2. 3. DISCUSSION

Conformément à notre première hypothèse, les résultats de cette expérience montrent que les sujets exposés à une série de scores dans laquelle le score moyen (médian) est haut, développent une efficacité personnelle plus forte que les sujets exposés à une série de scores dans laquelle le score moyen (médian) est bas.

Le processus proposé par Caverni et Péris (1990) peut expliquer ce résultat. En effet, les sujets ont pu extraire le score moyen de la série présentée et l'utiliser, et seulement lui, comme une ancre. L'application de ce processus — processus "d'extraction de l'ancre" — a pu être facilitée par le fait que (a) le score égal à ce score moyen était placé au centre de la série et que (b) les scores minimum et maximum étaient placés aux extrémités. Par cette structure de l'information disponible, le score moyen était donc rendu saillant, de sorte que les sujets estimaient leur efficacité personnelle (i. e., le nombre d'items qu'ils pensaient être capables de résoudre) en priorité à partir de ce score.

Afin de démontrer clairement que les sujets estimaient leur efficacité personnelle en priorité à partir du score moyen de la série, nous avons calculé, pour chaque sujet, l'écart entre le jugement d'efficacité (e. g., 8) et chaque score contenu dans la série correspondante (e. g., [8 – 5] ; [8 – 9] ; [8 – 8] ; [8 – 7] ; [8 – 11]). La figure 43 présente, pour les conditions SMB (figure de gauche) et SMH (figure de droite), la moyenne de ces écarts.

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Figure 43 — Ecart moyen entre l'efficacité personnelle et chaque score contenu dans la série, pour la condition SMB (à gauche) et la condition SMH (à droite).

L'examen de cette figure indique clairement que les écarts sont très faibles au niveau des scores moyens (8 et 12) et augmentent à mesure qu'ils concernent les scores extrêmes. Cette figure démontre donc que, dans chaque condition expérimentale, les sujets ont estimé leur efficacité personnelle en priorité à partir du score moyen de la série présentée, c'est-à-dire qu'ils ont utilisé ce score, et seulement lui, comme une ancre.

Les résultats de cette expérience ne vérifient que partiellement la seconde hypothèse. Si, en effet, les sujets de la condition SMH n'ont pas persisté plus longtemps que les sujets de la condition SMB, ils ont néanmoins tenté de résoudre davantage d'items insolubles. Ce résultat pourrait être imputable au principe même de la procédure expérimentale. Dans la condition SMB, on informait les sujets que les participants précédents avaient résolu entre 5 et 11 items, tandis que dans la condition SMH, on informait les sujets que les participants précédents avaient résolu entre 9 et 15 items. Dans les conditions expérimentales, les sujets ont donc pu déterminer un optimum de performance possible — 11 ou 15 items résolus —en fonction d'une information normative (Garland, 1983). Par suite, ils auraient persister de manière à atteindre (ou approcher) cet optimum.

Cependant, nous avons conduit des analyses de régression dans lesquelles nous avons utilisé la condition et l'efficacité personnelle pour prédire la persistance comportementale. Pour mesurer l'effet des conditions expérimentales par rapport à la condition contrôle — la condition contrôle sert de catégorie de référence — nous avons défini 2 variables muettes D (cf. Wonnacott & Wonnacott, 1984), soit :

  1. D SMH = 1 si condition SMH ; sinon 0

  2. D SMB = 1 si condition SMB ; sinon 0

Tableau XL — Résultats des analyses de régression multiple pour le temps de persistance et le nombre d'items insolubles tentés.
Variable dépendante Variables indépendantes β B F ddl p R2
Temps de persistance Constante 370.31 85 1, 45 =.36
D SMH -.02 -30.28 02 1, 45 =.88
D SMB 05 63.71 09 1, 45 =.77
Efficacité personnelle 40 82.33 5.75 1, 45 < ;.03
Régression globale 2.30 3, 45 < ;.09 13
Nombre d'items tentés Constante -.61 13 1, 45 =.72
D SMH -.01 -.03 002 1, 45 =.97
D SMB -.05 -.30 10 1, 45 =.75
Efficacité personnelle 49 47 10.26 1, 45 < ;.003
Régression globale 5.43 3, 45 < ;.003 26

Les résultats de ces analyses (cf. tableau XL) posent que seule l'efficacité personnelle est un prédicteur significatif. Ainsi, lorsque la condition est statistiquement contrôlée (i. e., maintenue constante), l'efficacité personnelle prédit significativement la persistance (temps et nombre d'items tentés) ; lorsque l'efficacité personnelle est contrôlée, la relation entre la condition et la persistance n'est pas significative. Par conséquent, ces résultats démontrent que les séries de scores affectent le comportement par l'intermédiaire de leur impact sur les jugements d'efficacité. Pour le temps de persistance, par exemple, l'équation de regression, soit :

Y = 370.31 - 30.28 (D SMH) + 63.71 (D SMB) + 82.33 (efficacité personnelle)

signifie même que l'effet de la condition SMH est de diminuer (par rapport à la condition contrôle — la catégorie de référence) Y (le temps de persistance) de 30.28 secondes, tandis que l'effet de la condition SMB est d'augmenter Y de 63.71 secondes. La condition SMB accroît donc Y de 93.99 secondes de plus que ne le fait la condition SMH. Si les conditions avaient eu une influence réelle et significative sur le temps de persistance, nous aurions du observer un résultat inverse.

En outre, des analyses corrélationnelles intra-groupes ont démontré l'influence positive de l'efficacité personnelle sur la persistance comportementale. Dans les conditions SMB et SMH, plus les sujets se sentaient efficaces et plus ils persistaient sur les items insolubles (temps et nombre d'items). Ces relations étaient plus faibles dans la condition contrôle, sans doute en raison d'un processus de réévaluation de l'efficacité personnelle (cf. expérience 4). Implicitement, nous nous attendions à ce que l'efficacité personnelle affecte le temps de persistance sur le premier item insoluble. Or, en aucun cas nous n'avons observé de relation entre ces deux variables (la relation est nulle dans les conditions expérimentales et faible dans la condition contrôle). Pour vérifier l'influence de l'efficacité personnelle sur la persistance comportementale, il semble donc important d'exposer les sujets à des échecs répétés, ce qui n'était pas le cas au stade du premier item insoluble.

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Figure 44 — Temps moyen passé par les sujets (en min) sur le premier item insoluble (item n°9) et sur les items suivants, en fonction de la condition.

Bien que les différents groupes ne se différenciaient pas significativement au niveau des temps de persistance (total et partiel), il est toutefois possible de relever des différences dans la façon dont les sujets répartissaient leur temps de persistance sur les items tentés. En effet, la figure 44 montre que les sujets de la condition SMB ont passé plus de temps sur le premier item insoluble que sur les items suivants (i. e., tous les autres items tentés), tandis que les sujets des conditions SMH et contrôle ont passé moins de temps sur le premier item insoluble que sur les items suivants. Cette interaction — l'interaction Condition × Item est presque significative, F(2, 46)=2.70, p<.08 — semble donc démontrer le rôle de l'efficacité personnelle dans la régulation des efforts entrepris pour résoudre les items. Par rapport aux sujets de la condition SMB, par exemple, les sujets des conditions SMH et contrôle ont pu abandonner assez rapidement le premier item insoluble, dans la perspective de conserver suffisamment de ressources (énergétiques et attentionnelles) pour essayer de résoudre les items subséquents.

Lors du debriefing, 4 sujets ont admis avoir abandonné la tâche après s'être doutés de la présence d'items insolubles. Ces 4 sujets, tous issus de la condition SMH, se sont en fait demandé comment les 5 sujets précédents avaient fait pour résoudre au moins 9 problèmes. Toutefois, la plupart des sujets ont justifié leur abandon sans faire allusion aux scores des sujets précédents. Comme dans l'expérience 4, ils ont signalé que les items devenaient trop difficiles et/ou que leur résolution prenait trop de temps. Par ailleurs, les sujets n'ont pas reconnu avoir opéré leur estimation à partir d'une valeur en particulier. Ceci suggère qu'ils n'ont pas délibérément calculé puis extrait le score moyen. Les sujets ont néanmoins admis avoir pris en compte les scores antérieurs pour estimer leur efficacité personnelle.