5. BILAN DES EXPERIENCES

Les expériences exposées dans ce chapitre étaient sous-tendues par deux hypothèses. La première dérivait à la fois des travaux de Tversky et Kahneman (1974) sur l'heuristique d'ancrage-ajustement et des études empiriques de Cervone et Peake (1986) et de Switzer et Sniezek (1991) sur l'influence de cette heuristique sur l'expectation d'efficacité. La seconde dérivait de la théorie de l'efficacité personnelle (Bandura, 1977a, 1982, 1986, 1997) :

  1. Dans une situation où deux tâches A et B étaient présentées aux sujets, il s'agissait de vérifier l'hypothèse selon laquelle l'efficacité personnelle A et l'efficacité personnelle B étaient biaisées dans des directions opposées selon que la valeur initiale (ancre) reçue pour leur estimation était respectivement haute et basse.

  2. Dans une situation de choix dichotomique (choix de la tâche A ou de la tâche B), il s'agissait de vérifier l'hypothèse selon laquelle les sujets choisissaient la tâche pour laquelle leur efficacité personnelle était la plus forte.

En utilisant le paradigme d'ancrage standard de Tversky et Kahneman (1974), nous avons vérifié la première hypothèse dans les deux premières expériences (expériences 1 et 2). En revanche, en utilisant une nouvelle méthode d'ancrage, nous n'avons pas vérifié cette hypothèse dans une dernière expérience (expérience 3). Dans celle-ci, nous avons toutefois observé que l'efficacité personnelle (mesurée sur une échelle en 11 points allant de 0 à 10) consécutive à une proposition conditionnelle incluant une ancre haute (si vous vous sentez tout à fait capable de résoudre [...] inscrivez 9) pouvait être, par effet de contraste, opposée (et non assimilée) à cette ancre.

Nous avons vérifié la seconde hypothèse dans deux expériences sur trois (expériences 2 et 3). Néanmoins, dans chacune des trois expériences, nous avons démontré que le choix d'une tâche (variable dichotomique) était liée à l'efficacité personnelle. Schématiquement, par des analyses de régression logistique (modèles logit), nous avons démontré que plus l'efficacité personnelle A était supérieure à l'efficacité personnelle B, plus la probabilité de choisir la tâche A plutôt que la tâche B augmentait.

Les expériences que nous avons conduites ont utilisé des procédures d'ancrage et des méthodes de mesure de l'efficacité personnelle que nous nous sommes efforcés de justifier à chaque fois. Mais quelles que soient ces procédures et méthodes, nos résultats ont montré que l'heuristique d'ancrage-ajustement permettait de formuler des jugements "orientés" sur ses capacités à résoudre une tâche particulière (réduction de l'incertitude).

L'efficacité personnelle, selon nous, comme toutes formes d'expectation, traduit l'état d'incertitude dans laquelle se trouve le sujet. Quand l'efficacité personnelle est forte, il faut comprendre que le sujet est certain de réussir ce qu'il entreprend. Quand elle est faible, il faut comprendre que le sujet est certain d'échouer. Toutefois, la réussite et l'échec sont des notions subjectives (Maehr & Braskamp, 1986). Elles se définissent par rapport à un point de référence neutre. Dans chacune de nos expériences, on peut considérer que l'échelle de mesure de l'efficacité personnelle était constituée d'un point de référence neutre (la valeur médiane) : soit 10 dans les deux premières expériences et 5 dans la dernière. De fait, quand l'efficacité personnelle était égale à (ou très proche de) la valeur médiane de l'échelle, nous avons considéré que le sujet restait "neutre", c'est-à-dire qu'il n'envisageait ni la réussite ni l'échec. En somme, il restait dans l'incertitude. Or, si cette neutralité était fréquente dans les situations dans lesquelles aucune ancre n'était présentée (conditions contrôle), elle ne l'était pas dans les situations dans lesquelles la présentation d'une ancre conduisait les sujets à envisager soit la réussite soit l'échec (conditions expérimentales). Appliquée à la formation de l'efficacité personnelle, l'heuristique d'ancrage-ajustement permet donc effectivement de conclure, c'est-à-dire de prendre des décisions "orientées" sur ses capacités à résoudre une tâche particulière.

En orientant leurs jugements dans un sens positif ou négatif par rapport à un point de référence neutre, l'heuristique d'ancrage-ajustement permet donc aux sujets d'envisager soit la réussite soit l'échec. Il reste néanmoins à voir si l'efficacité personnelle (orientée dans un sens positif ou négatif) influence le degré de persistance comportementale dans une activité cognitive.