2. EXPERIENCE 2

Cette expérience repose sur un principe identique à celui utilisé dans l'expérience 1. Deux modifications ont toutefois été apportées. D'une part afin de vérifier l'hypothèse d'une influence des tâches présentées sur la force des biais d'ancrage et, d'autre part, afin d'éviter que le choix d'une tâche soit en partie déterminé par une préférence spontanée de l'ensemble des sujets. Ces modifications portent donc uniquement sur les tâches présentées.

Lors de la discussion des résultats de l'expérience précédente, nous avons donc émis l'hypothèse que l'ajustement d'une valeur initiale n'était pas indépendant de la spécificité des tâches présentées. Les résultats d'une étude récente de Kruger (1999) peuvent soutenir cette hypothèse. En référence à l'heuristique d'ancrage-ajustement (Tversky & Kahneman, 1974), l'auteur pose que quand les personnes se comparent à autrui (i. e., répondent à la question : "suis-je meilleur ou moins bon que les autres ?"), elles se centrent sur leur propre niveau d'habileté (effet d'ancrage) et ne tiennent pas suffisamment compte du niveau d'habileté du groupe de comparaison (ajustement insuffisant). Kruger montre que les effets de cette ten-dance égocentrique sont opposés selon que l'habileté, sur laquelle porte la comparaison, est facile ou difficile 7 : lorsque l'habileté est facile (e. g., manipuler une souris d'ordinateur, conduire une voiture), les sujets s'estiment meilleurs qu'autrui et, en général, au-dessus de la moyenne (above-average) ; lorsque l'habileté est difficile (e. g., programmer un ordinateur, jouer aux échecs), les sujets s'estiment au contraire moins bons qu'autrui et, en général, au-dessous de la moyenne (below-average). Selon Kruger (1999), ces résultats démontrent que les sujets opèrent leurs estimations en partant de leur propre niveau d'habileté, sans tenir suffisamment compte du niveau d'autrui (i. e., sans tenir compte du fait qu'autrui est aussi bon ou mauvais qu'eux). L'ajustement se fait donc vers le haut pour une habileté facile et vers le bas pour une habileté difficile dans la mesure où, respectivement, les sujets se con-sidèrent initialement d'un haut et d'un bas niveau d'habileté.

Si, dans les jugements comparatifs d'habiletés, la direction de l'ajustement varie selon que l'habileté considérée est facile ou difficile, nous tenterons de vérifier ici que la propor-tion de cet ajustement varie en fonction de la difficulté des tâches présentées. Précisément, pour vérifier cette hypothèse, nous présenterons des tâches (en apparence) très simples. Par rapport aux résultats de l'expérience 1, on peut ainsi s'attendre à ce que : (a) l'estimation de l'efficacité personnelle soit davantage révisée à la hausse par rapport à une très faible valeur d'ancrage (i. e., moins biaisée en direction de la valeur 2) ; (b) l'estimation de l'efficacité personnelle soit moins révisée à la baisse par rapport à une très forte valeur d'ancrage (i. e., davantage biaisée en direction de la valeur 18). Dans les deux cas, on s'attend donc à ce que la difficulté des tâches présentées influence la magnitude des biais d'ancrage.

Par rapport à l'expérience précédente, en particulier afin de contrôler l'influence du caractère plus ou moins ludique des tâches (facteur qui semblait être à l'origine, pour une grande partie des sujets, de la tendance spontanée à préférer la tâche des anagrammes à la tâche des matrices), nous avons conçu des tâches analogues. Les tâches présentées sont par exemple identiques du point de vue de leur principe de résolution. Dans chacune d'elles, il s'agit de trouver l'élément permettant de compléter une suite logique ; les tâches diffèrent simplement l'une de l'autre selon que l'élément à trouver est un chiffre (e. g., 1 2 3 ? 5) ou une lettre (e. g., A B C ? E). Du fait d'un même principe de résolution, il semble donc que les sujets, dans leur ensemble, n'auront a priori aucune raison de préférer spontanément une tâche par rapport à l'autre.

Les hypothèses principales sont identiques à celles de l'expérience précédente :

Notes
7.

L'auteur utilise les termes easy ability et difficult ability pour désigner des tâches dans lesquelles les habiletés requises tendent à être respectivement faibles et élevées.