Hormis le centre paroissial conçu par Georges Evano, les recherches conduites sous l’autorité de l’abbé Michel Brion sur le thème de la « messe de saint Justin », avec les quelques architectes dont il s’était entouré, se concrétisèrent à Nantes par une seconde réalisation exemplaire : l’édification de la Maison du Peuple Chrétien (église Saint-Luc) conçue par Pierre Pinsard456 en collaboration avec Hugo Vollmar457.
En effet, au début des années soixante, le Groupement des Centres Religieux du Diocèse de Nantes envisagea de construire une église située en bordure et au sud-ouest de la Zone d’Urbanisation Prioritaire de Saint-Herblain, dans le quartier de Breil-Malville dont le plan masse avait été confié à l’architecte Marcel Favraud (fig. 126).
Dans un premier temps, l’évêché avait sollicité le concours de l’architecte nantais Pierre Vié pour concevoir cette nouvelle église. Les études concernant ce projet originel furent poussées très loin puisqu’un dossier de demande de permis de construire qui avait été déposé au milieu de l’année 1964, fit l’objet d’un avis favorable le 16 juillet de cette même année.
Cependant cette orientation fut remise radicalement en cause par les responsables du Groupement des Centres Religieux du Diocèse de Nantes. En effet, au moment même où la demande de permis de construire déposée par Pierre Vié faisait l’objet d’un avis favorable, ils décidèrent de ne pas y donner de suite et demandèrent à Pierre Pinsard d’entreprendre une nouvelle étude.
Comme le veulent les convenances entre confrères, Pierre Pinsard écrivit à Pierre Vié le 7 juillet 1964 pour l’informer que l’abbé M. Brion venait de lui confier la commande dont il était initialement le maître d’oeuvre458.
Pierre Vié répondit par retour du courrier et indiqua à Pierre Pinsard que l’abbé Michel Brion l’avait déjà prévenu que la poursuite du projet était désormais entre les mains de son confrère. Dans cette lettre Pierre Vié exprime sobrement son amertume. En effet, il s’agissait là de sa première commande d’église et, comme la plupart des architectes, il avait perçu dans cette commande l’opportunité de laisser libre cours à sa volonté d’art.
Hormis le manque d’expérience de cet architecte dans le domaine de l’architecture religieuse, ce qui a motivé ce revirement résulte d’une divergence fondamentale de point de vue entre l’abbé Brion et Pierre Vié concernant la question centrale de la polyvalence du lieu de culte dans la cité contemporaine. « ‘Je ne peux qu’exprimer mon regret’ », écrit ainsi P. Vié, « ‘que nous nous heurtions (sic) dans le diocèse vers des bâtiments dits polyvalents’ »459. Pierre Vié s’est probablement opposé au changement radical d’orientation liturgique qui le privait, alors que les plans étaient réalisés et l’autorisation de construire accordée, de la concrétisation d’un édifice monumental, point d’orgue de sa carrière. « ‘Vous avez eu la chance de réaliser déjà d’autres églises ’», écrit-il ainsi à P. Pinsard, « ‘aussi cette nouvelle orientation vous est sans doute moins pénible qu’à moi-même’ »460.
Les archives de Pierre Pinsard recèlent un programme, non daté et non signé, qui décrit sommairement l’utilisation envisagée de la « salle polyvalente ». Il s’agit de la salle destinée non seulement à abriter les messes du dimanche et de la semaine, les baptêmes, les mariages, les sépultures, les confessions mais aussi les réunions et le catéchisme. Ce programme expose également les fonctions de la sacristie et du presbytère (quatre chambres, salle de séjour, cuisine, parloir, salle d’eau et garage-débarras). L’usage polyvalent de la salle principale est évoqué brièvement à propos des réunions. On en prévoit un maximum de trois, le même soir, pour des groupes allant de quelques personnes à une centaine. Il semble qu’au moment où est rédigé ce programme, le principe du dispositif de cloisonnement ait déjà été discuté avec l’architecte. « Je pense », écrit le rédacteur du programme, « ‘qu’avec le système envisagé, la difficulté est (théoriquement) résolue ’»461.
Au début de l’année 1965, l’élaboration du projet semble en bonne voie. L’architecte et l’abbé Jean Vincent, membre de l’Association des Centres Religieux du Diocèse de Nantes et futur curé de l’église, sont apparemment arrivés, après une série d’allers et retours, à la formulation d’un projet satisfaisant pour les deux parties. « ‘Après avoir étudié des solutions bouleversant totalement la structure du projet ’», écrit P. Pinsard en février 1965, « ‘je suis revenu à un changement moins radical et j’ai suivi dans la mesure du possible les différentes remarques dont vous m’aviez fait part dans votre lettre ’»462. Parmi les modifications mineures qu’il énumère, on note l’abandon de tout signe extérieur distinctif (pas de croix), les confessionnaux réalisés sur la base d’un mobilier mobile et repliable le long du mur et l’aménagement de deux salles de catéchisme transformables de quarante places chacune. Ces changements sont révélateurs de l’esprit du projet. « ‘Concernant la question du mobilier’ », se souvient Hugo Vollmar, « ‘nous souhaitions, Pinsard et moi-même, plutôt le dessiner, le concevoir spécifiquement pour cet édifice. Mais le budget dont disposait l’Association des Centres Religieux du Diocèse de Nantes pour cette opération était très limité. Un peu meurtris, nous avons été contraints de nous contenter de produits existants dans le commerce. Nous nous sommes donc rabattus sur un modèle de siège industriel très simple et peu coûteux dont l’assise est en plastique mais qui ne présente pas grand intérêt. Cela aurait été mieux de réaliser un mobilier adapté ’»463.
L’abbé Vincent répondit au courrier de P. Pinsard la semaine suivante pour évoquer l’avancement de ce qu’il appelle « ‘le nouveau projet pour la Maison du Peuple (chrétien)’ »464.
Cette appellation évoque clairement les « maisons du peuple » érigées par les municipalités socialistes depuis la fin du dix-neuvième siècle, édifices se caractérisant par leur programme complexe qui intègre de multiples fonctions. Cette référence est symptomatique de la volonté des responsables du Groupement des Centres Religieux du Diocèse de Nantes, de rompre avec la notion d’église consacrée au seul culte et réservée à une fraction limitée et privilégiée de la population, pour lui substituer celle d’un édifice religieux d’un genre nouveau conçu comme un lieu multifonctionnel ouvert à l’ensemble des habitants et, en particulier ici, aux habitants des logements sociaux de la Z.U.P. environnante (fig. 127). La mise entre parenthèses de l’adjectif « chrétien » indique de manière très significative que les personnes pratiquantes ne constituent qu’une partie du public auquel est destiné cet édifice.
Cette lettre indique que les abbés Brion et Vincent ont analysé conjointement le projet. Ils considèrent que P. Pinsard a réussi plusieurs améliorations comme l’agrandissement de deux salles de catéchisme, poussées à 50 m², et le dispositif des quatre confessionnaux. Mais ils déplorent que la surface des deux salles occultables par des cloisons mobiles ne soit que de 36 m2 chacune.
Cependant, les maquettes du mobilier transformable suscitent une certaine réticence de leur part. On a le sentiment que les promoteurs mêmes de la polyvalence de l’église sont surpris par l’audace de leur propre demande lorsqu’ils en découvrent la traduction spatiale. «‘ Plus je manipule les maquettes de mobilier transformable que j’ai près de moi en ce moment ’», écrit l’abbé Vincent, « ‘et moins j’y suis favorable. L’intention et l’idée de ce mobilier sont sûrement bonnes et il y a peut-être à chercher de ce côté, mais tel que le projet se présente aujourd’hui, j’y vois de nombreux inconvénients’ »465.
Pierre Pinsard avait exposé son projet devant des fidèles du quartier de Breil-Malville quelques semaines auparavant. L’abbé Vincent souligne que les personnes qui participaient à cette réunion s’étaient alors montrées satisfaites du dispositif général du projet mais qu’après réflexion, elles se sentaient maintenant capables de poser des questions et de formuler certaines objections. Une délégation ayant demandé à être reçue par l’abbé Vincent dans les jours suivants, celui-ci propose à Pierre Pinsard de lui communiquer par l’intermédiaire de l’abbé Brion qu’il doit rencontrer à Paris à l’occasion d’une réunion du Comité National des Constructions d’Eglises466, les remarques qui auront été formulées lors de cette réunion. « ‘Il semble », précise-t-il, « que là encore se soit le mobilier qui fasse le plus difficulté ’»467. En fait, comme le précise Hugo Vollmar, la suggestion de concevoir des éléments du mobilier liturgique mobiles a très vite été abandonnée. En revanche, l’idée de réaliser un noyau fixe - composé de l’autel et des fonds baptismaux -, ‘neutralisable’ s’est imposée. Dans la version finale ce noyau central constitue la chapelle de semaine. Grâce au système de cloisons mobiles, le noyau central, sacré, est isolé du reste de la salle qui peut alors servir, aussi bien dans la journée que le soir, de salle de réunion468.
Le permis de construire de la Maison du Peuple Chrétien fut accordé par le maire de la ville de Nantes, André Morice469, après avis favorable du Directeur Départemental de la Construction, le 23 juin 1965.
Un descriptif sommaire était annexé à la demande de permis de construire470. Ce document qui décrit les caractéristiques du bâtiment, dévoile également la singularité du projet des responsables du diocèse de Nantes.
Pinsard, en effet, précise que le programme établi par les autorités ecclésiastiques est de nature particulière car ces dernières sont parties du constat d’une utilisation très réduite des églises traditionnelles. « L’église-bâtiment », indique-t-il, « ‘est habituellement utilisée à plein seulement le dimanche matin, et très peu la semaine’ »471.
On demandait donc à l’architecte de trouver une solution constructive qui permette l’utilisation du volume de l’église à d’autres fins que religieuses, en dehors du dimanche et des fêtes. Cependant, si le parti retenu devait offrir la possibilité de disposer, le cas échéant, de quatre salles de catéchisme, il devait également prévoir le maintien en continu d’une chapelle de semaine.
Le projet dessiné par P. Pinsard et H. Vollmar se présente sous la forme d’un rectangle basé sur une trame orthogonale de poteaux carrés (fig. 128). Cette trame est composée de trois travées de 6,50 m en largeur et de cinq travées, également de 6,50 m, sur la longueur complétées à chacune des extrémités par une travée de 4,90 m de largeur472 (fig. 129).
Le sous-sol de l’église - poteaux, murs et dalles - est en béton armé brut de décoffrage. La structure de l’église elle-même et des locaux attenants est constituée par une charpente métallique classique473. La partie pleine des murs de clôture est composée de panneaux revêtus à l’extérieur d’aluminium et à l’intérieur de parquet de sapin tandis que les parties vitrées sont en verre armé (fig. 130 et 131). « Le bâtiment est essentiellement en métal », confirme H. Vollmar, « ‘Les murs en façade ont été réalisés avec des panneaux en aluminium. C’était osé car très fragile’ »474. Les toitures sont constituées de bacs en acier revêtus d’une étanchéité multicouches.
On accède à la chapelle de semaine de la « Maison du Peuple (chrétien) » depuis une placette sur laquelle s’ouvre également un centre commercial (fig. 132). Le bâtiment se présente sur sa largeur. La travée centrale donne accès à la chapelle de semaine (fig. 133) tandis que les deux travées latérales permettent de pénétrer directement dans les quatre salles de catéchisme.
A l’opposé de la chapelle de semaine se trouve l’entrée de ce que Pinsard appelle « l’église-salle »475 (fig. 134). Cette salle, en effet, peut être isolée pour accueillir des réunions. Mais elle peut aussi être ouverte sur la chapelle de semaine et sur deux des salles de catéchisme latérales pour former une grande église d’environ six cents places (fig. 135). Le dispositif qui permet de moduler les différents espaces selon les usages est essentiellement constitué d’un ensemble de cinq cloisons coulissantes qui se déplacent dans le sens vertical. Ces cloisons escamotables sont manoeuvrées manuellement et individuellement. Elles glissent le long de poteaux pour disparaître dans le sous-sol qui est excavé (fig. 136). A ce dispositif a été ajouté plus tard, sans l’accord des architectes, un rideau qui parasite la lisibilité du système et qui appauvrit la qualité originelle de l’espace (fig. 137 et 138).
Les objets liturgiques (tabernacle, crucifix, ciboire, chandeliers et l’ensemble du service nécessaire à la messe) furent conçus par H. Vollmar476. Il est également l’auteur de la composition murale, géométrique et colorée, qui recouvre les panneaux coulissants et les cloisons qui encadrent le choeur.
Pour réaliser les cloisons mobiles, Pierre Pinsard fit appel à Jean Prouvé. « ‘Pierre Pinsard était un ami de Jean Prouvé ’», précise H. Vollmar, ‘« ils étaient de la même génération. Quant nous avions un projet délicat, un problème, P. Pinsard téléphonait à Prouvé pour avoir son avis. Jean Prouvé était un homme qui regorgeait d’idées formidables mais qui présentaient souvent des difficultés pour être réalisées. Il était difficile d’avoir la certitude que cela fonctionne et tienne le coup dans le temps. Prouvé ne participait pas à la réalisation des ouvrages. Son intervention se bornait à un rôle de conseil et comme il connaissait des industriels - des gens qui étaient à l’affût de projets ou d’idées - il indiquait des entreprises. J’ai travaillé sur différentes réalisations avec ses collaborateurs, des ingénieurs spécialisés dans le bois ou le métal qui prenaient le projet en main, qui le développaient, un peu comme le fait un bureau d’études »’ 477.
Le fonds Pinsard, conservé au Centre d’Archives d’Architecture du XXème siècle à Paris, recèle un ensemble de croquis à main levée, datés du 22 juillet 1964, portant diverses annotations manuscrites478 ainsi qu’un plan et une coupe verticale dessinés à l’échelle de 2 cm par mètre. Ces croquis, sous forme de détails ou de vues cavalières, montrent différentes étapes de l’élaboration du procédé.
Il semble que ce soit Pierre Pinsard qui ait eu l’idée de recourir à des cloisons escamotables dans le sous-sol de l’église. En effet, l’un des croquis sur calque porte l’indication suivante de la main de Jean Prouvé : « ‘principe - tu demanderas à Pinsard de te réexpliquer son idée’ »479. Mais c’est Jean Prouvé qui mit au point le procédé technique nécessaire à la réalisation (fig. 139).
Chaque panneau escamotable coulisse verticalement le long de deux chemins de roulement disposés sur deux poteaux métalliques, supports de la couverture. Descendu, celui-ci vient se loger dans des fosses techniques situées sous le choeur (fig. 140 et 141). Un système très simple, constitué d’un contrepoids arrimé à deux chaînes fixées au bas de chaque panneau et manoeuvré par un moteur électrique, facilite l’élévation ou l’abaissement de chacune des cloisons (fig. 142 et 143). Le contrepoids lui-même prend place, lorsqu’il est descendu, dans une fosse spécialement aménagée dans le sol.
Les différents documents montrent que Jean Prouvé proposa de réaliser chacun des panneaux au moyen de deux plaques de polystyrène expansé, séparées par une feuille de plomb de 2 mm d’épaisseur, prises en sandwich entre deux panneaux de contreplaqué. Ces panneaux devaient été recouverts sur leur face externe par deux feuilles d’aluminium ondulé. Enfin, les composants du sandwich auraient été rigidifiés par un cadre métallique (fig. 144).
Ce procédé a finalement été abandonné au profit d’un système plus simple. En effet, dans la notice descriptive annexée au permis de construire, P. Pinsard indique que « ‘les panneaux de cloisons mobiles sont entièrement en bois, mais d’une très forte épaisseur, ils glissent latéralement le long des poteaux métalliques porteurs et ils viennent se ranger dans le vide sanitaire à l’aide d’un système de contrepoids très simple, mis au point par l’ingénieur Jean Prouvé’ »480. Un peu plus haut, il précise que les panneaux coulissants sont en « parquet de sapin ». Selon H. Vollmar l’intervention de Prouvé sur la conception des cloisons escamotables a été limitée. Le principe de cloisons sandwich en aluminium aurait été abandonné au bénéfice de cloisons en bois, plus simples, car l’économie réalisée était très importante. « ‘Le principe de cloisons escamotables dans le sol était très simple mais également très audacieux’ », souligne H. Vollmar, « ‘cela présupposait qu’il y ait un vide technique, pour l’entretien du système ’»481.
La notice descriptive annexée au permis de construire indique également que sous la grande salle se trouve, outre la pièce qui abrite les cloisons, un autre local dont l’usage, purement laïc, n’est pas précisé au moment du dépôt de la demande de permis de construire. Cette salle, au sous-sol de l’église, s’ouvre sur un espace public situé sur le trajet piéton qui conduit au centre ville (fig. 145). En effet, la Maison du Peuple Chrétien est édifiée sur un terrain qui présente une forte déclivité. Ce parti architectural, comme le montrent clairement les photos de la maquette (fig. 130 et 131), permet de rattraper la pente importante tout en ménageant, sous les salles dédiées au culte, des locaux dont les promoteurs du projet imaginaient qu’ils pourraient être affectés à la vie sociale de la cité.
LEGENDE : PLAN DU SOUS-SOL
17 – Préau
18 – Surface des boutiques
19 – Salle de réunions
20 - Chaufferie
21 – Vide sanitaire
22 – Fosse pour panneaux glissants verticaux.
Pinsard évoque ainsi l’hypothèse dont il estime la réalisation fort probable, d’une garderie d’enfants « laquelle se trouverait de ce fait au centre d’un agréable jardin. (...) La présence d’une activité de cette nature pourrait », ajoute-t-il, « rendre un réel service à la communauté »482. Cependant le jardin public dont Pinsard indique qu’il devrait être aménagé dans le but de donner aux habitants de la cité « ‘un lieu de repos et de détente et principalement pour les enfants et les personnes âgées ’»483 ne constituait qu’une intention. La notice ne précisait d’ailleurs pas comment en serait assuré sa réalisation.
Afin de clarifier le devenir de l’aménagement du jardin et des terrasses qui sur la maquette enserrent les bâtiments sur sa partie sud, l’abbé Michel Brion envoya un courrier à André Morice, maire de Nantes, en octobre 1967484. Dans cette lettre, il lui rappelle que le terrain acquis par l’Association des Centres Religieux du Diocèse de Nantes dans le quartier du Breil l’a été pour y réaliser un lieu de culte « ‘dans un esprit totalement différent » de celui qui avait présidé jusqu’alors aux réalisations de l’association. Il souligne que l’oeuvre réalisée par P. Pinsard apparaît beaucoup plus « sous la forme d’un édifice fonctionnel – mais d’une qualité architecturale certaine – que sous la forme d’une église traditionnelle ’»485. De plus ce type d’édifice, indique-t-il, nécessite peu d’espace et il reste une surface importante de terrain non construit autour du bâtiment, terrain « ‘d’ailleurs complètement étranger à la salle où se déroule le culte, laquelle ouvre sur la place’ »486. L’abbé Brion suggère donc au maire de Nantes de céder gratuitement cet espace à la ville afin qu’elle l’aménage en jardin public (en se conformant au plan dessiné par Pinsard et Vollmar (fig. 146)) et l’ouvre à l’ensemble de la population.
LEGENDE :
PLAN DU REZ-DE-CHAUSSEE
1 - Entrée
2 - Tambour
3 - Grande salle polyvalente
4 - Autel choeur
5 - Chapelle de semaine
6 - Autel du Saint-Sacrement
8 - Confessionnal
9 - Sacristie
10 - Bureau
11 - Vestiaire
12 - Salle de catéchisme fixe
13 - Local aérotherme
14 - Terrasse
15 - Parking
16 - Jardin
Cette démarche pourrait sembler motivée par le souci de soulager l’Association des Centres Religieux de la réalisation et de la gestion d’une partie de terrain inutile à son fonctionnement. Mais un peu plus loin, l’abbé Brion exprime un autre souhait qui confirme son intention de réaliser un lieu de culte qui soit au plus près de la vie sociale. En effet, il indique que l’association diocésaine se propose de vendre à la ville de Nantes ou à « ‘quelque organisation autonome en ses lieu et place ’», une partie de la Maison du Peuple Chrétien. « Le bâtiment », explique-t-il, « ‘se présente sous la forme d’une sorte d’immeuble à deux niveaux sur deux rues dont les ouvertures sont de ce fait radicalement opposées et totalement différentes. Certes nous ne pourrions abandonner gratuitement ces installations mais il nous est apparu que leur vocation devait être de satisfaire les besoins du quartier en salles diverses dont le coût serait finalement peu onéreux pour les organismes qui les acquéraient, étant donné la manière dont les choses se présentent’ »487.
Poussant la logique jusqu’à ses limites extrêmes, l’abbé Brion indique au maire de Nantes que les animateurs du diocèse ne verraient aucun inconvénient à partager l’utilisation de la grande salle qui est conçue pour servir d’église lors des fréquentations importantes, avec une association n’ayant aucun lien avec les activités paroissiales. ‘« Nous n’éprouverions même aucune difficulté’ », précise-t-il, « ‘si tel était le désir de quelque association, à envisager la jouissance commune ou occasionnelle de la salle de conférences dont l’isolement avec le lieu de culte est totale grâce à des cloisons escamotables en sous-sol d’une conception tout à fait neuve qui peut apparaître comme une bonne recherche pour des espaces fonctionnels polyvalents’ »488.
La mairie de Nantes ne donna pas suite à ces offres. Aucune solution publique n’ayant été trouvée, il fut également envisagé d’affecter le sous-sol à un usage commercial. En effet, l’article consacré à la Maison du Peuple Chrétien par L’Architecture Française en 1971 indique qu’au sous-sol certains volumes sont réservés pour abriter des boutiques489.
Cependant, le soubassement de l’église est demeuré inoccupé jusqu’à aujourd’hui tandis que l’espace public périphérique n’a jamais été aménagé comme le prévoyaient les plans afin d’articuler le bâtiment avec son environnement 490. « ‘La maquette que j’ai réalisée à l’époque, où il y a des paliers, des niveaux, le montre très bien’ », souligne H. Vollmar, « ‘mais au moment de la réalisation de l’église nous avons regretté que l’environnement - les cheminements, les espaces verts - ne suive pas. Ce fut vraiment dommage car on aurait pu réaliser un petit parc paysagé autour de l’église et éviter de créer un no man’s land. Mais l’argent a manqué ’»491(fig. 147 et 148).
L’abbé Charles Goulin qui a succédé à l’abbé Jean Vincent en 1967 et assuré l’animation de la paroisse jusqu’en 1976, indique que, durant cette période, la salle polyvalente a été utilisée en moyenne une fois par trimestre pour accueillir des concerts, des causeries ou des assemblées générales de la J.O.C.. D’ailleurs, afin que l’édifice reste banal au sens qu’André Le Donné donnait à ce mot, c’est-à-dire d’un usage commun, il n’y eut, jusqu’en 1976, aucune croix ni aucun signe sur l’édifice pour indiquer son caractère religieux. La croix que l’on peut voir de nos jours, a été apposée plus tard quand, probablement, l’utilisation de la nef comme salle polyvalente a été abandonnée492.
Comparant la Maison du Peuple Chrétien au centre paroissial Saint-Michel, Jean Capellades, dans son Guide des églises nouvelles, estime que l’édifice conçu par Pierre Pinsard constitue une seconde étape dans la recherche d’une architecture religieuse polyvalente car son utilisation est beaucoup plus souple et complexe que celle de l’édifice conçu par Georges Evano. En effet, écrit-il, « ‘son volume intérieur peut être d’un seul tenant ou divisé en salles par des cloisons mobiles mues électriquement et suffisamment épaisses pour assurer une bonne isolation acoustique. Avec les dimensions d’une église habituelle, on obtient ainsi : le dimanche, une église normale ; en semaine, une chapelle de semaine autour du sanctuaire, une grande salle de conférence, deux salles de catéchisme. Autant que par ses fonctions, cette oeuvre est remarquable par sa qualité architecturale’ »493.
Jean Capellades remarque que l’abbé Michel Brion, en provoquant la réflexion d’un groupe de prêtres et d’architectes dans le diocèse de Nantes au moment où l’on commençait à mesurer pleinement l’importance de l’aspect pastoral et liturgique dans la conception des lieux de culte, a engendré ce qu’il estime être « ‘l’ensemble religieux français le plus cohérent dans l’adaptation à la liturgie et l’exploration de formules nouvelles pour l’évangélisation du monde actuel’ »494.
L’architecte H. Vollmar confirme aujourd’hui, alors que se pose la question du devenir de la Maison du Peuple Chrétien495, son attachement à un édifice dont le dépouillement architectural, travaillé dans l’esprit du fameux « less is more » de Mies van der Rohe, cherchait à répondre à une pastorale marquée par un souci de discrétion et d’insertion dans la vie sociale. ‘« L’ensemble est très élégant, très minimaliste aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur ’», souligne-t-il, « ‘c’est le programme qui nous a poussé à concevoir l’édifice dans cet esprit. A cette époque lorsque l’on parlait d’églises, on pensait à Le Corbusier, au béton, à la sculpture, à un langage plastique très à la mode. Mais la Maison du Peuple Chrétien, c’est tout à fait autre chose, un tout autre esprit, quelque chose d’extrêmement pur et simple, juste et sans rien de trop. L’idée était de pouvoir susciter une émotion mais d’une autre manière qu’avec un langage imagé’ ». Aussi bien, conclut H. Vollmar, « ‘les architectures marquantes sont celles où l’on a poussé le concept très loin ’»496.
En septembre 1966, se déroula au couvent Sainte-Marie de la Tourette à l’Arbresle une session des commissions diocésaines d’art sacré. A cette occasion, on demanda à Pierre Pinsard de présenter, après des exposés de Joseph Belmont et de Luc Arsène-Henry, un petit rapport. Dans son intervention P. Pinsard manifeste sa réticence à l’égard de toute démarche de normalisation en matière de construction religieuse – ‘« J’ai déjà dit que j’étais anti-norme, je n’ai pas dit que j’étais anti-commission’ »497, précise-t-il – mais c’est pour souligner que, pour lui, une oeuvre réussie est le fruit de la rencontre de deux individualités, celles du maître d’oeuvre et du maître d’ouvrage. Pour donner une illustration de ce qui peut résulter de ce type de rencontre heureuse, Pinsard cite en exemple la Maison du Peuple Chrétien dont le chantier est en cours : « ‘A Nantes, je construis actuellement pour l’Abbé Brion une église sans vocable avec comme dénomination : la Maison du Peuple Chrétien. On y voit une chapelle du Saint Sacrement qui s’agrandit le dimanche d’une salle à tous usages tant il peut sembler vrai pour certains, qu’aucune société, même capitaliste, ne peut se payer le luxe de construire un lieu utilisé 3 heures par semaine’ »498.
Dans l’ouvrage qu’il consacre en 1967 à la nouvelle architecture française, l’historien d’art suisse Maurice Besset conclut le chapitre sur les églises et les monastères en s’étonnant que les autorités religieuses françaises, confrontées à des besoins immenses et à une situation financière dramatique, n’aient que mollement encouragé les recherches en matière de normalisation. Une seule réalisation trouve grâce à ses yeux pour illustrer ce type de démarche : la Maison du Peuple Chrétien qui, souligne-t-il, « ‘unit économie, souplesse et dignité ’»499.
Pierre Pinsard (1906-1988). Peintre, décorateur et architecte, P. Pinsard est l’auteur d’importantes réalisations dans le domaine de l’habitat privé et social et dans celui de l’architecture hospitalière mais son oeuvre se caractérise par de nombreuses commandes et réalisations d’édifices à caractère religieux tant en France qu’en Belgique. Parmi celles-ci, on peut citer : le couvent des Dominicains de Lille (1953-1965), le carmel d’Amiens (1959-1966), la basilique saint-Pie X à Lourdes en collaboration avec Pierre Vago, André Le Donné et Eugène Freyssinet (1958-1966). Pierre Pinsard fut également Architecte en chef de la participation française du Pavillon du Vatican à l’Exposition Internationale de Bruxelles en 1958 (architecte de la chapelle du Saint-Sacrement dans le pavillon pontifical).
Hugo Vollmar (né en 1936). Architecte originaire de Suisse. Il a travaillé au sein de l’agence d’architectes Dr Pfammater & Rieger à Zürich de 1952 à 1957 puis, jusqu’en 1958, dans celle de l’architecte Benedikt Huber, également à Zürich. Il s’installe à Paris en 1958 et intègre le cabinet de Pierre Pinsard dont il devient le chef d’agence en 1960. Dans le certificat qu’il lui délivre en 1981, lorsqu’il se trouve contraint par la maladie de fermer son cabinet, Pinsard indique que H. Vollmar l’a dirigé seul à partir de 1976. H. Vollmar, précise P. Pinsard, a non seulement collaboré de manière de plus en plus étroite à l’ensemble des projets de l’agence, en particulier ceux concernant de nombreux édifices religieux, mais il a conçu seul « l’église de Pontcharra, des logements pour la SCIC et pour Logirep, deux immeubles importants à Paris, une clinique chirurgicale et l’édification d’une demeure de grand luxe » (document aimablement communiqué par H. Vollmar).
Pierre Pinsard, copie d’un courrier daté du 7 juillet 1964 adressé à Pierre Vié, Archives d’Architecture du XXème siècle de l’Institut Français d’Architecture, fonds Pierre Pinsard.
Ibid.
Pierre Vié, lettre datée du 8 juillet 1964, adressée à Pierre Pinsard, Ibid.
« Utilisation envisagée de la salle polyvalente », document dactylographié, n. d., Archives d’Architecture du XXème siècle de l’Institut Français d’Architecture, fonds Pierre Pinsard .
Pierre Pinsard, copie d’un courrier daté du 18 février 1965 adressé à l’abbé Jean Vincent, Archives d’Architecture du XXème siècle de l’Institut Français d’Architecture, fonds Pierre Pinsard.
Précisions apportées par Hugo Vollmar à l’occasion d’un entretien téléphonique avec l’auteur le 25 mai 2000 et d’une entrevue à Paris le 6 juin 2000.
Abbé Jean Vincent, lettre manuscrite datée du 24 févier 1965 adressée à Pierre Pinsard, Archives d’Architecture du XXème siècle de l’Institut Français d’Architecture, fonds Pierre Pinsard.
Abbé Jean Vincent, lettre manuscrite datée du 24 février 1965, adressée à P. Pinsard, Archives d’Architecture du XXème siècle de l’Institut Français d’Architecture, fonds Pierre Pinsard.
L’abbé Michel Brion est à cette époque membre de la Commission Sociologie et Urbanisme du C.N.C.E. tandis que Pierre Pinsard est architecte conseil, désigné par le Ministre de la Reconstruction, auprès de cet organisme.
Abbé Jean Vincent, lettre citée, voir n. 34.
Précisions apportées par Hugo Vollmar à l’occasion d’un entretien téléphonique avec l’auteur le 25 mai 2000 et d’une entrevue à Paris le 6 juin 2000.
André Morice (1900-199 ). Ministre de l’Education Nationale de février à juillet 1950. Maire de la ville de Nantes de 1965 à 1977.
Pierre Pinsard, « Eglise de Nantes-Malville, descriptif et estimatif sommaire », n. d., Archives d’Architecture du XXème siècle de l’Institut Français d’Architecture, fonds Pierre Pinsard.
Ibid., p. 1.
Les dimensions sont celles des entraxes.
La charpente métallique a été réalisée par les établissements Vallée à Nantes.
Précisions apportées par Hugo Vollmar à l’occasion d’un entretien téléphonique avec l’auteur le 25 mai 2000 et d’une entrevue à Paris le 6 juin 2000.
Ibid.
Hugo Vollmar a dessiné à cette époque une nouvelle ligne d’objets liturgiques, édités par les ateliers Chéret à Paris, dont l’ensemble fut présenté en 1967 dans le cadre de l’exposition Universelle de Montréal.
Précisions apportées par Hugo Vollmar à l’occasion d’un entretien téléphonique avec l’auteur le 25 mai 2000 et d’une entrevue à Paris le 6 juin 2000.
Catherine Coley, responsable des Archives d’Architecture Modernes en Lorraine, spécialiste de l’oeuvre de Jean Prouvé indique que l’écriture de Prouvé est formellement identifiable ; cf. Pierre Lebrun, « Jean Prouvé et les cloisons mobiles de l’église Saint-Luc de Nantes (1964-1968) », Les amis de Jean Prouvé, n° 7, octobre 1998.
Jean Prouvé, croquis à la main levée sur calque, Archives d’Architecture du XXème siècle de l’Institut Français d’Architecture, fonds Pierre Pinsard.
Pierre Pinsard, « Eglise de Nantes-Malville, descriptif et estimatif sommaire », n. d., Archives d’Architecture du XXème siècle de l’Institut Français d’Architecture, fonds Pierre Pinsard, p. 2.
Précision apportée par Hugo Vollmar à l’occasion d’un entretien téléphonique avec l’auteur le 25 mai 2000 et d’une entrevue à Paris le 6 juin 2000.
Pierre Pinsard, document cité, p. 1.
Ibid., p. 2.
Michel Brion, lettre adressée à « Monsieur le Sénateur-Maire de la ville de Nantes », datée du 12 octobre 1967, Archives d’Architecture du XXème siècle de l’Institut Français d’Architecture, fonds Pierre Pinsard.
Ibid.
Ibid.
Ibid.
Ibid.
« Maison du Peuple Chrétien Saint-Luc à Nantes-Malville », L’Architecture Française, 1971, n° 347-348, p. 8.
« Les idées que nous avions à l’époque n’ont pas été suivies », déplore l’abbé Michel Brion. Lettre du 15 février 2000 adressée à l’auteur.
Précisions apportées par Hugo Vollmar à l’occasion d’un entretien téléphonique avec l’auteur le 25 mai 2000 et d’une entrevue à Paris le 6 juin 2000.
Propos de l’abbé Charles Goulin rapportés par l’abbé Jean Vincent dans un courrier adressé à l’auteur daté du 23 mai 2000.
Jean Capellades, Guide des églises nouvelles en France, Paris, 1969, p. 172
Ibid.
La ville de Nantes a réalisé, fin 1999 début 2000, une étude de restructuration du quartier de Breil-Malville. Cette étude s’interroge sur le devenir de la Maison du Peuple Chrétien (Saint-Luc). Un projet de ZAC a été adopté sur ce quartier. S’il n’envisage pas la démolition de l’église Saint-Luc, l’évêché a toutefois fait connaître à la ville son souhait de se dessaisir de cet édifice qu’il juge d’un entretien coûteux, sans valeur architecturale et inadapté aux besoins de la paroisse. Les services de la ville, ceux de la DRAC, l’école d’architecture de Nantes ont été alerté par mes soins de l’intérêt de ce bâtiment et des risques de démolition qu’il semblait encourir. La presse locale s’est fait l’écho de cette question ( « Edifice remarquable du siècle l’église de béton pourrait être détruite », Presse-Océan, 5 avril 2000. « Le béton nantais mérite le détour », Ouest-France, 11 septembre 2000). Par ailleurs, la Maison du Peuple Chrétien (église Saint-Luc) a été retenue dans la Liste indicative d’édifices du XXème siècle présentant un intérêt architectural ou urbain majeur pouvant justifier une protection au titre des Monuments Historiques publiée par le Ministère de la Culture et de la Communication en septembre 2000.
Précisions apportées par Hugo Vollmar à l’occasion d’un entretien téléphonique avec l’auteur le 25 mai 2000 et d’une entrevue à Paris le 6 juin 2000.
Pierre Pinsard, note dactylographiée rédigée à l’occasion de la session des commissions diocésaines d’art sacré qui s’est tenue au couvent Sainte-Marie de la Tourette à l’Arbresle les 4, 5, 6 et 7 septembre 1966. Archives d’Architecture du XXème siècle de l’Institut Français d’Architecture, fonds Pierre Pinsard.
Ibid.
Maurice Besset, Nouvelle architecture française, 1967, p. 158.