En 1968, Georges Mercier présenta dans son ouvrage sur l’architecture religieuse contemporaine en France, une typologie des édifices de culte édifiés depuis la seconde guerre mondiale580.
Ce livre qui se présente comme un catalogue raisonné de réalisations modèles, ambitionnait de montrer qu’un rajeunissement du langage architectural était en cours et accompagnait le renouveau liturgique issu de Vatican II. Dans son propos, Georges Mercier, citant le Père Chenu, reprend également la thèse de la nécessaire évolution de l’Eglise catholique qui, de religion installée conformiste, doit redevenir missionnaire puisque « ‘c’est sa nature première d’être en mission dans le monde, hors de chez elle et de ses sécurités’ »581.
Il se produit à ce niveau un glissement métaphorique entre la notion de mission, qui convoque l’idée de déplacement, de voyage, et celle d’une architecture religieuse contemporaine mobile. Pour étayer son propos Georges Mercier cite l’historien René Huyghe lorsqu’il affirme que « ‘dans l’histoire de l’art deux conceptions se sont développées parallèlement : celle des formes statiques et celle des formes dynamiques’ », or, poursuit ce dernier, « ‘le développement de notre civilisation semble appeler des formes adaptées à la mobilité qui la caractérise’ »582.
Si l’apparition du béton, de l’acier et des matières plastiques a favorisé la réalisation de formes complexes – courbes ou obliques - utilisées pour évoquer la forme de la tente, celles-ci ne rendent pas pour autant mobiles les édifices réalisés avec ces matériaux. « ‘La forme de la tente, abri primitif de l’homme, a, dans tous les pays, séduit les architectes bâtisseurs d’églises qui se sont appliqués à renouveler son symbole en utilisant les structures et les revêtements offerts par la technique moderne’ »583, observe G. Mercier qui souligne plus loin que l’aspect statique des édifices qu’il mentionne ne constitue qu’une apparence. En effet, affirme-t-il de manière extraordinairement paradoxale, « l’immobilité apparente » des édifices dont les profils épousent des courbes de fonction dictées par le jeu des résistances et des tensions, n’est obtenu que par la neutralisation réciproque des forces contradictoires584.
D’ailleurs, lorsque G. Mercier indique que les techniques contemporaines conduisent les architectes et les constructeurs vers une recherche technique et plastique passionnante qui bouleverse les fondements mêmes de l’architecture traditionnelle, son propos est à comprendre dans son sens littéral. En effet, puisque ces techniques conduisent à réduire le poids des constructions relativement aux surfaces couvertes, le rôle des fondations tend à s’inverser. L’ingénieur René Sarger, qu’il cite, affirme d’ailleurs qu’il s’agit là d’une « ‘révolution importante, car le poids propre des bâtiments est devenu inférieur aux pressions ou succions maxima, exercées par le vent. Il s’ensuit que les fondations changent totalement de fonction. Elles ne sont plus des fondations portantes, mais des fondations de traction. Désormais’ », conclut René Sarger, « ‘nous attachons nos édifices au sol au lieu de les poser’ »585.
Le cardinal Jacques Lercaro, dans un message aux artistes réunis en symposium à Cologne en février 1968, soulignait que l’accélération progressive de l’histoire à laquelle il lui apparaissait que l’on assistait, s’accompagnait de la « ‘mobilité structurale socio-démographique de la communauté humaine ’»586. Il affirmait que, la société étant désormais mobile, il convenait désormais de donner à l’église des caractéristiques de mobilité et de polyvalence. Son message se concluait par ses mots : « ‘L’Eglise du Seigneur peut donc être vraiment une tente mobile que l’Esprit pose où il veut et dont les formes doivent être continuellement réinventées par les hommes attentifs à l’Esprit’ »587.
En fait, les architectes qui se sont inspirés de l’idée de la tente s’en sont, en général, tenus à la seule évocation symbolique. C’est ce que cherchaient à traduire les solutions variées, plus ou moins heureuses, de couverture de nombreuses églises de cette période. L’évocation de l’image de la tente permit au moins de rompre avec le vocabulaire des toits à versants traditionnels et de recourir au répertoire des structures tendues ou à la gamme des paraboloïdes hyperboliques alors en pleine vogue (fig. 194). Ces formes tendues - tout en courbes ou en pointes – offraient au moins l’avantage de contraster très clairement avec le perpendicularisme écrasant des « barres » et des « tours » environnantes et de faciliter l’identification du lieu de culte (fig. 195 et 196).
D’autres recherches ont visé à donner à l’église-tente une traduction concrète qui ne se limite pas à la seule évocation symbolique et formelle de cette idée.
Les églises nomades de Jean Prouvé avaient cette ambition clairement affichée : un toit inspiré d’une tente. Mais chez Prouvé, la forme de la tente n’est pas celle des bédouins. Au contraire, il s’agit de celle, contemporaine et popularisée grâce à la vulgarisation des loisirs, de la canadienne. Surtout, J. Prouvé souhaitait que ces églises ne restent pas définitivement ancrées au même endroit mais soient déplacées588.
Georges Mercier, Architecture religieuse contemporaine en France, 1968.
Ibid. p. 216.
Ibid. p. 217.
Ibid., p. 110.
Ibid. p. 217. « Dès que l’énergie est admise et fait son intrusion dans l’art », précise René Huyghe, « tout change ; lorsqu’une civilisation a été mise en présence de la mobilité, elle s’est créée des formes onduleuses, souples, exprimant une croissance ou une décroissance ». C’est ainsi « qu’aux droites et angles sont préférées les hyperboles et les paraboles ; aux surfaces planes se substituent les surfaces gauches, où les éléments de la charpente eux-mêmes engendrent des infléchissements de courbes ». R. Huyghe, Psychologie de l’art moderne, la Table ronde n° 160, 1961, p. 134.
Ibid. p. 217.
« L’Eglise dans la cité de demain » in Espace sacré et architecture moderne, Cerf, Paris, 1971, p. 20
Ibidem p. 26
Voir « Les églises nomades de Jean Prouvé », Chapitre II, p. 242.