Chapitre II.011Théories et « fantaisies »

A.011La doctrine

Un rapide parcours bibliographique de l’oeuvre de Fourier, tel que celui proposé ci-dessus, laisse entrevoir quelques unes des oppositions fondamentales qui structurent l’exposition de sa pensée : la doctrine se développe de façon dialectique en entremêlant de façon indissociable ce que Fourier appelle le « simple » et le « composé » ; chacun de ces traités présente indissociablement la théorie « directe » ou positive de « l’Harmonie », exposant la loi de l’Association qui se trouve au coeur de la découverte fouriériste, et la théorie « indirecte », c’est-à-dire la critique de la « Civilisation », phase du mouvement social qui caractérise un dix-neuvième siècle marqué par la « fausseté », le « simplisme » et le « morcellement » des relations sociales et économiques. Cette première opposition s’approfondit par la suite, à partir du Traité de l’association domestique agricole de 1822, en une distinction secondaire, opérée au sein de la « théorie directe » : Fourier distingue alors la « théorie en abstrait », qui expose les mécanismes des passions et de l’attraction passionnée, la « théorie mixte », qui se présente comme une spéculation sur les bénéfices attendus de la mise en place de l’Association, et la « théorie en concret », qui détaille les dispositions nécessaires à la mise en pratique, à « l’épreuve », « l’essai » ou « l’expérience » de la théorie de l’Association.

Les commentateurs de l’oeuvre de Fourier sont nombreux à considérer que sa doctrine était pleinement constituée dès sa première exposition en 1803, dans la Lettre au Grand Juge : la plupart des thèmes fondamentaux y seraient déjà présents, et de plus articulés entre eux d’une façon qui ensuite ne changea plus véritablement. Par exemple, selon Louis Chevalier, le système de Fourier « ‘a été échafaudé très tôt (...) ; il n’évoluera plus guère ; Fourier restera enfermé dans sa découverte’ »152. Dans les publications suivantes, Fourier se serait alors contenté de développer et de compléter certains aspects de la théorie sociétaire, d’appliquer la doctrine à des objets particuliers, ou, comme dans Le Nouveau monde industriel, de proposer des exposés simplifiés destinés à conquérir un public nouveau. De l’ensemble, il serait donc possible de tirer un ensemble cohérent de propositions, autrement dit un système articulant de façon logique et ordonnée ses différents éléments. Au coeur de ce système, il y aurait donc la « théorie en abstrait », c’est-à-dire la doctrine fouriériste des passions humaines, qui ne peuvent être que bonnes puisque voulues par Dieu : seul le libre cours laissé aux passions permettra la réalisation complète des destinées humaines, du bonheur de l’homme sur terre. S’inspirant de la loi newtonienne de l’attraction universelle, Fourier l’applique aux rapports sociaux, « découvrant » ainsi « l’attraction passionnelle » qui régirait des mouvements d’attirance et de répulsion en fonction d’une combinatoire complexe qu’il entreprit d’exposer dans ses moindres détails. L’harmonie dont la doctrine poursuit l’établissement a pour condition l’encouragement de ces mouvements, que seule permet leur « association », c’est-à-dire le regroupement des hommes en « séries » combinant les différentes passions recensées. L’examen de l’oeuvre dans sa continuité délivre en réalité une toute impression : l’idée de système n’est pas au premier plan ; l’articulation entre les éléments reste ouverte ; l’oeuvre n’est pas figée, elle évolue dans le temps. C’est ce qu’il s’agira de laisser entrevoir dans ce rapide survol général des thèmes fondamentaux de la doctrine fouriériste.

Notes
152.

CHEVALIER Louis (1984), Classes laborieuses et classes dangereuses à Paris pendant la première moitié du dix-neuvième siècle, Paris, Hachette, coll. «Pluriel», 1ère éd. 1958, p. 231.