C – L’église dans les grands ensembles : de l’église provisoire à l’église polyvalente

1 – Des chapelles provisoires aux églises démontables

« ‘Le visage des églises d’aujourd’hui, ce doit être le visage même du Christ : pauvre, accueillant, ouvert à tous’ », affirme en 1959 le père Jean Capellades387. L’urbanisation des grandes villes est en plein essor et les “grands ensembles” se multiplient à leur périphérie. Les responsables chrétiens craignent alors de voir l’Eglise “perdre” les villes tout comme au XIXème siècle elle avait “perdu” le prolétariat ouvrier. « ‘Ces nouveaux quartiers peuplés de jeunes foyers et de nombreux enfants sont ouverts à l’Evangile. Allons-nous les perdre faute d’églises?’ », s’inquiète encore Capellades388. La réalisation d’églises économiques est ainsi présentée comme une solution permettant de répondre à l’ampleur des besoins tout en étant plus en accord avec le message évangélique que les églises monumentales conçues pour durer.

Le prosélytisme que déploient alors les animateurs de L’Art Sacré en faveur des églises économiques, suscita néanmoins un certain trouble chez les architectes lecteurs de la revue.

En effet, l’architecte à qui l’on confiait la construction d’une église entendait, en résolvant un besoin contingent à un lieu et à un groupe social singulier, réaliser une oeuvre qui marquerait durablement de sa masse la ville. La valeur d’usage de l’église s’inscrivant dans la permanence de la tradition, l’édifice religieux constituait un invariant historique permettant de fonder, par delà les singularités propres à chaque époque, l’intemporalité de la pratique architecturale. Selon Auguste Perret, c’est ce qui singularisait la démarche de l’architecte. Ce point de vue est condensé dans l’un de ses célèbres aphorismes : « ‘Architecte est le constructeur qui satisfait au passager par le permanent’ »389.

Au contraire, L’Art Sacré proposait aux architectes de répondre au programme traditionnel de l’église, celui où les conditions passagères contingentes à l’époque sont les plus réduites, par des solutions architecturales conduisant à conférer un caractère éphémère ou provisoire à l’édifice. Les architectes se trouvaient confrontés à un paradoxe : concevoir des églises, caractérisées traditionnellement par la pérennité de leur architecture, en réalisant des constructions passagères.

Cette remise en cause de l’une des bases de l’architecture sembla inacceptable à de nombreux architectes et l’un d’eux répondit à L’Art Sacré : « ‘Il y a peut être des cas où le provisoire s’avère nécessaire, mais ce ne sont pas les affaires des architectes’ »390.

Néanmoins les animateurs de la revue comprenant mal ce sur quoi se fondait ce rejet, l’attribuaient au dédain de certains architectes pour lesquels « construction économique » aurait signifié « ‘bon marché à tout prix, branlant, et bancal, misérable’ »391. Aussi L’Art Sacré tenta de préciser ce que sous-entendait la notion d’église économique en soulignant que sa caractéristique principale était de ne pas avoir vocation à être pérenne, ce qui justement posait le plus problème : « ‘Nous disons provisoire pour désigner une construction légère qui n’est pas destinée à durer éternellement ’»392. La campagne de la revue dominicaine en faveur de la construction d’églises dépouillées et provisoires trahissait également le doute que ressentaient ses animateurs quant à la capacité de l’architecture religieuse contemporaine à posséder une réelle valeur artistique. ‘« Même dans les meilleurs cas, il ne faut pas attendre des chefs-d’oeuvre’ », indiquait ainsi la revue qui concluait : ‘« N’encombrons pas nos petits neveux avec des édifices qui leur paraîtront le plus souvent déplorables’ »393. A ce doute concernant la valeur d’art des églises contemporaines se superposait un réelle incertitude quant au devenir de l’Eglise catholique en milieu urbain. En effet, l’évolution pastorale et liturgique des paroisses, tout comme les mouvements de population, semblait empêcher que l’on définisse un style d’église contemporain ou que l’on puisse prévoir des emplacements définitifs où fonder de nouveaux édifices. « ‘Il y a donc intérêt à ne pas construire d’églises de trop longue durée qui risquent un jour, soit de se trouver sans paroissiens, soit de gêner considérablement un nouveau style de vie paroissiale’ » concluait L’Art Sacré 394. Cette argumentation conforta sans doute de nombreux architectes dans le sentiment que l’appel de la revue allant à l’encontre de leur volonté d’art ne les concernait pas.

Notes
387.

Jean Capellades, « L’église dans la cité », L Art Sacré n° 5-6, 1959, p. 11.

388.

Ibid.

389.

Auguste Perret, Contribution à une théorie de l’architecture, 1952, n. p.

390.

«Quelques réalisations économiques », L’Art Sacré n° 5-6, 1959, p. 13.

391.

Ibid.

392.

Ibid.

393.

Ibid.

394.

Ibid.