3. 2. 2. EFFORT ET PERSISTANCE

L'efficacité personnelle affecte les efforts déployés dans la réalisation d'une tâche, la persistance face aux difficultés et obstacles, mais aussi le découragement ressenti à la suite d'un échec (Bandura, 1986, 1991). L'échec dans la poursuite des buts personnels provoque motivation ou découragement selon la capacité que s'attribue l'individu face à la réalisation de ses objectifs. Ceux qui éprouvent des doutes au sujet de leurs capacités sont facilement découragés par l'échec ; au contraire, ceux qui croient en leurs capacités intensifient leurs efforts à la suite d'un échec et persistent jusqu'au succès. Dans une section antérieure, nous avons déjà exposé les résultats d'une étude de Bandura et Cervone (1983) : les sujets qui se jugent efficaces intensifient leur effort au cours d'une activité motrice, tandis que ceux qui se jugent inefficaces diminuent le leur (cf. figure 5).

De nombreuses études ont démontré l'influence de l'efficacité personnelle sur l'effort et la persistance comportementale. Par exemple, dans une étude de Weinberg et al. (1979), des sujets étaient placés dans des situations de face à face au cours desquelles ils devaient immobiliser leur jambe à l'horizontale le plus longtemps possible. Lorsque l'opposant était présenté comme un athlète de bon niveau (induction d'une efficacité personnelle faible), les sujets maintenaient moins longtemps leur jambe à l'horizontale que lorsque l'opposant était décrit comme blessé à un genou (induction d'une efficacité personnelle forte). Weinberg et al. (1981) ont par la suite répliqué ces résultats, en analysant plus particulièrement les effets d'interaction entre l'efficacité personnelle préexistante et l'efficacité personnelle manipulée. Dans l'expérience réalisée, les auteurs demandaient à 132 étudiants d'estimer leur efficacité personnelle pour une tâche qui consistait, en position assise, à maintenir le plus longtemps possible une jambe par-dessus une corde tendue à l'horizontale. A partir de cette estimation initiale, deux groupes de 48 sujets furent constitués : un groupe à efficacité personnelle pré-existante forte et un groupe à efficacité personnelle préexistante faible. Puis chacun des 96 sujets était confronté à un adversaire dans une situation de compétition au cours de laquelle l'efficacité personnelle était manipulée : les sujets en condition d'efficacité manipulée forte étaient censés s'opposer à un adversaire blessé au genou ; ceux de la condition d'efficacité manipulée faible étaient supposés rencontrer un adversaire de bon niveau. Les deux formes d'efficacité personnelle influencent la performance (i. e., le temps de maintien de la jambe à l'horizontale) dans un sens favorable. Néanmoins, leurs effets sont dépendants des essais accomplis. Lors d'un premier essai, c'est l'efficacité préexistante qui joue un rôle essentiel dans la réalisation des performances. Lors d'un second essai, c'est l'efficacité manipulée qui rend compte pour l'essentiel des résultats observés : (a) les sujets en condition d'efficacité manipulée forte augmentent leurs performances d'un essai à l'autre ; ils répondent à l'échec en mobilisant lors du second essai un effort plus intense, car ils ont perçu l'échec comme dissonant par rapport à l'efficacité induite ; (b) les sujets en condition d'efficacité manipulée faible diminuent leurs performances d'un essai à l'autre.

Stock et Cervone (1990) ont démontré que l'efficacité personnelle influence le degré de persistance face aux obstacles. Dans l'expérience réalisée, des étudiants étaient amenés à résoudre le problème des missionnaires et des cannibales (cf. Richard, 1990, p. 381, pour une description détaillée de ce problème). Toutefois, ce problème était conçu de manière à ce qu'il ne puisse pas être résolu au-delà d'une certaine étape. Les résultats ont montré que les sujets qui se caractérisent par une forte efficacité personnelle persistent plus longtemps dans la recherche d'une solution (9.93 min) que les sujets qui se caractérisent par une faible efficacité personnelle (6.76 min).

D'autres recherches, plus appliquées, ont confirmé ce type de résultats. Par exemple, dans le domaine de la santé, l'efficacité personnelle est associée à la perte de poids (Edell et al., 1987) et à la cessation du tabagisme (Mudde et al., 1995). Les résultats de ces études convergent sur le fait que plus l'efficacité personnelle envers le comportement demandé est forte (i. e., perdre du poids, arrêter de fumer) et plus les personnes concernées (i. e., sujets obèses, sujets fumeurs) adoptent et maintiennent ce comportement.

Cet effet positif d'une forte efficacité personnelle sur la persistance comportementale a été reproduit de nombreuses fois, avec des tâches, des sujets, des contextes (laboratoire ou terrain), des plans expérimentaux et des méthodes de mesure distincts. Dans une revue de la littérature existante sur le sujet, Multon, Brown et Lent (1991) ont confirmé, à partir des techniques de méta-analyse (18 études recensées de 1981 à 1987), la relation positive entre l'efficacité personnelle et la persistance.

En outre, selon Bandura (1986, 1991), l'efficacité personnelle affecte non seulement le niveau d'effort, mais aussi la "productivité" de l'effort déployé. Les individus qui ont une profonde croyance en leur efficacité personnelle sont capables d'analyser un problème plus efficacement que les individus qui doutent d'eux-mêmes. En face de problèmes complexes, ceux qui doutent de leur efficacité sont plus désorganisés dans leurs analyses ou réflexions. Ainsi, l'efficacité personnelle améliore la performance par son influence sur les processus de pensée et sur la mise au point de stratégies adéquates aussi bien que par son impact sur la motivation. Dans les activités au cours desquelles des performances médiocres peuvent avoir des conséquences néfastes ou négatives, une faible efficacité personnelle peut nuire considérablement au fonctionnement de l'individu en suscitant des cognitions et des actions inappropriées. Dans une certaine mesure, une efficacité personnelle particulièrement faible peut conduire à de la résignation apprise, c'est-à-dire à croire en la non-contrôlabilité d'une situation (cf. Abramson, Seligman, & Teasdale, 1978).