Tâche expérimentale

La tâche à accomplir devait répondre aux deux exigences suivantes : (a) permettre une manipulation du niveau de difficulté des items qui la constituaient ; (b) permettre une étude exhaustive de la persistance. Après de multiples essais préliminaires, nous avons opté pour une tâche de raisonnement logique, tâche initialement conçue pour l'étude des stratégies de résolution de problèmes par Salla (Salla, Bruni, & Jannot, 1994). Le principe de cette tâche, dénommée Tâche des Matrices (par référence aux Matrices de Raven), a été exposé dans le chapitre précédent (cf. expérience 1).

Dans sa version la plus récente (Petit & Salla, 2000), la tâche des matrices se présente sous la forme de 12 problèmes (ou matrices) composés chacun de 8 damiers de 64 cases (8 × 8). A l'intérieur des damiers n°1, n°2, n°5 et n°8 se trouvent 2 pions. Ceux-ci se déplacent du damier n°1 au damier n°8 selon un cheminement logique. L'emplacement des pions sur les damiers n°2 et n°5 constituent des points de passage obligé (i. e., des indices). La tâche du sujet consiste à placer les pions dans les 4 damiers vides (les damiers n° 3, n°4, n°6 et n°7) afin de reconstituer la totalité du trajet. Pour indiquer l'emplacement des pions dans les damiers vides et, le cas échéant, corriger une erreur, le sujet dispose d'un crayon à papier et d'une gomme 13.

Pour les besoins de cette expérience, nous avons constitué 20 matrices. Parmi elles, 8 étaient solubles (les 8 premières) et 12 étaient insolubles (les 12 suivantes). L'ensemble des matrices (items) utilisées dans l'expérience est présenté en annexe n°1.

Afin de manipuler la difficulté des matrices, nous avons fait varier, d'une part le nom-bre de pions à déplacer (2, 3 ou 4) et, d'autre part, le nombre des indices (1 ou 2). En outre, la résolution d'un item pouvait nécessiter un déplacement pluridirectionnel de chaque pion. Un pion pouvait en effet se déplacer successivement dans 2 ou dans 3 directions différentes (cf. figures 34 et 35). En pratique, lorsqu'un pion se déplaçait successivement dans 3 direc-tions différentes, les matrices étaient rendues impossibles à résoudre (i. e., insolubles) par un placement illogique du ou des autres pions. L'étendue des déplacements possibles servait à "masquer" le caractère insoluble de ces matrices.

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Figure 34 — Exemple de matrice soluble (item n°7). Les 2 pions se déplacent successivement dans 2 directions différentes ("en escalier"). Par exemple, le pion de gauche se déplace (1) horizontalement vers la droite puis (2) verticalement vers le haut, et ainsi de suite. Le deuxième damier ne présente aucun indice, ce qui accroît aussi la difficulté de l'item.

Les 8 premières matrices étaient rangées selon un ordre croissant de difficulté, mais demeuraient toutes solubles. Parmi elles, les 4 premières matrices comportaient chacune 2 indices et 2 pions se déplaçant chacun dans une seule direction. La matrice n°5 se composait d'un seul indice et de 2 pions se déplaçant chacun dans une seule direction. La matrice n°6 comportait 2 indices et 2 pions se déplaçant chacun successivement dans deux directions différentes. La matrice n°7 est représentée à la figure 34. Enfin, la matrice n°8 se composait de 2 indices et de 3 pions se déplaçant chacun dans une seule direction.

Chacune des 12 matrices insolubles se composait d'au moins un pion dont le trajet du premier au dernier damier était conforme aux règles de déplacement. De cette manière, les sujets avaient toujours la possibilité de déplacer correctement un ou plusieurs pions. Le fait de ne pas pouvoir reconstituer le trajet du ou des autres pions devait ainsi être imputé à une trop grande étendue de leurs possibilités de déplacement. En effet, il convenait de s'assurer que les sujets ne se rendent pas compte du caractère insoluble de ces items 14. La figure 35 donne un exemple d'item insoluble.

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Figure 35 — Exemple de matrice insoluble (item n°12). Le pion en haut à droite se déplace toujours en diagonale (direction "sud-ouest"). Le pion en haut à gauche se déplace successive-ment dans 3 directions différentes (en diagonale, puis verticalement vers le bas, puis horizontalement vers la droite, et ainsi de suite). En revanche, le pion en bas à gauche ne peut se déplacer selon un cheminement logique (selon les règles de déplacement). L'emplacement des pions sur le damier n°5 permet également de "brouiller les pistes", notamment en entretenant le doute sur leur(s) déplacement(s) respectif(s).

En résumé, 20 items ont été constitués : les 8 premiers étaient solubles et rangés selon un ordre croissant de difficulté ; les 12 suivants étaient tous insolubles. Chacun d'eux était imprimé sur une feuille de papier blanc de format A4. Pour compléter les damiers vides et corriger d'éventuelles erreurs, les sujets disposaient d'un crayon à papier et d'une gomme. L'expérimentateur disposait d'un chronomètre pour enregistrer, à l'insu des sujets, le temps de résolution des 8 premiers items et le temps de persistance sur les items insolubles.

Notes
13.

La tâche des matrices existe sous une forme informatisée (cette informatisation a été réalisée par Hervé Bruni, ingénieur de recherche, leacm, Université Lyon 2). Cependant, dans la mesure où le placement des pions dans les damiers vides se fait à l'aide de la souris (le sujet clique dans la case où il souhaite placer un pion), nous avons considéré que les sujets pouvaient éprouver des difficultés à la manipuler avec précision. C'est pourquoi, en dépit de l'enregistrement automatique des temps de résolution que permet l'ordinateur, nous avons opté pour une forme "papier-crayon".

14.

Nous avons vérifié ce point lors d'une étude préliminaire : aucun des 6 sujets testés (5 filles et 1 garçon) ne s'est rendu compte de l'impossibilité de résoudre les 12 matrices ainsi constituées. Ils les ont simplement jugées "trop difficiles" ou "trop compliquées".