2. PROBLEMATIQUE ET HYPOTHESES

2. 1. PROBLEMATIQUE

Les travaux centrés sur la fixation de but se sont particulièrement attachés à montrer que des buts spécifiques et difficiles pouvaient améliorer l'efficience des sujets. Or, il ne suffit pas de proposer de tels buts pour obtenir de façon systématique une amélioration des performances. Les objectifs qui sont bien souvent proposés et imposés au sujet ne peuvent avoir un rôle organisateur de sa conduite que s'il se les approprie. Nous savons, en effet, que les buts sont d'autant plus attractifs qu'ils ont été choisis par les individus eux-mêmes (Deci, 1980) et que les sujets progressent davantage lorsqu'ils déterminent leurs propres standards de performance (Bandura, 1991). Nuttin (1980) accorde beaucoup d'importance à ces processus de personnalisation des objectifs ; il considère que les mécanismes d'auto-régulation n'ont un effet que si le sujet s'approprie les buts assignés de l'extérieur et en fait une "affaire personnelle".

Conformément à la position de Nuttin (1980), la valeur motivationnelle du but n'est effective que si le sujet accepte le but prescrit et se l'approprie. Si ceci est courant dans le domaine de l'entreprise (souvent pour des raisons externes, notamment financières), il n'en va pas de même dans d'autres contextes (e. g., le contexte scolaire.). Les recherches sur la fixation de but ont isolé un certain nombre de facteurs contextuels favorisant l'acceptation du but assigné et l'engagement dans ce but, par exemple : la confiance dans l'autorité et le style pédagogique. Dans le domaine industriel, Oldham (1975) constate que les employés acceptent de travailler plus dur pour atteindre un but fixé par un supérieur si l'autorité de ce dernier est reconnue. Pour Earley (1986), les subordonnés rejettent souvent les informations de supérieurs auxquels ils ne font pas confiance. Jamieson, Lydon, Stewart et Zanna (1987) démontrent que cette confiance dans l'autorité affecte également les relations maître-élève : les élèves qui croient en la compétence de leur enseignant progressent davantage que les autres et obtiennent de meilleurs résultats. Le style pédagogique revêt aussi de l'importance. Par exemple, Latham et Saari (1979) ont montré que l'encouragement en soi n'affectait pas la performance. C'est seulement dans le cadre d'une approche "démocratique" de la fixation du but (le supérieur et les subordonnés participent conjointement à l'établissement du but) que l'encouragement a un effet sur l'amélioration des performances. Cette approche de type démocratique était comparée à deux autres, l'une de type "autocratique" (le supérieur décide seul) et l'autre de type "laisser-faire". Dans ces deux dernières conditions, l'encouragement n'avait aucun effet sur la performance. Locke et al. (1981) suggèrent deux mécanismes par lesquels la participation dans la fixation de but peut affecter la performance. Premièrement, elle peut permettre au sujet d'envisager des buts plus élevés (plus difficiles) que s'ils étaient attribués unilatéralement par un supérieur. Deuxièmement, elle peut faciliter l'acceptation du but et l'engagement dans celui-ci (Kernan & Lord, 1988).

Pour qu'un but soit accepté (i. e., personnalisé) et susceptible de conduire à de hautes performances, il convient donc d'impliquer le sujet dans la fixation du but. En ce sens, les buts personnels peuvent être préférés aux buts assignés, notamment parce qu'ils induisent un engagement plus important. Les buts personnels influencent l'engagement en permettant aux individus d'être impliqués dans le processus par lequel le but est sélectionné (Salancik, 1977a). Cependant, si les buts personnels peuvent favoriser l'engagement, ils peuvent aussi ne pas être très stimulants (Naylor & Ilgen, 1984). Au contraire, les buts assignés (s'ils sont spécifiques, difficiles et acceptés) sont souvent porteurs d'un défi (Cury & Sarrazin, 1993). Ainsi, à travers la présente étude, nous visons deux objectifs complémentaires : d'une part, il s'agit d'examiner un mécanisme possible par lequel les sujets sélectionnent leurs propres buts ; d'autre part, il s'agit de proposer une stratégie susceptible d'inciter les sujets à se fixer eux-mêmes des buts difficiles et stimulants.

On peut considérer que le choix d'un but personnel est une forme de prise de décision (Hinsz, 1991). En effet, en se donnant un but particulier, la personne prend une décision à propos du niveau de performance qu'elle souhaite atteindre. Par conséquent, les travaux sur la formation des jugements en situation d'incertitude (Kahneman et al., 1982 ; Tversky & Kahneman, 1974) peuvent fournir des références sur la manière dont les personnes peuvent sélectionner leurs propres buts. En particulier, les travaux de Tversky et Kahneman (1974) suggèrent que l'introduction d'une valeur arbitraire, pendant la fixation du but, peut affecter le choix d'un but personnel, c'est-à-dire la décision que prend le sujet à propos du niveau de performance qu'il désire atteindre. Ainsi, en référence aux travaux de Tversky et Kahneman sur l'heuristique d'ancrage-ajustement, et conformément aux objectifs de la présente étude, nous proposons de vérifier les deux points suivants :

  • L'heuristique d'ancrage-ajustement est un processus cognitif par lequel les sujets se fixent leurs propres buts.

  • L'heuristique d'ancrage-ajustement est moyen par lequel on peut inciter les sujets à se fixer des buts difficiles et stimulants.