Pierre Lebrun :
Pouvez-vous me parler des expériences que vous avez vécues à Sarcelles puis à Cergy de communautés chrétiennes se réunissant dans des lieux de culte banalisés - salles polyvalentes, L.C.R. - aux antipodes de l’église monumentale, pour en revenir au cours d’un parcours d’une trentaine d’années dans une église en briques à Garges-lès-gonesse.
Père Michel Cantin :
J’ai soixante-treize ans. Au début des années soixante on ne souhaitait pas construire d’églises. Dans les grandes opérations de logement social qui précédèrent les Z.U.P. les chrétiens édifièrent cependant d’autres types de lieux qui permettaient le culte. Ensuite, au cours des années soixante-dix, en particulier dans le cadre des villes nouvelles comme celle de Cergy, on a utilisé les locaux de réunion construits en grand nombre par l’établissement public d’aménagement de la ville nouvelle. Enfin, depuis une dizaine d’années, on se remet à construire des églises.
Je suis arrivé à Sarcelles au début des années soixante. On approchait alors du concile Vatican II et notre slogan était qu’il ne fallait pas construire d’églises « triomphantes ». On a commencé par s’installer dans de grandes baraques de chantier. Puis, le temps que l’on construise le premier centre paroissial, la communauté catholique s’est réunie dans la première chaufferie, dans une grande soute à charbon de secours où un bulldozer repoussait des dizaines de tonnes de charbon dans un angle du bâtiment. On avait construit là dedans un autel. Mais cette installation provisoire n’a duré qu’un an. Là, c’était vraiment l’église pauvre dans la ville qui se construisait. A la demande du diocèse on a donc édifié dans cette cité - non pas des églises « triomphantes » comme on disait - mais trois centres paroissiaux. C’est ainsi qu’on appelait ces lieux de culte. Il ne s’agissait pas d’églises mais de salles de réunion plus ou moins grandes permettant ainsi le culte. L’utilisation première était destinée à la communauté chrétienne. Ces centres paroissiaux étaient très appréciés.
D’ailleurs, à Sarcelles, aucune salle de réunion ni aucun équipement n’avait été prévu pour accompagner les 10 000 logements collectifs. Aussi lorsque Youri Gagarine, le premier cosmonaute soviétique, est venu faire une conférence à Sarcelles, le parti communiste est venu nous demander une salle parce que étions les seuls qui avions pris l’initiative de construire des lieux de réunion et ceux-ci avaient pour avantage de n’être pas strictement réservés au culte.
Cependant, nous n’arrivions pas à rembourser nos emprunts même à coup de kermesses. Lorsqu’aux environs des années 1968-69 un maire communiste a pris place à l’hôtel de ville de Sarcelles, la nouvelle équipe municipale qui ne disposait d’aucune salle de réunion et qui était soucieuse de développer une vie culturelle, s’est tournée vers nous. Nous lui avons donc proposé de vendre à la ville deux de nos trois centres paroissiaux. Nous n’avons conservé que le centre paroissial Jean-XXIII qui était le plus central.
Sur la ville nouvelle de Cergy la démarche fut différente. Dans un premier temps, rien n’a été construit. Des règles d’urbanisme avaient imposé la construction de nombreuses salles de réunion. Pour un quartier d’à peine dix-mille habitants on disposait de cinquante salles de tailles différentes. On bénéficiait d’une notion plus ouverte de la laïcité qui permettait d’utiliser ces locaux même pour le culte, comme le faisait n’importe quelle association. On a donc utilisé les locaux collectifs résidentiels. C’était différent des constructions que l’on avait réalisées vingt ans auparavant à Sarcelles. On a pu célébrer dans ces salles l’eucharistie, y faire de grandes fêtes religieuses. A l’occasion des messes de mariage ou de cérémonies d’enterrement on utilisait des églises de village situées dans le périmètre de la Ville nouvelle. Il y avait un côté très positif dans l’usage de ces locaux collectifs résidentiels. En effet, on célébrait la vie là où il y avait la vie.
Ensuite il y a eu une évolution. En effet, on est revenu à la construction d’édifices religieux car les salles polyvalentes présentaient de nombreux inconvénients : on ne savait jamais qui avait la clé, parfois l’association qui avait précédé n’avait pas joué le jeu et, la réunion s’étant terminée la veille à cinq heures du matin, la salle n’avait pas été nettoyée. De plus, en cas d’enterrement, il fallait qu’on cherche une église pour mettre le cercueil. De même pour les mariages qu’on a jamais pu célébrer dans ces salles. Ces locaux présentaient néanmoins de nombreux avantages en particulier celui d’être économiques. Mais les communautés catholiques de Cergy ont fini par se décider à construire. Ainsi au début des années 1990, on a édifié à Cergy deux églises qui sans être triomphantes, se composent de locaux bien aménagés. Les communautés catholiques se sont alors senties soulagées de retrouver de grands locaux dont elles pouvaient disposer quand elles le voulaient. D’ailleurs, une troisième église va bientôt être construite à Cergy.
Après Cergy, j’ai passé six ans, de 1993 à 1999, à Garges-lès-gonesse. Là, le diocèse a eu une politique beaucoup plus classique en matière d’équipement religieux puisqu’en 1966 il avait construit une grande église en briques647. Après vingt années passées à Cergy avec toute les contraintes des maisons de quartier, je me suis retrouvé dans cette église toute neuve qui permettait d’accueillir de nombreux fidèles de toutes nationalités. Il n’y a pas de solution idéale et que les mentalités évoluent. Non seulement avec le temps mais avec les flux migratoires.
Après ces expériences fort diverses, dans des villes qui sont sorties de terre les unes après les autres durant une période d’une quarantaine d’années, un constat s’impose. Les communautés chrétiennes ont besoin de locaux pour la rencontre, cultuelle ou non. Une mentalité évangélique permet de s’adapter beaucoup. Il faut cependant reconnaître qu’une grande assemblée se recueille plus difficilement peut-être dans une salle banalisée. Cependant, l’essentiel demeure dans le vécu d’une communauté. Les locaux doivent servir cette vie.
L’église Sainte-Geneviève réalisée en 1966 par l’architecte Saint-Rémy.