A la fin des années soixante, les responsables du Comité National des Constructions d’Eglises (C.N.C.E.), confrontés à la planification de l’édification de nouveaux lieux de culte, firent également appel aux méthodes des sociologues pour tenter de dépasser les incertitudes d’une époque perçue comme celle de la « vitesse »347. Ils commandèrent ainsi la réalisation d’une série d’enquêtes à des bureaux d’études spécialisés. Ils souhaitaient fournir à l’Episcopat français des données objectives concernant l’incidence des évolutions sociales et urbaines sur la nature et l’ampleur des équipements cultuels à réaliser. Il s’agissait en particulier de montrer quels effets avait le processus d’urbanisation « accélérée » et de développement de la mobilité sur les pratiques religieuses et de décrire comment évoluait la relation « psychosociologique » des Français aux églises.
« Avec une automobile, j’ai déjà besoin d’un code et d’un ensemble de signalisation. Plus la vitesse augmente et plus les signaux doivent me prévenir à l’avance », écrit le père Capellades en 1970, « ‘A partir d’un certain seuil, par exemple l’avion et surtout la fusée, la rapidité de perception et de réponse peut dépasser les possibilités de nos sens. Il faut les relayer avec des instruments ’»348. La métaphore qu’il utilise, révèle de façon très parlante l’incidence de la mobilité sur les mentalités de l’époque.
Le C.N.C.E. procéda ainsi, à partir du milieu des années soixante, à des études et des enquêtes dont le programme, la direction et la coordination furent confiés à la S.O.F.R.E.S. En 1970 la S.A.R.E.S349 réalisa une étude « psychosociologique », afin de chercher à cerner « ‘les attitudes et les motivations profondes des Français par rapport à l’église-bâtiment ’»350 dans le cadre des perspectives qui s’offraient en matière d’urbanisation.
Cette étude met l’accent sur les différentes migrations qui affectent à cette époque la société française : exode rural, migrations interurbaines, interrégionales. L’analyse des données montre que l’émergence et l’accroissement de la mobilité affectent les générations les plus jeunes et les plus aisées : « ‘Le maximum de mobilité s’observe entre 20 et 40 ans’ »351. Il s’agit à la fois de l’observation des changements de domicile mais aussi d’un phénomène qualifié de « haute importance », celui des migrations temporaires.
Celles-ci concernent d’abord les déplacements liés au travail. On estime alors que les navettes quotidiennes en région parisienne suscitent quotidiennement cinq millions de trajets par jour et que, dans la région nord, 30 000 travailleurs parcourent quotidiennement cent kilomètres352.
L’autre phénomène analysé est celui, plus nouveau, des déplacements liés au développement des loisirs. Si les vacances d’été apparaissent désormais comme un phénomène massif – on estime en 1967 que sur 47 millions de Français 20 millions sont partis en vacances d’été – les sports d’hiver se révèlent de plus en plus populaires tandis que les migrations liés aux week-ends affectent de manière croissante les populations urbaines.
Pour les promoteurs de cette enquête, il s’agit de montrer comment la mobilité qui constitue désormais une caractéristique incontournable de la vie urbaine, engendre un type nouveau et émancipateur de vie sociale. ‘« On l’accuse souvent d’être cause de déracinement et d’aliénation’ », écrit le père J. Capellades, « ‘mais cet enracinement qui était une vertu pour une minorité de privilégiés, pouvait n’être pour les pauvres que la marque de leur servitude. La mobilité peut délivrer des conformismes étroits, ouvrir des horizons nouveaux, être un facteur d’élévation sociale’ »353.
Cette enquête indique qu’une fraction importante de la population est attachée à l’église réduite à sa dimension d’héritage culturel. Mais elle révèle également qu’il existe une part non négligeable des fidèles qui considèrent que le bâtiment où se réunissent les chrétiens pourrait servir à d’autres usages. C’est dans ce groupe, souligne l’enquête, que la tendance à la suppression du monument est la plus accentuée354.
En remettant ce rapport à l’Episcopat français, le C.N.C.E. souhaitait attirer l’attention des évêques sur la nécessité d’inscrire l’Eglise catholique dans une culture urbaine, marquée par « la révolution technique » et par l’accomplissement de « la métamorphose de l’univers »355. Il s’agissait également d’inciter l’Episcopat à entamer une réflexion de fond sur la nature de l’église contemporaine. Il apparaissait, en particulier, « ‘vu les nouveaux types de relation en communauté urbaine et la mobilité de plus en plus grande’ »356 que les lieux de rassemblement dominical ou cyclique à venir seraient plus vastes et moins nombreux que les églises paroissiales.
« ‘Pour propager l’Evangile et célébrer l’Eucharistie, il n’y avait peut-être pas à créer systématiquement une église dans chaque quartier’ », remarque le père J. Capellades dans la conclusion du rapport, « ‘par contre si l’Institution-Eglise veut avoir une influence profonde sur les populations, il faut qu’elle inscrive son message dans une culture dans laquelle baigne tout homme venant en ce monde et qui se projette finalement dans une conception de la Cité’ »357.
La réaction de l’Episcopat ne fut probablement pas à la hauteur de l’attente des promoteurs de l’enquête. « ‘Les 3 000 pages de l’enquête ont été remises au Secrétariat de l’Episcopat’ », précise l’abbé Michel Brion tout en déplorant que «‘ tous ces travaux ont été pratiquement enterrés (car) ils n’étaient pas au goût du jour ’»358.
Comité National des Constructions d’Eglises, Pour une politique nouvelle de l’équipement religieux, 1971, p. 12.
Ibid.
Société animation, recherches et études sociologiques alors basée à Paris.
Ibid., p. 15.
Ibid., p. 87.
Ibid., p. 90.
Ibid., p. 31.
Ibid., p. 99.
Ibid., p. 102.
Ibid., p. 55.
Ibid. p. 102.
Michel Brion, précision apportée dans un courrier adressé à l’auteur le 15 février 2000.