Entretien téléphonique avec Madame Brigitte Chambolle, Ancienne permanente pastorale de la communauté catholique de la ville nouvelle de Cergy-Pontoise. Le 2 février 2001

• Pierre Lebrun :
  Pouvez-vous me dire comment vous avez-vécu, en temps que chrétienne militante, l’expérience menée durant plusieurs années à Cergy-Pontoise d’une communauté catholique sans église.
  
  
  Madame Chambolle :
  Je suis arrivée à Cergy en 1974 presque au début de la ville nouvelle. Lorsque je m’y suis installée quasiment tout un quartier était sorti de terre. Il comprenait déjà une maison de quartier et quatre ou cinq locaux collectifs résidentiels, les LCR.
  
  Au début de la ville nouvelle, il existait des possibilités de bâtir une église. Des terrains étaient vierges, et l’Etablissement Public d’Aménagement de la Ville Nouvelle souhaitait vivement que se construise une église parce que cela aurait permis de montrer que Cergy n’était pas une ZUP mais une « vraie ville ». Cela aurait facilité la commercialisation des terrains. l’Etablissement Public était donc prêt à accorder des facilités financières pour que s’édifie une église et une salle paroissiale.
  
  Cependant, en l’absence de lieu spécifiquement dédié au culte, l’Eucharistie était célébrée dans les Maisons de quartier et les LCR. Dans la ville nouvelle, ces locaux étaient à la disposition des habitants. Il fallait d’abord négocier avec les responsables de ces centres afin de réserver les salles.
  
  Chrétienne militante, arrivant à Cergy, je suis donc allé voir tout de suite les prêtres Michel Cantin et Roger Pannier, les « pères fondateurs » de la communauté catholique de la ville nouvelle. Ceux-ci m’ont alors fait part de leurs orientations en matière de lieux de culte. Ils disaient vouloir attendre que les habitants décident du lieu où ils souhaiteraient se rassembler mais je crois qu’au fond d’eux mêmes ils ne désiraient pas réellement que l’on s’engage dans la construction d’églises.
  
  J’ai toujours aimé les églises car ils s’agit de lieux confortables, de silence, de recueillement, en retrait du monde. J’ai alors pensé que cette orientation liturgique allait être une très bonne école pour moi en m’obligeant à chercher d’abord à percevoir Dieu dans les autres êtres humains plutôt que dans le silence d’églises généralement vides, silence propice au recueillement. J’ai donc accepté positivement cette proposition des prêtres. En organisant des cultes dans les LCR et dans les Maisons de Quartiers, cela nous obligeait également à rencontrer les autres associations. Certains soirs nous tenions ainsi notre réunion d’ordre pastoral tandis que se déroulaient dans les salles adjacentes des réunions de Lutte Ouvrière, d’un syndicat de copropriétaires et de l’école de danse. Je trouvais cela très sympathique.
  
  Je ne suis pas sûr que l’ensemble des membres de la communauté catholique de Cergy partageaient mon point de vue. En effet, rares étaient ceux qui étaient volontaristes comme je l’étais. Je pense qu’en général les fidèles adhéraient parce qu’ils n’avaient pas tellement le choix et qu’ils faisaient confiance aux prêtres.
  
  L’un des arguments qu’avançaient les prêtres, pour justifier l’absence de projet de construction d’église, était qu’il valait mieux investir dans la formation des hommes que dans les pierres. Investir dans la formation des hommes voulait dire qu’il valait mieux financer des permanents en pastorale. C’est ainsi que j’ai été pendant plusieurs années permanente pastorale.
  
  Mais en fait l’évêché n’a pas suivi. Car s’il a bien voulu accepter qu’il y ait des permanents en pastorale – nous étions moins d’une dizaine pour tout le département -, il n’y a pas eu de volonté déterminée de multiplier les travailleurs pastoraux comme cela c’est fait dans le nord de la France ou, par exemple, il y en avait environ cent cinquante.
  
  Cependant l’expérience, à Cergy, d’une communauté catholique sans église a pris fin au milieu des années 80. A cette époque, en effet, s’est implanté sur Cergy sud le centre Saint-Louis regroupant cinq grandes écoles catholiques. Ces écoles ont alors souhaité construire une chapelle. Cette demande fut appuyée par le prêtre qui avait succédé à Michel Cantin et Roger Panier et par l’évêché. Ce prêtre estimait en effet que c’était une erreur - d’un point de vue sociologique - de ne pas avoir fait construire d’église visible à Cergy. Il estimait qu’il était utopiste, très volontariste et désincarné de croire qu’une communauté chrétienne pouvait vivre sans lieu de réunion et de culte visible. D’autre part, l’absence de lieu spécifiquement affecté au culte s’était révélé, à la longue, très fatigante. En effet, chaque dimanche il fallait apporter l’ensemble du mobilier, les vases les verres qui servaient de calice, du décor. C’était sympathique de se mobiliser pour une fête mais le faire systématiquement toutes les semaines était finalement lassant.
  
  Puisque le centre Saint-louis voulait construire une chapelle, l’évêché a contribué financièrement à son édification pour que celle-ci serve à l’ensemble de la communauté catholique de Cergy. Cela s’est fait en 1992-93. Cependant, cette chapelle étant enclavée dans le campus des Grandes Ecoles, le quartier ne se l’est pas approprié.
  
  Durant les années cinquante il existait une spiritualité de l’enfouissement avec le père Voillaume. Le choix des pères Cantin et Pannier de ne pas construire d’église relevait un peu de cette spiritualité là. De nos jours on se trouve, à l’inverse, dans un mouvement de « supervisibilité », de grands rassemblements. Peut-être parce que l’Eglise se sent désormais en minorité et en perte de vitesse alors que, durant les années soixante-soixante-dix, elle se sentait encore assez forte. Cette évolution s’explique peut-être aussi parce qu’il s’agissait d’une réaction avec l’époque précédente et le caractère un peu trop démonstratif de l’architecture religieuse qui avait prévalait jusque là.