F.011La fin

La suite n’est que l’histoire du démantèlement de la colonie : le 7 mai, malgré l’opposition de Savardan et de Cantagrel, toujours attachés à poursuivre l’expérience, le conseil d’administration de la Société des propriétaires de Réunion vota la proposition de Victor Considerant et Vincent Cousin qui consistait à proposer aux actionnaires d’échanger leurs parts contre des lots du terrain de la colonie. Deux mois plus tard, le 6 juillet 1856, François Cantagrel démissionna de son poste de directeur1010, protestant ainsi contre la décision prise par Considerant de ne pas verser les salaires dus aux colons qui décidaient de quitter Réunion ; Auguste Savardan, pour marquer sa solidarité avec Cantagrel, quitta toutes ses responsabilités en même temps que lui. Et deux jours plus tard, le 8 juillet, Victor Considerant et Vincent Cousin disparurent discrètement de Réunion, au moment même où devait être ratifiée la convention fixant les règles de dédommagement des membres de la colonie. Une lettre écrite à la fin de l’été par Victor Considerant à sa femme restée à Réunion est révélatrice de leur état d’esprit comme de leur état de santé, les deux hommes paraissant physiquement et moralement très affaiblis :

‘« Je dors maintenant. Cette nuit je ne me suis pas réveillé avant le jour et il m’est revenu de l’appétit. Ce pauvre Cousin est toujours sans pouvoir digérer ; le cheval ne lui fait pas du bien au contraire ; il faut qu’il marche et il est tellement accablé par la chaleur qu’il ne cherche pas à faire des promenades à pied comme il en faisait à Réunion.
Nous partons dans deux jours pour San Antonio où j’espère décider quelque chose [du rôle] du Canon (...).
Il me tarde de te retrouver. Espérons que nous nous rejoindrons enfin dans de meilleures conditions que celles des deux années qui finiront cet automne »1011.’

Le 1er septembre 1856, la déclaration d’enregistrement de la Société de colonisation fut votée par les deux chambres de l’Etat du Texas, et ratifiée par son Gouverneur ; mais à cette date, si les colons étaient encore présents en grand nombre à Réunion, dans les faits il n’y avait plus à proprement parler de colonie. Quelques jours plus tard, Allyre Bureau, qui était jusque là resté en Europe, fut envoyé au Texas par la gérance pour examiner la situation1012. Arrivé à Réunion le 17 janvier 1857 seulement, après avoir rencontré Victor Considerant à San Antonio, il fit placarder dans la colonie, onze jours plus tard, le 28 janvier, une affiche annonçant que la société des propriétaires était dissoute : c’était, officiellement, la fin de l’expérience fouriériste au Texas. Et tandis que Victor Considerant, dans Du Texas 1013, et Auguste Savardan, dans Un naufrage au Texas 1014, tentaient d’expliquer les raisons d’un échec dont ils se rendaient mutuellement responsables, la plupart des colons encore présents à Réunion se dispersaient peu à peu, les uns rentrant en Europe, les autres s’installant définitivement au Texas. Victor Considerant et sa femme, ainsi que sa belle-mère Clarisse Vigoureux restèrent, à San Antonio jusqu’en 1869, et ne rentrèrent en France qu’après le décès de cette dernière. Seuls François Santerre et les siens restèrent à Réunion, où pendant les trente années suivantes ils parvinrent à constituer une exploitation agricole prospère, s’étendant sur près de 75 hectares, réussissant « isolément » ce qu’ensemble les fouriéristes avaient manqué.

Notes
1010.

Il avait déjà présenté une première fois sa démission à Victor Considerant le 4 avril, juste après le retour de celui-ci à Réunion, mais elle avait été refusée.

1011.

CONSIDERANT Victor, Lettre à Julie Considerant, Austin, Texas, 28 août 1856, un feuillet double, Fonds Considerant, ENS, Réf. 2/1/6.

1012.

Sur Allyre Bureau, voir REY Gabrielle (1962), Le fouriériste Allyre Bureau (1810-1859), Aix-en-Provence, La pensée universitaire, Publications des Annales de la Faculté des Lettres, coll. «Travaux et mémoires, XXI».

1013.

CONSIDERANT (1857).

1014.

SAVARDAN Auguste (1858), Un naufrage au Texas. Observations et impressions recueillies pendant deux ans et demi au Texas et à travers les Etats-Unis d’Amérique, Paris, Garnier frères, 344 pages.