3. EXPERIENCE 3

Dans les deux expériences précédentes, le processus d'ancrage était initié en deman-dant explicitement aux sujets de comparer une valeur cible (i. e., le nombre d'items qu'ils pensaient pouvoir résoudre) à une valeur initiale (i. e., 2 ou 18). Pratiquement, à la suite des travaux de Tversky et Kahneman (1974), de nombreuses études ont appliqué ce procédé (e. g., Cervone & Peake, 1986 ; Chapman & Johnson, 1999 ; Joyce & Biddle, 1981 ; Russo & Schoemaker, 1989 ; Strack & Mussweiler, 1997). Par exemple, dans l'expérience princeps de Tversky et Kahneman (1974), on demandait d'abord aux sujets d'indiquer si la valeur (cible) à estimer (le pourcentage de nations africaines à l'ONU) était inférieure ou supérieure à la valeur (ancre) déterminée par un tirage purement aléatoire. Cependant, ce procédé présente un inconvénient majeur (Chapman & Bornstein, 1996) : l'ancre peut être interprétée comme une information et/ou une attente de l'expérimentateur. En outre, dans une certaine mesure, les expérimentateurs amorcent le processus pour les sujets (Wilson et al., 1996).

Dans d'autres études, on ne demandait pas aux sujets de procéder à une comparaison cible-ancre, mais l'ancre était informative et non arbitraire (e. g., Davis, Hoch, & Ragsdale, 1986 ; Lovie, 1985 ; Northcraft & Neale, 1987 ; Zuckerman, Koestner, Colella, & Alton, 1984). Par exemple, Northcraft et Neale (1987) demandaient à des étudiants et à des agents immobiliers d'estimer la valeur d'une propriété. Dans cette perspective, ceux-ci disposaient d'un document dans lequel était inclus le prix de vente d'une propriété avoisinante. Ce prix agissait comme une ancre, de telle sorte que plus il était faible, plus la valeur attribuée à la propriété était basse. Toutefois, dans le cas présent, la valeur présentée n'est pas totalement arbitraire (on peut présumer que les propriétaires d'un bien immobilier ne déterminent pas sa valeur au hasard). Il n'est donc pas surprenant que des sujets, même des sujets experts, utilisent un prix préexistant pour estimer la valeur d'un bien.

Cette expérience se propose donc de vérifier que la simple présentation d'une valeur arbitraire non-informative (aucun jugement relatif n'est demandé) peut servir d'ancre et, par l'application de l'heuristique d'ancrage-ajustement (Tversky & Kahneman, 1974), biaiser la formation de l'efficacité personnelle. Par rapport aux expériences précédentes, nous avons donc modifié, d'une part la procédure de manipulation de l'ancrage et, d'autre part, l'échelle de mesure de l'efficacité personnelle. Ces modifications, de même que les hypothèses de la présente expérience, sont précisées dans la section suivante.