Au début des années soixante, l’évêché de Meaux passa commande à l’architecte Michel Marot500 d’une grande église et de huit classes de catéchisme. Cette église devait être implantée à Meaux dans un ensemble d’immeubles H.L.M. localisés à proximité de la cité Pierre de Collinet qu’avait conçue en 1960 l’architecte Jean Ginsberg501 (fig. 149).
Le site qui avait été retenu pour ce projet, était celui d’anciennes sablières au bord de la Marne en dénivelé de trois mètres par rapport au niveau naturel. Une église provisoire avait été installée sur ce terrain situé en contrebas par rapport à trois voies périphériques. Cet édifice provisoire que le curé souhaitait conserver, tout au moins dans un premier temps, existe toujours aujourd’hui (fig. 150). Le curé désirait également maintenir cet espace en creux qu’il appelait « la fosse aux gosses »502, car les enfants du quartier s’y retrouvaient pour jouer (fig. 151).
Michel Marot dessina en 1963 un premier projet503 dans lequel les classes et les locaux fonctionnels sont disposés au fond de l’ancienne carrière tandis que l’église elle-même, située au niveau supérieur, se trouvait de plain-pied avec l’une des voies périphériques (fig. 152 et 153).
Cette même année, l’abbé Michel Brion, dans le cadre des réflexions qu’il conduisait à Nantes, entra en relation avec Michel Marot et lui demanda de réfléchir à la conception d’une église polyvalente. M. Marot précise que l’abbé Brion a pris contact avec lui-même comme avec d’autres architectes dont Pierre Genton, Pierre Prunet, Pierre Pinsard, Luc et Xavier Arsène Henry ou Maurice Novarina, sur les conseils des animateurs des « Chantiers du Cardinal » à Paris qui cherchaient à développer la réalisation d’églises peu coûteuses504.
Les recherches que Michel Marot réalisa à la demande de l’abbé Brion, ne débouchèrent pas sur une commande de l’évêché de Nantes. En revanche, M. Marot profita de ce travail pour tenter d’en appliquer les apports à Meaux. « ‘L’évêché de Meaux ayant été satisfait par l’église Saint-François que je venais de réaliser à Champagne-sur-Seine’ », confie Michel Marot, « ‘la conception du projet de Saint-Jean-Bosco se faisait dans un climat de confiance. De plus comme j’en modifiais la conception initiale en utilisant l’idée des cloisons mobiles, cela ne pouvait que contenter l’évêché’ »505. En effet, ce changement allait générer de substantielles économies.
Le programme de l’église se composait d’une église de huit cents places à laquelle s’ajoutait huit classes de catéchisme. Michel Marot transforma donc son plan initial et le condensa en un carré divisé en neuf carrés égaux pouvant accueillir une centaine de places chacun (fig. 154). Un ensemble de cloisons mobiles coulissant horizontalement permit désormais d’isoler le maître-autel et quelques dizaines de places assises afin de constituer une chapelle de semaine et d’obtenir simultanément une salle de deux cents places et six autres de cent places chacune. « ‘Ainsi, grâce aux cloisons mobiles, je réduisis de moitié la surface nécessaire à mon premier projet’ », souligne Michel Marot506. Ces cloisons sont constituées d’un cadre en bois qui enserre des feuilles de plastique translucide (fig. 155 et 156).
L’ouverture de tout ou partie des cloisons permet de moduler l’espace selon les besoins jusqu’à obtenir une grande église de huit cents places pour les cérémonies importantes. Les quatorze panneaux507 intérieurs mobiles et coulissants, d’environ 4 m. de côté chacun, glissent en s’ouvrant devant les tableaux noirs des salles de catéchisme cachant ainsi les documents et les écritures qui, pendant la messe, seraient susceptibles d’ôter de la dignité à l’espace.
Le recours à ce procédé dont la réussite fut saluée par la presse508, permit, selon Michel Marot, de réaliser une économie considérable par rapport au coût estimé du premier projet. Cependant, précise-t-il, « ‘même si les portes sont constituées d’une âme en plastique de couleur légèrement violine, leur effet un peu irisé est aussi beau que celui d’un paravent japonais laqué. D’ailleurs le coût de l’ensemble des portes équivalait à celui d’une salle de catéchisme de 100 m² ’»509.
L’église Saint-Jean-Bosco, outre la polyvalence de ses locaux, possède une autre particularité architecturale qui traduit le souhait du clergé local de faire en sorte que la population des immeubles environnants s’en approprie l’usage de manière quotidienne. En effet, grâce aux cloisons mobiles, l’architecte a non seulement divisé par deux la surface de l’édifice mais il a également divisé par deux sa hauteur. L’église et ses dépendances sont désormais en rez-de-chaussée et couverts par un toit terrasse (fig. 157).
Cette couverture est supportée par un système de caissons en ciment, apparents à l’intérieur (fig. 158), dont le principe est semblable à celui que l’architecte a mis en oeuvre pour réaliser la villa Arson à Nice510(fig. 159).
Un lanterneau en fibre de verre et polyester situé au dessus du maître-autel diffuse sur celui-ci une lumière zénithale (fig. 160). La forme élancée du lanterneau originel constituait le seul signal de visibilité de l’église dans la ville. Depuis, celui-ci été remplacé par un lanterneau plus banal en forme de pyramide. L’éclairage naturel est complété par des bandes verticales de vitraux en verre teinté de gris prises en sandwich entre deux briques creuses.
L’ensemble des salles est de plain-pied avec le niveau le plus bas du terrain, en contrebas de deux à trois mètres par rapport aux trois voies qui le bordent (fig. 161 et 162). La terrasse formée par la couverture de l’église se trouve ainsi quasiment au même niveau que celles-ci. Michel Marot a donc disposé l’édifice de manière à ce que cette terrasse puisse être accessible par quelques marches depuis le trottoir de l’avenue Jean-Henri Dunant (fig. 163).
L’ensemble de ce dispositif fait que Saint-Jean-Bosco se présente comme l’inversion radicale de l’église conventionnelle dominante et protectrice. Cette église disposée dans un creux apparaît ainsi comme incrustée dans la cité. La terrasse, écrit en 1964 M. Marot dans le descriptif de l’édifice, « ‘sera un lieu d’accès facile pour les personnes âgées. De larges parties de cette terrasse seront traitées en jardin planté, à un niveau légèrement supérieur aux circulations ; celles-ci relativement étroites mènent à des coins de repos avec bancs. On créera ainsi un lieu de promenade accessible au public dans une ambiance de calme. Ce public pourra voir de haut les jeunes plus turbulents allant et venant pour le catéchisme ou les offices’ »511.
Jean Capellades souligne dans son Guide des églises nouvelles en France le caractère exemplaire du diocèse de Nantes. Il remarque que l’abbé Michel Brion joua un rôle essentiel dans la recherche d’une évolution radicale des églises contemporaines. « ‘Au moment où l’on commençait à discerner l’importance de l’aspect pastoral et liturgique dans la conception des lieux de culte’ », écrit-il, « ‘l’abbé Brion provoquait la réflexion d’un groupe de prêtres et d’architectes dans son diocèse de Nantes. On doit à cette recherche l’ensemble religieux français le plus cohérent dans l’adaptation à la liturgie et l’exploration de formules nouvelles pour l’évangélisation du monde actuel’ »512.
Parmi les quelques réalisations qui, dit-il, font pressentir le nouveau visage de l’église de demain, il cite Saint-Luc de Nantes et Saint-Jean-Bosco à Meaux qui « ‘annoncent des constructions d’une grande souplesse d’utilisation, permettant un large éventail d’activités, éventuellement ouvertes à tous ’»513. Quant au centre paroissial Saint-Michel de Nantes dont les salles et le lieu de culte se développent autour d’un jardin intérieur calme, il amorcerait « ‘le mouvement vers ces “maisons d’églises” qui au milieu de nos grands ensembles, seraient des oasis de paix et de recueillement’ »514.
Michel Marot (né en 1926). Diplômé architecte en 1950, il obtint le premier grand prix de Rome en 1954. Sa première oeuvre, l’église Sainte-Agnès de Fontaine-lès-Grès, fut remarquée par la critique qui lui décerna en 1956 l’Equerre d’Argent. Cette distinction valut à M. Marot la commande d’autres églises qu’il réalisa à Champagne-sur-Seine, Bar-le-Duc, Meaux, Troyes et Reims.
Jean Ginsberg (1905-1983). Connu dès l’entre-deux-guerres pour ses immeubles de style « international », Jean Ginsberg s’est spécialisé ensuite dans l’habitat collectif.
Précisions apportées par Michel Marot lors d’un entretien avec l’auteur le 3avril 1998.
Michel Marot réalisa ce projet en association avec l’architecte D. Tremblot.
Précisions apportées par Michel Marot lors d’un entretien avec l’auteur le 3avril 1998.
Ibid.
Ibid.
Ces panneaux furent fabriqués par l’entreprise Dubigeon Normandie.
Dans l’édition du quotidien Le Monde datée du 6 août 1969, le journaliste Jean-Pierre Clerc écrit à propos de Saint-Jean-Bosco : « Seuls, un très petit nombre d’édifices religieux construits depuis vingt ans, donnent satisfaction. A Meaux, (Seine-et-Marne), par exemple, dans l’ensemble Pierre Collinet s’élève une de ces églises polyvalentes. L’église Saint-Jean-Bosco a, en effet, été conçue par son architecte Michel Marot comme un édifice à « géométrie variable ». De part et d’autre d’une longue nef, qu’un muret de briques coupe transversalement, se répartissent huit chapelles. Quatorze panneaux à glissières très maniables permettent de faire varier les dimensions de l’église en ouvrant ou fermant telle ou telle chapelle. De vingt-cinq à six cents fidèles peuvent ainsi assister aux offices ».
Précisions apportées par Michel Marot lors d’un entretien avec l’auteur le 3avril 1998.
L’Ecole Nationale d’Art Décoratif de la Villa Arson fut édifiée de 1968 à 1971 selon les plans de Michel Marot et inaugurée en 1972.
Michel Marot, descriptif de Saint-Jean-Bosco, août 1964.
Jean Capellades, Guide des églises nouvelles en France, Paris, 1969, p. 63.
Ibid.
Ibid.