1. 2. 2. EXEMPLE 2 : l'expérience de Bandura et Cervone (1983)

L'activation des processus d'autoévaluation nécessite deux facteurs (Bandura, 1977b, 1986, 1988) : un objectif personnel (ou but) et la connaissance de sa performance. Aucun de ces deux facteurs, pris isolément, ne fournit de base à l'autoévaluation. En revanche, les résultats d'une étude de Bandura et Cervone (1983) montrent que l'influence combinée du but et de la connaissance de sa performance augmente substantiellement la motivation.

L'expérience se déroule sur un appareil ergométrique équipé de deux leviers reliés à une roue libre. La tâche consiste à tirer et à pousser alternativement sur les leviers, lesquels entraînent la roue. Des pales montées sur cette dernière créent une résistance à l'air, ce qui freine la roue et implique un effort physique important. L'expérience comporte une session pré-expérimentale (5 minutes), qui permet de déterminer une performance de base, et trois sessions expérimentales (5 minutes chacune). Les 80 sujets de l'expérience sont divisés en quatre groupes en fonction de la variable but et de la variable feedback : (1) groupe but + feedback ; (2) groupe but ; (3) groupe feedback ; (4) groupe sans but ni feedback (contrôle). Dans les deux groupes avec but, les expérimentateurs demandent aux sujets d'augmenter à chaque session leur performance de base de 40%. Dans les deux groupes avec feedback, les sujets sont informés après chaque session qu'ils ont augmenté leur performance précédente de 24%. Après chaque session, les sujets évaluent : (a) leur auto-réaction sur une échelle en 25 points allant de "très satisfait" à "très insatisfait" ; (b) leur efficacité personnelle sur une échelle en 14 points allant de -50% à +80% de leur performance de base.

Les résultats sont conformes à ceux prédits par la théorie. Après la séance de base, à la première session, les sujets sans but augmentent leur performance de 42%, tandis que les sujets avec but augmentent la leur de 85%. Surtout, le groupe qui augmente le plus ses per-formances au cours des trois sessions est celui qui combine à la fois un but et un feedback. Le groupe but + feedback accroît ses performances de 59% (augmentation moyenne sur les trois sessions), tandis que les performances des groupes but et feedback n'augmentent que de 25%. Les performances du groupe contrôle augmentent de 20% (cf. figure 4).

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Figure 4 — Pourcentage moyen d'augmentation de la performance en fonction des conditions de but et de feedback (d'après Bandura & Cervone, 1983).

Par ailleurs, les sujets qui présentent une forte efficacité personnelle (pour la session qui suit) et forte auto-insatisfaction (à l'égard de la performance précédente) augmentent en moyenne leurs performances de 95%. Parallèlement, les sujets qui cumulent à la fois une faible efficacité personnelle et un faible mécontentement n'augmentent leurs performances que de 22%, en moyenne. Une efficacité personnelle forte et une auto-insatisfaction élevée ne produisent, chacune de leur côté, qu'une augmentation modérée de la performance (62% et 60%, respectivement). Ces résultats sont présentés à la figure 5a. Seule l'action conjointe de ces deux réactions internes permet de prédire si les efforts seront maintenus, augmentés ou diminués au cours d'une activité spécifique. En effet, les sujets qui se jugent efficaces et insatisfaits intensifient leurs efforts, alors que ceux qui s'estiment inefficaces tout en étant satisfaits de leur performance passée diminuent leurs efforts entre la première et la dernière minute d'une même session (cf. figure 5b).

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Figure 5 — Pourcentage moyen de changement de la motivation en fonction des combinaisons des niveaux différentiels d'efficacité personnelle (EP) et d'auto-insatisfaction (IS) (le signe + indique un niveau élevé, tandis que le signe - indique un niveau faible). La figure 5a montre le changement moyen sur l'ensemble des trois sessions. La figure 5b montre le changement moyen entre la première et la dernière minute d'une même session (d'après Bandura & Cervone, 1983).

Les résultats de cette étude montrent que plus haute est l'insatisfaction à l'égard d'une performance passée et plus forte est l'efficacité personnelle, plus grande est l'intensification de l'effort subséquent. Pour Bandura et Cervone (1983), ce sont les expectations d'efficacité qui permettent aux sujets de maintenir leur attention sur leur comportement, se procurant ainsi des autorenforcements leur assurant une meilleure persistance dans la poursuite de standards prédéterminés. Selon les auteurs, l'efficacité personnelle assurerait une fonction de médiation des réactions personnelles au cours de la phase d'auto-réaction ; en estimant ses capacités disponibles pour une activité donnée, l'individu se trouverait en position de mieux apprécier les écarts entre les buts fixés et les résultats obtenus, puis de clarifier ses croyances concernant les possibilités d'atteindre les buts.

La théorie de l'efficacité personnelle — ou théorie de l'auto-efficacité (self-efficacy theory) — découle de la théorie de l'apprentissage social, dont nous venons de présenter en quelques lignes les éléments essentiels. Elle est fondée sur le postulat selon lequel ce sont les perceptions de leurs propres capacités qui influencent les personnes dans leurs actions, leurs niveaux de motivation, la structuration de leurs pensées et leurs réactions émotives dans une situation donnée. Les sections suivantes ont donc pour objectif de présenter plus en détail le concept même d'efficacité personnelle.