1. EXPERIENCE 4

Les recherches sur la cognition sociale ont montré la nature sélective du fonctionne-ment cognitif, notamment à travers l'étude des biais qui se manifestent à l'entrée du système cognitif (la sélection des informations).

Par exemple, Hogarth (1980) note que les personnes traitent l'information de manière séquentielle, ce qui a une conséquence majeure : l'ordre dans lequel l'information est traitée va affecter leurs jugements. Ainsi est-il systématiquement montré, en matière de formation d'impression, un effet de primauté dans lequel les informations initiales pèsent plus que les suivantes (e. g., Anderson, 1965). Dans un autre domaine, Jones, Rock, Shaver, Goethals et Ward (1968) ont confirmé la singularité de cet effet. Les auteurs exposaient des sujets à une personne-stimulus qui résolvait correctement 15 problèmes sur 30, selon un taux de succès ascendant (succès sur les derniers items) ou descendant (succès sur les premiers items). Or, par effet de primauté, la personne avec un taux de succès descendant était jugée plus habile et attendue plus performante dans le futur que celle avec un taux de succès ascendant.

Dans une étude importante pour notre propos, Peake et Cervone (1989, expérience 2) ont montré que lorsque des sujets sont confrontés à une activité nouvelle et incertaine, leur efficacité personnelle est affectée par l'ordre dans lequel les évaluations de résolution des items sont présentées. Dans l'expérience réalisée, les sujets devaient indiquer sur un total de 25 graphes, le nombre de figures géométriques qu'ils pensaient pouvoir tracer sans repasser plus d'une fois sur une ligne quelconque et sans lever le crayon de la feuille pour chacune d'elles. Il est apparu que leur efficacité personnelle et leur persistance à essayer de résoudre les graphes étaient effectivement plus élevées si l'ordre était décroissant (i. e., au moins 24-21-10-4 et 1 graphes résolus) que si cet ordre était croissant (i. e., au moins 1-4-10-21 et 24 graphes résolus). Or, les expérimentateurs avaient contrôlé la difficulté des graphes en les rendant impossibles à résoudre au-delà du dixième item, de sorte que les sujets aboutissaient à des scores identiques quelle que soit la condition expérimentale (max. = 10 graphes). Les résultats de cette expérience montrent donc que l'effet de primauté, imputable à la première valeur présentée, influence à la fois l'efficacité personnelle et la persistance dans une tâche cognitive (cf. tableau XXXI).

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Tableau XXXI — Résultats de l'expérience de Peake et Cervone (1989) : Influence des séquences d'ancrage sur l'efficacité personnelle et la persistance comportementale.

* Note : les sujets disposaient de 15 secondes pour résoudre chaque item. La persistance correspondait au nombre d'essais (de 15 s) effectués par les sujets pour essayer de résoudre les items insolubles.

La présente expérience est une réplique de l'expérience de Peake et Cervone (1989). Cependant, deux modifications importantes ont été introduites :

  • La première porte sur la forme des valeurs présentées. Dans les séquences d'ancrage que nous avons conçues, les valeurs successives représentent des proportions. Par exemple, dans la séquence ascendante, les sujets doivent indiquer s'ils pensent pouvoir résoudre au moins 10% - 20% - 40% - 60% - 80% et 90% des items. Cette méthode à été introduite pour permettre aux sujets d'exprimer leur efficacité personnelle en pourcentage de confiance, sur une échelle étalonnée de 0 ("je ne me sens pas du tout capable") à 100% ("je me sens tout à fait capable"). Comme nous l'avons précédemment mentionné, la force est une mesure plus valide de l'efficacité personnelle que la magnitude (Lee & Bobko, 1994).

  • La seconde porte sur la mesure de la persistance. Celle-ci est opérationnalisée au moyen de deux indices : (a) le nombre d'items insolubles que les sujets essaient de résoudre et (b) le temps passé par les sujets à essayer de résoudre ces items. Par ces deux mesures, l'objectif est d'examiner la persistance de façon exhaustive. Dans une étude méta-analytique de la relation efficacité personnelle-persistance, Multon et al. (1991) ont par exemple noté que la corrélation (non-biaisée, r u) efficacité personnelle-temps passé sur la tâche (.17) était significativement plus faible que la corrélation efficacité personnelle-nombre d'items tentés (.48).

Dans cette expérience, conformément au paradigme expérimental introduit par Peake et Cervone (1989), les sujets considèrent une gamme de différentes valeurs avant d'estimer leur efficacité personnelle pour une tâche cognitive. L'hypothèse est que l'efficacité person-nelle sera biaisée dans le sens de la première valeur considérée. Précisément, il est attendu que les sujets exposés à une Séquence Descendante développent une efficacité personnelle plus forte que les sujets exposés à une Séquence Ascendante (Hypothèse 1).

Ensuite, les sujets résolvent la tâche cognitive, composée d'une série d'items solubles suivie d'une série d'items insolubles. Si, conformément à l'hypothèse précédente, l'efficacité personnelle est biaisée dans le sens de la première valeur considérée, il est attendu que les sujets exposés à la Séquence Descendante persistent davantage sur les items insolubles que les sujets exposés à la Séquence Ascendante (Hypothèse 2).