2) Une église éphémère : l’église gonflable de Montigny-lès-Cormeilles Hans-Walter Müller, architecte (1969)

En 1967 se déroula au Musée d’Art Moderne de la ville de Paris, l’exposition d’art cinétique « Lumière et Mouvement », exposition qui tourna ensuite en Hollande et en Angleterre. Parmi les oeuvres exposées - dont celles de Nicolas Schöffer, Demarco ou Morellet - figurait une structure gonflable conçue par l’architecte d’origine allemande Hans-Walter Müller594. Sur la face externe de cette structure on pouvait voir la projection des effets lumineux générés par une machine à disques optiques placée à l’intérieur (fig. 200). Cette exposition fut l’occasion pour H.-W. Müller d’obtenir ses premières commandes et de débuter une carrière de créateur de structures gonflables595.

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Fig. 200 : H.-W. Müller, cabine « M » de relaxation, 1968.
[Note: (L’Architecture d’Aujourd’hui n° 137, 1968).]

Les structures gonflables suscitèrent à cette époque un grand intérêt, en particulier quant à leur utilisation dans l’ensemble des domaines de la création architecturale y compris l’architecture religieuse.

Dans un entretien qu’il accorda à L’Art Sacré en 1968, Jean Prouvé affirma ainsi que « ‘l’église que l’on démonte et que l’on déplace, ne serait-ce que pour récupérer un terrain ou en occuper un autre, est une éventualité très pensable, si toutefois la liturgie l’autorise. Et la construction gonflable, dont on a pu voir une exposition au Musée d’Art Moderne de Paris, est une révélation sur ce plan là’ »596.

L’exposition « Structures gonflables », à laquelle fait référence Jean Prouvé, se déroula en mars 1968. Les animateurs de la revue Utopie furent à l’origine de cette exposition qui avait pour ambition d’exposer les inventions techniques, les applications pratiques et les expressions artistiques du gonflable. Il semblait alors qu’à travers cette technique une mutation était en train de s’opérer qui allait s’accompagner rapidement de réalisations spectaculaires dans les domaines de l’architecture, de l’urbanisme et des transports.

Structures déformables composées d’une ou plusieurs enveloppes remplies de fluides dont le poids propre est peu élevé par rapport au volume maximum couvert, les gonflables possèdent des caractéristiques qui les situent aux antipodes de la construction traditionnelle : stable, pesante, solide et pérenne. « ‘Une structure gonflable n’est qu’une enveloppe tendue sous la pression qu’un fluide exerce sur elle. Cette structure présente pourtant une originalité elle est dynamique et non pas statique, elle peut se gonfler et se dégonfler ’», écrit Jean Aubert membre de la revue Utopie dans le catalogue de l’exposition597.

On attendait beaucoup de la facilité de déplacement de ces structures pour favoriser la mobilité des personnes et des biens et permettre l’émergence d’une société ludique en continuelle transformation. « ‘Par leur nature même, les structures gonflables ont la propriété d’être mobiles, d’une mobilité toute particulière, qui les rend aisément transportables sous forme de volume réduit’ », écrit Pierre Gaudibert conservateur adjoint du Musée d’Art Moderne de la ville de Paris598. Et, prophétisant, il poursuit : « ‘Demain on emmènera une ville-satellite dans une autre planète comme aujourd’hui un vacancier déplace modestement sa roulotte. Les bâtiments conçus autrefois en « dur », à présent gonflables et dégonflables à volonté, permettront l’essor d’un nomadisme urbain, qui ravit l’imagination et stimule la science-fiction ’»599.

En exposant des structures gonflables répondant à des fonctions fort diverses (des véhicules terrestres aériens et marins, civils ou militaires côtoyaient des constructions utilitaires, du mobilier600, des habitations ( fig. 201 et 202)601, des jouets et des armes) les organisateurs de cette manifestation cherchaient à montrer que ce système ne relevait plus du seul champ de la science-fiction mais se révélait d’ores et déjà capable de couvrir l’ensemble des besoins de la société contemporaine.

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Fig. 201 : Maison gonflable cylindrique de Quasar Engineering, 1968.
[Note: (L’Architecture d’Aujourd’hui n° 137, 1968, p. XLIII).]
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Fig. 202 : Habitation déployable gonflable, J.-L. Lotiron et P. Martin-Perrand, 1968.
[Note: (L’Architecture d’Aujourd’hui n° 137, 1968, p. XLIII)]

On doit à Hans-Walter Müller d’avoir projeté et réalisé, en utilisant cette technique, une église hors du commun par le matériau utilisé et par la durée de son existence.

C’est par l’intermédiaire de relations et à l’occasion d’une fête paroissiale qui fut très animée que H.-W. Müller fit la connaissance du curé de Montigny-lès-Cormeilles. Cette commune de la banlieue parisienne ne possédait pas d’église et les cultes se déroulaient alors dans une sorte de hangar.

Comme H.-W. Müller aimait à ce que ses interventions soient liées à des événements extraordinaires, il fit savoir au curé de Montigny-lès-Cormeilles qu’il souhaitait réaliser une église gonflable pour la future fête paroissiale.

D’une manière générale, H.-W. Müller fut toujours intéressé par les lieux de culte, aussi bien catholiques que protestants, et par la possibilité d’élargir leur utilisation comme, par exemple, pour la tenue de concerts. Il estimait en effet qu’aucun lieu ne devait être trop spécialisé et que la tenue de manifestations culturelles dans des églises pouvaient conduire certaines personnes à découvrir, dans ces circonstances, l’architecture religieuse.

Après la guerre, H.-W. Müller s’intéressa à la question des églises provisoires, en particulier à travers l’exemple de l’église en bois que l’architecte Otto Bartning réalisa, dans le cadre de la reconstruction, à une trentaine d’exemplaires en Allemagne. Il visita également à cette époque les églises de Rudolph Schwarz, celles de Dominikus et Gottfried Böhm et, naturellement, les réalisations de Le Corbusier.

Son travail lui ayant permis d’expérimenter l’influence psychologique des espaces engendrés par les structures gonflables, il s’estima capable, en mettant en oeuvre ce procédé, de réaliser un lieu de culte aux caractéristiques assez semblables à celles des anciennes églises possédant un choeur, une nef et un clocher.

Porté par sa passion pour ce système constructif, il proposa de réaliser lui-même la structure et de payer les matériaux. En effet, précise H.-W. Müller, « ‘durant cette période on ne pouvait ni espérer vendre ces constructions gonflables ni même demander à quelqu’un de les faire pour vous. J’ai donc réalisé cette église comme j’ai réalisé jusqu’à aujourd’hui quasiment toutes les autres constructions gonflables que j’ai projetées, exceptées celles de très grande taille ’»602.

Le curé accepta le principe de ce projet et eut naturellement à charge de dire la messe dans ce lieu de culte exceptionnel (fig. 203).

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Fig. 203 : La messe dans l’église gonflable de Montigny-lès-Cormeilles en 1970.
[Note: (Photo Hans-Walter Müller).]

L’église gonflable se présentait comme un volume prismatique aux facettes alternativement noires et blanches (fig. 204). Au point le plus haut du volume, au centre de la croix translucide qui surplombait l’autel, H.-W. Müller plaça de l’eau : « De l’eau du ciel, de manière un peu symbolique »603 (fig. 205).

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Fig. 204 : Vue de l’église gonflable de Montigny-lès-Cormeilles en 1970.
[Note: (Photo Hans-Walter Müller).]
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Fig. 205 : L’église gonflable de Montigny-lès-Cormeilles en 1970. Croix translucide au dessus de la nef.
[Note: (Photo Hans-Walter Müller)]

L’église fonctionna très bien lors de la fête paroissiale, durant un seul week-end de l’été 1969, comme cela était prévu. Deux cents personnes environ assistèrent à la messe (fig. 206). Cette réalisation qui a d’abord surpris les paroissiens de Montigny-lès-Cormeilles les a ensuite passionnés par son aspect insolite (fig. 207).

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Fig. 206 : L’église gonflable de Montigny-lès-Cormeilles en 1970. Vue de l’autel depuis l’extérieur.
[Note: (Photo Hans-Walter Müller).]
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Fig. 207 : L’église gonflable de Montigny-lès-Cormeilles. Vue extérieure pendant la fête paroissiale.
[Note: (Photo Hans-Walter Müller).]

Malgré, ou à cause, de sa durée de vie éphémère, cette église fit beaucoup parler d’elle. L’installation d’un lieu de culte dont l’apparition et la disparition devaient se succéder dans un laps de temps très court, en faisait naturellement un évènement singulier.

De fait, la construction gonflable constitue une approche de l’architecture qui prend le contre-pied de beaucoup de notions classiques. Au lieu des connotations stylistiques, à la place du monumental, du pesant, du statique, de l’historique, l’architecture gonflable s’appuie sur un champ référentiel qui, de la vie organique, passe par l’évènementiel, l’éphémère, le mobile, l’immatériel.

Il y avait quatre ans que le Concile Vatican II s’était achevé quand H.-W. Müller réalisa son église gonflable. Celle-ci offrait une traduction quasiment littérale de l’église mobile, de l’église-tente portée par le Souffle créateur604 qui fut évoquée dès la période pré-conciliaire. Le curé avait, en acceptant de s’engager dans ce projet, probablement le sentiment de répondre à ces préoccupations.

Il y eut de nombreux articles dans la presse qui relatèrent l’événement. L’un d’entre eux était illustré d’un dessin montrant un curé partant avec son église sur sa bicyclette. Le compte-rendu publié par la revue Le Nouveau Planète 605 en 1969 est abondamment illustré de photos de l’événement. Le texte souligne que la transformation spectaculaire du volume informe de l’enveloppe repliée en une église s’est déroulée en l’espace de « sept minutes »606.

L’une des photographies résume à elle seule l’originalité de cette création. On y voit, posé sur une balance, un paquet de trente neuf kilos, de moins de deux mètres de long sur lequel une étiquette indique : ‘« Eglise gonflable, 200 pers., montage 10 min’. » ( fig. 208).

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Fig. 208 : L’église gonflable de Montigny-lès-Cormeilles repliée.
[Note: (Photo Hans-Walter Müller)]

Cette image signifiait de manière synthétique que la division du profane et du sacré, en matière de construction religieuse, avait désormais perdu tout sens et qu’un vulgaire paquet pouvait tout à fait convenir pour abriter une messe. Elle montrait aussi que l’église n’avait plus à exprimer, par une architecture profondément ancrée dans le sol et s’élançant dans le ciel, la conception archaïque d’un au-delà opposé à un ici-bas.

Grâce au gonflable l’église pouvait rompre de manière radicale avec la symbolique du monument inscrit au coeur historique des villes pour se transformer en un outil d’évangélisation, dans l’esprit d’une relecture contemporaine de la tente de l’Exode, tente gonflable que le curé pouvait maintenant emporter sous son bras au gré de ses déplacements et de ceux de la population607.

Désormais l’architecture religieuse pouvait s’alléger, n’être plus qu’un simple abri pour les fidèles, un simple dispositif fonctionnel au service d’une liturgie participative et tendre, ainsi, vers l’immatérialité608.

Notes
594.

H.-W. Müller (né en 1935). Diplômé ingénieur-architecte par l’université de Darmstadt (Allemagne) en 1961. Il collabora avec les architectes Ernst May, Francis Lopez et Emile Aillaud avant de consacrer sa carrière aux structures gonflables.

595.

« Par la suite », précise H.-W. Müller, « j’ai rencontré d’autres artistes cinétiques : Vasarely bien sûr, mais aussi Frank Popper, Hugo Rodolfo Demarco, par exemple. Cette exposition fut un grand moment pour moi ». Entretien accordé à l’auteur, Paris, le 3 décembre 1997.

596.

Jean Prouvé, « Un entretien avec Jean Prouvé », L’Art Sacré, n°2, 1968, p. 36.

597.

Jean Aubert, « Particularités des structures gonflables », catalogue de l’exposition Structures Gonflables, Paris, 1968, p. 30.

598.

Pierre Gaudibert, « Présentation », catalogue de l’exposition Structures Gonflables, Paris, 1968, p. 6.

599.

Ibid.

600.

Hans-Walter Müller présentait sa cabine « M » de relaxation, le groupe Aérolande (Aubert, Jungmann, Stinco) des meubles « A.J.S. ».

601.

En particulier la maison gonflable cylindrique de Quasar Engineering, l’habitation déployable gonflable de Jean-Louis Lotiron et Pernette Martin-Perriand.

602.

Entretien accordé à l’auteur le 13 décembre 1997.

603.

Ibid.

604.

« C’est pour le mythe, l’âme qui, en pénétrant dans l’enveloppe du corps, emprunte une forme qu’à travers la vie elle maintient. Gestation qu’une vision chrétienne retrouve dans le symbolisme d’un souffle fécondant, l’Esprit ». Claude et Léon Gaignebert, « Considérations inactuelles sur le gonflable », catalogue de l’exposition Structures Gonflables, Paris, 1968, p. 26.

605.

David Fontane, « ceci est une église », Le Nouveau Planète, n°9, 1969.

606.

Ibid.

607.

« C’est pour cela que j’ai réalisé des théâtres itinérants », précise H.-W. Müller, « j’en ai fait douze et certains fonctionnent depuis quatorze ans. Le faible encombrement de ces théâtres une fois repliés permet aux troupes de voyager avec. C’est cette même idée que j’avais pour l’église de Montigny-lès-Cormeilles. ». Entretien accordé à l’auteur le 13 décembre 1997.

608.

H.-W. Müller affirme d’ailleurs : « Je fais de l’architecture gonflable parce que sa matière est aussi immatérielle que la lumière ». Ibid.