L’Art Sacré consacra en 1966 un numéro spécial à l’effort de construction du diocèse de Nantes (fig. 119). A l’occasion de cette publication, le père Jean Capellades, directeur de la revue, fait observer que l’intérêt des réalisations de ce diocèse ne réside pas tant dans leur nombre que dans leurs qualités. Celles-ci, explique-t-il, résultent de la cohérence des orientations qui ont présidé à leur édification443. Après avoir rappelé que le progrès de la science et de la technique, l’extension de la laïcisation, ont peu à peu fait disparaître le recours au divin et au surnaturel pour la protection de la cité et l’explication des phénomènes de la vie, il souligne que l’originalité foncière du christianisme a été de libérer le culte de ses attaches à des lieux privilégiés et à des édifices déterminés. Ainsi , résume J. Capellades, le vrai temple chrétien, la « maison de Dieu » n’a rien de matériel444. Puisque la nouveauté du christianisme est de construire « ‘un temple spirituel dont les fidèles sont les pierres vivantes’ », se pose donc la question du type d’édifice matériel convenant aux communautés chrétiennes modernes. J. Capellades se demande alors si, désormais, il ne faut pas ouvrir les églises à d’autres fonctions que la stricte activité cultuelle, et même s’il ne faut pas que les églises nouvelles soient, par principe, nomades en les libérant « ‘de toute servitude par rapport à des lieux déterminés ’»445.
Mais J. Capellades pressent que malgré l’apparente débâcle des valeurs immémoriales, les archétypes essentiels, les symbolismes de base resteront profondément enracinés dans les mentalités pendant une longue période.
Parmi les quatre édifices nantais que présente L’Art Sacré, la conception de l’un d’entre eux, l’église Saint-Michel (fig. 120) de l’architecte Georges Evano446, se distingue par la singularité de sa conception tandis que l’intérêt des trois autres réside surtout dans le caractère dépouillé de leur architecture.
L’édifice réalisé par G. Evano ne se limite pas au seul lieu dédié au culte. Il s’agit en effet d’un centre paroissial qui regroupe en plus de l’église tout un ensemble de salles nécessaires à l’enseignement religieux, aux activités paroissiales, au logement du curé et à celui des vicaires (fig. 121). La salle paroissiale et le choeur, la sacristie, deux salles de catéchisme, un foyer-salle de réunion, des parloirs, une salle d’archives, quatre chambres, une cuisine, une salle à manger et des rangements sont disposés autour d’un jardin intérieur (fig. 122 et 123).
La composition architecturale de l’ensemble – bâtiments en rez-de-chaussée et volumes de faible hauteur, façades ouvertes sur le patio et fermées sur l’extérieur – traduit une recherche de discrétion et d’intériorité (fig. 124).
L’agencement du centre paroissial Saint-Michel répond aux lignes de recherches énoncées par l’abbé Michel Brion. En effet, celui-ci avait également demandé à Georges Evano de mener une réflexion autour de « la messe de saint Justin ». Georges Evano se souvient que l’abbé Brion faisait également référence à l’église Saint-Julien-le-Pauvre à Paris. « ‘C’est-à-dire’ », précise-t-il, « ‘qu’il souhaitait un bâtiment très modeste, situé dans la verdure, pouvant servir à toutes sortes d’usages et ne dépassant pas, je crois, un coût de 500 000francs’ »447.
Evoquant la conception singulière de cet édifice, Jean Capellades approuve le principe d’ouverture à d’autres activités - religieuses ou profanes - qui a présidé à sa réalisation : « ‘Dans le centre paroissial Saint-Michel, l’église ne peut être jugée en dehors de l’ensemble qui a été conçu comme un tout. Cette interférence des divers éléments n’est pas seulement apparente au point de vue architectural. Elle a été présente dès le début dans la pensée des promoteurs. Devant les problèmes humains qui se posent dans les nouvelles zones urbaines, les responsables diocésains se sont demandés s’il ne fallait pas envisager un élargissement des fonctions de l’église. Ces grands volumes qui ne se remplissent pour le culte qu’un jour par semaine, ne pourrait-on les concevoir pour qu’on puisse les utiliser les autres jours à des activités culturelles qui font si cruellement défaut dans la plupart des cas ?’ »448.
Afin que le centre paroissial puisse répondre aux fonctions les plus diverses, G. Evano a eu recours au système des cloisons mobiles dont l’abbé Brion suggérait l’utilisation. Il compléta ce dispositif par des rideaux qui, aujourd’hui, ont disparu. L’ensemble de ces écrans mobiles permettait de masquer le choeur, d’isoler les deux salles de catéchisme et de diviser en deux la nef de l’église (fig. 125).
Jean Capellades observe, lui aussi, que l’église « ‘est avant tout conçue comme une grande salle polyvalente où les cloisons mobiles et des rideaux assurent la souplesse d’utilisation ’»450 et il juge que le centre paroissial constitue, dans son ensemble, une première tentative de réponse aux réflexions des responsables diocésains nantais.
Cependant il affirme avoir éprouvé, en visitant le bâtiment , « un point de gêne »451. Celui-ci résulterait, écrit-il, du fait que l’idée de départ n’aurait pas été poussée jusqu’au bout. « ‘L’organisme liturgique est trop léger pour que ce soit un vrai sanctuaire’ », explique-t-il, « ‘il est cependant trop présent, même derrière les rideaux, pour qu’on puisse utiliser la salle, avec aisance, à des activités profanes ’»452. En fait, le « léger malaise » qu’éprouva le père Capellades, ne résultait probablement pas tant du compromis architectural qu’il pointe dans le maintien d’un autel fixe occultable grâce à des rideaux, que de l’audace même de ce dispositif face auquel il dut éprouver un sentiment de profanation. D’ailleurs, concède-t-il, ‘« peut-être nos réactions sont-elles encore liées à une mentalité sacrale qui se veut étrangère aux jeunes générations’ »453.
Quelques années plus tard, en 1969, dans son Guide des églises nouvelles J. Capellades confirme le jugement qu’il avait porté quelques années auparavant sur le centre cultuel Saint-Michel. Celui-ci constituerait un premier essai de réponse aux besoins multiples, non seulement religieux mais aussi culturels, des nouvelles zones urbaines. Il souligne que la nef de l’église a d’abord été conçue comme une grande salle polyvalente dont les cloisons mobiles et les rideaux assurent une grande souplesse d’utilisation. Il indique également que les éléments liturgiques sont mobiles en précisant que ceux-ci demeurent « très dignes »454. Mais, même s’il considère que l’on peut voir dans cet édifice l’annonce de ce que pourraient être les « maisons d’églises », il maintient une certaine réserve car, écrit-il, « ‘en laissant le Saint-Sacrement dans cette salle, on n’est pas allé jusqu’au bout de l’idée ’»455.
« De quelques réflexions prospectives, le diocèse de Nantes », L’Art Sacré, n°11-12, juillet-août 1966.
Jean Capellades, « En Esprit et en Vérité », L’Art Sacré, n° 11-12, 1966, pp. 3-5.
Ibid.
Georges Evano(né en 1926). Architecte D.P.L.G. diplômé en 1953. Ancien élève des ateliers Guillou à Nantes et Jean Zavaroni à Paris. Architecte libéral à Nantes de 1953 à 1980. Associé à Jean-Luc Pellerin en 1968. OEuvres marquantes : outre le centre paroissial Saint-Michel, le centre paroissial Saint-Vincent-Février de Kercado à Vannes, l’école d’architecture de Nantes, de nombreux équipements publics et privés et divers ensembles de logements. Architecte de la ville de Nantes de 1963 à 1992.
Georges Evano, entretien téléphonique avec l’auteur le 13 avril 1998.
Jean Capellades, « Le centre paroissial Saint-Michel », L’Art Sacré, n° 11-12, 1966, p. 22.
Georges Evano, entretien téléphonique avec l’auteur le 13 avril 1998.
Jean Capellades, article cité, p. 22 et 23.
Ibid., p. 23.
Ibid.
Ibid.
Jean Capellades, Guide des églises nouvelles en France, Paris, 1969, p. 172.
Ibid.