Pierre Lebrun :
Je souhaiterais que vous évoquiez d’abord votre itinéraire et ensuite les conditions dans les quelles a été conçu et réalisé le centre oecuménique Saint-Marc à Grenoble.
Jean Cognet :
J’ai commencé mes études d’architecture à Grenoble et je les ai terminées à Paris en 1958. A ce moment là, se déroulait la guerre d’Algérie et j’avais un sursis. Diplômé, j’ai été mobilisé et je suis parti en Algérie faire la guerre. On s’est rapidement aperçu que j’étais architecte et on m’a donné la responsabilité de réaliser des logements économiques. Je suis retourné dans ce pays beaucoup plus tard - entre 1981 et 1987 - mais cette fois-ci pour réaliser deux bâtiments importants à Alger : l’école du premier cycle de la Faculté de Médecine et le Centre national d’informatique et de documentation économique. J’ai également réalisé une école de médecine à Tizi-Ouzou.
J’ai réalisé une première église à Saint-Martin-le-Vinoux, ma ville natale, en 1958. J’étais encore étudiant architecte. Cette église est entièrement en béton brut de décoffrage. Elle est d’ailleurs restée telle quelle. C’est un bâtiment où j’ai essayé de faire passer un certain esprit de simplicité et de rigueur. Suite à l’arrivée d’une population musulmane importante et d’un effritement simultané de la pratique de la religion catholique cette église a servi pendant un certain temps de mosquée. J’ai également travaillé sur le réaménagement de l’ancienne chartreuse de Chalais en Charente pour en faire un couvent dominicain. J’ai réalisé une nouvelle aile ainsi qu’un cloître de conception entièrement contemporaine bien que couverts de toits d’ardoise comme les bâtiments plus anciens. A Grenoble même j’ai réalisé les bâtiments de l’E.N.S.I., une école d’ingénieurs, dont les murs en béton brut de décoffrage ont malheureusement été entièrement peints il y a quelques années.
Dans le cadre des Jeux Olympiques d’hiver qui se sont déroulés à Grenoble en 1968, on m’a confié une mission d’urbaniste sur l’ensemble du quartier qui devait abriter le « village de la presse ». Mon cabinet a travaillé sur le plan de masse, sur la composition générale des bâtiments, tandis que Maurice Novarina a réalisé la conception des cellules d’habitation.
Dans ce nouveau quartier, j’ai réalisé le centre oecuménique Saint-Marc qui est situé au pied des collectifs d’habitation. La définition du programme de ce lieu de culte s’est fait en liaison avec le curé de la paroisse catholique et avec le pasteur protestant. Chacun d’eux avait une idée de ce que devait être ce centre. A partir de leurs premières idées, j’ai dessiné projets et contre-projets. En fait le programme de l’opération a résulté de réunions qui se sont déroulées dans mon bureau ou dans le leur. C’est un édifice dont la conception a été largement concertée avec le comité paroissial catholique et le comité protestant. L’esprit de compréhension et d’analyse du projet était très bon, l’ambiance très amicale. Finalement, c’est une solution très ouverte que nous avons adoptée, en l’occurrence une église et un temple disposés de part et d’autre d’une salle polyvalente. Celle-ci, située au centre, peut, grâce à un système de cloisons mobiles, tantôt être affectée à la partie protestante tantôt à la partie catholique. De plus, lorsque certaines occasions le nécessitent, toutes les cloisons coulissantes peuvent être ouvertes et l’on obtient ainsi un grand volume qui peut abriter plus de mille personnes comme ce fut le cas le jour de l’inauguration. Nous avons cherché à ce que le bâtiment soit le plus sobre possible, que le volume d’ensemble soit simple et qu’il ne traduise pas les différences entre les religions. On a ainsi cherché à trouver des éléments de liaison et non pas d’opposition. L’entrée du centre s’ouvre sur un petit patio. Initialement le centre oecuménique était disposé sur un grand plan d’eau dans lequel il se reflétait. Malheureusement, suite à un accident qui est survenu durant l’été qui a suivi les jeux olympiques – des enfants venaient y patauger -, ce miroir d’eau a été asséché et laissé tel quel.
L’édifice a été inauguré en 1968. Pendant le déroulement des jeux olympiques le centre oecuménique a servi à la fois de lieu de culte pour le quartier et pour le « village de la presse ».
Après le grand mouvement de 1968, le curé et les vicaires de la paroisse se sont mariés. D’autres curés se sont ensuite succédés mais l’esprit a changé. Des travaux de peinture, de réfection ont été réalisés. Je n’y souscris pas tout à fait. Ces modifications ont été faites dans un esprit qui n’était pas celui de simplicité et d’austérité que nous avions voulu. Par exemple, des éléments ont été plaqués sur les parois en béton alors que nous avions beaucoup travaillé sur la qualité du béton brut de décoffrage. Je me souviens que je venais chaque semaine pour voir l’avancement de la mise en oeuvre du béton. On avait la chance d’avoir un entrepreneur de confession protestante qui comprenait bien ce que nous désirions obtenir comme résultat. Cet entrepreneur faisait, de fait, partie de l’équipe. Les idées des uns passaient chez les autres. La conception et la réalisation du centre oecuménique fut un moment intéressant de ma carrière.