Chapitre XII.011Théorie sociétaire et expérimentation sociale
après 1855

A.011Une expérimentation tardive : le Familistère de Guise

L’échec de la Révolution de 1848, l’exil et le coup d’Etat de Louis-Napoléon Bonaparte avaient conduit à une « privatisation » forcée de l’expérimentalisme social de l’Ecole sociétaire, qui ne dut compter que sur ses propres forces pour tenter de mettre en pratique, au Texas, la théorie qu’elle avait contribué à faire connaître — sinon reconnaître — largement depuis le début des années 1830. La tentative de Reunion, qui ne reçut aucun soutien ni des gouvernements européens, ni des autorités fédérales américaines, ni des autorités texanes, fut à la fois le premier et le dernier exemple de cet « expérimentalisme » privé mis en oeuvre par l’Ecole sociétaire en son propre nom. L’histoire des expérimentations sociétaires devait pourtant connaître un nouvel épisode notable, mais dont la mise en oeuvre devait cette fois beaucoup moins à la volonté collective d’une Ecole sociétaire en pleine débandade, qu’à la volonté individuelle d’un homme, Jean-Baptiste Godin, décidé à expérimenter pour son propre compte certains des principes de la théorie de Fourier : il s’agit de l’expérience du Familistère de Guise, dans l’Aisne, débutée en 1857, au moment même de la dissolution de la colonie texane.

Godin avait investi une partie très importante de sa fortune dans l’expérience de Réunion, et ne voulait pas renoncer à l’expérimentation des principes fouriéristes, qui rapidement lui apparut compromise sur le sol américain : le 28 janvier 1857, Allyre Bureau avait fait apposer dans la colonie une affiche proclamant la dissolution de la Société de Reunion ; trois jours plus tard exactement, le 31 janvier 1857, Jean-Baptiste Godin élaborait le nouveau règlement d’atelier de son usine d’appareils de chauffage installée à Guise, par lequel il confiait à un comité spécial l’administration d’un fonds de secours mutuel. Ce comité, composé de six membres élus tous les six mois au sein de personnel, « pouvait être appelé (art. 30) à donner son avis sur les mesures qui seraient prises en vue de l’amélioration du bien-être des ouvriers attachés à l’établissement »1042. Avec ce nouveau règlement qui, en conférant des pouvoirs accrus au personnel de l’établissement, marquait le début de l’expérience de Guise, le témoin de l’expérimentalisme fouriériste était revenu en Europe.

Notes
1042.

GODIN M. (1897), t. II, pp. 126-127, cité par PRUDHOMMEAUX Jules (1911), Les expériences sociales de J.B.A. Godin, Paris, Imprimerie nouvelle (Association ouvrière), 1919, 1ère éd. 1911, 272 pages, bibl., pp. 67-68. L’étude de Jules Prudhommeaux sur le Familistère de Guise constitue, avec le volumineux recueil de documents constitué par Marie Godin, la source principale de nos connaissances sur cette expérience. Sur Jean-Baptiste Godin et le Familistère de Guise, on pourra consulter aussi : BRAUMAN Annick (ed.) (1976), Le familistère de Guise ou les équivalents de la richesse, Bruxelles, Archives d’Architecture Moderne, 312 pages ; DELABRE Guy, GAUTIER Jean-Marie (1978), La régénération de l’utopie socialiste. Godin et le familistère de Guise, Thèse de doctorat, Université Paris-I, Paris, 1512 pages.