1.011Marx et Engels, lecteurs des socialistes du XIXe siècle

Les traditions intellectuelles se construisent à travers les relectures qui sont faites des oeuvres des penseurs qui sont ainsi institués comme les « précurseurs » de ceux qui procèdent à ces relectures. De cela, l’entreprise de Karl Marx et de Friedrich Engels est à la fois explicite et exemplaire : dans cette perspective de construction d’une tradition intellectuelle, ils avaient en 1845 fait le projet, rapporte Eric Hobsbawm, de traduire et publier un certain nombre d’oeuvres pour les réunir dans une collection qui aurait constitué la « ‘bibliothèque des plus grands auteurs socialistes étrangers’ »456. Une telle entreprise supposait, au sein de la tradition ainsi élaborée, l’instauration d’un classement des oeuvres et de leurs auteurs, d’un système de « cotes » comme en utilisent toutes les bibliothèques. Aussi Marx et Engels distinguaient-ils, à l’intérieur du corpus envisagé, deux sections bien distinctes : d’un côté étaient placés les auteurs ouvertement communistes, qui à l’instar de Babeuf et de Buonarotti, ne présentaient à leurs yeux qu’un faible intérêt théorique457 ; de l’autre côté, à la cote « Utopie » de la bibliothèque de Marx et d’Engels évidemment inaugurée par l’oeuvre éponyme de Thomas More, on aurait trouvé les classiques déjà évoqués, de la République de Platon à la Cité du soleil de Campanella, mais aussi les socialistes français du XIXe siècle Saint-Simon, Cabet, Proudhon et Fourier, ainsi que l’Anglais Robert Owen.

Dans la correspondance entre Marx et Engels, c’est d’ailleurs bien à propos de Fourier que l’on trouve les indices les plus certains de ce projet éditorial, qui ne fut finalement jamais mis en oeuvre. Evoquant le texte de Fourier sur le commerce, intitulé « Section des trois unités externes »458, que La Phalange venait de publier pour inaugurer le cycle de la « Publication des manuscrits », Engels écrivait à Marx en mars 1845 : « ‘A Bonn, je voulais faire traduire par quelques personnes que j’y connais, sous mes yeux et sous ma direction, le livre de Fourier, en laissant naturellement de côté les absurdités cosmogoniques’ »459. L’entreprise, on le devine déjà, n’avait rien de désintéressé, puisqu’Engels entendait bien n’admettre à l’intérieur du corpus socialiste que ce qui dans l’oeuvre de Fourier servait la définition qu’il voulait en donner, et pour ce faire prévoyait d’y pratiquer des coupures selon des critères d’ailleurs très semblables à ceux mis en oeuvre au même moment par les propres disciples de Fourier.

S’ils abandonnèrent finalement leur projet éditorial, Marx et Engels n’avaient pas pour autant renoncé à relire les oeuvres de ceux qu’ainsi ils instituaient comme leur prédécesseurs : comme l’écrivait Gareth Stedman Jones dans un texte inédit déjà évoqué, ‘« quatre pages du ’ ‘Manifeste communiste’ ‘ et un chapitre de l’Anti-Dühring d’Engels ont dominé tous les traitements ultérieurs du sujet’ »460. Trois ans après le projet avorté de constitution d’une bibliothèque socialiste, cet effort était très clairement visible en 1848 dans le chapitre III du Manifeste du parti communiste, explicitement intitulé : « Littérature socialiste et communiste »461. Marx et Engels y distinguent désormais trois sortes différentes de socialismes : le « socialisme réactionnaire », qui regroupe aussi bien la critique réactionnaire de la bourgeoisie par les légitimistes français, que la dénonciation du machinisme, de la division du travail et de l’anarchie dans la production, menée par exemple par Sismondi au nom de la petite bourgeoisie ; le « socialisme conservateur ou bourgeois », celui des économistes et des philanthropes qui n’entendent porter remède à la société bourgeoise que pour la consolider, et auxquels Marx et Engels assimilent désormais Proudhon ; et enfin, « le socialisme et le communisme critico-utopique » de Saint-Simon, Fourier ou Owen. Selon Marx et Engels, le socialisme critico-utopique, ayant fait son apparition dans les premiers temps de la lutte entre le prolétariat et la bourgeoisie, produit une critique souvent radicale de la société bourgeoise au nom des souffrances du prolétariat, et rend ainsi bien compte de l’antagonisme des classes, mais ne peut voir dans le prolétariat le sujet d’aucune initiative politique. A cette initiative qui faisait défaut, ils ont donc substitué l’imagination et la propagande. L’utopie est désignée comme l’enfance du socialisme, parce qu’elle est apparue pendant l’enfance de la lutte des classes.

Dans le second texte évoqué par Gareth S. Jones, postérieur de trois décennies et plus souvent connu sous le titre donné à la traduction qu’en fit Paul Lafargue : Socialisme utopique et socialisme scientifique, Engels entendait étudier plus précisément la troisième sorte de socialisme désignée dans le Manifeste comme celle des « trois grands utopistes »462 Saint-Simon, Fourier et Owen. Ce faisant, il entend se démarquer des habituels sarcasmes dont leurs systèmes font l’objet, pour y rechercher les éléments que le marxisme se déclare ainsi prêt à accepter en héritage : « ‘Que des épiciers littéraires épluchent solennellement ces fantasmagories qui, aujourd’hui, nous font sourire ; qu’ils fassent valoir aux dépens de ces rêves utopiques la supériorité de leur froide raison ; nous, nous mettons notre joie à rechercher les germes de pensées ’ ‘géniales’ ‘ que recouvre cette enveloppe fantastique et pour lesquels ces philistins n’ont pas d’yeux’ »463.

S’agissant plus particulièrement de Fourier, l’étude d’Engels, témoignant d’ailleurs d’une connaissance précise de sa doctrine, prend le ton d’un hommage vibrant rendu à la critique, « ‘faite avec une verve toute gauloise’ »464, de la société bourgeoise, du commerce, mais aussi des « re‘lations sexuelles de la bourgeoisie et de la position sociale des femmes’ ». Et loin de déplorer le ton emprunté par Fourier dans ses attaques, il en souligne au contraire la radicalité, en proclamant que « n‘on seulement Fourier est un critique, mais grâce à la sérénité de sa nature, il est un satirique, et sans contredit un des plus grands satiriques qui aient jamais existé ’»465. Enfin, en point d’orgue de l’hommage ainsi rendu, il conclut que « ‘là où Fourier est le plus grand, c’est dans sa conception de l’histoire de la société ’» : en démontrant en effet que dans la société bourgeoise, la pauvreté naît de la surproduction, par le mécanisme de ce qu’il appelait les « crises pléthoriques », Fourier avait prouvé, selon la formule d’Engels déjà citée, qu’il « ‘maniait la dialectique avec autant de puissance que son contemporain Hegel’ ‘ ’»466.

En assignant une telle place à Fourier dans la tradition socialiste, Marx et Engels signaient donc d’abord une reconnaissance de dette. S’agissant plus particulièrement de Fourier, Eric J. Hobsbawm souligne qu’ils partageaient effectivement avec lui plusieurs grandes thématiques : la critique de la raison des Lumières, qui n’est que la raison bourgeoise, la critique générale de la société bourgeoise, la lutte en faveur de l’émancipation des femmes, l’analyse du travail et la conception essentiellement dialectique du mouvement historique. Cependant, aux yeux de Marx et Engels, ce « socialisme » était affligé de profondes tares : selon eux, les thèmes évoqués ci-dessus étaient mêlés de façon inextricable à toutes sortes d’excentricités, relevant parfois de la vision pénétrante de la nature de la société communiste, beaucoup plus souvent de « la confusion mentale la plus totale ».

L’hommage intéressé et critique rendu par Marx et Engels a fortement contribué, par sa fortune, à reconstruire la perception de la tradition utopique. Comme le souligne Christophe Prochasson dans son étude sur Les intellectuels et le socialisme, « ‘en dépit de sa mauvaise réputation, le genre utopique fut annexé par les historiens du socialisme’ »467. Les exemples de cette annexion ne manquent pas : Christophe Prochasson évoque l’introduction qu’Alexandre Zévaès, militant et historien du socialisme à la fin du XIXe siècle, rédigea pour la réédition de la Cité du soleil de Campanella, dans laquelle il le présente comme un « communiste avant la lettre »468, ou bien encore l’étude que Karl Kautsky consacra à l’Utopie de Thomas More. Cela est vrai pour l’utopie en général, cela est vrai bien sûr aussi pour Fourier en particulier : cette façon de représenter les socialismes français de la première moitié du XIXe siècle a effectivement eu une influence relativement forte sur la réception de Fourier en France jusqu’à la fin de la première moitié du XXe siècle. De cette lecture sous influence marxiste de la doctrine de Fourier témoignent particulièrement bien les travaux de Félix Armand469, qui terminait l’introduction de son ouvrage sur Les fouriéristes et les luttes révolutionnaires de 1848 à 1851 par cette formule très révélatrice des fins de la reconstruction marxiste de l’histoire du socialisme : « ‘Morte l’utopie, le socialisme scientifique était né ’»470.

Cependant, l’opération marxiste qui consiste à désigner de l’utopie, pour la disqualifier finalement, peut être plus complexe qu’il n’y paraît. C’est ce que voudrait montrer Miguel Abensour en citant Adorno : Marx et Engels « ‘étaient ennemis de l’utopie dans l’intérêt même de sa réalisation ’»471. Autrement dit, il est parfaitement permis de discuter l’avis d’Eric J. Hobsbawm au sujet de Marx et d’Engels, suivant lequel ils « ‘tenaient, à raison, la construction de communautés utopiques pour politiquement négligeables, ce qu’elle était en effet’ »472. Dans les premiers textes de Marx et d’Engels qui construisent l’application de la notion d’utopie à la doctrine fouriériste, il y a beaucoup plus une reconnaissance de dettes qu’un acte d’accusation. L’évolution de la première au second se fait sans doute peu à peu, au fil des écrits même de Marx et d’Engels, à coup sûr au fil de ceux de leurs disciples. Selon Émile Lehouck, cette évolution s’explique en grande partie par des raisons politiques, c’est-à-dire par les luttes d’influence au sein de l’Internationale, les marxistes accusant justement les non-marxistes d’»utopisme»473. Si tel est le cas, on peut alors mieux comprendre ce que veut indiquer Miguel Abensour en défendant l’idée que l’invocation de l’opposition entre socialisme scientifique et socialisme utopique fonctionne comme une institution de censure politique et intellectuelle, par laquelle il s’agissait de réduire les contre-énoncés qui tentaient de dénoncer cette séparation radicale474.

De nombreux auteurs se sont livrés à la critique de la distinction marxiste entre socialisme utopique et socialisme scientifique, s’efforçant de la réduire ou de la rejeter. Janina Rosa Mailer, par exemple, entreprend dans son étude de 1975 sur « Fourier et Marx »475 de dresser l’inventaire des similitudes doctrinales qui apparentent Fourier et Marx : critique de la moralité bourgeoise, de la famille, de la situation de la femme, de l’éducation des enfants, critique de l’État, de la législation et des institutions libérales, anti-ascétisme. D’autres, plus retors, d’une part insistent sur le caractère scientifique de l’oeuvre de Fourier, et pour ce faire discutent celui du marxisme, voire essaient de dévoiler sa nature profondément utopique : ainsi Émile Lehouck indique d’abord que « ‘le caractère moderne de la psychologie et de la sociologie de Fourier, l’importance de ses vues économiques ainsi que sa volonté de rigueur dans son travail de recherche nous amènent à utiliser à son égard une formule qui paraîtra contradictoire, mais qui appelle de fait un reclassement des idéologies : celle d’»utopie scientifique»’ »476 ; et pour mieux enfoncer le clou, il proclame ensuite que « ‘la faiblesse des prétentions scientifiques de Marx a bien été démontrée par l’échec général de ses prophéties’ »477.

Une telle démarche présente certainement des inconvénients : d’abord, aussi bien en soulignant le caractère scientifique de la théorie de Fourier qu’en discutant celui du marxisme, elle ne fait qu’entériner et reproduire la distinction marxiste en validant ses fondements rhétoriques. Si le fouriérisme est une « utopie scientifique », ce ne peut être, par la façon dont Lehouck construit son propos, qu’au sens où Marx et Engels entendaient ces deux notions. Ensuite, le critère de cette scientificité — le « caractère moderne » de sa sociologie et de sa psychologie, notamment — reste téléologique et réductionniste, puisque ainsi Fourier ne cesse pas d’être perçu comme « précurseur », ancêtre ou prophète. Or, rechercher et distinguer des « précurseurs », des « prédecesseurs », des « accoucheurs »478 ou des « fondateurs », c’est toujours préjuger pour leur oeuvre un sens et une finalité qu’elle n’a pas nécessairement, et que seule sa postérité lui confère éventuellement479. Et la postérité, on l’a déjà entrevu, n’est qu’une autre façon de désigner une partie du processus social de construction des traditions intellectuelles.

Même s’il est nécessaire de discuter les critiques adressées à Marx et Engels, il ne faudrait pas croire toutefois que leur reconstruction de l’histoire des doctrines sociales s’est imposée parce qu’elle est plus scientifique que les précédentes, parce que l’utopie qu’ils dévoilent, au coeur des doctrines de Fourier, Saint-Simon et Owen, acquiert avec eux le statut de concept. Ce succès est bien plutôt le résultat de leur position, puis de celle des marxistes, dans le champ politique et intellectuel : la distinction marxiste ne s’est pas imposée parce qu’elle est plus scientifique, elle est considérée comme plus scientifique parce qu’elle s’est imposée... Cette complexité fait que, bien souvent, nous sommes en fait ici confrontés à une notion qui dévoile moins sûrement la nature de son objet, que la démarche du sujet qui l’utilise : une démarche commune au XIXe siècle, une forme rhétorique classique, qui consistait donc à renvoyer la doctrine de l’adversaire dans le domaine de l’utopie, celle du sens commun aussi bien que celle de la tradition littéraire.

Notes
456.

MARX Karl, ENGELS Friedrich, Collected Works, vol. 4, p. 719, note 242, cité par HOBSBAWM Eric J. (1982), «Marx, Engels and pre-Marxian socialism», in HOBSBAWM Eric J. (ed.), The history of marxism, Londres, p. 1.

457.

HOBSBAWM (1982), p. 6.

458.

FOURIER Charles (1845b), «Section des trois unités externes», La Phalange, tome 2, vol. 1.

459.

ENGELS Friedrich, Lettre à Karl Marx, 17 mars 1845, in MARX Karl, ENGELS Friedrich (1977), Correspondance, Paris, Ed. sociales, vol. I, p. 364.

460.

« A four page section of the Communist Manifesto and a chapter in Engel’s Anti-Dühring have dominated all subsequent treatment of the subject » (JONES(a), p. 1). Gareth S. Jones fait référence aux deux textes fondateurs de l’appréciation marxiste des « socialismes utopiques » : « Socialisme et communisme critico-utopiques », in MARX Karl, ENGELS Friedrich (1983), Manifeste du parti communiste, Paris, Champ libre, 1ère éd. 1848, 72 pages, trad. de l’allemand par Laura Lafargue, éd. revue et annotée par F. Engels, ch. 3 : « Littérature socialiste et communiste », 3, pp. 65-70 ; ENGELS Friedrich, Herrn Eugen Dühring’s Umwälzung der Wissenschaft, Philosophie, politische Oekonomie, Sozialismus, Leipzig, Verlag der Genossenschafts-Buchdruck, 1878, 274 pages (Pour une traduction française de ce texte : ENGELS Friedrich (1973), Anti-Dühring. M. E. Dühring bouleverse la science, Paris, Ed. sociales, 1ère éd. 1878, 501 pages, trad. et préface d’Emile Botigelli). Le troisième chapitre de l’Anti-Dühring, auquel Gareth S. Jones fait référence, a été traduit en français par Paul Lafargue, sous la supervision d’Engels, et publié à part en 1880 sous le titre Socialisme utopique et socialisme scientifique (ENGELS Friedrich (1880), Socialisme utopique et socialisme scientifique, Paris, Derreaux, coll. «Librairie de la Revue socialiste», 35 pages, trad. par Laura Lafargue). La plupart des textes écrits par Marx et Engels sur le socialisme utopique, y compris les deux textes évoqués ci-dessus, ont été réunis dans un recueil par Roger Dangeville : ENGELS Friedrich, MARX Karl (1976), Les utopistes, Paris, François Maspéro, coll. «FM/petite collection maspéro», 181 pages, Introduction, traduction et notes de Roger Dangeville.

461.

MARX, ENGELS (1848), pp. 56-70.

462.

ENGELS (1880), p. 52.

463.

ENGELS (1880), p. 55.

464.

ENGELS (1880), p. 56.

465.

ENGELS (1880), p. 57.

466.

ENGELS (1880), p. 57.

467.

PROCHASSON (1997), p. 114.

468.

ZEVAES Alexandre, Introduction à CAMPANELLA Tomaso (1981), La cité du Soleil, Paris, J. Vrin, 1ère éd. 1623, 123 pages, trad. et prés. Alexandre Zévaès, p. 30.

469.

Voir en particulier ARMAND Félix (1929), «Proudhon et le fouriérisme», Revue d’histoire économique et sociale, 1929 ; ARMAND Félix (1937), Fourier et les analogies avec le marxisme-léninisme, Paris, coll. «Socialisme et culture» ; ARMAND Félix, MAUBLANC René (1937), Fourier, Paris, Ed. sociales internationales, coll. «Socialisme et culture», 263 et 262 pages, 2 vol. ; ARMAND Félix (1948), Les fouriéristes et les luttes révolutionnaires de 1848 à 1851 (Centenaire de la Révolution de 1848), Paris, Presses Universitaires de France, coll. «Centenaire de la Révolution de 1848», 83 pages.

470.

ARMAND (1948), ibid., p. 10.

471.

ABENSOUR Miguel (1992), «Marx : quelle critique de l’utopie», Lignes, n° 17, octobre 1992, p. 44.

472.

« Utopian community-building they rightly regarded as politically negligible, as indeed it was » HOBSBAWM (1982), p. 9.

473.

LEHOUCK (1966), p. 105.

474.

ABENSOUR (1992), p. 45.

475.

MAILER Janina Rosa (1975), «Fourier et Marx», in LEFEBVRE Henri (dir.), Actualité de Fourier. Colloque d’Arc-et-Senans, Paris, Anthropos, pp.239-290.

476.

LEHOUCK (1966), pp. 122-123.

477.

LEHOUCK (1966), p. 124.

478.

BERTHELOT Jean-Michel (1994), «Sociologie : histoire de la discipline», in VAN METTER Karl M. (dir.), La sociologie, Paris, Larousse, pp.11-26. Cela dit, le terme employé par Jean-Michel Berthelot ne relève sans doute pas, malgré l’analogie filiale qu’il met en oeuvre, de la même imprudence téléologique, dans la mesure où il se contente de désigner ainsi les oeuvres qui ont eu le mérite de révéler les difficultés d’ » une interrogation épistémologique sur les conditions de possibilité d’une science du social » (p. 16).

479.

Si l’histoire de la sociologie s’est imposée, à juste titre, comme une des formes principales de son épistémologie, il n’en reste pas moins qu’elle court toujours le « risque » de la téléologie. Les avertissements contre cette tentation sont nombreux. Pour n’en donner que deux exemples, Pierre-Jean Simon a signalé cette tentation toujours présente de « soumettre le passé au présent » (SIMON (1991), p. 12) ; et Bernard Lacroix s’est employé à dénoncer le péché originel de l’histoire des idées, qui est de « dire ce qui adviendra en sachant ce qui est advenu » (LACROIX Bernard (1976), «La vocation originelle d’Emile Durkheim», Revue française de sociologie, vol. XVII, n° 2, avril-juin 1976, p. 214).