En 1968, les sociologues François Houtart et Jean Rémy publièrent un ouvrage, collection d’un ensemble d’articles rédigés durant les dix années précédentes. Ces articles ont pour objet l’analyse de l’incidence de l’urbanisation sur la pratique religieuse et sur la nature des édifices dédiés au culte catholique.
Après avoir constaté que le développement du milieu urbain et industriel s’accompagne de la spécialisation des fonctions économiques et urbaines, Fr. Houtart et J. Rémy observent que « ‘la mobilité constitue une des caractéristiques de la vie urbaine actuelle’ »339. De nouveaux types de mobilité apparaissent aux côtés des migrations rurales-urbaines et des migrations internes aux villes. En effet, la spécialisation des fonctions - habitat, commerce, industrie, enseignement etc. - et leurs localisations spatiales spécifiques ainsi que le perfectionnement des moyens de transport provoquent de nouveaux types de mobilité urbaine : mobilité journalière résultant des déplacements habitat-travail ; mobilité liée aux loisirs, à l’éducation ; mobilité saisonnière engendrée par les vacances et les week-ends, phénomène qui prend alors de plus en plus d’ampleur dans les villes européennes. Ces nouvelles mobilités remettent en cause le quartier comme base géographique de la formation des liens sociaux et, par conséquent, le fonctionnement de la paroisse comme entité territoriale élémentaire de l’Eglise.
Les auteurs, observant que l’accroissement urbain rapide se traduit par la concentration de la population dans les villes, notent néanmoins que la conception de la paroisse urbaine reste généralement liée au territoire. On définit encore souvent la paroisse, déplorent-ils, « ‘comme devant constituer un groupe territorial, relativement autarcique, alors qu’elle ne représente plus qu’un ensemble de personnes vivant sur un territoire déterminé, ne formant plus un groupe au sens exact du terme et qu’elle est de moins en moins auto-suffisante sur le plan apostolique et religieux’ »340.
La prolongation en milieu urbain d’une pastorale de type rural génère un décalage entre des rites ou des prédications imprégnées par le fonctionnement du monde rural et les rythmes et les valeurs urbaines. « ‘N’y valorise-t-on pas avant tout la stabilité et non la mobilité’ », observent-ils, « ‘les relations de voisinage et non les autres, l’encadrement dans des structures fixes plutôt que l’appartenance multiple’ ? »341.
La souci de définir les grandes lignes d’une pastorale adaptée au mode de vie urbain conduit François Houtart et Jean Rémy à sortir de l’approche sociologique pour tenter d’esquisser les caractéristiques de la « ville de demain » : « ‘La ville de demain sera essentiellement tertiaire, la production industrielle étant de plus en plus automatisée. Elle sera mobile plus encore qu’aujourd’hui et les moyens de communications sociales, radio, T.V., etc. joueront un rôle social et pas seulement culturel fondamental ’»342. Au sein de la ville en cours d’émergence, marquée par la mobilité, le principe territorial de la paroisse apparaît de moins en moins adapté au profit d’actions missionnaires et sectorisées : aumôneries des hôpitaux, des prisons, des milieux scolaires ; missions en milieux ouvriers, de techniciens etc.
Quant aux lieux de culte, François Houtart et Jean Rémy imaginent qu’ils devront nécessairement être influencés par cette vision nouvelle de la ville en abandonnant toute référence à la présence de la cathédrale qui dominait la ville du Moyen Age sans aller jusqu’à l’absence totale de tout signe religieux. Pour décrire les caractères physiques de cette église, ce sont spontanément des qualificatifs qui renvoient au mouvement et à la vie organique qui viennent à l’esprit des auteurs. La présence du lieu de culte, affirment-ils, « ‘sera visible, dynamique, naturelle mais sans exercer une pression sociale’ » 343.
Dans la ville mobile, les lieux de culte ne seront donc plus implantés en cherchant à les rendre visibles mais en les localisant dans les lieux d’embarquement, d’échange situés sur les axes de circulation piétonne, automobile, ferrée ou aéronautique. Au principe de visibilité des lieux de culte se substitue donc celui de leur accessibilité. « ‘On verra ainsi des lieux de culte modestes, mais expression du sacré et dont l’implantation tiendra compte de deux facteurs d’accessibilité (et donc des communications) et de pratique religieuse (...) Des lieux de culte fonctionnels (aéroports, gares, lieux de passage importants), seront multipliés’ », annoncent F. Houtart et J. Rémy qui soulignent que les services seront également « ‘localisés aux endroits accessibles, tout en évitant une concentration, qui pourrait être une expression de puissance, telle la construction d’un bâtiment central imposant’ »344.
Ces propositions d’implantation qui manifestent le souci d’adapter l’Eglise au mode de vie urbain, perçu comme en constante évolution, sont accompagnées de suggestions d’adaptation de la pastorale afin que le clergé accompagne les migrants.
F. Houtart et J. Rémy conseillent ainsi que soit organisé un apostolat spécialisé pour les migrants ruraux ou pour les étrangers afin de favoriser leur intégration au sein des communautés religieuses de la ville où ils arrivent. Dans le même esprit, dans le cas de changements de résidence internes à une ville, ils estiment indispensable qu’un secrétariat interparoissial transmette les fiches des « migrants » d’une paroisse à l’autre. Cette mesure permettrait, supposent-ils, à ces derniers de se réadapter immédiatement à de nouvelles structures religieuses.
Dans cette optique les auteurs estiment que la liturgie favorisera, dans le cadre de la mobilité urbaine ou de week-ends, l’intégration des populations migrantes : « ‘elle donne aux individus le sens d’appartenance à une communauté eucharistique qu’ils retrouvent quel que soit l’endroit où ils vont »345. Ce qui importe, concluent-ils, c’est que « l’Eglise soit présente à toutes les étapes de cette mobilité’ »346.
F. Houtart, J. Rémy, Milieu urbain et communauté chrétienne, 1968, p. 59.
Ibid., p. 38.
Ibid., p. 34.
Ibid., p. 38.
Ibid., p. 45.
Ibid.
Ibid., p. 297.
Ibid.