1) La chapelle du quartier de Montconseil à Corbeil-Essonnes Edouard Albert, architecte (1960)

La recherche d’une économie maximum de matière est présente dans la conception de la chapelle du quartier de Montconseil à Corbeil-Essonnes (1960). Dans ce but, Edouard Albert, architecte de cet édifice, a eu recours à une structure tubulaire tridimensionnelle. Une photo, prise lors du montage, en montre l’aspect extraordinairement arachnéen (fig. 209 et 210). « ‘Toute la structure a été effectuée en prenant possession de l’espace avec les éléments les plus légers possibles’ », précise E. Albert, « ‘Des tubes de très petits diamètres - 21/27 maximum – servirent à réaliser des éléments à trois dimensions assemblables par simple boulonnage’ »611.

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Fig. 209 : Coupe sur la chapelle du quartier de Montconseil à Corbeil-Essonnes, Edouard Albert, architecte, 1960.
[Note: (L’Architecture d’Aujourd’hui n° 99, 1961-62, p. 47).]
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Fig. 210 : Ossature de la chapelle du quartier de Montconseil à Corbeil-Essonnes, Edouard Albert, architecte, 1960.
[Note: (L’Architecture d’Aujourd’hui n° 99, 1961-62, p. 47).]

Dans Où vivrons-nous demain ? Michel Ragon intitule l’un de ses derniers chapitres : « ‘insonorisation, climatisation, immatérialité’ ». Il cite à ce propos Konrad Wachsmann qui, en 1957, prédit que « ‘les supports disparaîtront presque complètement et lorsqu’ils existeront on ne les remarquera plus. Les murs, les fenêtres et les portes subiront également des transformations profondes. Je pourrais m’imaginer qu’il n’y aura plus rien d’autre que des surfaces transparentes, opaques ou mobiles... la force et la pesanteur seront anéanties ’»612.

Lorsque M. Ragon cite une réalisation annonciatrice de cette architecture immatérielle, il évoque deux réalisations expérimentales : la « ‘couverture d’air soufflé (...) couche de vent artificiel (qui) permet d’isoler un espace de la pluie, du froid et des vents naturels’ », conçue par l’architecte allemand Werner Ruhnau en collaboration avec le plasticien Yves Klein, et la Maison à cloisons invisibles de Nicolas Schöffer613.

N. Schöffer estimait que la dématérialisation constituait l’une des tendances dominantes de l’art contemporain. « ‘J’ai fixé comme objectif à mes travaux la dématérialisation de l’objet », écrit-il, « de façon que la diminution progressive de l’importance physique de l’objet entraîne la démultiplication de ses effets dans le sens inverse’ »614.

Dans cet esprit, il conçut en 1956 une maison expérimentale à cloisons invisibles en collaboration avec les ingénieurs de la société Philips. Les deux pièces communicantes de cette maison, l’une circulaire, l’autre trapézoïdale, étaient « ‘isolées sur le plan thermique, acoustique et lumineux’ »615. Cette maison fut exposée cette année-là lors du Salon des Travaux Publics à Paris (fig. 211). N. Schöffer imaginait pouvoir modifier l’organisation climatique des ensembles habités en utilisant « ‘des souffleries, des murs de chaleur, des cloisons d’air soufflé, des pluies artificielles’ »616. Il y a dans cette recherche de dématérialisation de l’oeuvre d’art ou de l’architecture la rêve d’une fusion entre l’art, la science et la religion. N. Schöffer s’explique de manière explicite à ce sujet : « ‘Les temps ne sont plus éloignés où l’on pourra voir l’artiste et le savant se réconcilier dans une commune exploration des structures temporelles. L’art apparaîtra comme le véritable noyau de la masse énergético-temporelle de tous les univers connus et inconnus, comme le souffle même de l’universelle respiration. Et la notion d’un certain Dieu apparaîtra clairement comme un phénomène intemporel et permanent’ »617.

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Fig. 211 : Maison aux cloisons invisibles, Nicolas Schöffer, 1956.
[Note: (M. Ragon, Où vivrons-nous demain ?, 1963, p. 192).]

Y. Klein projeta, en 1961, de réaliser un toit d’air et un mur de feu sur la place de l’Opéra de Gelsenkirchen618 dans la Ruhr. Cet aménagement s’inscrivait dans son projet d’Architecture de l’Air, conçu en collaboration avec Claude Parent, pour lequel il imaginait employer la lumière bleue et les composants de l’atmosphère et de la stratosphère comme matériaux (fig. 212). Mais ce projet utopique possédait un caractère ambivalent. En effet, il s’agissait d’un Eden mais dont les toits d’air soufflé et les murs de feu pouvaient également évoquer les effets de la bombe atomique. En effet, Y. Klein avait été bouleversé par les photos d’ombres soufflées prises à Hiroshima, images surgies de la désintégration des corps. L’une de ses « anthropométries » s’intitule d’ailleurs « Hiroshima »619.

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Fig. 212 : Croquis pour l’Architecture de l’Air, Yves Klein, Claude Parent, architectes, 1960.
[Note: (Catherine Millet, Yves Klein , 1983, p. 55).]

La recherche d’une architecture religieuse adaptée au monde contemporain ne pouvait, elle non plus, faire totalement abstraction des bouleversements issus de la seconde guerre mondiale et du climat de tension résultant de la guerre froide et de l’équilibre de la terreur. Dans un article intitulé « Une équivoque, l’art religieux » publié dans un numéro spécial de 1957 de L’Architecture d’Aujourd’hui consacré à l’architecture religieuse, Rémy Le Caisne affirme ainsi : « ‘L’Eglise est née dans un monde traqué et longtemps elle a été pratiquement un refuge, de la manière la plus tangible, militairement, sa masse défiant l’hostilité du temps comme celle des hommes. (...) Si le décor du monde a changé, la scène est bien toujours la même et le drame qui s’y joue à nouveau plus aigu que jamais. A la terreur de l’An Mille s’est substitué celle de la bombe H’ »620.

Dans Où vivrons-nous demain ? qui se présente comme un recueil de thèses et de projets sur ce que pourrait être l’organisation sociale et urbaine dans un futur proche, Michel Ragon n’exclut pas l’hypothèse du déclenchement d’une guerre mondiale thermonucléaire.

Après l’urbanisme spatial - « ‘fait pour un monde de paix et de prospérité’ »621 - M. Ragon ouvre, en effet, un nouveau chapitre consacré à l’habitat souterrain car, explique-t-il, « ‘que l’avenir soit à la guerre et la solution de survie qui nous reste est alors dans l’urbanisme souterrain’ »622. A l’alternative entre la paix ou la guerre répondent donc logiquement deux possibilités : urbanisme spatial ou urbanisme souterrain. Deux solutions prospectives, l’une optimiste et l’autre catastrophique, entre lesquelles « ‘on ne doit pas trancher radicalement’ », affirme-t-il, en effet, « ‘les deux nous semblent valables. Les deux formules seront sans doute utilisées dans l’avenir suivant les besoins et les opportunités’ »623.

Un édifice exceptionnel, l’église Sainte-Bernadette de Claude Parent et Paul Virilio, eut justement pour ambition de dénoncer et de refuser les risques de dématérialisation que faisaient courir à l’humanité les conséquences du déclenchement d’une guerre nucléaire, en soulignant l’immatérialité de la foi ici protégée - ou plutôt mise à distance critique du contexte géographique et historique - par les murs de béton armé d’une forteresse symbolique.

Notes
611.

Edouard Albert, « Chapelle à Montconseil France », L’Architecture d’Aujourd’hui, n°99, 1961-1962, p. 47.

612.

Michel Ragon, Où vivrons-nous demain ?, Paris, 1963, p. 190.

613.

Ibid.

614.

Nicolas Schöffer, La ville cybernétique, 1969, p. 78.

615.

Nicolas Schöffer, cité par M. Ragon, Les visionnaires de l’architecture, 1965, p. 27.

616.

Ibid., p. 29.

617.

Nicolas Schöffer, op. cit., p. 170.

618.

Le théâtre de Gelsenkirchen fut conçu et réalisé par Walter Ruhnau en 1960.

619.

Catherine Millet, Yves Klein, 1983, p. 59.

620.

Rémy Le Caisne, « Une équivoque : l’art religieux »,L’Architecture d’Aujourd’hui, n° 11, 1957, p. 5.

621.

Michel Ragon, Où vivrons-nous demain ?, Paris, 1963, p. 159.

622.

Ibid.

623.

Ibid.