1.011Le Commerce véridique et social

Les tentatives de réalisation « sauvages » du fouriérisme avaient en réalité commencé avant même que la rupture entre l’orthodoxie parisiennes et les contestataires provinciaux fût officielle : le coup d’envoi en avait été donné, en effet, par deux fouriéristes lyonnais, Michel Derrion et Joseph Reynier, qui fondèrent en 1835, à Lyon, le « Commerce véridique et social »862. A la fin de l’année 1834, Michel Derrion avait publié un ouvrage d’une soixantaine de pages, intitulé Constitution de l’industrie et organisation pacifique du commerce et du travail 863, dans lequel, reprenant un thème central de la critique fouriériste de la civilisation, il estimait que l’avènement d’un nouvel ordre social avait pour condition l’instauration d’un nouvel ordre commercial. Au début de l’année 1835, une souscription fut ouverte « ‘pour la fondation d’une vente sociale d’épicerie devant commencer la réforme commerciale’ ». Si parmi les fondateurs on trouve les noms de fouriéristes comme Blaise Murat, Jean Rémond, Edmond Vidal ou encore Rivière Cadet, c’est l’ancien saint-simonien et futur dissident fouriériste de l’Union harmonienne Joseph Reynier qui apporta en réalité l’essentiel des fonds qui permirent l’ouverture, montée de la Grande-Côte à la Croix-Rousse, d’une première épicerie « véridique ».

Les ventes réalisées la première année furent importantes, et pendant les deux années suivantes, cinq autres magasins furent ouverts sur le plateau de la Croix-Rousse, puis dans d’autres quartiers de la ville. Mais des tracasseries policières et administratives suscitées par des commerçants lyonnais dissuadèrent peu à peu les consommateurs et obligèrent finalement Michel Derrion, ruiné, à mettre fin à l’expérience du « Commerce véridique et social » à Lyon, en 1838. Derrion et Reynier n’avaient pas pour autant abdiqué leur volonté de traduire en pratique les préceptes fouriéristes, et après avoir rejoint les dissidents de l’Union harmonienne, ils participèrent à la tentative de réalisation conduite au Brésil sous la direction du docteur Benoît Mure dans la première moitié des années 1840.

Notes
862.

Voir en particulier GAUMONT Jean (1936), «Le Commerce véridique et social (1835-1838) et son fondateur Michel Derrion (1803-1850)», Annuaire de la coopération, 1936, non publié. Un colloque consacré à Michel Derrion s’est tenu à Lyon les 8, 9 et 10 juin 2000, qui resituait son action et celle du mouvement coopératif dans la perspective plus récente de l’économie sociale.

863.

DERRION Michel (1834), Constitution de l’industrie et organisation pacifique du commerce et du travail ou Tentative d’un fabricant de Lyon pour terminer d’une manière définitive la tourmente sociale, Lyon, 56 pages.