2. 1. HYPOTHESE 1

L'ancrage-ajustement est un phénomène robuste et omniprésent ; à ce titre, il retient encore l'attention des chercheurs (e. g., Chapman & Johnson, 1999 ; Mussweiler & Strack, 1999, 2000 ; Strack & Mussweiler, 1997 ; Wilson et al., 1996). Ce processus est impliqué dans toutes les situations dans lesquelles une réponse numérique est requise (Pitz & Sachs, 1984), mais aussi dans la formation des jugements sociaux (e. g., Block & Harper, 1991 ; Jones, 1979 ; Kruger, 1999 ; Quattrone, 1982) et auto-imputés (Cervone & Peake, 1986 ; Switzer & Sniezek, 1991). En outre, on a pu montrer que l'effet d'ancrage n'était affecté ni par l'extrémité de l'ancre (Chapman & Johnson, 1994 ; Strack & Mussweiler, 1997) ni par le niveau d'expertise des juges (Joyce & Biddle, 1981 ; Northcraft & Neale, 1987 ; Wright & Anderson, 1989). Notamment, Wilson et al. (1996) montrent que cet effet survient si les sujets portent une attention suffisante à l'ancre, et qu'il opère de façon non-intentionnelle et non-consciente dans la mesure où, même lorsque les sujets sont avertis (i. e., mis en garde de la possibilité d'un tel effet), il ne disparaît pas. En somme, dès qu'une valeur est présente dans l'environnement du sujet, elle sert systématiquement d'ancre, c'est-à-dire de point de départ à l'estimation. Kahneman et Knetsch (1993, cité par Wilson et al., 1996) proposent même un mécanisme d'amorçage rétroactif (a backward priming mechanism) par lequel le besoin de répondre à une question amène les sujets à considérer comme possible n'importe quelle valeur présente en mémoire à court-terme, quelle qu'en soit l'origine.

Il s'agit donc de vérifier l'hypothèse selon laquelle l'heuristique d'ancrage-ajustement influence l'efficacité personnelle. Par exemple, lorsqu'ils jugent leur efficacité personnelle pour une activité donnée, les sujets peuvent considérer une valeur initiale quelconque qu'ils ajustent jusqu'à produire une estimation finale de leurs capacités. Or, dans la mesure où cet ajustement sera insuffisant, l'estimation finale (l'efficacité personnelle) sera biaisée dans le sens de la valeur initiale considérée. Selon ce processus d'ancrage-ajustement, nous posons l'hypothèse suivante :

- L'efficacité personnelle est fonction de la grandeur d'une valeur initiale : l'efficacité personnelle sera d'autant plus forte que la valeur initiale (ancre) est élevée.

Toutefois, nous ne pensons pas que l'application de l'heuristique d'ancrage-ajustement se substitue entièrement à une analyse, même superficielle, des exigences de la tâche (Gist & Mitchell, 1992). Précisément, nous pensons que si le sujet peut porter son attention sur une valeur initiale (à partir de laquelle il estimera son efficacité personnelle), il peut aussi, en parallèle, porter son attention sur la tâche elle-même, en présumer les exigences, et avoir une idée des habiletés requises pour satisfaire à celles-ci. En ce sens, nous suggérons que la force même des biais d'ancrage, ou l'amplitude avec laquelle une valeur initiale est ajustée, est influencée par une analyse de la tâche. Le principe des trois premières expériences que nous avons conduites, dans lesquelles les sujets sont en présence de deux tâches distinctes, nous permettra de répondre à cette suggestion.