4. EXPERIENCE 7

Dans une étude récente, dont le principe était proche de celui exposé dans l'expérience 6, Hinsz, Kalnbach et Lorentz (1997) ont montré que l'introduction d'une ancre totalement irréaliste (unreasonably high anchor) augmentait le niveau du but sélectionné, sans nuire à l'engagement dans ce but. Toutefois, contrairement à la procédure utilisée dans l'expérience 6, les instructions données aux sujets étaient verbales. Dans cette seconde expérience, nous avons adopté ce procédé. Selon nous, les instructions verbales présentent deux avantages par rapport aux instructions écrites : (1) elles accentuent le caractère arbitraire de l'ancre ; (2) elles sont plus proches des situations de la vie courante.

La plus grande partie de la littérature sur la fixation de but est basée sur des recherches dans l'industrie et le monde du travail. Cependant, certains auteurs ont cherché à étendre cette technique dans d'autres domaines : le domaine scolaire (Bandura & Schunk, 1981), le domaine clinique (cf. Ahrens, 1987, pour une revue de questions sur le rôle des buts dans la dépression) ou le domaine sportif (Locke & Latham, 1985). Dans ce dernier domaine, les premiers articles se sont surtout attachés à fournir des idées pratiques, susceptibles de faire progresser les athlètes, au lieu de tester empiriquement la relation but-performance (e. g., Botterill, 1979 ; Locke & Latham, 1985 ; Thill, 1989). Une des raisons invoquées est que les entraîneurs et les éducateurs acceptent de manière intuitive que la technique de fixation de but conduit à l'amélioration des performances en sport, étant donné que son efficacité a été clairement démontré dans le domaine industriel (Hall & Byrne, 1988). La similarité des deux domaines favorisait d'ailleurs ce transfert de procédés. Par exemple, Locke et Latham (1985) affirment : "Les tâches accomplies dans les situations industrielles [...] ont beaucoup en commun avec les activités sportives, dans la mesure où les deux impliquent des actions mentales et physiques dirigées vers une certaine finalité" (p. 206). Ces auteurs proposent même une efficacité supérieure de la technique dans le domaine sportif, dans la mesure où l'évaluation de la performance individuelle — une condition nécessaire aux effets positifs de la fixation de but — est beaucoup plus facile à effectuer en sport que dans les situations industrielles. Cependant, les premiers résultats expérimentaux qui ont véritablement appré-hendés les effets de la fixation de but dans le domaine sportif ont été très équivoques (pour une revue, consulter : Hall & Byrne, 1988 ; Locke, 1991 ; Weinberg & Weigand, 1993).

Si certaines recherches ont vérifié que des buts spécifiques et difficiles conduisaient à de meilleures performances motrices que des buts faciles ou généraux (Barnett & Stanicek, 1979 ; Boyce, 1990 ; Frierman, Weinberg, & Jackson, 1990 ; Hall, Weinberg, & Jackson, 1987 ; Mauchand, 1998 ; Weinberg, Bruya, Longino, & Jackson, 1988), d'autres n'ont pas confirmé ces résultats (Hollingsworth, 1975 ; Miller & McAuley, 1987 ; Weinberg, Bruya, Garland, & Jackson, 1990 ; Weinberg, Bruya, & Jackson, 1985, 1990 ; Weinberg, Bruya, Jackson, & Garland, 1987 ; Weinberg et al., 1991).

Locke (1991) soutient que l'inconsistance des résultats obtenus dans le domaine du sport est due à des erreurs méthodologiques. Les méthodes expérimentales employées dans la plupart des études reposent sur le même principe : dans un premier temps, tous les sujets effectuent un essai pré-expérimental, c'est-à-dire qu'ils accomplissent la tâche motrice de l'expérience sans consigne particulière ; puis, dans un second temps, les sujets sont répartis aléatoirement dans différents groupes expérimentaux (e. g., groupe "faites de votre mieux", groupe "but facile" et groupe "but difficile"). Ainsi, ce sont les différences inter-groupes qui rendent compte des effets de la fixation de but. Or, ces différences s'observent tant qu'on ne donne pas aux sujets du groupe "faites de votre mieux" un feed-back sur leur performance passée, accomplie lors de l'essai pré-expérimental (Locke, 1991). Dans le cas contraire, ces sujets utilisent l'information rétroactive pour redéfinir le but général imprécis et se fixer des buts spécifiques. Par exemple, Weinberg et al. (1985) ont découvert que 83% des sujets de leur étude, à qui on avait demandé de "faire de leur mieux", s'étaient fixés des buts spécifi-ques. En outre, nombreux étaient ceux qui reconnaissaient utiliser le feed-back pour se fixer des buts de cette nature. A l'opposé, Boyce (1990) a noté une différence significative entre les performances du groupe "faites de votre mieux" et celles du groupe "but difficile". Mais l'auteur de préciser que seulement 16.70% des sujets du premier groupe s'étaient fixés des buts spécifiques. Locke (1991) déduit de ces constatations une première règle à respecter dans les recherches sur la fixation de but en sport : ‘"[...] s'assurer que les sujets assignés à un but général ne se fixent pas des buts spécifiques’" (p. 312) 18. En outre, l'auteur soutient que dans les recherches appliquées au sport, les buts prescrits sont davantage modérés que difficiles. Ils ne peuvent donc avoir l'impact motivationnel attendu. Selon Locke (1991), un but difficile doit dépasser de peu l'habileté du sujet, de sorte qu'il puisse représenter un défi (un "challenge") : on parle alors de difficulté optimale (Cury & Sarrazin, 1993). La seconde règle à respecter est donc de s'assurer que le but précis, assigné aux participants du groupe "but difficile", est effectivement difficile. Dans cette expérience, nous nous sommes référés à une de nos recherches antérieures (Mauchand, 1998) pour déterminer le plus précisément possible le niveau de difficulté des ancres (cf. section 4. 1. : méthode).

Avant de rentrer plus en détail dans le protocole et les résultats de cette expérience, nous voudrions dire quelques mots sur la performance en générale — et sur la performance motrice en particulier — et sur son utilisation comme variable dépendante principale.

"‘La signification de la notion de performance ne peut être, à notre avis, valablement appréhendée que si on la situe à l'intérieur de la séquence d'événements, bien connue, [...] : Tâche – Activité – Résultat" (Famose, 1993a, p. 23). Si, selon cet auteur, la tâche se définit comme tout ce que l'individu cherche à faire, l'activité comme tout ce que le sujet met en oeuvre pour accomplir la tâche et le résultat comme le produit de l'activité, la performance est alors conçue comme "le résultat obtenu par un individu lors de l'accomplissement d'une tâche donnée, et perçu, mesuré et évalué par lui ou par un observateur extérieur’" (Famose, 1993a, p. 28). En définissant la performance comme le produit perçu et mesuré de l'action, on suppose qu'elle peut être située sur une échelle ordinale de quantité (e. g., plus ou moins loin) ou de qualité (e. g., plus ou moins beau).

Selon cette définition, la performance motrice peut être comprise comme le résultat évalué d'une activité à forte composante motrice. Certes, toutes les activités, qu'elles soient verbales, intellectuelles ou motrices, se manifestent par des comportements moteurs. Par exemple, la lecture mobilise un ensemble de mouvements moteurs occulaires. Cependant, Parlebas (1981) introduit une caractéristique qui permet d'effectuer de manière précise la distinction entre performance et performance motrice : il s'agit de l'aspect indispensable et non remplaçable de la mise en oeuvre des mouvements dans la production du résultat. Sur la base de cette caractéristique, Famose (1993a) définit la performance motrice comme "‘un résultat évalué produit par une activité dont la composante motrice est irremplaçable’" (p. 31).

Dans les représentations communes, la performance signale souvent la motivation. En ce sens, la bonne prestation d'un athlète est mise sur le compte de sa volonté et, à l'inverse, un manque de motivation est souvent invoqué comme cause d'une contre-performance. Or, la performance reflète bien plus que la motivation : aptitudes, habileté, chance, etc. Elle est multiparamétrée (Alderman, 1983). C'est la raison pour laquelle Roberts (1992) s'interroge sur la validité de la mesure dans le contexte sportif : "‘Une des plus grandes erreurs, selon moi, a été l'utilisation non critique de la "performance" comme mesure dépendante quand on étudie la motivation dans le sport et l'exercice [...] Dans certains contextes d'accomplis-sement, la performance peut être appropriée, mais dans le domaine du sport et de l'exercice physique, la validité de la performance peut être questionnée’" (p. 23). Nous sommes moins critiques que cet auteur sur l'utilisation de cette variable ; et, sans que ceci ne constitue une preuve irréfutable de sa valeur, nous pensons qu'il est possible de l'utiliser, dans la mesure où une très longue tradition de recherches en psychologie l'a fait. Il convient néanmoins de prendre certaines précautions, si l'on veut que cette mesure ne signale que la motivation (i. e., l'effort) du pratiquant. En particulier, il est nécessaire de contrôler minutieusement toute la variance de la performance due aux capacités initiales (habileté et aptitudes). Pour cela, Locke et al. (1981) préconisent de les évaluer au cours d'un essai pré-expérimental. Dans l'expérience précédente, nous n'avons pas procédé à un essai pré-expérimental et, ceci, afin de maximiser l'incertitude de la situation. Toutefois, les résultats ont montré que la perfor-mance, au moins en partie, était limitée par la capacité des sujets. Si les groupes constitués ne doivent pas présenter de différences au niveau des performances initiales, il est aussi né-cessaire d'envisager des procédures statistiques qui contrôlent toute la variance due à celle-ci. En effet, il peut toujours y avoir une différence substantielle entre les groupes, même si elle n'est pas significative, susceptible d'influencer les résultats finaux. Par conséquent, des analyses de covariance et de régression multiple semblent les plus appropriées. Il faut tout de même garder à l'esprit que la performance obtenue à une session préliminaire n'est qu'un indicateur imparfait des capacités du pratiquant, dans la mesure où elle dépend elle aussi de facteurs motivationnels. Par exemple, le sujet peut fournir peu d'effort au cours d'un essai préliminaire et enregistrer une performance initiale en dessous de sa valeur (pour une revue détaillée des composantes de la performance, consulter Famose, 1993b). Passées en revue les précautions nécessaires, présentons à présent la seconde expérience.

Notes
18.

Cependant, pour conduire cette seconde expérience, peu de sujets étaient disponibles (N=20). Nous avons donc été obligés de renoncer à la constitution d'un groupe "faites de votre mieux".