées de F. Delage)]

‘« Lorsque j’y ai fait mon catéchisme, à partir de 1935, l’abbé Esquerret était décédé depuis quelques années et s’était alors le troisième directeur, l’abbé Roger Derry, qui dirigeait la maison’ », se souvient l’architecte François Delage269, « Celle-ci était ouverte à tous les jeunes du quartier et même au delà. Grâce à son rayonnement ce directeur, d’origine populaire, fit venir des sections des Jeunesses Ouvrières Chrétiennes dont les membres étaient composés de jeunes du 15ème arrondissement. En effet, avant la Seconde guerre mondiale, cet arrondissement était encore industrialisé. L’abbé Derry a donc mélangé des jeunes lycéens dont j’étais, avec de jeunes ouvriers. Ce mélange rendait la maison très vivante. A cette époque le couvent se composait d’un bâtiment le long de la rue Lapparent et d’un cloître dont on a conservé, en souvenir, deux arches dans le bâtiment actuel. Ces bâtiments avaient été édifiés aux alentours des années 1820-30. Par la suite, durant la période haussmannienne, les carmélites construisirent une église en style néogothique qui était ouverte sur l’avenue de Saxe. Durant l’entre-deux-guerres furent ajoutés à l’arrière deux bâtiments : un gymnase et une salle des fêtes. Le cloître était alors le lieu de rencontre de tout le monde. Le terrain qu’occupaient ces divers édifices était grand, il faisait plus de 3 500 m².

Pendant trois ou quatre ans, durant les années 1958-59, avec le directeur d’alors, l’abbé Paul Guyot, nous avons réfléchi à la reconstruction de le maison des jeunes dont les bâtiments étaient désormais inadaptés et se délabraient. Je le connaissais bien et j’étais devenu très ami avec lui. En effet, j’avais fait beaucoup de camps de vacances avec lui et je m’étais occupé de la remise en état des colonies de vacances que la maison possédait au bord de la mer en Bretagne. L’abbé Paul Guyot n’était pas maître de toutes les décisions car la maison était gérée par un conseil d’administration qu’il fallait convaincre. La décision a été prise lorsque ce conseil d’administration a admis que l’opération était finançable en vendant les droits de construction de deux immeubles situés l’un sur l’avenue de Saxe et l’autre sur l’avenue de Ségur. Ce sont ces deux immeubles qui ont quasiment payé l’intégralité des autres bâtiments réalisés sur le reste de l’emprise foncière.

Nous avons eu le temps de peaufiner le programme et le projet - dont le permis de construire fut accordé en 1963 - car le conseil d’administration de « l’Association Immobilière de l’Ecole Militaire »  avait très peur de se lancer dans l’aventure. Pour cela nous avons passé de très nombreuses et très bonnes soirées dans le bureau que l’abbé Paul Guyot avait dans l’ancien carmel. Nous avions décidé de faire des bâtiments de qualité et, sans faire de luxe, d’utiliser des matériaux solides.

Au moment de la réalisation, on m’a doublé par un confère un peu plus ancien dans le métier et ancien de la maison. Celui-ci - Paul Henry - a assumé la direction des travaux qui furent achevés en 1965. Mon travail a aussi été un peu supervisé par René Coulon, autre ancien de la maison également architecte. René Coulon avait une grosse agence bien organisée. Il a servi de caution vis à vis des promoteurs en leur garantissant le bonne marche du projet. En effet à cette époque là j’avais trente-cinq ans et il fallait donner confiance aux promoteurs qui montaient les opérations immobilières de l’avenue de Saxe et de l’avenue de Ségur. Enfin, Roger Faraut, architecte et ancien de la maison lui aussi, s’est chargé des divers aménagements intérieurs »270.

Cependant, la chapelle ne constituait pas l’essentiel du programme. Celui-ci avait pour objet la reconstruction de nouveaux équipements en conservant la mémoire du cloître qui était le lieu de rencontre de l’ancien patronage. C’est ainsi que les divers bâtiments qui ont été édifiés sont organisés autour d’un espace central carré. Quand on pénètre dans la maison on rentre dans le cloître. Ce nouveau “cloître” se situe quasiment à l’emplacement de l’ancien (fig. 52).

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Fig. 52 : Plan de l’état initial du carmel situé rue Lapparent à Paris et plan du projet réalisé.Plans de François Delage, avec la collaboration de R. Coulon, et P. Henry architectes - 1963.
[Note: ( Archives privées de F. Delage)]

L’entrée de l’ensemble des équipements qui ont été réalisés, est située sur la rue de Lapparent (fig. 53 et 54). Un hall donne accès aux locaux semi-publics : deux grandes salles de spectacles et de conférences situées au niveau n-1 et une salle de sport située au niveau n-2 (fig. 55). Ces salles peuvent être louées ou prêtées par des personnes extérieures à la maison. La salle de gymnastique avec ses vestiaires et ses douches est très utilisée. Elle permet, avec ses 300 places en gradins, le déroulement de matchs de tennis. Cette salle se trouve à six mètres sous le niveau du sol naturel ce qui est, pour un local recevant du public, la limite admissible en matière de sécurité. Autre singularité de ce local, les gradins sont disposés sous l’immeuble d’habitation que l’on a réalisé avenue de Saxe. Cette installation sportive est complétée par une petite salle qui sert au judo.

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Fig. 53 : Plan niveau n-1 de l’ensemble de l’opération immobilière du Bon-Conseil rue Lapparent à Paris.Plans de François Delage, avec la collaboration de R. Coulon, et P. Henry architectes - 1963.
[Note: ( Archives privées de F. Delage)]
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Fig. 54 : Façade de l’immeuble situé rue Lapparent à Paris L’accès à la chapelle se fait au niveau du rez-de-chaussée de l’immeuble de droite.Plans et conception de François Delage, avec la collaboration de R. Coulon, et P. Henry architectes.
[Note: (Photo de l’auteur)]
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Fig. 55 : Plan de la façade de l’immeuble situé rue Lapparent à Paris.Plans de François Delage, avec la collaboration de R. Coulon, et P. Henry architectes.- 1963.
[Note: ( Archives privées de F. Delage)]

Dans le hall d’entrée, sur la droite, un vaste escalier conduit à un hall situé au niveau –1. Ce hall donne accès à deux salles. Une salle de conférences ou de théâtre de 400 places est disposée sous le cloître tandis qu’une salle de cinéma de 200 places est située sous les bureaux de l’entrée.

‘« Il fallait également prévoir l’ensemble des salles nécessaires aux groupes de jeunes’ », précise François Delage, « ‘ceci explique la façade de la rue de Lapparent. Les premier et deuxième étages du bâtiment qui longe cette rue regroupent l’ensemble des locaux de ces groupes. L’affectation de ces salles a évolué. En 1960, il y avait beaucoup de Coeurs Vaillants et de scouts, puis leur nombre a baissé, même s’ils sont encore nombreux. Chacun des groupes occupe un petit local. Au premier étage se trouve également la salle d’honneur dans laquelle se réunissent les anciens de la maison et les réunions des conseils d’administration de “l’Association Immobilière de l’Ecole Militaire” et de “l’Association sportive du Bon-Conseil”. Cette salle d’honneur qui constitue le lieu de la mémoire de la maison, donne sur le cloître et se trouve ainsi à l’abri de l’agitation de la ville’ »271.

Hormis l’accès aux salles semi-publiques, le hall d’entrée donne également accès au cloître qui encadre un jardin (fig. 56). « ‘Nous avons disposé ce cloître pour qu’il soit à l’abri de la ville tout en étant très central ’», indique François Delage, « ‘Celui-ci distribue les locaux privés de la maison. Le cloître constitue la plaque tournante de la maison. Nous souhaitions que cet espace évoque non pas un patio mais ce dispositif central caractéristique de l’architecture conventuelle chrétienne. C’est pour cela que l’on y a disposé une croix qui est l’oeuvre de Roger Faraut. Cet espace carré dessert, par deux escaliers, les locaux des étages qui donnent sur la rue Lapparent et, au rez-de-chaussée, les bureaux de l’administration. Le côté suivant du cloître est bordé par un foyer tandis que celui qui suit donne accès à la chapelle (fig. 57). Il a fallu des dizaines de calques superposés pour parvenir à l’architecture très dépouillée qui a été réalisée. Le parti retenu concernant la chapelle a été de la disposer en sous-sol afin qu’elle n’occupe pas autant d’espace que l’ancienne. Lorsque j’ai vu démolir la chapelle du 19ème siècle, je dois avouer que j’ai été ravi en pensant à l’espace qui était ainsi libéré’ »272.

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Fig. 56 : Vue du « cloître » prise vers l’arrière des bureaux situés rue Lapparent (derrière les piles de béton).Plans et conception de François Delage, avec la collaboration de R. Coulon, et P. Henry architectes.
[Note: (Photo de l’auteur)]
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Fig. 57 : Vue de l’accès de la chapelle depuis le cloître.Plans et conception de François Delage, avec la collaboration de R. Coulon, et P. Henry architectes.
[Note: (Photo de l’auteur)]

A gauche du parvis d’entrée de la chapelle se trouve un oratoire traité dans un esprit de sobriété (fig. 58). Cet oratoire ne comporte aucun ornement excepté une vierge bourguignonne. Le tabernacle a été conçu par le sculpteur René Bertoux.

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Fig. 58 : Vue de l’oratoire situé au rez-de-chaussée.Plans et conception de François Delage, avec la collaboration de R. Coulon, et P. Henry architectes.
[Note: (Photo de l’auteur)]

A droite du parvis, un escalier d’une seule volée donne accès à la chapelle située au sous-sol. Une fente a été ménagée sur la partie supérieure du mur latéral gauche de cet escalier. Celle-ci permet d’avoir une vue panoramique et plongeante sur la nef (fig. 59). Cette vue sur la chapelle annonce la descente vers la chapelle. L’escalier, au delà de sa fonction de circulation, constitue ainsi un espace de transition qui incite les fidèles à se préparer à pénétrer dans la nef. « Nous avons essayé de concevoir cet escalier afin qu’il soit aussi doux que possible », souligne François Delage, « ‘le sol de la chapelle descend en pente douce vers le choeur. Cela a permis de donner du volume à la chapelle et de réduire la place de l’escalier. Cette pente permet également d’offrir à l’ensemble des fidèles une bonne visibilité de l’autel (fig. 60). Avec le père Guyot, on a imaginé de concevoir la chapelle pour que la célébration des offices se déroule face aux fidèles. L’autel éclairé par un puits de lumière - mi-naturelle, mi-artificielle - et le siège de la Présidence sont ainsi disposés face au peuple. Le tabernacle réalisé également par René Bertoux, fermé par une porte de cuivre martelé, est encastré dans le mur du fonds à la gauche de l’autel. L’ambon, légèrement surélevé, est placé à sa droite. Le père Paul Guyot craignait que des autorités ecclésiastiques lui reprochent ces innovations. Il est nécessaire de rappeler que Vatican II a commencé en 1962. Cette année-là le chantier de la chapelle battait son plein. Le projet avait été arrêté en 1960 et l’avant-projet était encore antérieur. L’Eglise n’a approuvé officiellement ce type de dispositif qu’après la promulgation des décrets issus du Concile qui s’est achevé en 1965’ »273.

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Fig. 59 : Vue du bénitier situé sur le parvis où l’escalier – à droite – conduit à la chapelle.On aperçoit, derrière le mur blanc, la fente qui offre une vue plongeante sur la nef. Plans et conception de François Delage, avec la collaboration de R. Coulon, et P. Henry architectes.
[Note: (Photo de l’auteur)]
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Fig. 60 : Vue de la nef du Bon-Conseil vers le choeur.A droite, l’autel décoré par Roger Faraut. Plans et conception de François Delage, avec la collaboration de R. Coulon, et P. Henry architectes.
[Note: (Photo de l’auteur)]

Une fois que le plan de la chapelle fut arrêté, François Delage et l’équipe qui conduisait le projet demanda à R. Faraut qui avait déjà construit plusieurs églises, de formuler son avis. Après l’avoir approuvé, il a dessiné l’ensemble du mobilier. Il a également souhaité animer les murs de la nef qui devaient être réalisés en béton brut de décoffrage. Il a ainsi conçu une série d’empreintes en creux aux motifs abstraits ou empruntés à la symbolique chrétienne (fig. 61). Ces murs de béton ont été coulés par panneaux qui furent divisés selon deux registres en hauteur afin de tenir compte des limites de la technique de béton vibré de l’époque. En effet, il n’aurait pas été possible de vibrer des panneaux de six mètres de hauteur d’un seul tenant. R. Faraut a dessiné l’autel avec les mêmes motifs que ceux employés pour les murs latéraux, mais cette fois-ci en les traitant en relief. Il a également dessiné le motif en pavés de verres colorés qui laissent, à gauche du choeur, pénétrer un peu de la lumière de la cour. C’est également lui qui a conçu l’ambon, le pupitre, les sièges et les bancs. Le plafond est composé de grands panneaux de bois dont il a teinté une bande avec de la lasure rouge. Ce dispositif souligne la distinction entre la partie dévolue au sanctuaire de celle destinée aux fidèles. Sur la gauche du sanctuaire, sous l’orgue, on trouve une petite salle complémentaire qui peut être ouverte sur l’autel ou fermée grâce à un système de cloisons coulissantes (fig. 62 et 63).

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Fig. 61 : Vue de la nef du Bon-Conseil depuis le choeur vers l’escalier.On aperçoit, au dessus du mur de béton brut décoré par Roger Faraut, la fente qui offre une vue plongeante sur la nef depuis l’entrée. Plans et conception de François Delage, avec la collaboration de R. Coulon, et P. Henry architectes.
[Note: (Photo de l’auteur)]
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Fig. 62 : Vue de la petite salle occultable située sous le buffet d’orgue à gauche de l’autel.Plans et conception de François Delage, avec la collaboration de R. Coulon, et P. Henry architectes.
[Note: (Photo de l’auteur)]
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Fig. 63 : Détail du système de cloisons coulissantes qui permettent d’occulter la salle.Plans et conception de François Delage, avec la collaboration de R. Coulon, et P. Henry architectes.
[Note: (Photo de l’auteur)]

De nombreuses salles sont enterrées afin de répondre aux contraintes du plan d’occupation des sols et pour libérer, au dessus, de grandes surfaces de récréation où les enfants peuvent jouer au ballon ou même à la pelote basque. On trouve ainsi une première cour située au dessus des garages où l’on trouve les deux arcades conservés du cloître du XIXème siècle, et une autre qui est disposée au dessus de la chapelle.

« Depuis trente-cinq ans que ce bâtiment est livré, l’ensemble demeure bien entretenu », fait observer Fr. Delage, « ‘L’ensemble des équipements ne fonctionne pas douze heures par jour parce que les enfants sont à l’école. Cependant tous les soirs cela commence à être animé, surtout les mercredis, samedis et dimanches. Depuis trente-cinq ans, la population, plutôt aisée, qui loge dans les appartements réalisés avenue de Saxe et avenue de Ségur, ne semble pas avoir tellement changée. D’ailleurs », conclut-il, « je n’ai jamais entendu parler de ces bâtiments depuis que je les ai réalisés ’»274.

« ‘L’église pourra-t-elle être en rez-de-chaussée d’immeubles ? Il semblerait à d’aucuns qu’on obtienne par là une intégration plus grande dans le groupe d’immeubles’ », s’interroge Mgr de Vaumas en 1960275. Il craignait cependant que ce type de dispositif rende le lieu de culte beaucoup trop discret : ‘« L’église risque de n’être pas suffisamment en vue, de ne pas avoir de caractère propre’ »276. S’il souhaitait qu’en général le clocher soit supprimé, que l’église soit située un peu en retrait de la voie d’accès et qu’un espace délimité et bien aménagé serve de transition avec la vie profane, il jugeait néanmoins nécessaire que celle-ci demeure visible depuis les principaux trajets de circulation et accessible sans difficulté277. Mais il n’excluait pas que des solutions satisfaisantes puissent être trouvées dans le cadre d’unités architecturalement cohérentes : « ‘Si les cités radieuses de Le Corbusier faisaient école, pourquoi une église ne serait-elle pas incorporée à ces ensembles ?’ »278. De ce point de vue, on peut considérer que la chapelle du Bon-Conseil, conçue comme partie intégrante d’un ensemble de logements et d’équipements, constitue une réussite puisque plus de trente années après sa construction et bien qu’invisible depuis la rue, puisque enterrée, son architecture et son fonctionnement n’ont pas subi d’altérations ni de changements notables.

Cependant au delà de l’abandon de tout signe architectural ostentatoire et de toute volonté de monumentalité, c’est la banalisation complète de l’édifice religieux dans le tissu urbain - et même sa disparition en tant que programme architectural distinct - qui sera envisagé durant les années soixante et soixante-dix.

C’est ainsi que l’abbé de Boysson, dans le numéro que L’Art Sacré consacre en 1966 à l’évolution et aux nouvelles orientations de l’architecture religieuse, constate que les moyens financiers mobilisables par le diocèse de Bordeaux pour l’édification d’églises ne sont pas à même de suivre le rythme de la construction de logements tandis que le nombre de prêtres s’avère déjà insuffisant279. L’incertitude pèse également sur l’avenir de la paroisse et sur son rôle à venir dans l’apostolat. « ‘On s’interroge aussi’ », poursuit l’abbé de Boysson, « ‘sur les modalités du comportement humain dans quelques décennies, au sein d’un monde en rapide devenir’ »280.

Sur la base de ces réflexions, il suggère de limiter la création de nouvelles paroisses et de réduire le coût de construction des édifices par l’usage de procédés industrialisés. Car à l’avenir, prophétise-t-il, les églises traditionnelles ne constitueront plus que des exceptions obligeant à se « ‘rabattre sur des salles polyvalentes dans la majorité des cas’ »281.

Poussant cette réflexion jusqu’à ses limites extrêmes l’abbé de Boysson envisage même la disparition de l’église en tant que programme architectural distinct. « ‘Ne faudrait-il pas aller plus loin et demain ne rassemblerons-nous pas les fidèles dans les locaux de la vie civile ?’ »282 se demande-t-il.

Quand en 1968 le père Capellades s’interroge sur la traduction spatiale du lieu de culte de la ville contemporaine, il suggère que « la maison d’Eglise » - inversion de l’église monumentale et maison de Dieu - soit conçue comme un édifice discret, refermé sur lui-même, quasiment confidentiel. En effet, affirme-t-il, « on lui demande d’être d’abord un asile de silence et de recueillement. Elle n’aura donc pas de façade ouverte sur la rue mais elle sera toute orientée vers la paix de ses cours et de son jardin intérieur »283. De plus, le lieu de culte dominical dont Capellades suggère qu’il soit transformable en salles de réunion durant la semaine, ne constitue qu’un élément du programme de ce qu’il présente comme un lieu de fraternité et de rencontre conçu « ‘pour offrir de nombreux foyers aménagés pour l’échange et le service’ »284.

L’historien Georges Mercier, dans l’ouvrage qu’il consacre en 1968 à l’architecture religieuse contemporaine, résume les caractéristiques de l’évolution qui s’opère sous ses yeux : « ‘S’apparentant davantage à l’église militante des premiers siècles du christianisme », écrit-il, « resserrant ses liens au milieu d’une communauté sociale souvent indifférente ou hostile, l’église actuelle renonce à ériger un ‘Monument’ pour construire un édifice modeste quelquefois perdu au milieu d’un ensemble de constructions gigantesques quand il n’est pas réduit à un bâtiment provisoire ou à une salle définitivement affectée au lieu de culte dans le corps même d’une habitation’ »285.

Notes
268.

A l’exception notable de l’ouvrage de Suzanne Robin Eglises modernes, 1980, p. 132.

269.

François Delage (né en 1927). Après des études secondaires à Paris, Fr. Delage s’est inscrit à l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts en 1945. Après l’admission, il s’inscrivit dans l’atelier Emmanuel Pontrémoli-André Leconte. Il fit partie du groupe d’élèves parmi lesquels se trouvaient Michel Andrault et Pierre Parat, qui rejoignit ensuite l’atelier animé par Eugène Beaudoin. Diplômé en 1956, il travailla pendant une dizaine d’années chez Pierre Dufau.

270.

François Delage. Propos recueillis à l’occasion d’un entretien avec l’auteur le 30 novembre 2000.

271.

Ibid.

272.

Ibid.

273.

Ibid.

274.

Ibid.

275.

G. de Vaumas, « l’église dans la cité », La Maison Dieu n° 63, 1960, p. 231.

276.

Ibid.

277.

Ibid.

278.

Ibid., p. 232.

279.

Abbé de Boysson, « Le diocèse de Bordeaux ; les orientations des Chantiers diocésains », L’Art Sacré, n° 9-10, 1966, p.6.

280.

Ibid., p. 5.

281.

Ibid., p. 6.

282.

Ibid.

283.

J. Capellades, « Les ‘maisons d’Eglise’, cités de paix »,L’Art Sacré, n° 3,1968, p. 37.

284.

Ibid.

285.

G. Mercier, L’Architecture religieuse contemporaine en France, 1968, p. 21.