a)011L’association

Les propositions de réformes sociales élaborées par Charles Fourier obéissent à une règle fondamentale, celle de ce qu’il nomme « l’écart absolu » : pour accéder à la vérité de l’Harmonie, il convient de prendre systématiquement le contre-pied de tout ce qui est faux en Civilisation200. Et si en Civilisation, est faux tout ce qui agit en mode « simple », alors est vrai en Harmonie tout ce qui agit en mode « composé ». Pour lui, aucun ordre économique stable, ni aucun ordre domestique, ne peut s’appuyer durablement sur des individus isolés, sujets à la mort et à l’instabilité. A l’individualisme, Fourier oppose donc le « groupisme », ressort fondamental de l’attraction passionnée, qui s’appuie sur les quatre passions actives que sont les passions affectives : elles donnent naissance en « mode majeur » (i.e. dans l’ordre économique) aux groupes d’honneur, fondés sur « l’ambition », et aux groupes d’amitié ; en mode mineur (dans l’ordre domestique), aux groupe d’amour, et aux groupes de famille ou de parenté. L’étude de l’homme en société ne peut donc que débuter par l’analyse des groupes, qui sont les parties élémentaires des sociétés humaines.

D’un côté, dans l’ordre domestique, Fourier prône donc le divorce libre dans un premier temps, et le ménage composé, c’est-à-dire la polygamie, dans un second temps, pour lutter contre le simplisme de l’organisation familiale, limitée à l’association monotone et indissoluble de deux individus. Ainsi, dès la septième et dernière période de la première phase, celle qui précède immédiatement l’Harmonie, « ‘une femme peut avoir à la fois, 1° un époux dont elle a deux enfants ; 2° un géniteur dont elle n’a qu’un enfant ; 3° un favori qui a vécu avec elle et conservé le titre : plus, de simples possesseurs qui ne sont rien devant la loi (...). Les hommes en agissent de même avec leurs diverses femmes »’ 201. De l’autre côté, dans l’ordre productif, contre le morcellement économique, Fourier prône le travail organisé en séries industrielles et agricoles, et l’association du capital, du travail et du talent à l’organisation de la production et au partage de ses bénéfices. Plus précisément, en matière d’organisation du travail, il prône l’intégration des individus au sein de groupes de production, et l’insertion de ces différents groupes au sein de « séries »202, constituées elles-mêmes en mode composé et non pas simple : les séries, en effet, doivent regrouper des « personnes inégales en tous sens, en âges, fortunes, caractères, lumières », affectées ensemble à la réalisation des différents travaux industriels, agricoles et domestiques. Mues non plus seulement par l’amour du gain mais par toutes leurs passions, par la recherche des gratifications liées à la réalisation d’une activité qu’elles auront librement choisie (« composite »), par la rivalité avec les séries affectées aux mêmes travaux dans la phalange ou dans celles avoisinantes (« cabaliste ») et par la possibilité d’alterner entre les différentes tâches (« papillonne »203), les séries se montreront extraordinairement productives : d’une certaine façon, la théorie des passions est la « main invisible » de l’associationnisme économique de Fourier, qui proclame explicitement que « moins on s’occupe de bénéfice, plus on gagne »204.

Notes
200.

Cf. infra, « Le doute absolu et l’écart absolu », ch. III, A, 2.

201.

FOURIER, OC01 (1808b), « Méthode d’union des sexes en septième période », p. 184 (1999 : 238).

202.

Fourier emploie, à l’origine, le terme de « secte » au lieu de celui de « série », qui n’apparaît que dans l’ouvrage suivant, le Traité de l’association domestique agricole, et est d’ailleurs substitué par les éditeurs au terme originel dans l’édition de 1841 de la Théorie des quatre mouvements.

203.

Sur ce point, voir notamment « Inconvénients de l’uniformité ; avantages de l’inconstance et de la variété dans le travail », in FOURIER Charles (1851f), «Formation d’une phalange d’attraction, dans laquelle s’organisent les sectes groupées», Publication des manuscrits de Fourier, Paris, Librairie phalanstérienne, pp.80-216.

204.

« Note A. sur les séries progressives ou séries de groupes industriels », in FOURIER, OC01 (1808b), pp. 292 sq. (1808 : 431 sq. ; 1999 : 397 sq.)