Le moment qui entoure la mort de Fourier est un moment particulièrement intéressant à étudier dans le cadre d’une interrogation des modalités et des enjeux de la réception de son oeuvre par ses disciples. En effet, le moment du décès de l’auteur d’une oeuvre intellectuelle est aussi celui d’une disjonction ou d’une désynchronisation fondamentale entre le contexte de sa production et le contexte de sa réception. Il n’y a rien d’étonnant dès lors à ce que, en particulier, les enjeux de la réception pour les disciples se cristallisent autour du moment de la transformation des textes, et en particulier des textes inédits, en archives : les textes sont la ressource rare, dont la possession asseoit l’autorité sur un mouvement intellectuel. Il ne faut dès lors sans doute voir aucune coïncidence dans le fait que c’est dans cet entre-deux que se produisit la rupture entre orthodoxie et dissidence, au moment où les récepteurs que sont les disciples, ne pouvant plus agir sur le producteur, doivent emprunter d’autres voies pour assurer le succès de leurs inteprétations de l’oeuvre originale. Certaines tensions s’apaisent (en particulier entre ce que Fourier entend écrire et ce que les disciples voudraient le voir écrire), d’autres au contraire éclatent au grand jour, alors qu’elles étaient jusque là contenues par la présence et « l’autorité » (au sens d’ « auteur » et de « pouvoir » tout à la fois) de Fourier371.
C’est peu de temps avant la mort de Fourier en 1837, que l’ensemble des documents produits par l’Ecole sociétaire se retrouva au centre d’enjeux archivistiques cruciaux. En effet, les prétentions que pouvaient avoir plusieurs des disciples de Fourier sur les titres de propriété de ses manuscrits s’exacerbèrent, semble-t-il, dans le courant de l’année 1837 : l’état de santé de Fourier se dégradait nettement, et l’Ecole sociétaire était entrée déjà dans une profonde crise, marquée par l’opposition entre l’orthodoxie de Victor Considerant et des disciples parisiens d’une part, et la « dissidence » de plusieurs antennes provinciales d’autre part. A l’origine de cette crise, il y a selon Henri Desroche l’ambiguïté fondamentale des textes de Charles Fourier : la liberté de son écriture aurait rendu équivoques ses cheminements rhétoriques, et ne pouvait en conséquence que susciter la multiplication des interprétations372. Ce fut en particulier sur la question de la « réalisation », c’est-à-dire de l’essai pratique de la doctrine fouriériste, que ces « interprétations » se multiplièrent, différèrent puis finalement s’opposèrent.
Ici, le rôle joué par Just Muiron mérite d’être éclairci : celui qui resta longtemps le seul disciple de Fourier, fut aussi au coeur des intrigues qui se nouèrent autour de sa succession. Just Muiron, le premier disciple, peut être considéré aussi comme le premier dissident, lui qui poursuivait la transformation de l’école de propagande en école de réalisation, et ne cessa d’ailleurs jamais de protester contre les tergiversations de Victor Considerant. Ainsi, dans une lettre adressée en 1852 à Clarisse Vigoureux, disciple de la première heure dont Considerant avait épousé la fille Julie en 1838, Just Muiron rappelait encore son « sempiternel refrain » :
‘« [Mes espérances] reposeraient sur une base positive si enfin nos amis m’accordaient ce que je réclame avec une ténacité si constante depuis bientôt trente ans, s’ils consentaient à rallier toute l’école, dont la force et les moyens sont bien suffisants, pour l’entreprise sérieuse du phalanstère d’essai, au degré praticable »373.’De fait, dès 1835, comme l’indique Émile Poulat374, Muiron fit des propositions détaillées de réalisation à Considerant, auxquelles ce dernier répondit par un long mémoire confidentiel. Muiron, peu satisfait des atermoiements de Considerant, diffusa le document à la grande irritation de son auteur, puis rédigea l’année suivante un projet de statuts d’une « Union phalanstérienne » dissidente de l’Ecole sociétaire. Si l’accord finalement passé entre Muiron et Considerant, scellé par une circulaire publiée le 10 octobre 1836, signifiait la renonciation du premier à cette dissidence, et son ralliement personnel aux vues du second, la querelle entre « orthodoxes » et « réalisateurs » est loin d’être apaisée : quand Considerant fit semblant, par un article publié dans La Phalange en juillet 1837, de relancer l’essai de Condé-sur-Vesgre375, Muiron était déjà débordé par les réalisateurs provinciaux, de Bordeaux, de Toulouse, de Besançon ou de Lyon. La scission, devenue inéluctable, fut consacrée lors de la réunion du 31 juillet 1837, où s’affrontèrent dissidents et orthodoxes376. Dans un tel contexte, les enjeux qui entouraient l’imminente succession de Fourier deviennent plus aisément compréhensibles. Jusqu’à présent, tous s’étaient entendus pour restreindre la part d’action de Fourier, dont les écrits étaient devenus, aux yeux de nombre de ses disciples, de plus en plus vindicatifs et incohérents. Comme l’indique Hubert Bourgin, « ‘ils en étaient venus à souhaiter qu’il n’écrivît plus, qu’il se tût ; il était devenu gênant’ »377. Mais avec la discorde naissante, il devenait crucial d’essayer de s’approprier, en même temps que les manuscrits, l’autorité morale que procurerait à leurs détenteurs une publication « raisonnée » de ceux-ci.
Isolé de gré ou de force au sein de son propre mouvement, on pourrait imaginer aussi Fourier silencieux face à ce tumulte, loin des querelles qui déchirent ses disciples. Ne se détachait-il pas de plus en plus de ce mouvement qui s’était constitué autour de son nom, jusqu’à refuser même de se dire « fouriériste »378 ? Cette idée mérite cependant d’être nuancée : à la Lettre confidentielle d’août 1837, publiée en nom collectif en réponse aux dissidents, était en effet adjointe une apostille signée du seul nom de Fourier, par laquelle il semblait condamner clairement ‘« toute disposition qui pourrait compromettre les trois ou l’une des trois unités qui, dans cette affaire, sont celles : 1° De doctrine, sur les propriétés de l’attraction et des courtes séances, substituées à la contrainte et aux longues séances ; 2° De célérité en exécution de l’essai démonstratif ; 3° De concours supérieur ou accord avec les autorités ’»379. Un autre texte de Fourier, demeuré inédit mais exhumé en 1955 par Emile Poulat, semblait livrer de façon encore plus définitive la position du maître vis-à-vis de la dissidence réalisatrice :
‘« Je n’ai jamais entendu approuver aucune démarche contraire à l’unité ni à la direction donnée à la propagande par mon disciple et ami Victor Considerant, de concert avec les personnes dévouées qui ont été et sont toujours unies avec moi et avec lui. Je désapprouve hautement toute scission et invite tous les partisans de ma doctrine à se réunir sur l’oeuvre proposée par Considerant, approuvée par moi de la façon la plus formelle (...) »380.’Emile Poulat cependant se posait des questions sur la part qu’aurait pu prendre Considerant dans la rédaction de ce dernier texte : « ‘On ne jurerait pas qu’il n’était pas derrière Fourier quand celui-ci l’écrivit, tant il reprend certaines idées maîtresses de la «lettre confidentielle» »’ 381. Jonathan Beecher se faisait encore plus explicite en estimant, de son côté, que ces quelques mots «‘ pourraient bien avoir été écrits pour un Fourier moribond par Considerant lui-même’ »382, puisque le manuscrit ne semblait pas en être de la main de Fourier, et n’était ni signé ni daté.
La façon dont se régla la question de la succession des manuscrits de Fourier, en cette même année 1837, laisse une impression encore plus trouble : si l’on s’en tient à l’analyse d’Émile Poulat, après la polémique autour des funérailles de Fourier, voulues religieuses par les disciples parisiens contre la volonté de nombreux fouriéristes provinciaux, « ‘le règlement de la succession suscita une affaire plus importante encore. Curieusement, le testament de Fourier a disparu : l’inventaire de 1844 ne le mentionne pas. Nous savons cependant que Muiron’ ‘, auquel il avait par la suite associé Considerant’ ‘, devait hériter de ses papiers (...). Lié aux deux partis et jugé tiède par chacun d’eux, déçu par ces controverses incessantes, Muiron avait renoncé à tous ses droits sur les papiers de Fourier. Considerant en était ainsi devenu le seul maître réel’ »383.
Au sein de l’Ecole sociétaire, il était depuis longtemps de notoriété publique que Just Muiron devait effectivement hériter des manuscrits de son maître au décès de celui-ci. N’était-il pas son premier lecteur, son plus ancien et plus fidèle disciple, celui qui l’avait aidé à publier en 1822 le Traité de l’Association Domestique et Agricole ? Ce titre de propriété lui semblait donc naturellement dû, et on peut d’ailleurs en trouver facilement confirmation dans leur correspondance. Ainsi, dans une lettre datée du 13 décembre 1829 et citée par Charles Pellarin, Fourier écrivait en effet à Muiron :
‘« Mon intention est qu’au cas où je n’en aurais pas disposé autrement par suite de dernière volonté, vous recueilliez tous les manuscrits que je laisserai à mon décès. Je compte les mettre en ordre quand je le pourrai tant pour ma convenance que pour la convenance de celui qui pourrait les consulter. C’est un long travail parce qu’il y a beaucoup de superflu à supprimer »384.’Entre la promesse de 1829 et la fin de l’année 1837, qui vit Considerant devenir « le seul maître réel » des manuscrits de Fourier, que s’est-il passé ? S’agissant des funérailles comme des manuscrits de Charles Fourier, les biographes de Fourier avouent ne pas savoir ce que lui-même pouvait souhaiter, puisque son testament n’avait pu être retrouvé. Émile Lehouck faisait état de son ignorance dans ces termes : « ‘Ces funérailles correspondaient-elles aux dernières volontés du défunt ? Impossible de le savoir étant donnée la disparition du testament (gênait-il Considerant ?) ’»385. Henri Desroche ne contribuait guère à lever le mystère, qui écrivait : « ‘Ces histoires de testament (...) ont toujours autour d’elles un cercle de pénombre’ » ; Émile Poulat enfin, qui confessait la même incertitude qu’Émile Lehouck et Henri Desroche sur ce point, semblait de plus en rendre responsables les plus anciens disciples de Fourier : « ‘Par une curieuse anomalie qui n’est pas la seule, son testament, dont plusieurs témoignages attestent l’existence, n’a pas a été conservé, alors que [Considerant, Vigoureux et Muiron’ ‘] ont manifesté tant de piété et pris tant de précaution envers l’héritage du maître’ »386.
Quelques pièces découvertes dans le fonds de l’Ecole Normale Supérieure au cours de l’inventaire, et restées apparemment inédites, pourraient permettre de dissiper un peu de cette incertitude. Les trois documents évoqués ci-dessous se trouvent tous, au sein du Fonds Victor Considerant de l’Ecole normale supérieure, dans un ensemble de lettres de Just Muiron à Clarisse Vigoureux datant plutôt du début des années 1850. Mais ces trois-ci datent de l’année 1837, et si leur présence dans ce fonds longtemps ignoré disculpe les disciples de Fourier de l’accusation de recel, leur contenu jette une lumière trouble sur ce que fut leur rôle dans le règlement de la succession des manuscrits de Fourier. Ces documents pourraient même laisser soupçonner une « manipulation » semblable à celle dont le texte publié par Émile Poulat en 1955 fut sans doute le résultat387. Voici ce qu’écrivait en effet Just Muiron à Clarisse Vigoureux au début du mois de mars 1837 :
‘« (...) Si le plus grand des malheurs que je puisse imaginer survenait, si Fourier quittait inopinément cette vie si fatigante et si triste, n’hésitez point, faites acte de propriété, en mon nom s’il le faut, sur ses manuscrits ; vous savez qu’il me les a légués. Je voudrais même que pour raffraichir (terme de pratique) le titre qui certes nous est dû, vous trouviez moyen de l’amener à vous remettre, écrites, datées et signées de sa main, quelques lignes comme seraient les suivantes :’ ‘« Je donne et lègue à Madame Cl. Vg. tout ce que je laisserai en manuscrits et livres, au jour de mon décès ». Ces trois lignes-là suffiraient et dans un moment opportun vous les obtiendrez sans doute facilement, en lui faisant comprendre leur convenance parfaite »388.’Collé à cette lettre, était joint le billet suivant à dicter à Fourier, que Muiron présentait comme devant mieux convenir que celui qui figurait dans le corps de la lettre :
‘« Paris, le vingt avril 1837 ; Je donne et lègue à J. M. tous les manuscrits et livres dont je suis l’auteur, entendu qu’il en dispose après mon décès, comme sa propriété. (Signature) ».’Relevons déjà ici que la principale différence entre ces deux versions réside dans le remplacement du nom de Clarisse Vigoureux par celui de Just Muiron. Ce dernier pouvait se trouver justifié dans sa démarche par la lettre de 1829, mais l’on comprend mieux maintenant dans quelles circonstances il éprouvait le besoin, en mars 1837, de « rafraîchir » ce titre de propriété : certes rallié à Victor Considerant, il n’en voulait pas moins garder la main sur la source de l’évangile fouriériste. La suite montre que ce « rafraîchissement » a toutes les apparences d’une extorsion, car c’est en effet très exactement, au mot près, la seconde version, celle du billet, que recopia Fourier :
Rien ne prouve ici que la date du 20 avril 1837 est bien celle de la rédaction de ce testament ; on sait seulement que c’est celle du modèle dicté par Muiron à Clarisse Vigoureux, et postdaté. Peut-être Fourier était-il entièrement d’accord avec les termes de ce texte, peut-être aussi était-il indifférent aux enjeux que représentait ce legs. Il recopia en tout cas si docilement le billet de Just Muiron qu’au lieu de signer de son nom, il recopia même le mot « signature » en lieu et place, comme dans le billet susmentionné, puis vraisemblablement le biffa juste après.
Ce Just Muiron qui réaffirmait ainsi, de façon si cavalière, son titre de propriété sur les manuscrits de son maître, ne s’opposait déjà plus ouvertement à l’orthodoxie parisienne. Mais malgré le ralliement d’octobre 1836, il continua longtemps encore d’émettre de profondes réserves sur l’action de Considerant. En témoigne par exemple la lettre qu’il lui adressa le 30 juillet 1837, à la veille de la fameuse réunion qui consacra la rupture entre orthodoxes et réalisateurs : « ‘Le champ libre vous a été laissé. Une année entière s’est écoulée sans la réalisation attendue... Un jour peut-être regrettera-t-on de n’avoir pas marché malgré votre opposition, vos plaintes, vos erreurs surtout, vos erreurs persistantes sur nos intentions et nos actes que vous qualifiez si simplement essor d’individualisme »’ 389. Just Muiron cependant n’entra jamais en dissidence. Et douze jours après la mort de Fourier, il renonçait aux droits que lui confirmaient pourtant les dernières volontés de son Maître : il légua en effet les manuscrits à Victor Considerant et Clarisse Vigoureux, par un testament ainsi rédigé :
‘« Vu le testament de mon Maître Charles Fourier, écrit dans les termes suivants :Cette renonciation fut entérinée, deux mois plus tard, par l’acte du 20 décembre 1837, qui est en revanche connu, puisqu’il se trouve aux Archives Nationales et fut cité par Émile Poulat. Rédigé sur papier à en-tête du journal La Phalange et signé par Just Muiron, Clarisse Vigoureux et Victor Considerant, cet acte stipulait que :
‘« Les soussignés, se considérant comme ayant été et étant les plus anciens et persévérants disciples de Fourier, ceux qui par leurs actes ont mérité la succession de ses oeuvres intellectuelles et à qui revient l’autorité morale pour conduire le mouvement qu’ils ont commencé dans l’intérêt de ses découvertes sociales ;Dans ce texte, il n’est fait mention nulle part des épisodes testamentaires des 20 avril et 22 octobre de la même année392. Les trois signataires ne semblent qu’accessoirement fonder sur la volonté même de Fourier la légitimité de leur droit de propriété sur ses manuscrits. Ils préfèrent en premier lieu rappeler l’ancienneté de leur engagement — mais sur ce terrain Just Muiron les précédait irrémédiablement — et leur position à la tête du mouvement. Ce choix particulier ne peut que souligner encore le lien clairement établi entre la propriété des manuscrits et la légitimité intellectuelle et politique que celle-ci doit assurer, et explique les enjeux qui purent se nouer autour de la question de l’héritage. Just Muiron devait en être d’ailleurs parfaitement conscient, puisque plus d’un an plus tard il en prenait encore ombrage, dans une lettre adressée à Clarisse Vigoureux :
‘« Ah ! Clarisse, vous me reprochez que si la succession du maître est inscrite en mon nom pour rendre hommage à mon ancienneté, c’est le fait de votre volonté (vous avez souligné vous-même)... Puisque vous le prenez sur ce ton, retenez bien ceci : l’ancienneté ne pouvait rien faire et n’a rien fait à la chose. La chose m’était acquise parce que c’est à moi que revenait la charge comme l’honneur et le bénéfice d’avoir seul, nonobstant l’obstacle qu’y mettait l’exiguïté de mes ressources personnelles, édité en 1822 ce grand ouvrage sans la publication duquel il y a trente à parier contre un que Fourier serait mort bien autrement inconnu. Vous-même, Clarisse, et Victor assez longtemps après, n’êtes entrés dans le mouvement qu’à la suite de cette publication de 1822. Vous et lui m’avez eu pour initiateur. Ces titres-là valent un peu mieux que celui d’ancienneté dont il vous plaît de me gratifier à peu près exclusivement... Vous savez bien pourtant que huit années avant 1837 le même legs m’avait été fait »393.’C’est ainsi en tout cas que les manuscrits et documents personnels de Charles Fourier se retrouvèrent entre les mains de Victor Considerant, chef de l’Ecole sociétaire et pourfendeur des dissidences provinciales. Avec la mainmise de Considerant sur les papiers de Fourier, la polémique n’était pas close pour autant. Rapidement en effet, il fut patent qu’il n’était guère empressé de publier ceux de ces manuscrits qui étaient restés inédits. Les dissidents ne tardèrent d’ailleurs pas à s’en plaindre amèrement : « ‘Maîtresse des manuscrits de Fourier, la Phalange les a constamment maintenus dans l’obscurité la plus complète ; ayant en main les clés de la science et n’y voulant point entrer elle-même, elle en a fermé la porte à tous’ »394. Mais les échecs subis ensuite par les « réalisateurs », entre 1842 et 1845 à Cîteaux et au Brésil395, entraînèrent l’affaiblissement de la tendance dissidente. Les réalisateurs commencèrent alors à rallier la ligne orthodoxe, et collaborèrent dès lors de plus en plus régulièrement à la Démocratie pacifique ou à la Revue de la science sociale, contribuant ainsi, au moins autant que ceux qu’ils accusaient auparavant de rétention, à une réception « sélective » de l’oeuvre de Fourier qui a parfois été assimilée à une véritable « censure ».
Une premier état de ces réflexions avait été publié dans les Cahiers Charles Fourier : MERCKLE Pierre (1995), «Le testament perdu de Fourier», Cahiers Charles Fourier, n° 6, pp. 31-45.
DESROCHE Henri (1975), La société festive. Du fouriérisme écrit aux fouriérismes pratiqués, Paris, Ed. du Seuil, pp. 19-20, 164-168, 248-253.
MUIRON Just, Lettre à Clarisse Vigoureux, Besançon, samedi 15 mai 1852, un feuillet de quatre pages et un billet joint, Fonds Considerant, ENS, Réf. 3/11/1.
POULAT Emile (1955), «Sur deux textes manuscrits de Fourier», Communauté et vie coopérative. Cahiers d’histoire et de sociologie de la coopération, n° 3, juillet-décembre 1955, pp. 5-19, «Etudes sur la tradition française de l’association ouvrière», dirigé par Henri Desroche, pp. 9-11 ; POULAT Emile (1960), «Ecritures et tradition fouriéristes», Revue Internationale de philosophie, vol. XVI, n° 2, pp. 221-223, pp. 221-233.
Cf. infra, « Condé-sur-Vesgre », ch. VIII, A, 2.
Pour la réaction de la ligne orthodoxe aux position exprimées lors de cette réunion, voir en particulier : Institut sociétaire (1837), Lettre confidentielle des membres de la réunion du 31 juillet, en réponse à une brochure intitulée : «Aux Phalanstériens, la Commission préparatoire de l’Institut sociétaire», Paris, Imprimerie de Decourchant, 18 août 1837, 24 pages, VC 11/2/1.
BOURGIN (1905a), p. 101.
Cf. infra, « Censure ou autocensure ? », ch. IV, C.
FOURIER Charles (18 août 1837), Post-scriptum à la Lettre confidentielle des membres de la réunion du 31 juillet, en réponse à une brochure intitulée : Aux phalanstériens, la Commission préparatoire de l’insitut sociétaire, 18 août 1837
AN 10 AS 22 (1), cité par POULAT (1955), pp. 14-15.
POULAT (1955), 1955, p. 16.
BEECHER (1993a), p. 509.
POULAT (1960), p. 228.
PELLARIN (1843), p. 141.
LEHOUCK (1978), p. 238.
POULAT Emile, Les cahiers manuscrits de Fourier. Etude historique et inventaire raisonné, Paris, Entente communautaire, Ed. de Minuit, 1957, p. 40.
Cf. supra, « Le testament de Fourier », ch. IV, B.
MUIRON Just, Lettre à Clarisse Vigoureux (Paris), Besançon, 1-2 mars 1837, 1 feuillet double et un billet collé (ENS 3/11/1).
MUIRON Just, Lettre à Victor Considerant, 30 juillet 1837, citée par POULAT (1955), p. 11.
MUIRON Just, Légation testamentaire des manuscrits et livres de Charles Fourier, en faveur de Clarisse Vigoureux et Victor Considerant, Besançon, 22 octobre1837 (ENS 3/11/4).
AN 10 AS 25 (3b), cité in POULAT (1957), pp. 39-40.
Ces différentes vicissitudes devaient cependant être parfaitement connues d’un certain nombre des disciples proches de Fourier. Elles l’étaient en tout cas vraisemblablement de celui qui fut son premier biographe, Charles Pellarin, comme le laisse penser un document manuscrit conservé dans le Fonds Considerant de l’Ecole normale supérieure : il s’agit du brouillon manuscrit de l’hommage qu’il rendit en 1882, au cours du banquet annuel en l’honneur de la naissance de Charles Fourier, à Just Muiron qui venait de décéder. Ce document, porte lui aussi une biffure qui s’apparente beaucoup à un lapsus : « Suivant mon impression, Muiron fut aussi de tous les disciples de Fourier celui qui aima le plus le maître et qui, par un juste retour posséda au plus haut degré sa confiance et son affection. C’est à lui, comme on sait, que par son testament Fourier légua ses manuscrits institua son légataire universel (...) » (PELLARIN Charles, Brouillon du compte-rendu du banquet annuel en l’honneur de la naissance de CF, [1882, 15 feuillets numérotés de 1 à 6, de 11 à 14 et de 18 à 22, Fonds Considerant, ENS, Réf. 4/2/1). La seconde formulation a dû apparaître préférable à Pellarin, parce qu’elle ne comportait plus de référence aux « manuscrits » de Fourier, dont Muiron n’avait pas conservé la maîtrise.
MUIRON Just, Lettre à Clarisse Vigoureux, 2 juin 1839, AN 10 AS 40 (5), cité in POULAT (1957), p. 41.
Correspondance harmonienne, 30 septembre 1843, supplément au n° 1, AN 14 AS 1 (8), cité in POULAT (1955), p. 18. De fait la responsabilité de la conservation des archives de Fourier apparaît comme un poste-clé au sein de la direction de l’Ecole sociétaire. Le premier archiviste des manuscrits de Fourier fut Eugène Cartier, qui remit un « état des pièces remises entre ses mains » en octobre 1844 seulement. Il ne conserva son poste que deux ans, puis fut remplacé par Emile Bourdon en 1846 (Cf. POULAT (1957), p. 51). Emile Bourdon, fort de sa mainmise sur les archives, fut le véritable « maître d’oeuvre » de la Publication des manuscrits de Fourier, entamée dès 1845 mais véritablement systématisée à partir de 1851, et donc à ce titre il peut être considéré comme le principal entrepreneur des censures analysées dans cette étude. Du reste, Emile Bourdon fut à partir des années 1850 aussi l’un des principaux dirigeants de l’Ecole sociétaire : tandis que les uns, comme Victor Considerant, « succombaient » après 1848 aux pressions « réalisatrices », et tiraient pour un temps la légitimité de leur pouvoir des efforts de mise en pratique de la doctrine, d’autres, comme Emile Bourdon, surent asseoir le leur, d’une façon finalement plus durable, sur la fidélité à la ligne « propagatrice » et l’exclusivité de l’exploitation des oeuvres du Maître.
Cf. infra, « Les réalisations de l’Union harmonienne », ch. X, A, 2.